VITAL
PROCESS
Etre soi, etre Fier d’etre in.dividu
La peur de commencer, la peur
d’entreprendre, la peur d’un résultat, la peur d’un « à quoi çà
sert ». Tant pis je me lance voyant déjà l’autre bord du précipice dont je
me sens si loin, si inapte à en franchir la distance et les difficultés. Le
cœur de notre nous-mêmes est bien cette appréhension entre désir et vision de
son résultat. La vision du désir est belle alors qu’au même moment intellectuel,
dans notre tête, nous en construisons déjà une réalisation imparfaite,
insatisfaisante au point de nous provoquer la paralysie de commencer
réellement. La boucle de nos désirs insatisfaits parce que jamais entrepris est
bouclée. Ainsi va le cycle de notre vie sauf si nous fermons en nous la case de
nos inquiétudes et ne gardons toujours ouverte que la case du temps présent,
dans le déroulement exact et exhaustif de tout ce qu’il advient que nous
absorbons pleinement en nos vies devenant ainsi des envies se transformant en
potentialités de notre vie.
Le premier souvenir est mon refus
d’être obligé à faire ce que l’on vous oblige sans explication ; à dire,
ou à penser ce que les autres vous intiment. J’avais 4 ans refusant de faire
garçon d’honneur au mariage de ma sœur dont le mari, mon beau-frère, ne me
plaisait pas. J’avais 15 ans seul dans ma chambre rêvant d’être un grand homme
comme Charles De Gaulle. J’avais 16 ans, recevant de mon père la recommandation
et le cri de son cœur de ne jamais me laisser faire par les autres dans la vie.
D’oser revendiquer mon moi-même, alors
que sa famille dont j’étais le dixième, était ordre et respect. Je découvre que
le rituel de bonne famille était un moyen de bien vivre social pour que chacun
ait sa place matérielle et intellectuelle. Le carcan n’allait pas plus loin et,
au contraire, il permettait à chacun de s’en élever pour devenir ce qu’il est.
Ensuite les caractères de chacun décident de nos parcours parce que souvent ils
confondent la forme et le fond. Nos parents nous instruisent par la forme qui
est le rituel de notre éducation particulière et de notre culture en général.
La formation nous est ainsi gymnastique de comportement pour trouver en nous le
fond, le véritable fond, l’unique nous même, le cristal de notre rencontre en
un seul point ici et maintenant avec la vie. Ainsi me faisait penser mon père
avec une bonhommie que ma mère trouvait quant à elle simpliste ou du moins
simplificatrice. Elle raisonnait en grandeur et culture universelle. Il ramenait
au quotidien bien-être. Je suis de eux deux, sans une inclinaison à choisir un
camp. Le bien-être épicurien de mon père ne serait que vase clos s’il ne
voulait pas se remplir de toute la connaissance du monde de ma mère. Je n’ai
pas souvenir visuel de leur intimité, de leur proximité dans une époque de
règles à se tenir en public, devant les enfants et même en pudeur devant
soi-même. Je ne les ai jamais vus se plaindre. Ordre des sentiments, ordre des comportements
afin que la maison, physique et morale, fut toujours un lieu de repère pour
chacun qui devait y retrouver son réconfort. Etres et choses allaient de soi, allaient
ensemble sans que les moments de pauvreté ou de richesse, de bonheur ou de
détresse, ne puissent ébranler l’édifice de la maison commune. Cette armature
matérielle et morale pouvait plier mais ne se cassait jamais car elle plongeait
sa racine dans la promesse de devoir, d’une femme et d’un homme puis du couple
qu’ils étaient, envers les enfants qu’ils engendraient, dans une société qu’ils
avaient défendue de leur corps en temps de guerre et de leur sens civil et
moral en temps de paix. Mon constat de ce temps n’est pas regret qu’il ne soit
plus dans les détails exactement pareils puisque notre paysage physique et intellectuel
bouge à tout instant. Nous voyons, de nos propres yeux, et sentons, de nos
propres sens, ce défilé de manifestations de la vie avec justement cette
possibilité, unique au genre humain, de la comparaison. Cette continuité dans
la vision du défilé de la vie signifie que les mécanismes du comportement
humain restent les mêmes depuis la nuit des temps. Les changer n’est pas dans
notre périmètre. Ce n’est pas par respect mais par simplicité de voir ce qui
existe sans nous, ou presque sans nous,. Remontant d’une église que je ne peux
éviter « au milieu du village » je considère sa présence physique de bâtisse
au milieu des éléments de la nature et de l’humanité. D’autres temps, autant
que l’on s’en souvienne, ont toujours planté de quelque façon un lieu de culte
ou du moins de parenthèse au milieu de la matérialité ambiante, à l’abri du
contact frontal des hommes. Pouvoir parler et m’interroger sur le pourquoi de
ces lieux est ma liberté, ma non
inféodation à qui et à quoi que ce soit. Ne pourrait-on jamais envisager que
l’homme puisse réfléchir en liberté à ce qui existe, sans devoir prendre, pour
ou contre, parti ? Il est paradoxal que la libération des religions ait
abouti à un « contre » les religions dans une idéologie de laïcité,
partisane au lieu d’être laïquement neutre, avec permanent besoin viscéral de
faire combat à tout ce qui n’est pas elle. Le détour religieux, comme d’autres, ne semble pouvoir grandir qu’en se
dressant contre ce qui précède. Ou bien, plus subtil encore, en sélectionnant
dans le passé ce qui valorise aujourd’hui, et en en rejetant, comme un héritier ingrat, ce qui a entaché, ce qui lui fait
honte dans son paroxysme perfectionniste du maintenant. Cette séparation
louable du bon grain de l’ivraie, de ce qui est – ou aurait été – bien ou mal,
ne peut rien changer de l’événement passé qui d’ailleurs ne réclame aucune reconnaissance.
Simplement maillon suivant de la chaîne de l’humanité nous sommes, avec aucun
pouvoir de déformer l’anneau précédent et peu de coercition pour forger le lien
suivant. Seule la plénitude consubstantielle, dans son matériau énergétique et
sa volonté, est notre possibilité d’être anneau de maximale transition.
Accroché au passé, par ce lien physique de la génétique et de la suite des
matériaux de la terre et des idées des hommes, nous ne pouvons que suivre dans
une évolution mécanique de l’édifice. Nous ne sommes qu’un étage de plus dans
l’humanité. La reconsidération des modes de construction précédents se heurte
donc à la réalité de tout ce qui s’est sédimenté jusqu’ici. Le perfectionnisme
de notre libre arbitre, devenu liberté, nous pousse à reculer toujours le
possible et notamment notre possible par rapport à l’autre. L’invention de la
liberté, dans sa version de citoyens égaux, place notre individu comme un monde
à lui tout seul, une terre promise pour nous seul ! Cette indépendance nous
est promise pour qu’intervienne le libre arbitre de chacun d’y travailler
lui-même ou de l’attendre des autres. Liberté non acquise par soi-même est
aliénation à celui qui vous l’a promise ou qui vous l’a donnée. Ces temps de
mon enfance nous laissaient dans cette possibilité de faire, avec les rites
éducatifs ou religieux ou institutionnels, qui nous servaient de tuteurs si tel
était notre besoin dans le cas comme le mien d’un accompagnement parental
ouvert à la personnalité de l’enfant. Le rejet en bloc de toutes ces
structures, de bonne ou de mauvaise volonté, ampute les individus trop vite
devenus seuls livrés à eux-mêmes. La déritualisation de la société, laïcisation
forcenée, a fait fi de l’état grégaire des éléments du troupeau qui aimaient
leurs repères, qui voulaient en grandir doucement sans être poussés répartis
dans une nouvelle clairière épurée de toutes statues d’exemplarité. Le
processus émancipatoire était louable. J’y ai participé non pour conspuer le passé mais parce que
qu’une humanité aseptisée de dogmes donnait, théoriquement, plus d’égalité pour
tous. Que chacun puisse se construire sans exemple déifiant dominateur a de la gueule !
Mais ce do-it-yourself de nos vies ne
peut se faire qu’avec un plan, de grand petit ou moyen architecte. Un plan il
en faut pour qu’au quotidien de nos instants rencontrés nous sachions ce que
nous sommes et ce que nous voulons. Sans lecture à portée de main de notre plan
mode d’emploi de notre vie nous sommes vivants objets; mais objets manipulés
par événements ou personnes trouvant intérêt à influencer notre comportement
dans un sens qui leur est favorable. Connais-toi toi-même, qui peut vouloir
dire renais en permanence avec toi ; ou bien encore construis-toi
toi-même. Mais en tous cas, ne te laisse pas construire par les autres. Parce
que la meilleure construction de l’autre, à supposer que l’on nous veuille du
bien, ne sera jamais qu’une projection de ce que l’on croit bon pour nous. Nous
seuls pouvons vérifier-valider les matériaux et les plans pour nous construire et
y puiser, dans l’éducation familiale, institutionnelle, religieuse, culturelle,
les processus ayant fait leurs preuves de bien aller. Pour autant que l’on
puisse faire référence à ces bien-aller forcément passés, alors que la course effrénée
vers l’avenir les ringardise. Ce qui était serait forcément suranné parce que
portant la charge – péché – originelle d’avoir existé, pis d’avoir fait leurs
preuves quand l’absolu nombrilisme du temps présent ne veut voir que « nos »
preuves. Et encore, puisque la fuite inexorable du temps ne laisse plus
l’opportunité de voir ce que l’on fait : ne semble pouvoir être perçu que
le mouvement du temps, comme si l’horloge montrait ses mécanismes sans nous
laisser saisir l’heure qu’il est. C’est une énigme de l’évolution que cette aimantation
magnétique de la nature humaine aux rouages qui la manipulent ; au lieu
qu’elle se pose, se repose, à regarder les résultats et l’ambiance de la
mécanique du temps. Nous venons de la famille au sens qu’il faut un géniteur
qui rencontre une génitrice dans une fécondation de plaisir au départ. Ceci est
le cadre. Nous en résultons. Les formes varient et évoluent selon les civilisations
et les cultures. Selon les mœurs dirait-on aujourd’hui. Mais qu’importe il faut
un père et une mère et un désir au départ. C’est un constat qui n’a pas besoin
de morale pour être admis par tous. Pourtant la remise en cause est en cours
sans qu’un plan de changement puisse être perçu. L’origine en est l’évolution
des dites mœurs, et la réclamation des individus à être à la fois seul pour
avoir la jouissance d’un enfant, et à avoir besoin d’un couple donneur de
semence réceptacle pour le féconder, ce qui s’appelle mécaniquement, et bien
avant la morale, un couple ; technologiquement un couple. Aucune tolérance
ni aucun progrès ne pourra aller à l’encontre de cette nécessité mécanique. Au
lieu que de l’admettre, les insatisfaits de cette exigence primaire s’en
prennent au creuset qui incarne dans la société ce couple ; je veux parler
de la famille. La continuation sociale du couple biologique est en effet la famille
dont les conjoints se promettent des règles à suivre pour accompagner ceux
qu’ils procréent. La difficulté d’étaler ces évidences est paradoxalement
énorme alors que les progrès de la connaissance, de l’éducation, du civisme et
de la prise de conscience en général devraient nous rendre mature à pour le
moins comprendre. Au lieu de cela, la famille, par son nom enfermant
l’individu, est rejetée comme si elle était notre anti-liberté, notre respect désuet des ancêtres, notre habitude passive aux
gestes et pensées d’antan; alors que le discours ambiant nous ordonne d’être
neuf. On parle d’obsolescence des objets, de date de péremption des aliments.
Nous aussi nous sommes condamnés par la société à ne pas penser passé, à ne pas
vivre recettes connues. Non point parce qu’il y aurait meilleur et qui voudrait
donc qu’on l’essaye ! Mais de manière injonctive il nous faut changer pour
le changement dans une suite progressiste d’un « il faut consommer pour
donner du travail aux manufacturiers de la consommation ». Cette roue là
est désormais plus grande que nous et elle va nous chercher dans les moindres
recoins de la terre, dans le plus fin interstice de nos vies. Je ne crois pas à
des mains invisibles de puissants
faisant tourner la roue pour profiter de nous jusqu’à nous y broyer. La roue
tourne toute seule par le simple mouvement de tout un chacun, inconscient de
ses effets sur la marche du monde. Il en fut toujours ainsi dans l’espace temps
rythmé soutenable. La réflexion, le recul, la non adhésion immédiate quand la
diligence ne passait qu’à intervalles espacées. Libre était la possibilité de
descendre et de remonter. L’abolition des distances physiques et
l’amélioration, que dis-je l’immédiateté, des vitesses rend la diligence,
devenue fusée ou bits informatiques, toujours en situation de nous happer. Ne
restent ou plutôt ne restaient que les stations haltes de nos familles,
institutions, religions, cadres civiques tannés comme un vieil arbre centenaire
sous lequel on pouvait faire halte-pause salutaire. De là nous pouvions
regarder le temps qui passe trop vite, le laisser filer ; remonter dedans
ensuite. La fuite du temps ne se contente pas de nous faire avancer pour ou
contre notre gré. Elle éprouve le besoin, afin de dégager ses voies et buts,
d’aller toujours plus vite, de démolir, en les rendant ridicules, ce qui lui
fait obstacle. Il n’y a rien à en redire puisque telle est la force de gravité
du phénomène physique, caractéristique purement mécanique et sans aucune morale
du phénomène. Phénomène devenant processus auto-propulsif, par son poids intrinsèque
et l’absence de tout obstacle humain à
son exponentielle progression. Est-ce la première fois dans l’histoire de
l’humanité qu’un phénomène va plus vite que les hommes ? De tous temps
l’imprévu physique et humain a surpris l’humanité qui en faisait contre
mauvaise fortune bon cœur, dans ce retranchement de modes de pensées qu’elle
avait encore le temps d’avoir. Aujourd’hui l’immédiateté arrive avant la pensée,
qui devient un luxe pour les seuls sachant arrêter le temps, sachant s’arracher
à l’emprise de la grande roue. La nouveauté est grande, immense,
révolutionnaire au sens de capacité de changer l’évolution. Nous semble loin de
quémander un vain « oh temps suspend ton vol ». Sauf si l’on sait revenir au fondement de notre
caractéristique d’Etre humain qui est de savoir dire Oui ou Non, qui est de se joindre
ou pas aux courants, qui est de se construire un Soi possible rien que pour
soi. Nous commençons ce parcours, vers un nous construit dans la fragilité de
notre naissance faisant de nous des êtres déjà respirant sur terre mais non
finis pour y évoluer seuls. Les dispositions matérielles et morales que représente
la famille sont nécessités de survie, à la différence d’autres règnes où les
êtres sont autonomes dès le premier jour. La contrainte de cette infinitude,
laquelle entre parenthèses nous poursuit toute notre vie, nous oblige à trouver
ce qui va nous former, transformer. Sans entourage nous ne pourrions pas
décoller de notre état de bébé. Cette nécessité de la famille, ou de toute
autre appellation clan-tribu-fratrie-etc…, rencontre de nos jours la critique
que nous ne serions pas libres alors que nous devrions l’être. Quelque part
l’ambiance du temps nous intime d’Etre avant même de savoir comment être,
comment être formé à être. L’ambiance du temps nous catapulte immédiatement
dans le mouvement de l’immédiateté et de la grande roue happant dès le plus
jeune âge ; tablette tactile pour bébé de neuf mois, téléphone portable
pour enfant de six ans. La formation particulière, apanage de la famille puis
des institutions, est supplantée par des dispositifs enclenchant le bambin dans
un système rationaliste pour penser, vivre, consommer, selon un intérêt général
codifié applicable collectivement à tous. Le dénominateur commun, nonobstant le
particularisme de chacun ! Difficile d’y résister sans passer pour un
réactionnaire, un empêcheur du bien commun, un ambitieux égoïste. Or il ne
s’agit que de préserver la potentialité de chacun de devenir ce qu’il est et
non ce que la société pense de lui sans le connaitre. La statistique, l’étude
moyenne des comportements, la volonté d’un bien-être global réparti pour chacun
ne sauraient satisfaire ce que nous sommes, pris individuellement dans le
particularisme de nos corps et âme. Notre unicité n’est pas une revendication
nombriliste. C’est une évidence mécanique de cette grande roue qui nous fait
tourner tous ensemble, mais avec pour chacun notre boulon-écrou particulier qui
nous y accroche. Ce n’est qu’évidence commençant par la singularité unique
depuis la nuit des temps, de nos plus de soixante milliards d’ancêtres avec
chacun leur faciès, leurs empreintes digitales leur ayant justement permis de
façonner leur monde. Et le miracle est que jusqu’à maintenant l’assemblage
global a toujours assimilé, sans les confondre, chacune de nos diversités.
Cette confrontation de l’individu dans la globalité est un long processus de la
vie individuelle qui doit être protégée et de la vie collective, qui doit
s’arrêter là où commence justement le ressort individuel. La collectivité dans
sa meilleure bonne volonté ne peut avoir, par exemple, la tendresse telle que l’a,
un par un, la famille à l’égard de ses enfants. Il ne s’agit pas forcément
d’amour mais plutôt d’onctuosité de rapports entre adultes et enfants. Par cet
exemple de défense du cadre de la famille je veux surtout pointer la nécessité
impérieuse d’un lien non explicatif, non prévisionnel entre humains en général
et enfants. Il faut que l’enfant ne se sente pas en soumission rationnelle à un
cadre définitif. Il est d’âge à ne pas savoir ce qu’il est, ce qu’il veut, ce
qu’il sera. Ses réflexes à la vie n’en sont que plus instantanés, instinctifs,
ne demandant qu’accueil et écoute pour en comprendre les aspirations à justement
ne pas satisfaire tant elles sont dispersées. Aucun filtre rationnel ne peut
prendre en compte ces multiples manifestations du jeune âge. Seule la famille
écoutante et unie de ses deux géniteurs peut accueillir, identifier, motiver
ces enthousiasmes. Ce n’est pas un problème de morale ou de critique mais une
observation de ce qu’il advient des individus. Faire autrement est possible
puisque notre époque le prouve dans un « ongoing process », dans une évolution en cours, au milieu du
gué, dont nous savons que nous avons quitté une rive sans bien savoir ce que
sera l’autre rive ni même si elle existe. La conviction qu’il ne peut pas en
être autrement n’est pas assurance de pouvoir y parvenir. Nous ne suivons pas
un parcours connu mais au contraire nous laissons s’inventer une méthode de la
prise en charge hors cadre familial stable. Il se peut, et je le souhaite
sincèrement auquel cas je me serai trompé, qu’en advienne un individu encore
plus libre puisque décontingenté de la subjectivité de ses parents en y ayant
gagné des outils affinés de préhension des êtres, des choses et des
connaissances ? Pourquoi pas ? N’en demeure pas moins le passage en
force d’une situation connue éprouvée, la famille, à une situation expérimentale
pour des sujets humains qui s’y rateront ou s’y réussiront. Je n’arrive pas à
assumer cette part de saut dans l’inconnu qui n’est pas un risque au sens de s’engouffrer
dans une voie par obligation, mais qui est un choix de ne plus assumer son rôle
de parent tout en voulant avoir quand même ses enfants. Le jugement moral dont
je serai taxé n’est pas dans mon analyse seulement mécanique de ce que j’ai vu
jusqu’ici correctement ou presque fonctionner ; alors que la proposition
géniteurs d’un côté enfants de l’autre est par nature une séparation des
fonctions. Oser l’expression sur le sujet vous fait passer pour le défenseur
d’un clan, le pourfendeur d’un autre clan devenant nommément adverse. Mais il
faut oser étaler ces faits de société afin que les individus concernés se les
réapproprient. Ce sont nos vies, dont les changements n’ont rien d’inéluctable
et doivent d’abord être décidés par nous. Les statistiques diffusées sur une
moitié de divorce après mariage, sur 63 % d’enfants parisiens issus de couples
séparés, deviennent médiatiquement une autosuggestion de suivre le mouvement
comme la courbe haussière ou baissière de la Bourse. Eh bien non, puisque le
nombre n’est que la somme des individus, l’unique que nous sommes n’a pas à y concourir
contre son gré. Je ne suis pas ce que la société veut faire de moi. Je suis UN,
dans une société à qui je confie de ma seule volonté des délégations de vie
communautaire, dont j’attends en retour, c’est ma première exigence, que je
reste ce que je veux être. Il y a, sinon, rupture de contrat. Le champ de notre
partage est suffisamment vaste pour que les échanges nous profitent les uns
vers les autres. Ce n’est que par envahissement des uns, et lâcheté conséquente
des autres, que le tissu de notre communauté d’êtres humains se déforment sous
le poids d’un intérêt, dit commun, dévoyé. Ce qui est partie intégrante de nous,
comme notre individualité ou notre environnement affectif familial, ne doit
jamais, quelles qu’en soient les rationnelles raisons, être manipulé par autrui.
Penser et dire, à ce moment de la vie, est la convergence de l’expérience et de
l’observation qui soudain vous donne envie de se manifester. J’ose parce que
j’ai rencontré des personnes, dans un vrai chantier humain, pleines de
potentialité et de vitalité, à qui je veux dire vas-y, vous êtes capables.
N’ayez pas peur de vous ! Osez-vous ! La rencontre de ces Etres est
l’acte fondateur, le carrefour réconciliateur d’une existence. Tout existait
avant, tout allait bien jusqu’ici, mais ce déclic vous fait monter dans la
grande roue vers de nouveaux horizons. L’aventure personnelle ne serait
qu’anecdote pour moi si elle ne m’amenait pas, au contraire, dans un champ
élargi vers toute la potentialité humaine. Avec elles j’ai envie de tout faire
parce que toutes leurs différences sont comme des flèches que je peux lancer
vers de nouveaux combats. Je n’ai pas envie d’adopter leurs champs de la vie
mais l’explorer, le connaitre, et y faire terrain de réflexion m’amenant ici à
vous faire partager ce monde. Ce n’est pas un territoire précis. Je ne peux le
définir que par rapport à moi dans ce que je savais jusqu’ici. Le nouveau
territoire, new frontier, me remet en
selle de cow-boy conquérant connaissances et manières de voir. Le savoir et le savoir-faire
du monde sont infinis, et, en plus, se baladent dans un espace temps qui
empêche leur fixation définitive. Nous ne savons jamais ce qu’il nous est donné
de voir-entendre-sentir à un moment précis de notre perception et de notre
faculté de mémoriser l’expérience du passé. L’histoire linéaire du monde et des
hommes est hors de notre atteinte. Nous ne sommes que parenthèse au sens
restrictif et humble ; mais nous sommes, ce qui revient au même, au sens
positif et glorieux, maillon indispensable du présent pour passer l’expérience
humaine du passé vers l’avenir. Cette vision précise de l’anneau passeur entre
le précédent et le suivant déclenche en moi une notion fondamentale d’égalité.
Une chaîne ne peut avoir de maillon individuel trop fort qui tracterait en
rupture un maillon individuel trop faible. L’équilibre générationnel s’impose
pour que forts et faibles dans leur effort individuel deviennent ensemble
résistants. Consistances différentes sont plus appréciées que forts et faibles
trop duels. La beauté de la rencontre avec l’Etre est cette découverte des
matériaux différents dont il ou elle est constituée, dont je suis constitué, et
dont à vrai dire je ne vois même pas ce que nous pourrions construire
physiquement ensemble. Qu’importe s’il n’y a pas de projection architecturale
durable, palpable. Les matériaux découverts n’ont pas besoin de faire bâtisse
touchable palpable pour exister. Ils sont dans une rêverie de jongleur avec
laquelle je joue, je m’émeus, j’affute mes sens et mes comportements (gestualité)
afin que le jeu démonstratif continue, même si nous savons que ce ne peut être
qu’un spectacle de nos vies respectives. Jongler des éléments du monde est pour
moi embraser tous les phénomènes de la terre par mes sens perçus. Ils sont mes
objets, mes existants, de la fenêtre de
vie de mon passage sur terre. J’y suis. Le fait d’y être vivant est une
acceptation de mon moi à l’ égard du monde. Ou plutôt symbiose d’un monde qui
est en moi alors que je suis dans le monde, sans faux semblant de petitesse ou
de grandeur de l’un ou de l’autre ; sans fausse déclaration que je serais
utile au monde ou que le monde me serait utile. Se départir de cette notion
inventée d’égalité ou d’infériorité ou de supériorité. Il n’y a que des Etres,
des organismes au sens de structures en fonctionnement. Les uns partent,
d’autres durent. Les unes réfléchissent, les autres n’ont peut-être pas besoin
de réfléchir. Sans aucune formation ni encore moins prétentions scientifiques
on ne peut qu’émettre, comme je le fais, son ressenti de son support d’homme
avec le reste du monde ; homme puisque tel est l’état terrestre dans
lequel on me mit. Les dispositions particulières de mon genre humain sont
parcelles de ce puzzle du monde qu’il ne m’appartient pas de chambouler. Mon
insertion-assimilation à toutes les pierres du monde garantit la cohésion de
l’ensemble. La meilleure intention d’améliorer l’état de ce monde oblige à envisager la transformation de
ce qui est hors de nous, posant le problème de respect d’autrui. Améliorer ma
performance personnelle au monde, c’est-à-dire ma congruence, mon bien-aller
avec les éléments extérieurs à moi, est par contrecoup de mon pouvoir, voire de
mon devoir. C’est un pouvoir de domino capable dans son entrain d’incliner son
voisinage. Le respect de l’élément que l’on est ne se construit pas en
forteresse protectrice des autres éléments. La constitution du moi personnel,
ouvert à se faire du plaisir à soi pour être bien, englobe naturellement notre
goût des autres dans leur pauvreté ou leur richesse. Cette utopie de l’autre et
du monde est-elle réalisable ? Servirait-elle à quelque chose ? N’existerait-elle
pas déjà que je ne la verrais pas ? Oui sans doute ; mais eh
alors ! Chaque nouveau venu sur terre, et nous sommes nouveau venu à
chaque instant, a le droit de poser la question de ce qu’il est, de ce qu’il
fait, de ce qu’il désire. Refaire « son monde » à chaque instant
selon la perception la plus récente que l’on vient de ressentir. Ce façonnage de
notre « moi » est le signe de notre révolution permanente pour
justement être bien inséré, accroché dans un monde fait de milliards d’autres
« moi », de milliards de milliard d’éléments minéraux, biologiques,
animaux ; de milliards de milliard de neurones et synapses assemblés sans
aucune uniformité. Nous n’en savons seulement, que pour être vivant, il nous
faut avoir de la vitalité physique et intellectuelle dont l’exercice de
construction d’un bon « moi » est salutaire mouvement. La
revendication de soi est l’acte autopropulsif de nos vies, de notre
contribution au puzzle du monde. Je ne brandis pas le spectre de
l’uniformisation orwellienne qui veut dominer et asservir. Personne à mon avis
ne dirige le monde : ni la main invisible de l’argent ni le satan du mal.
La seule culpabilité est de ne pas oser notre « soi », d’attendre les
autres qui nous attendent aussi formant ainsi inconsciemment la longueur d’un
arrêt de bus qui n’arrive jamais puisque nous ne nous décidons pas à le faire
fonctionner. Les philosophes sociologues écrivains fouillent en archéologues
les profondeurs des âmes, cœurs et comportements. Trop souvent ils décrivent et
constatent, sans inciter au déclic d’inversion de la marche du monde, de notre
monde, de mon monde. Je n’ai qu’une vie que je peux vivre en vrai avant que les
philosophes et sociologues en parlent. Il nous faut être avant d’avoir été. Ce
n’est pas illumination de soi-même que de se croire élu à sa destinée. Moi seul
peux parcourir mon chemin. Ma seule main peut décrocher mes étoiles, au-dessus
desquelles il peut être un univers de ma composition hors normes scientifiques
existantes et connues. Ma situation gravitationnelle dans l’espace 3D, qui
n’est pas plat, a sa part de petitesse au sens de n’être qu’une infime petite
division d’un grand tout ; mais aussi sa part de complémentarité par le
voyage et les escales que j’y fais. L’univers ne m’appartient pas mais il
m’attend dans un échange pour s’y comprendre et s’y améliorer. La révolution du
monde passe par l’addition de nos révolutions respectives personnelles. La
nature, qui a horreur du vide, continue sans nous si nous n’y prenons pas part
et si nous nous privons ainsi de ce droit de regard et d’action. La synergie nous-monde se visualise à une pièce détachée
que nous sommes pour faire fonctionner le grand monde : si nous n’y
participons pas, le monde, marchant sans notre contribution, ne sera pas le nôtre
et nous le regarderons en étranger. Croquer notre écorce protectrice du monde
est notre premier acte immersif pour se sentir « avec », com, communication,
communion, communauté, compagnie,
cet « com-avec » se décline à l’infini dès que nous franchissons la
porte de notre « moi ». Nous sommes seul ou avec. Un avec qui ne veut
pas dire « dans » c'est-à-dire dilué dans une masse. Avec veut dire
participant de son moi, avec plein d’autres moi, pour faire ensemble des parcours
vers des buts. Pour partir sur ce chemin, savoir ce que l’on est est indispensable
pour soi et pour les autres avec qui on se joint, « avec » lesquels
on envisage un bout de vie. L’oubli de ce que l’on est, ou plutôt le déni de ce
que l’on est, car on est de toute façon forcément qu’on le veuille ou non, le
déni constitue un délit de laisser en nous un passager clandestin qui nous
surprendra un jour. Il faut se savoir, ou du moins se rechercher, pour
embarquer « avec » les autres dans un projet, une communauté, une
citoyenneté. Nous devons choisir notre destination avant d’embarquer. Savoir ce
que nous sommes et quels sont nos bagages avant de se laisser prendre en charge
par une compagnie, une communauté, sans précaution qui serait en fait dictature
par l’asservissement. Par les mots tout devient compliqué et intellectuellement
barbant alors qu’il ne s’agit que d’un cri primal de revendiquer un « moi
d’abord » qui je suis avant d’accepter de monter avec vous. La fuite de la
poursuite des idées à travers le temps connu des 6000 ans qui nous précédent
aurait du largement nous faire accéder à un sommet sophistiqué de la connaissance
et de la pratique de l’humain. Nous devrions être proches de la perfection
depuis que l’on nous dit « connais-toi toi-même » ? Regard
furtif ; puisqu’au simple présent je n’ai pas l’impression que l’on soit
meilleur en ce domaine par rapport aux temps anciens. La vertu de se connaître
et de se comporter soi-même me semble se buter, de manière répétitive, à un
double obstacle. Les avancées dans un domaine et à un moment donné, portent
souvent leur contrecoup d’effets induits, de conséquences, de victimes collatérales.
Nos efforts civilisationnels avancent
comme une mer qui se retire ensuite. Il en reste toujours mais pas assez pour
que nos vies soient parfaites. Pourtant je veux décrire, sans prendre la réflexion
d’y adhérer, que les connaissances et les outils de préhension du monde et de
nos individus en particulier, existent. Techniquement mis ensemble nous pourrions
évoluer dans un univers physique et humain parfait. Ce n’est pas le cas, et il
est peut-être nécessaire que cette impossibilité de perfection subsiste, à
jamais. Peut-être est inamovible une part de l’homme incertaine,
matriciellement non finie, qu’il nous appartient d’éprouver compléter le temps
de notre vie. Mais dont nous effaçons largement le tracé sur notre ardoise
personnelle lorsque nous trépassons. Ne laissant uniquement que l’odeur de
notre craie et le contour indistinct de nos actes. Pourtant entretemps nous
avons conçu, vécu, transcrit parfois l’originalité de notre passage sur terre.
Peu en importe le contenu technique qualifiable. Nous avons fait, nous aurons
fait, dans un temps - dans ce cas le nôtre -
qui n’était que pour nous. Chaque génération suivante repart à une case
départ qui n’est jamais la case précédente ou exactement identique à la case de
l’autre. Peu d’inné pour que nous soyons contraint à construire notre acquis.
Voila peut-être pourquoi les expériences humaines ne s’additionnent pas, ne
passent pas sélectivement dans l’entonnoir vers une perfection. Suis-je
d’ailleurs, ou plutôt sommes-nous les premiers à se permettre le point de vue
que nous sommes arrivés très haut et qu’à ce point de supervision de tant de
connaissances nous pourrions maitriser le monde ? C’est réalité constatable
que de voir et d’expérimenter des manières exhaustives de vivre :
instantanéité de l’information, automatisation exponentielle des tâches,
introspection et intrusion dans le fonctionnement du corps humain. Ces coups de
butoir dans l’humain, tel que je suis né, mute mon état qui résiste et demande
à comprendre ce qu’il y a de bon là-dedans pour laisser se transformer en moi
mon ergonomie – ma manière humaine de faire – à la vie. Il n’en est pas de même
avec les « digital natives »
exprimant du doigt sur les icones du smartphone avant de prononcer le premier
mot instinctif ou réfléchi. Je ne doute pas que mon nouveau « digital
native », qui n’en restera pour autant human
native, trouvera comme moi aujourd’hui sa réaction à son temps d’alors. Il
trouvera, j’en suis sûr, de quoi admirer ou regretter mais en tout cas faire
avec ce que nous lui aurons mis entre les mains, au bout des doigts. Car nous
l’aurons mis de notre propre volonté, ou en tout cas non refus que ce monde lui
soit donné sans presque alternative qu’il puisse le refuser. Pourrions-nous, au
moment où nous le faisons, être conscient de ce que nous faisons. Sans
réfléchir trop loin, sinon on n’avancerait plus, aux incidences d’une
découverte, je peux me demander ce que je vais en faire, quel changement en moi
va-t-il produire, qu’est-ce que j’acquiers et qu’est-ce que je détruis, est-ce
que je reste le « sujet », l’acteur, de cette nouveauté ou est-ce que
j’en deviens « l’objet », celui qui est utilisé ? Ce n’est pas
moraliste mais fonctionnaliste que de se poser ce petit inventaire de
questions. Achèterait-on une maison, une voiture ou un vêtement qui nous
obligerait à une amputation préalable d’un de nos membres. La sphère globale du
monde n’est ni le bien ni le mal, ni la pauvreté ni la richesse, mais un
contenant dans lequel il y a un UN qui crie sa raison d’être et qui est
moi ! Cri existentiel, oui j’existe, de joie, dans un environnement qui
incite à se taire puisque apparemment tout va bien, tout est prévu, tout est sous
contrôle. En effet de louables modifications de comportement en société nous rendent la vie agréable. Le principe de précaution
est cette formule consistant à décrire le danger avant même de savoir s’il peut
arriver. Mais en tout cas à utiliser les mots, sans possibilité d’être
contredit, qu’il y a partout risque c'est-à-dire éventualité négative que
quelque chose de désagréable arrive. Paradoxe de notre évolution technologique
et intellectuelle que le pouvoir de prédiction, autrefois apanage des seuls
qui, dévolus à une divinité, acceptaient d’y croire. Paradoxe de la laïcisation
de la société qui eut du nous rendre libre des croyances. Alors que dans une laïque
idéologie elle s’empare de la prévision pour en faire une science infaillible
qu’elle nous impose. Le « mieux vaut prévenir que guérir » devient un
stop à l’action. Ne nous reste que la précaution qui n’a jamais rien fait ni
guéri personne. Pourtant le regard sur toute l’évolution de l’humanité ne nous
fait pas voir un long fleuve tranquille nommé « précaution ». Les
choses, y compris de civilisation, nous ont, pas à pas, construits et amenés à
cet étage de l’humanité où nous sommes. Aucune de ces choses, telles que nous pouvons
les imaginer dans leur contexte d’alors, n’aurait de chances de voir le jour en
ce XXIème siècle. Preuve même que les choses d’aujourd’hui auxquelles nous assistons
nous prennent par surprise, sans feu
vert, par effraction, par déviation d’usage. La bombe atomique, la numérisation
des données, la transmission instantanée, le remplacement des cellules ont
échappé et continuent leur exponentielle trajectoire bousculant la précaution
et les principes de nos sociétés institutionnellement trop sages. Impliquant,
par déduction, qu’il faut être outsider-borderline
voire anormal, pour faire bouger la société. Car du côté officiel de celle-ci,
de nos dirigeants, de l’organisation pyramidale ancienne, le mot d’ordre est que
nous dormions bonnes gens tandis qu’au-dessus ronronnerait le marché d’un monde
sans problèmes, et donc sans besoins de nouvelles avancées. N’entamons rien si
nous n’en sommes pas sûr ! Or qui peut être sûr ? Et de quoi être sûr ?
L’origine de ce principe d’attentisme à ce que l’on ne sait pas doit provenir
d’une inversion récente de notre
raisonnement. Ce qui ne se savait pas s’appelait mystère ; ce parcours
dont nous ignorions les étapes s’appelait destin ; ce déclic qui pourrait
nous y avancer quand même, avec souvent la foi du pèlerin, s’appelait courage
ou esprit d’entreprendre.. Tout cela était sans doute trop vague, trop
aléatoire, trop en allégeance à des convictions il est vrai épaulées par des
religions coercitives. Les modernes que nous sommes s’en affranchirent en
brandissant les vérités scientifiques de l’instant qui ne sont, en l’état,
qu’un arrêt sur images de leur progression en cours. N’accusons pas la science
qui ne dit à un moment que ce qu’on lui arrache à dire. Et qu’il est bien
commode de brandir pour remplacer le flou des convictions d’autrefois, et le
non savoir humble dans lequel nos ancêtres acceptaient leurs conditions, soumises aux éléments mais
respectées dans leur éthique. Le principe de précaution réintroduit par le rationnel
la notion de bien et de mal dont elle voulait nous extraire. La primauté actuelle
des activités intellectuelles et tertiaires au détriment des pratiques
manuelles primaires n’est pas étrangère à cette fuite en avant de l‘esprit
détaché de son corps. La pensée précède l’action au point de la prévenir de ne
pas faire. Qu’en sait-elle la pensée de ce qui est dangereux. A-telle des
doigts pour se brûler, des yeux pour pleurer. Je m’efforce quant à moi de toujours
penser, car il le faut, penser « manuellement ». C'est-à-dire
d’envisager la réalité de l’acte que nos
neurones conceptualisent abstraitement. De ce niveau individuel qui est le mien
au niveau collectif qui est le principe de précaution il n’y a qu’un problème
de taille et d’effets. Chacun d’entre nous doit oser mettre en pratique ses
pensées. La somme des chacun(s) d’entre nous s’appelle une institution ou un
gouvernement qui doit oser mettre en pratique les idées existantes et
émergentes. L’évolution n’a pas de frontière géographique, culturelle ou
ethnique. Le groupement d’hommes, qui par précaution s’y soustrait, prend la
responsabilité de laisser les siens sur le bord de la route d’un progrès qu’il
est dans notre individu de désirer. Les arrêts ou refus de monter à bord n’ont
jamais sauvé une civilisation. Elles se sont arrêtées, mises en déclin, mais
jamais elles n’ont prouvé que leur mise à l’écart les aura sauvées.
Personnellement je ne peux échapper à une prise en otage de précaution, de danger,
même si j’ai les meilleures raisons individuelles de fuir. Dans le groupe, tant
qu’il est en état, la rébellion est impossible. Ne pas se rebeller n’est pas
pour autant acquiescer et ne pas entreprendre l’acte individuel critique de la
pensée précautionneuse. L’avantage de la circulation horizontale de
l’information permet une multitude de sources approchant plus qu’auparavant le
vrai. Emettre son avis, proposer des alternatives locales au global est à notre
portée. Ne pas se laisser faire par le discours ambiant. Remettre en questions,
en les questionnant, les détenteurs de la pensée unique. Pourquoi, comment,
combien ? Avec respect, sans invective, sur de notre droit à savoir et
notre intime conviction à pouvoir convaincre peut-être ? Il faut y travailler
beaucoup plus à mon avis que ceux qui se barricadent dans la précaution. Il
faut savoir de quoi l’on parle. Avancer des faits même si l’on y met de
l’audace. En face, les arguments ne sont pas aussi démontrés qu’ils le
prétendent. Ce n’est pas pour rien que cela s’appelle « principe » de
précaution, dans un abus d’effet d’autorité sur les masses qui est une volonté
de nous dire que « c’est comme cela » et pas autrement. L’époque nous
permet désormais de « dialoguer » avec les puissants ou les puissances.
Notre information et notre parole peuvent circuler. A nous d’en définir le but
et les moyens pour ne pas sombrer tout de suite dans la revendication. Je
m’informe, je comprends, je questionne et je peux avoir une réponse. L’alerte
sur les faits du monde est une immense avancée dans la connaissance des uns et
des autres dont la distance et les moyens nous privaient autrefois. La
quintessence que nous en retirons est affaire de qualité de notre vie. Nous pouvons
n’y être que des curieux, des voyeurs, des blablateurs devenant des millions
sur des réseaux sociaux alors que nous n’avions il y a trente ans que dix
comparses autour du comptoir du café du commerce. Les millions, au lieu des dix,
ne sont pour autant pas armée déterminée de notre cause. Justement ils causent,
ils commentent, souvent dans l’irresponsabilité de l’anonymat numérique. Ils
créent le buzz, qui n’est qu’une moderne rumeur. Pourtant elle court elle court
la rumeur relayée par une industrie de l’information qui consomme, comme si
elle en mangeait, tout ce qui bouge. Elle n’invente rien mais fait grand cas de
tout dans un charivari de valeurs pourvu que cela fasse spectacle. Le « show must go on » en continu comme
l’info du même nom. Donnant à voir au spectateur d’impulsion, passant là par hasard
au contraire de la destination où l’on vient exprès, un divertissement du monde
par acteurs politiques, sociaux, économiques interposés. Nous y devenons accros
au rythme et à la mise en scène, en reléguant au second plan de notre état d’humain
le concernement réfléchi de ces infos sur notre vie. L’ensemble des décors de
notre société s’est constitué en théâtre permanent ayant vocation à nous
divertir au sens dis-tractif, dé-viationiste de nos chemins personnels. Que
nous soyons de vrais nous-mêmes freine cette société du spectacle qui a besoin
de notre passivité à nous-mêmes, qui n’aime pas que nous organisions nous-mêmes
notre activité. Non point par possessivité ou dictature sur nos vies contre
lesquelles les masses se rebelleraient vraiment. Plutôt par prévention
précaution que nous n’ayons pas d’idées, que nous ne pensions plus à suivre les
leaders, que nous consommions trop de manière personnelle rendant la loi de
l’offre et de la demande ingérable. Les offreurs de service de notre société précèdent
leur offre en infantilisant la demande ; en la conditionnant dans un
présupposé de nous ne sachant pas, ne voulant pas, ayant peur. Mêmes les excès
et aveux de cette mainmise deviennent cynisme accepté voir compris comme inéluctable.
La préparation de nos esprits est constante pour nous faire comprendre comment
agir et même en amont comment penser. L’état de l’opinion, par salves
progressives de sondages diffusés, n’est autre que malaxation de notre pâte
humaine, avec la subtilité de la petite touche qui empêche de voir le sens du
courant, et encore plus fort, qui ne désigne jamais le manipulateur lequel
d’ailleurs n’existe pas. Il n’y a pas de
machiavélique transformateur déterminé à échanger nos vies. Pas de coupables, à
débusquer la main dans le sac ; mais un esprit du temps, comme un nuage, faisant incliner dans ce qu’il
faut penser, dire, ou faire pour faire société ; cohésion nationale oblige.
Sans rendre forcément la masse ni les gens malheureux le procédé, en tout cas,
dépersonnalise l’acte global et l’effort individuel de chacun qui y contribue. Si
tout se massifie il n’est plus besoin d’individualiser. Il ne faut plus que
rendre les individus assimilables dans la masse en les gratifiant de tout ce
qui fait plaisir, et en enlevant finalement tout ce qui garderait un goût
personnel de chacun susceptible d’incommoder les autres. C’est de moi dans
cette masse dont je parle. La communauté, le « avec » les autres,
OUI. Le fondu, confondu dans la masse, NON. Le dilemme est simple entre ÊTRE et
SE LAISSER ÊTRE. Moi seul peux décider d’ÊTRE. La société, la culture,
l’éducation m’y aident mais ne peuvent faire à ma place sauf à me dénaturer par
les formes normatives auxquelles elles m’obligeraient. La même société, sauf
cas particuliers de l’histoire, ne veut pas réellement faire à notre place. Elle
n’y procède que par nécessité ; parce que les citoyens baissent les bras
ou sont dans une précarité. La somme des individus, décidant de leur sort, est
bien plus motrice, novatrice, conquérante qu’une masse asservie et en attente
d’assistance. Aucune instance institutionnelle ne peut dire aux individus de la
masse : relève-toi, redresse la tête et vas vers ton but. Il n’y a que
chacun qui puisse avoir cette envie et dire à la société son individualisme.
Les prophètes veulent le bien des gens sans leur demander quel bien
particulier, le leur, uniquement le leur, conviendrait. Je ne sais rien tout
seul pour les autres mais je le sais pour moi. Ou du moins je sais que je suis
le mieux placé à savoir pour moi. Ce n’est pas prétention mais constat de notre
fonctionnement, avec des mécanismes dont nous savons l’assemblage unique, fait
à notre seule spécifique mesure. La prise en charge dans une masse est
contraire à une possibilité de bien aller, sauf bien sur à ne prendre dans la
masse que tout ce qui est dénominateur commun et laisser en jachère tout ce qui
dépasse les normes définies pour être pareils. Aller ou ne pas aller dans la
masse est un acte à la portée de chacun car il n’engage pas une révolte
périlleuse mais tout au plus une réclamation au droit d’être UN inassimilable.
Je mène, ou plutôt me promène, dans cette attitude depuis mon premier état de
conscience que j’ai toujours voulu se
laisser aiguillonner par le piment de la rencontre. Le fait social, le goût des
autres, sont le creuset dans lequel nous mijotons sans que nous ayons à faire
masse avec ce que nous côtoyons. L’autre, dans cette acceptation de partenaire
punching-ball de nos actes, l’autre nous envoie en permanence les signaux
propres à guider notre convoi. Il nous est physiquement impossible de nous
voir. Même le miroir n’est qu’une image inversée. Aussi le signal de l’autre
est vital. Pour le voir, il faut accepter la rencontre, le croisement, la
confrontation, l’expérimentation et si possible avec ceux qui ne nous
ressemblent pas, ceux capables de nous envoyer des signaux d’une exploration
que nous méconnaissions, que nous craignions. Dans le doute de savoir, s’il
faut ou ne faut pas, celui qui vous dit « vas-y » est notre
bienfaiteur. « Vas-y » car « si tu ne sais pas pourquoi
maintenant », « tu sauras pourquoi en en revenant ».
L’enrichissement ne vient que si l’on marche vers lui en ne sachant pas au
départ où il est. Or, dans ce doute que nous avons biologiquement de par notre
nature d’être pensant, seul l’autre peut agir. Seul, notre doute s’autogénère.
Alors que l’autre, qui au même moment n’est pas dans le doute, a cette force
motrice pour nous faire douter de notre doute. La rencontre est capitale. Le
parcours d’une vie tient à la qualité des carrefours, des occasions, où l’on
rencontre les bonnes personnes. Celles qui vous voient et vous renvoient à
votre vrai vous-même sans vous juger, sans vous accaparer, sans vous prendre
dans leur masse ou vous faire rentrer dans la masse d’un autre. La bonne
rencontre est le fruit du hasard lequel s’organise quand même par la
disponibilité que l’on offre de soi-même à la vie. Savoir ce que l’on est pour
éviter les déboires de la rencontre ennemie. Mais savoir aussi ce que l’on
n’est pas encore, ou pas suffisamment, pour se laisser voir par l’inconnu dont
il sera toujours temps de se rétracter si danger se présente. La méfiance
réflexe de peur à autrui se comprend en termes de risque d’être agressé.
Crainte généralisée de tout ce qui ne nous ressemble pas revient à s’isoler, à
refuser le contact susceptible de nous enrichir. Que peut-il donc nous arriver
à s’approcher de l’autre ? Perdre son temps alors que justement on a
cherché à se divertir ? Risquer la blessure physique ou morale alors qu’il
est toujours possible de s’écarter ? Etre déçu de l’autre dont on ne
saisit pas les différences ? Tout cela est possible comme est probable la
séduction, l’engouement, le plaisir, le retour flatteur vers nous. Et surtout
l’inconnu de l’autre, ce miracle de la machine humaine qui soudain devient
acteur secondaire ou principal du théâtre de votre vie. Ainsi vous êtes, vous
qui survenez. Le reste ensuite est à gérer dans la place sociale qui convient.
Quelle que soit l’intensité affective, émotionnelle, matérielle de la rencontre
elle envahit, dévaste, repeuple mais nous laisse dans une liberté de conduite. Non
pas que nous choisissions mais parce que chacun reste ce qu’il est dans le
destin de sa seule vie. Rester soi-même est notre condition d’homme. Banalité
de répéter cette évidence mais nécessité de rappeler cette disposition de notre
caractère d’humain où tout ce que nous vivons et éprouvons nous renvoie
toujours à nous même, dans une poste restante, case restante, toujours ouverte
où nous encaissons, et nous seuls, toutes nos expériences. Une machine qui
subit un choc en tombant par terre ne râle pas ni n’en éprouve de honte ;
elle ne marche plus et c’est tout. Nous nous voyons le sang de la blessure,
dans un premier réflexe de le stopper, suivi immédiatement d’un sursaut de
prise en compte psychique, de volonté de s’en relever, de réflexion de ne plus
se laisser prendre à pareille mésaventure. Ce renvoi de toutes choses à
nous-mêmes fait souffrir et jouir en même temps. Nous devenons et sommes. Etre
nouveau à travers ce que nous expérimentons et qui consciemment n’est jamais
exactement comme la rencontre précédente. L’instant d’après est notre devenir,
notre Etre nouveau imprévisible auquel nous pouvons être prêt si nous ne disons
pas non par avance, par principe de précaution. La chance m’a été donnée à la
naissance d’avoir une propension naturelle à m’ouvrir aux autres et à ce qui
m’entoure. J’ai l’impression que l’on m’a toujours dit « vas-y ».
Lors d’un petit conflit avec un collègue de travail le patron me dit que la
confrontation était inévitable : il, ce collègue, était poing fermé dans
les situations alors que j’étais main ouverte. Suscitant une frustration de
cette main tendue vers les autres et qu’ils ne veulent pas saisir. Mon
incompréhension devient souffrance de ne pas être vu dans ma démarche sincère.
Au point souvent de s’envenimer lorsque on me suppose un calcul, une tentative
maligne de ma part de vouloir manipuler. Pourquoi le geste pur, la joue tendue,
suscite-t-il cette pré-vision négative non seulement à mon égard d’où part
cette présente analyse ; mais à l’égard de tout ce qui est autre que nous,
ce qui est exogène ? Cette prévention négative tire sa raison d’être de
cas réels d’abus de confiance, de crédibilité trompée, ou d’espoirs déçus. Dans
ces occasions l’échange donneur-receveur n’a pas été vigilant de la part du
receveur. Entendre ou recevoir des choses agréables, même dans l’expérience de
la séduction, requiert de se demander avec positivisme quelles sont les
intentions du donneur. Y compris son bon cœur, peut-être trop fragile, pour
ensuite attendre du receveur plus que celui-ci peut lui en donner. Une règle
simple me semble - non, tout simplement, est - que nous ne pouvons en tant que
receveur accepter une attitude du donneur lorsqu’il attend de nous un retour.
Certes nous lui disons merci. Certes nous lui rendrons de mille autres façons,
mais imprévisibles, notre plaisir de recevoir d’aujourd’hui. Il ne peut y avoir
concrètement de donnant-donnant dans une relation donneur-receveur. Mais
l’esprit, qui doit y prévaloir et régner, est celle d’un gagnant-gagnant sans
mesure des apports de chacun, et sans calendrier contraignant. Savoir jauger
l’adversaire, dit-on, sans que pour autant « adversaire » ait un sens
d’ « ennemi ». Savoir jauger l’obstacle, savoir apprécier ce qui
est l’autre, être ou chose, est le réflexe de base indispensable de notre
humanité que l’on peut aussi appeler, pour ma part, libre arbitrer. Arbitrer ce
qui est bon ou mauvais, non pas en soi, mais pour moi. Nous avons un
environnement frictionnel avec ce qui nous entoure. Des vues, des odeurs, des
sons, des sentiments, des comportements, nous hérissent ou nous séduisent sans
passer par la case raison. Instinctivement nous avons à faire face et nous
réagissons, par un pour ou contre qui peuvent et doivent ensuite se modérer,
dans une obligation de vie en société. Mais la « première »
impression est la bonne de notre moi profond. Un moi indéracinable qui portera
toujours notre matrice de pensée et nos premiers réflexes de comportement. Nous
gagnons un temps fou en écoutant, ce qui ne veut pas dire suivre, ce moi
profond. Il est ce avec quoi nous avons toujours notre rapport avec tout ce qui
nous est extérieur. La négation ou l’ignorance ou l’éradication de ce que nous
sommes est le projet des groupes voulant diriger nos destinées. L’enfant,
jusqu’à l’âge de « raison », bien ou mal nommé, est encore dans une
spontanéité-liberté de lui-même. Le groupe qui intervient, groupe au sens de
culture ou esprit d’un moment de civilisation, veut le plus souvent soulager,
aider, soutenir, mais avec un apriorisme de sous-estimation de celui qu’il
secourt ; au lieu d’offrir les outils pour que chacun devienne ce qu’il
est. L’intention n’est pas condamnable tant elle est convaincue de l’immaturité
de l’homme à pouvoir se débrouiller seul. Et qu’il convient dès lors de le
formater pour qu’il soit admissible, en capacité de vivre, dans un horizon
connu que le groupe tient justement déjà bien en mains. Les apports des
récalcitrants au système, ceux qui ne rentrent pas dans le rang, sont fruit du hasard
dont il ne reconnait que bien après l’heureuse opportunité. L’Humanité avance
en rang classique de ses us et coutumes jusqu’ici connus. Elle n’arrive pas à
incorporer dans son processus une possibilité de l’ouverture d’esprit qui la
chamboulerait. On en accuse les puissants, le capitalisme, les forces en
présence alors qu’il ne s’agit que de la couardise de tout un chacun. La
société ne peut forcer personne à obéir. Elle ne peut empêcher personne de lui
résister. Au contraire elle a même souvent une certaine admiration pour le
rebelle dont elle pressent le message, confus dans son stade révolutionnaire,
qui va peut-être ouvrir un horizon bouché. Rien ne nous interdit, et je ne m’en
suis jamais empêché, d’aller vers un avant que je croyais bon pour moi, à
condition que je ne demande pas parallèlement à la société de m’assurer mes
arrières en cas de chute. La tentative n’a de sens et de chance d’aboutir que
si elle est sans parachute de rattrapage au cas où. Abuser de sa santé sachant
que la sécu… réclamer sa pleine retraite que l’on a financé que pour un tiers.. sont
autant de cas pratiques de choix de vie que l’on n’assume pas, où on prend sans
avoir donné ; où l’on risque rien puisque sans responsabilité. Oser ses
choix de vie c’est assumer les conséquences positives mais aussi négatives. En
a-t-il toujours été ainsi ? Y-a-t-il une histoire des idées et des comportements
renseignant sur la bravoure et l’héroïsme qui auraient été garantis ou compensés en cas d’échec ? De quand,
de quel moment de l’Histoire, vient la notion de prévoyance et du
« pré » quelque chose en général aboutissant au paroxysme de la précaution
devenant une paralysie de faire bouger les lignes de notre société. Certes la
méfiance de l’un à l’autre est de notre éternelle nature humaine. Se
méfier de l’autre et des choses, et de
ce qui peut advenir à notre encontre. Mais récent me semble l’institutionnalisation
de cette notion de ce qui pourrait arriver mais n’est pas encore arrivé. La
prévision a atteint d’ailleurs un tel paroxysme de certitude à graver dans nos
têtes que l’on assiste à un constat de gavage, de saturation, d’envie
d’abandonner, de ne pas entreprendre, puisque le résultat est déjà connu. Au
point, encore plus ubuesque, qu’au dessus de cette chape de prévisions
incontournables on introduit un final espoir que le pire n’est jamais sur.
Comme si après sursaturation de rationnels chiffres et raisonnements on
laissait quand même la porte ouverte à l’imprévisible, qu’on l’espérait, qu’on
le conjurait de bousculer nos prévisions in fine espérées erronées. Que de
temps perdu à tourner en rond, à entretenir du faux peut-être mais en tout cas
du non-arrivé. Alors qu’il serait plus simple d’informer chacun et les groupes
qui les rassemblent des données exactement relevées dans une situation vécue ou
observable. A chacun de s’adapter, de se mettre en place, selon ce qu’il est,
dans un univers mutant mais bien réel pour l’instant, où nous y vivons et avons
à y prendre nos orientations. Je dois toujours être au centre de gravité de ce
qui m’arrive, de ce qui me concerne. Ce centrage du monde autour de ma, petite
si l’on veut, personne n’est pas un
nombrilisme utopique à la Salvador Dali à qui on doit beaucoup d’ailleurs pour
déstructurer les certitudes, pour rendre molles les heures fixes des montres.
Moi d’abord, parce que je suis le seul outil de moi capable de contribuer à une
société que loin de récuser je veux construire. La bonne gestion de soi en est
l’acte fondateur, la pierre angulaire de l’édifice. Cet Etre de nous unique
existe quelque soit, quoiqu’on en dise de la coercition, de l’enfermement de la
société. Ce qui est autour de nous existe sans nous, mais aussi, et à la fois,
avec nous. L’Etat c’est nous. La Société c’est nous. Elle ne nous empêche en
rien de penser ou d’agir. Mais elle ne peut le faire à notre place. Elle se concentre
pour que l’ordre, au sens du moins mauvais chaos, règne. Il n’y a pas de
fatalité de l’Etat, de la société ; et plus près de nous, pas non plus de
fatalité de notre couple, de notre famille, de nos groupes d’appartenance, de nos
représentations politiques, de nos inclinaisons idéologiques philosophiques ou
religieuses ; de nos amitiés, de nos intimités. Partout, dans ces lieux ou
situations cités, n’oublions jamais que nous sommes partie prenante ; que
sans notre participation ces lieux ou situations n’existeraient pas ou plus. Il
ne s’agit pas d’y exercer un chantage de notre participation mais d’y faire
valoir notre apport effectif, avec nos originalités. Le monde est ce que nous
en faisons personnellement. Ne nous laissons pas intimider par l’effet de notre
petitesse par rapport à la masse, par l’impossibilité que David aurait eue de terrasser Goliath. La démocratie,
dans ses bienfaits, a exagéré le principe de la majorité, de la somme
supérieure de ses ressortissants par rapport à la somme inférieure. Il est des
civilisations où l’on discute jusqu’à épuisement des informations et arguments
avant qu’un conseil de sage arbitre vers les meilleurs choix, sans besoin de
compter arithmétiquement les pour et les
contre. Il en ressort une décision qui est celle de tous sans que les pour et
les contre aient dû se compter et se prévaloir à jamais de leurs positions
d’antan. De même que mon bras gauche fait partie de mon corps je fais partie de
la société, j’y contribue, dans un apport irréversible, et sans possibilité
d’un séparatisme atrophiant. Audacieux j’en conviens, et portes ouvertes à
interprétations et abus, que de remettre en cause le suffrage et les
majorités-minorités qui en découlent. Car immédiatement surgit la question de
la compétence du sage qui choisit et donc tranche entre tous les arguments. La
reconnaissance d’une sagesse au-dessus des nombres de majorité-minorité n’est-elle
pas une attitude de caste, d’élu des dieux au-dessus de la masse. Non, si est
reconnu qu’il faut en effet une sagesse pour trier l’ensemble des informations
et arguments qui ne se valent pas intrinsèquement en tant qu’unités
additionnables. Non, si l’on considère des stades dans la vie où parfois il
suffit de compter et parfois il faut d’abord réfléchir à ce que l’on compte. En
tout cas le débat nous est ouvert pour que nous puissions attirer l’attention
de ceux que nous élisons, pour qu’ils comprennent le sens de nos souhaits de
vie. La représentation peut tirer nos aspirations et non pas, comme elle le
fait, nous promettre des satisfactions. La diffusion de l’information rend les
problèmes du monde connu vers tous. Personne n’est dupe que ce soit facile
d’organiser la vie de milliards d’êtres sur une planète devenant trop petite.
Si chacun en est bien conscient chacun peut y rendre sa part de responsabilité,
de degré de ce qu’il peut demander et de ce qu’il doit apporter. Le temps est
mur pour parler aux gens des problèmes et des enjeux tels qu’ils sont. Les pouvoirs
en place et ceux qui y aspirent ne tiennent peut-être pas à entretenir ce
dialogue constructif avec leurs administrés. Question de détention de pouvoir
en effet, d’influence, de richesse acquise qu’il faudrait rendre. Mais n’étant
que élus non figés ils ne peuvent se soustraire à l’écoute de ces mêmes
administrés. Et qui sait s’ils ne souhaitent pas, dans leurs rêves, trouver
solutions à travers l’émergence d’idées d’une société réellement participative.
La parole et les actes sont dans le camp de chacun de nous. La conscience de
soi, son expression, sa diffusion en réseaux sociaux, sa manifestation en
« bonnet rouge », ou « manif’pour tous » bien nommée si
elle ne se confessionnalisme pas, sont autant de bons signaux. Lorsque les idées
remuent c’est qu’il n’y a pas de fumée sans feu en train de prendre quelque
part. Ce réveil, en toute petite gestation pour le moment, surprend et
déstabilise ce que l’on appelle l’oligarchie que sont politiques, institutions,
gens en place, presse, qui ont du mal à comprendre que l’idée vienne de
l’expérience de terrain ; alors que leurs écoles leur ont appris
idéologiquement le bien et le mal binaire et partisan. Ils ne comprennent pas que
ce que vivent les gens est la seule réalité tangible de leurs vies ; et,
ils oublient, ces oligarchiques, que leur raison d’être de gouvernants ne tient
plus compte de leurs gouvernés. Il faut, sans y pousser au crime, accélérer le
mouvement des idées dans d’honnêtes tuyaux de réseau propre à faire tourner les
neurones de tout le monde ; gouvernants et gouvernés d’aujourd’hui,
protagonistes et acteurs de demain. Osons l’expression ; mais avant
construisons et mettons de l’ordre dans la conscience de ce que nous sommes et
de ce que nous pouvons faire, de manière édificatrice telle une cathédrale
rassembleuse et non égoïste, dans notre
société. Poussons ces idées. Osons les mettre en avant. Ne pensons pas à
l’échec. Réjouissons-nous à l’avance de l’aventure qui nous apprendra de toutes
façons quelque chose et nous défrichera de toutes façons une nouvelle clairière
où nous avons tous notre place quelles que soient nos erreurs d’aujourd’hui. Le
sujet de l’Homme, à travers l’homme que je suis puisqu’il en faut bien un, est
le commencement le milieu et l’aboutissement de tout. On parle de trop de
choses sauf souvent de la manière dont nous voyons le monde et ce qui le
compose. Que le monde existe dans son état descriptif est une réalité qui ne
nous devient percevable qu’à travers notre regard individuel d’homme ; et
donc qu’avec mon regard alimentant ma perception suivie de ma réflexion, suivie
elle-même de ma réaction ; le tout dans une boucle-circuit, chaîne
d’union, des rapports humains. Se mettre au centre de cette roue n’est pas
narcissique. Dans notre métabolisme tout part et revient à nous. D’où vient ce dédain
ou ce délaissement de notre part dans justement ce partage des réalités du
monde ? Petitesse inculquée par les religions ? Soumission à ceux qui
se disent forts ? Personnellement je n’accuse personne et au contraire je
n’accuse que moi. Quand je me sens en porte à faux avec ce monde. Quelles informations
me manquent pour comprendre tel phénomène encore étrange ? Quelle approche
humaine n’ai-je pas encore entamée pour comprendre le comportement d’autrui
désagréable à priori ? Quel soin de moi physique ou psychologique n’ai-je
pas eu pour que la maladie ou le trouble empêche ma marche ? Mon postulat
est que l’autre, être ou chose, existe comme moi sans pouvoir de ma part sur
lui. Mon constat est d’être biologiquement un être ayant besoin, là aussi
physique et psychologique, de la compagnie de l’autre. Seul sur Terre est
impossible. Il ne me reste donc plus qu’à repérer le territoire des autres et
d’y adapter mon comportement vers eux le plus agréable, dans une logique toute simple
de ne pas faire aux autres – êtres et choses – ce que je ne voudrais pas que
l’on me fasse ; et de faire aux autres, s’ils acceptent de leur plein gré,
ce qu’ils aimeraient qu’on leur fasse. Ce discours qui sent le prêchi-prêcha se
heurte au cynisme ou tout simplement au mercantilisme donnant-donnant ambiant.
Donner que si l’on y trouve son intérêt ? Pourquoi pas, mais, en ce cas,
ouvrons les chances de percevoir, d’entrevoir cet intérêt, dans une perception
respectueuse de l’autre. Personne ne travaille pour rien. Le receveur doit
émettre un merci qui gratifiera et
contentera le donneur. On en revient toujours à réexaminer, à réidentifier, ce
qui caractérise fonctionnellement un homme, avant que la culture ne l’idéalise
en héros ou ne le lynche en pauvre pêcheur. L’Homme qui se prend en mains n’est
ni blanc ni noir ; il est. Blanc ou noir l’homme est incapable de se voir.
C’est l’autre qui le voit. Lui, il doit faire avec sa carcasse, avec ce qu’il
est. Il n’est jamais trop tard pour reprendre, voire prendre si c’est la
première fois, les manettes de sa vie. Ne plus laisser aux autres la charge de
nous conduire. Dans le cas qui m’occupe, car c’est mon expérience qui est la
plus proche de moi, j’ai eu très tôt cet environnement où l’on m’a dit
« sois-toi » ; ce qui fut souvent un vertige devant le vide.
Aucune institution au sens de statue indéboulonnable ne fut jamais mise sur mon
chemin. On m’indiqua des routes. On me dit que jusqu’ici on avait fait comme çi
ou comme çà dans telle ou telle situation. Etait-ce un projet
d’éducation ? Je ne le crois pas car d’autres de la fratrie furent
inféodés à des règles dont pour ma part je ne me rappelle plus. L’avant, ou
l’après-guerre dont je suis, est peut-être raison de changement d’attitude
parentale ? Mais ce ne pourrait être que mineure influence. Me semble plus
pertinente la détection, assez tôt par mes parents, de traits innés de mon
assemblage ; mon caractère. Voir la graine qui sort de terre afin de lui
donner le soin spécifique qui génétiquement lui convient. Les psychologues de
l’enfance discutent toujours à savoir si « tout se joue avant six
ans » mais c’est un fait que la disponibilité d’exprimer et de recevoir
dans ces années plastiques est immense. Ce terrain de formation fragile est
désormais miné de principes et d’idéologies se disputant des méthodes alors qu’à
mon avis devrait primer l’attendrissement du couple géniteur, mais pour ne pas
faire polémique hors sujet, de toute personne capable de regarder avec
tendresse la graine future fleur en train de pousser. Ce regard d’amour est
indispensable à l’évolution petit homme ou petite fille. L’Amour ne se donne
pas de raisons objectives d’intervenir : il est, il cajole, il console.
Aucune crèche, aucune structure scolaire, forcément de groupe, ne peut
dispenser cet havre d’affection. Tout au long de notre vie nous devrions
pouvoir nous relover dans
quelque part ou quelqu’un nous disant, ou nous faisant croire, « je vous
aime ». C’est mon cas et je bénis la grâce de la rencontre, et l’audace de
moi qui me l’a fait accepter, sans crainte d’en être pertubé. Au contraire
l’amour réaffute notre sensibilité au monde, il nous donne l’envie de rendre le
bienfait que nous savourons, il nous fait souhaiter que chacun trouve ou
retrouve sa chacune. Le mieux étant de commencer dans ce temps de l’enfance où
l’expression n’a pas encore sa contrainte sociale. Ainsi je fus effectivement bien
entouré, et par conséquent bien encouragé à ne pas avoir peur de moi, et donc
j’ose le dire, à m’aimer. Dans une acceptation d’état tel qu’il est, imparfait
non fini selon les critères, mais prêt à être employé avec les moyens du bord.
Accepter son état est un réflexe de vie, de survie. Faire avec pourrait-on dire
autrement. Se voir positivement parce qu’il n’y a pas d’alternatives, pas de
pièces de rechange, pas de retour à la case « refais moi maman bobo j’suis
pas beau », pas de plan B ! Le mot manque entre « fier » de
soi et « honteux » de soi. Bien
de soi pourrait convenir, pour définir une cohérence que l’on accepte, sur
laquelle on ne reviendra pas, et vers qui on ne fera pas d’éternelles
réclamations quels que soient les progrès après de investigations
psychologiques et psychanalytiques. Aujourd’hui la prise en charge de soi est
de plus en plus retardée : phénomène « tanguy » des adulés
éternels ados restant chez les parents, accès incertain à l’autonomie par le
travail qui manque. Raisons factuelles néanmoins qui ne devraient pas modifier
la construction indispensable de l’homme. Car fondamentalement les âges, les
étapes de l’homme ne changent pas. Nos cycles biologiques nous rappellent notre
fonctionnement animal inamovible. C’est donc anachronisme que de faire reculer
ou avancer artificiellement les temps de notre évolution. La prise de
conscience de soi existe toujours sinon
l’individu n’est plus ; et ce qui lui est substitué n’est qu’une
parcelle diluée dans une masse. Cet individu a donc le passage obligé de la
reconnaissance par lui seul de ce qu’il est, de ce qu’il veut grâce à
l’environnement affectif le poussant graduellement vers cette autonomie, vers
cet individualisme. Personne ne conteste cet évident parcours du berceau au permis de
conduire sa vie. Mais les méthodes de l’apprentissage, du cheminement vers ce
but différent. Depuis la nuit des temps en passant par Rousseau puis par Freud.
Les progrès de la connaissance de nos mécanismes psychiques excusent ou
préviennent de comportements que l’individu, dont moi, devait gérer autrefois
tout seul. Gérer ou plutôt s’en débrouiller tout seul. En l’état nous étions.
Pas de pièces de rechange comme déjà dit un peu plus haut. Nous devions assumer
seul ce parcours du combattant dont les obstacles étaient faits de la vie ou de
notre génétique. Y échapper était nous arrêter, nous enlever l’expérience
inventive de les contourner ou de les surmonter. La vie plus facile nous enlève
ces obstacles ; et c’est un bien en même temps que c’est un mal qui nous
prive de l’expérience de les franchir, d’y mettre l’intelligence de nos neurones.
La confrontation à ses propres difficultés permet l’identification de ces
difficultés et l’affutage de nos méthodes pour les appréhender. De manière
approximative on entend que le service militaire obligatoire formait le
caractère, initiait à la vie en groupe, endurait l’effort et la résistance
physique. C’est factuellement exact. Mais après ? Il en est ainsi de
toutes les évolutions. Faut-il garder les usines d’armement pour maintenir
l’emploi ? Le caractère de l’homme ne peut pas se circonstancier ainsi car
il n’y aurait sinon aucune mutation de la technologie ni même de la pensée.
L’homme y perdrait, et c’est impossible de l’en amputer, cette propension naturelle à aller de l’avant.
C’est pourquoi le temps du regret et le temps du passé ne servent à rien pour
l’homme. Je n’y pense personnellement jamais, si ce n’est qu’en tant que
culture à se souvenir, à expériences à connaître, en comportements humains en
ce qu’ils ont de répétitifs et d’enseignements sur mon présent à vivre ici et
aujourd’hui. Là où je suis né, ou du moins au temps plus lointain de ma mère,
la fin d’études de l’enfance équivalant du baccalauréat s’appelait
« humanités ». Peut-être est-ce encore le terme en Belgique ? Ce
qu’elles, ces humanités, recouvraient devaient être les disciplines de la
connaissance ; mais sans doute aussi des notions de ce qu’était
l’humanité. D’où nous venons, où nous allons en tant que cheminement humain ?
Les étapes d’une humanité passent par cette prise de conscience d’adolescence à
homme. Ce moment d’être lâché ou poussé comme le parachutiste : GO !
Ou bien, se rapportant à des cultures anciennes voire quelquefois encore
existantes, le passage rituelique vers cette autonomie adulte où l’adolescent
est interpellé, pour qu’ayant pris conscience de ce qu’il est, il s’engage à en
faire contribution à la société. Par quoi remplaçons-nous cela dans nos
sociétés modernes ? Faut-il remplacer ? Peut-on s’en passer ? On
ne peut parler que pour soi et se réjouir, c’est moi qui le pense et dit, que
je ne sais pas, que je n’envisage pas ce que je serais sans cette prise de
conscience. Il se peut que la psychologie apporte non seulement des
explications mais aussi des solutions ou même d’autres moyens pour guider les
individus. Cela ne me semble pas clair, pas assez clair pour le moment, inclinant
à recommander le maintien de ce que l’on connait tant que l’on n’a pas de
vision de ce que l’on met à la place. L’autonomie de soi doit se faire à un moment
de vie permettant de l’expérimenter un long temps devant nous. Le hasard d’être
le dernier de dix m’a pénalisé disent d’aucun alors que je dirais moi, le
concerné, que j’ai été gratifié d’être seul sur mon chemin assez jeune :
pour choisir ses études, ses moyens, ses affections, son mode de vie sans avoir
à rendre de compte ni à demander de
permission. Seule règle fut la courtoisie pour ne pas choquer inutilement dès
lors que l’on n’interférait pas dans ma vie. Et cela se passa bien avec en plus
une bonne reconnaissance pour l’homme libre que j’ai pu être et resté. Ce ne
fut pas toujours facile de marquer son territoire dans un environnement aimant
l’esprit et les règles de clan. Mais la diversité des actes et de l’amour,
réels et persévérants, ont raison des
chicaneries passagères. Il s’en suit tout au long d’une vie la même longue
traîne d’autonomie lorsqu’on l’a solidement en soi chevillée. On ne peut rien
vous reprocher lorsque vous êtes honnêtement vous-même. On peut vous trouver
inapte, inadapté, associable, inconvenant…bref toutes situations que l’on fait
précéder par une négation. C’est certainement vrai ponctuellement. C’est douloureusement
éprouvant si vous avez un besoin vital de jouir de cette situation. Mais
au-delà de ces circonstances contingentes c’est avant tout quelque chose qui
n’est pas fait pour vous tel que vous vous êtes honnêtement défini et décrit.
Ce n’est pas vous. Vous y seriez malheureux aujourd’hui ou demain. Comme dans
les mariages forcés sans amour d’autrefois. Ne faites les choses, n’allez vers les
choses qu’avec cet amour ; non, le mot n’est pas approprié. Je reprends et
insiste de n’aller vers les choses que parce que vous les sentez, ressentez, en
symbiose avec votre fonctionnement, avec vos sentiments. On ne peut pas plaire
à tout le monde. Et c’est faire acte de construction harmonieuse du monde de ne
pas faire n’importe quoi tout de suite sous prétexte de sauver momentanément sa
peau. Trouver sa bonne voie, sa bonne niche garantit notre bonheur, le bonheur
de celui qui nous accueille et la synergie de nos deux efforts réunis. Que 1+1
fasse 2 est la règle de création de valeur ajoutée. C’est par cette
connaissance construction de soi éclairée que nous pouvons être le plus
contributif à la société, qui nous le rend forcément bien par l’usage qu’elle
fait de nos talents, et par la rétribution qu’elle nous en donne. Les
événements du monde conditionnent notre température psychique quotidienne. Je
suis éponge de tout ce qui se passe autour de moi avec une particularité qui
n’appartient qu’à moi de jouir ou de souffrir, d’exprimer ou de retenir. Aussi
sommes-nous, chacun différemment, selon l’inné de nos gênes, selon l’acquis de
notre éducation. Auquel aujourd’hui se rajoute le diktat quasi-instantané, qui
se veut aussi rapide que l’instantanéité, de l’information continue et du
sondage immédiat qui s’en suit. L’événement arrive avec sa traîne mariant ce qu’il
faut en penser ! Aucun interstice physique de temps n’est laissé au va et
vient personnel dans nos têtes d’un parcours minimal et vital de l’événement :
provoquant une perception, déclenchant une réaction pondérée par une réflexion
assagie par un murissement, débouchant sur une envie d’action ; puis,
enfin seulement, d’un acte par nous réellement assumé. Le schéma de l’humain
est court-circuité par l’obligation de l’immédiateté. Il est vrai que lorsque
l’on peut tout voir, et, croit-on, tout gérer en temps réel, la tentation est
grande de ne pas en perdre un millième de secondes. Au point d’en donner
délégation, c'est-à-dire pourvoir à l’échange informatique d’algorithmes
totalement hors de portée du mécanisme cérébral humain. Le sort de l’économie
de marché est entre les mains numériques des échanges boursiers
automatisés qui n’alertent l’humain qu’en cas grave. Qui décide du point de
gravité ? Aux JO de Sotchi les skieurs, hormis le premier descendant, sont
étalonnés, en plus ou en moins, en cours même de compétition. Le dernier à
partir peut nourrir son adrénaline du énième de secondes en moins qu’il lui
faut réaliser pour battre les autres dont il connait, avant de se lancer, la
performance. Battre l’autre est prioritaire avant de se battre, se dépasser,
soi-même. C’est un nouvel exploit technologique que l’on met au
« service » de l’humain, sans qu’il semble y avoir eu réflexion de
bon sens et de bien aller pour notre humanité. Ce traitement massifié des
données, informatiquement aidant, rend
l’individu unité de traitement manipulable, retournable dans le cas des
sondages qui devancent et obturent la réflexion ; unité de traitement
manipulatoire dans le cas de mise en connaissance du temps des skieurs, ou
autre, d’un acte non encore accompli. Critiquer le progrès ou les dérives –
c’est un jugement – du progrès ne sert strictement à rien. Il continue avec ou
sans moi. Et sauf une levée mondiale à son encontre il continuera avec ou sans
nous. Et, dussè-je être bizarre, j’ose dire l’aimer ce progrès dans le fait principiel
fondamental pour moi qui est que tout ce qui est possible doit voir le jour. En
tant que phénomène existentiel, poussière d’étoile que nous être et choses
sommes tous, aucune potentialité ne doit être étouffée. Tout a droit à la vie
dans une perspective de désir et de curiosité qui caractérise l’Etre humain,
par comparaison avec d’autres éléments statiques du reste de l’Univers. La perspective
de l’humain crée une relation avec le progrès. Le progrès satisfait
l’insatiabilité de la recherche humaine. L’humanité trouve dans le progrès de
nouveaux moyens de son vivre ensemble, être et objets animés ou inanimés. En
précisant tout de suite que l’Humanité est une juxtaposition d’individus
caractérisés par des différences et des velléités individuelles. Dès lors le
moindre indice de progrès doit être apprécié dans la contribution positive
qu’il apporte à l’individu. A ce temps de gestation d’un progrès, qui n’est que
faiblement inné, les hommes doivent se mobiliser pour que l’acquis, qu’ils
veulent et vont donner à ce bébé en évolution, soit un acquis utile,
épanouissant, généreux. Ce qui ne correspond pas à l’humain, présent et à venir,
doit être écarté, par nous ; par nous tous les présents d’aujourd’hui mais
aussi par nous tous porteurs génétiques de la génération future qui vivra ave
ce progrès que nous adoubons oui ou non présentement. La démarche n’est pas,
n’est plus affaire, de gouvernement ou de délégations institutionnelles
représentatives. Nous, sept milliards d’êtres humains, sommes en connaissance
comme moi simple citoyen d’ici ou de là de ces enjeux. C’est à nous de nous comporter
loyalement avec nous-mêmes d’abord puis avec les 6,999.999 autres milliards de
nos co-monde habitants. En refusant à chaque instant tout ce qui nous désindividualise.
Retrouvons notre ethnocentrisme. Ce n’est pas un moi d’abord ; mais un moi
qui veut rester moi pour que chacun des autres reste un chacun pour lui. Ce
n’est qu’à partir d’une saine conscience de soi que l’on peut ouvrir sa porte
et entreprendre avec les autres, chez lesquels on n’entre que s’ils vous
ouvrent leur porte. Hasardeux de prôner un soi immédiatement prépensé d’un
« retour sur soi »…réactionnaire, conservateur, ringard, droitier.
Les jugements dont on est affublé ne concernent que ceux qui les émettent. La
conduite de soi est un dialogue entre soi et soi. Entre les informations, que
l’on reçoit de son environnement, et l’attitude que l’on veut en manifester
après y avoir sagement réfléchi. L’être humain, dans cette phase de réception
du monde, ne doit être concerné que par lui seul. Il n’y est pas encore temps
ni urgent de suivre le troupeau. Il y est au contraire ponctuellement essentiel
de ressentir ses désirs, de choisir son pâturage, d’écouter, avant, le meilleur
berger pour vous y emmener. La contradiction de notre époque, jamais aussi
individualiste en même temps que jamais aussi massifiée mondialiste voir
grégaire-moutonnière, m’interpelle. Le mouvement
des idées tant dans la philosophie que dans la matérialité place la liberté individuelle
comme la valeur suprême. Sans doute fallait-il s’affranchir, se libérer, du
carcan religieux de soumission à un ou des dieux dominateurs. Liberté qui
depuis des siècles signe toutes les entreprises humaines, pour justement libérer
l’homme de ses apriorismes psychologiques et la pénibilité physique de sa
condition. Comment se fait-il qu’une si noble globalité d’un projet d’être humain,
libéré, n’ait pas prévu sa condition sine quanone d’exécution favorable qui est
que l’Homme, libéré, soit toujours un homme non seulement libre mais un
individu. Une unité élémentaire, une particule élémentaire. Une poussière
d’étoile originelle qu’aucun progrès ne pourrait massifier dans plus grosse
qu’elle ne doit rester. Le projet global de liberté pour tous justifiait dans
sa fin que l’on prenne les moyens coercitifs pour y parvenir à un terme
humainement visible. Telle est ma compréhension explicative des événements qui
ont amené ceux, qui de bonne foi se
croyant éclairés de Lumières, ceux là mêmes à prendre des décisions de masse,
pour que le peuple devienne citoyen mais pas forcément individu. L’ouverture
intellectuelle de la Renaissance, des philosophes des Lumières, des
Révolutionnaires puis des Républiques et enfin de la Résistance sans parler de
l’explosion maintenant de l’instantané
numérique, pouvait prendre le postulat de ne faire, ne permettre, ne travailler
pour un progrès, que si l’unité fondamentale de l’Individu était le but. Ne
rien faire si la moindre parcelle constitutive de l’individu avait un risque
d’être annihilée. C’est tout simple et aussi banal que de ne pas vouloir
enlever la quatrième roue d’une automobile si l’on veut qu’elle soit toujours
auto, entité indépendante, et mobile, pouvant se mouvoir, liberté. Ainsi en
est-il de caractéristiques de l’individu qui doit vouloir dire qu’il ne peut
mécaniquement, pour qu’il fonctionne, être divisé, c'est-à-dire amputé d’une de
ses fonctions. Or c’est ce qui se passe lorsque la technologie devance la
pensée et agit à notre place. La rapidité des nouveautés proposées, que dis-je,
imposées, empêche que leur image s’arrête sur notre réflexion. Ce n’est pas
barbarie humaine voulue par furieux capitalistes. Au contraire l’économie doit
presque freiner les vagues technologiques tant il faut un certain temps pour
que les consommateurs aient envie, achètent, jettent puis rachètent. La fuite
en avant n’est l’œuvre d’aucune campagne désignable puisque sans arrêt, tous les
dix huit mois selon une loi dite de Moore, les progrès raccourcissent toujours
et toujours de moitié le temps précédent d’exécution d’une tâche. Cela fait de
plus en plus penser à un vaisseau spatial ou autre allant de plus en plus vite
au point de larguer ses passagers et empêcher, puisqu’il n’y a plus de
pause-escale, aucun nouveau de monter à bord. Faudra-t-il que le progrès
s’invente des robots pour acheter ses robots ? La richesse des 1% super
puissants possédant 20 % des ressources de la terre dévie de cela et fait
penser à ce clivage. Faudra-t-il attendre que les riches super riches s’aperçoivent
qu’ils ont besoin, fut-ce des miettes, des pauvres pour arrêter et inverser
cette marche ? Davos 2014 cénacle des puissants y réfléchissait
sérieusement. J’ai toujours pensé qu’au pire le matérialisme forcené aura
toujours besoin de s’adapter à une demande fut-elle de pauvres sans laquelle il
n’y a plus de marché et donc plus rien du tout. Entre temps l’attente est longue,
le climat social se dégrade, l’instant mal vécu est bien perdu. Des termes
comme génération sacrifiée n’ont pas de sens. Qui peut décider ainsi que telle
catégorie va passer son tour, ne va pas passer cette fois-ci dans le manège du
bonheur ? Il est des événements, naturels ou provoqué par l’humain, telle
que la guerre, que l’on n’a pas exactement prévus. Mais s’agissant d’économie
et ses conséquences sociales nous sommes dans le domaine du connu possible à
quelques années près. On sait que ce qu’il faut pour nourrir sept milliards
d’hommes n’est pas une question de production, dans une terre qui a
suffisamment d’agriculture, mais une question de distribution et d’accès aux
marchés de consommation. On sait, malgré que l’on dise que l’on a tout essayé,
ce qu’il faut pour que tout le monde trouve sa dignité et son pouvoir d’acheter
par l’exécution d’un travail ; à condition d’envisager la répartition des
tâches, la préférence à acheter ce qui fait vivre les nôtres et non à penser
toujours au moins cher. Mes solutions ne sont pas du tout pertinentes ni
exhaustives mais elles se veulent détermination à penser tout de suite ici et
maintenant qu’est-ce que l’on fait, comment éviter, que dis-je arrêter,
que l’on fasse à autrui ce que je ne veux pas que l’on me fasse. Notre société
est un équilibre d’éléments devant vaille que vaille tenir ensemble.
Aujourd’hui notre paquet global sociétal est mal, mais tenant quand même, mal
ficelé, provoquant des générations sacrifiées, des quart de population au
chômage, des ruptures de valeur travail lorsque grand-père, père et fils au
chômage ne vivent que par l’assistanat d’institutions, moins généreuses que
soucieuses, que la révolution n’éclate pas et que ses pauvres continuent à
consommer et à voter. Tout cela sent le pourrissement d’une situation. Il faut
agir au sens de remettre en mouvement mécanique les pièces de la machine
économique, avec pour objectif pour celle-ci que l’individu, je m’y entête, ait
la dignité et la rémunération de son apport de travail physique ou
intellectuel. Je n’invente rien d’autre que le premier article des Droits de
l’Homme. Le reste s’organise dans une volonté de plan d’action concret. La
politique, avec ce qu’elle produit de vœux pieux comme cette louable
déclaration de droit au travail, se fait plaisir en proférant des effets
d’annonce qui, comme des mots d’amour, ne peuvent que faire plaisir et ne
jamais se refuser. Aimer vraiment ensuite est une expérience à deux. De même la
réclamation morale « je t’aime » au travail, doit se vivre avec la participation
intéressée de ceux qui fournissent le travail et de ceux qui vont accomplir le
travail. Les uns et les autres ne sont pas toujours sur la même longueur
d’ondes. Le travailleur temporise son engagement. L’employeur privilégie son
profit. En termes d’équation on est loin d’une égalité des termes de l’échange
susceptible de créer, par transfert, de la valeur ajoutée. Alors que nous
partions d’une glorification pour l’homme de s’accomplir par le travail, la
vulgarisation de l’idée aboutit à en faire ou donner le moins pour celui qui
produit, face à en tirer le plus de profit pour celui qui emploie. Caricature
bien sûr mais je n’ai pas inventé le terme lutte des classes. Le voici. Alors
qu’il n’est pas inscrit dans l’inné de la nature individuelle de chacun que
l’on veut en faire le moins possible pour en tirer le plus possible. Quiconque
est son propre patron, de quelque activité économique ou culturelle ou même
morale sait qu’il ne doit pas faire d’une main, travailler moins, tandis que
l’autre main dirait gagner plus. Au niveau de chacun de nous, pris dans notre
conscience individuelle, le dilemme nous fait honte. Et partout, dès que nous
exportons notre individu dans la mase, nous acceptons ce raisonnement abêti. Se
reprendre est possible si nous reprenons conscience de nous-mêmes. Jusque maintenant
les états « providence », dans la lignée des déclarations prometteuses
de Droits de l’Homme et autres, ont pu maintenir le couvercle de la paix
sociale, de l’inconscience de nos consciences, grâce à financement de
croissance. Les revenus augmentaient toujours beaucoup plus vite que le prix
des choses. Une fois que la croissance eut atteint la satisfaction des besoins,
elle n’a pu que se ralentir voire stagner, voire décroitre. Quand les besoins
primaires sont satisfaits que voulez-vous vendre d’autres que de l’artificielle
sur-offre, artificielle demande présentée comme nouvel art quasi
religieux de vivre ? Plus de surplus par la croissance a obligé au recours
à l’endettement pour garder le fameux confort social. On en est là ; les
trous se creusent, les prêteurs se méfient. Que faire sinon de faire avec ce
que nous sommes de bras ou esprit pour produire, d’estomac ou envie pour
consommer ? C’est une nouvelle équation de nous-mêmes qu’il nous faut
réinventer en enlevant tous les obstacles qui empêcheraient le rétablissement
d’une égalité de l’échange entre nous ; famille, cité, communauté ;
région, pays, continent, monde ; en y incluant les réserves naturelles. Je
fais exprès de parler simplement, en homme simpliste, tant devient exaspérant,
parce que non contributif, le rapport d’experts. D’aucuns de ceux, et ils sont
nombreux, que l’on voit entend ou lit, dans les journaux, gouvernements
institutions, brandissant pathétiquement des idéologies affinées, de bonne foi
au demeurant, dans leur immuable cursus les ayant rendu, une fois adultes, des oligarques.
Une catégorie, une espèce d’élevage en batterie, avec plusieurs écoles quand même,
dont ils sortent assez haut pour ne pas avoir à se mêler avec l’assez bas.
Autant dire qu’ils n’ont pas de porosité avec les problèmes et que le poids
intellectuel de leurs études les justifie toujours d’avoir raison. Non point
qu’ils soient méchants dans leur supériorité ! Ils savent ! Ils ont
appris à savoir, une fois pour toutes. Je n’ai même pas la tentation populiste
de les accuser d’être caste de blocage. Ce n’est pas une armée ni une confrérie
de preux chevaliers dédiés à une cause. Leur combat est une simple auto-défense
d’un savoir acquis, comme si une fois rentré dans leur tète il leur serait à
jamais inné. Cet acquis une fois pour toutes rend leur boîte à outil rapidement
obsolète. Au mieux ils sont au top de leur capacité opérationnelle à un instant
T où leurs connaissances correspondent à un certain T’ tempo de l’époque. Nous
pourrions en profiter et certaines trajectoires
profitent de cette fenêtre de tir de leur carrière. Mais la
synchronisation de ces compétences avec ce qu’il faut d’expérience, de rencontre
et de maturité pour exercer est rare. Alors c’est loupé, et nous voila parti
pour un autre bout de temps avec ces leaders à côté de la plaque de nos
préoccupations. Non seulement ils ne feront pas le job, par incapacité, mais
surtout ils bloqueront, par leur pouvoir et présence institutionnelle, les mouvements
naturels de la société pour se trouver elle-même ses solutions, en tectoniques
des plaques maladroite mais salutaire pour faire bouger et se rejoindre les
terrains. J’en veux pour preuve les dysfonctionnements sociaux, éducatifs,
économiques dans des situations concrètes où deux parties sont amenés à
constater un problème, à exprimer leurs points de vue, à avancer des solutions,
à trouver un accord de sorte que le projet commun continue et remplisse sa
fonction de satisfaction des parties. Ce sont les parties concernées qui
doivent étaler et résoudre leurs problèmes, dans une procédure de pédagogie
individuelle. L’exposé honnête envers soi-même de ce que l’on réclame à l’autre
est déjà début de solutions pour soi. Quelle est ma réelle demande ? Quels
en sont les faits, les chiffres, la motivation recevable par mon
interlocuteur ? Quelle attitude, quelle répétitivité vais-je
rencontrer ; voire quelle opposition ? Cette formulation préalable de
ma demande la pacifie, la déconnecte d’affect et d’agressivité. Il n’en reste
qu’une revendication si l’on tient à toujours lui garder ce caractère
pointu ; mais que l’on peut déjà appeler exposé des faits concernant notre
relation. Même démarche en place dans la partie adverse mais que, si
processus purificateur de velléité il y a aussi, on peut appeler partenaire.
L’aboutissement en est un échange de
conditions de vie, de travail, de rapports sociaux entre deux parties ayant le
même but de production de leur projet. Est-ce utopie que de présager un
étalement serein des points de vue sans protection de médiateurs, de
législateurs, d’hommes sachant alors qu’ils sont par définition au-dessus des
parties prenantes. C’est paresse intellectuelle que de croire cette
simplification impossible ; que de ne pas essayer ; que de craindre à
l’avance un résultat quel qu’il soit. Ce qui vient des concernés ne peut pas
être foncièrement mauvais puisqu’au demeurant ils sont déjà deux d’accord. Mais
alors, me direz-vous, il n’eut pas été besoin d’inventer les lois, les chartes,
les protections, les délégués, les élus ; bref que ne s’est-on encombré de
tant d’intermédiaires si les hommes bons étaient si bien capables de s’entendre
face à face et seuls ? Je crois que les lois, les structures, les représentants
de toutes sortes étaient étapes de notre évolution absolument indispensables au
moment où elles s’inventèrent. Face au pouvoir despotique des monarques il
fallait que des hommes et des femmes, éclairés par le service vers l’autre,
s’érigent légifèrent et administrent l’avènement
du pouvoir par le peuple qui s’appelle démocratie. Le résultat est atteint, inégalement parfois, mais dans un constat global de verre plutôt bien plein. Et en tout cas
dans une perspective que les améliorations, toujours possibles et souhaitables, ne requièrent
plus du tout la même masse de
lois à produire, de représentants pour y réfléchir, d’administration pour
contrôler. Non point que la démocratie roule comme sur des roulettes, mais son
combat se déplace. Alors qu’au lieu de
cela, la représentation continue, ce que l’on ne peut appeler autrement que, sa
fonction d’être ! Outre le coût, qui n’est qu’un aspect d’utilisation de
moyens, la véritable gêne est l’écran entre citoyens, contraire de la
démocratie, que cette présence suscite. Par strates superposées, qui pour
anecdote sont de l’ordre de cinq niveaux pour le même sujet avant d’obtenir
décision. Temps passé mais surtout démobilisation, démotivation des citoyens
qui n’ont pas prise sur ce qui les concerne d’abord. Les lois et les représentants,
qui se drapent dans une défense du citoyen, manifestent la priorité de leur devenir
personnel. Leur altruisme peut être sincère mais l’exercice de leurs fonctions
est ancrage dans le statique, dans la réglementation en tant que préalable à
tout supposé d’entente naturelle et spontanée entre les citoyens. Toute évolution
des comportements fait et donne immédiatement lieu à une juridiction et réglementation
ad’ hoc. Comportement moral, social, matériel devient sujet à dire à l’autre,
au citoyen comment il doit s’y légalement comporter. Les lois et décrets
d’application s’empilent dans un effet de saturation physique, de déséquilibre
en ce qu’ils se contredisent, en inexpérimentation préalable à leur exécution
oui ou non possible sur le terrain. Trop de lois tue la loi mais surtout crée
la tentation de repli sur soi, du populisme, du tous pourris puisque la loi asphyxie
au lieu d’aérer la vitalité qui est quand même en chacun de nous. L’écart,
entre ce qu’il n’est même plus juste d’appeler gouvernés et gouvernants tant
chacun ne respecte l’autre, n’a jamais été aussi grand ; alors que
l’éducation donne à de plus en plus une
conscience d’être et de pouvoir apprécier et choisir. C’est sans doute cela que
les oligarques dirigeants n’aiment pas, tant ils craindraient que trop de
connaissances ne fassent éclater leur inefficacité et leur inutilité. Des cas
concrets de la continuité de l’inutile sont connus mais perdurent, protégés par
statut et convention. D’un président en échec sur tous les plans mais se prévalant
d’un mandat de cinq ans, comme un bail locatif dont il n’assumerait pas
les devoirs, à un pdg looser garanti par son golden parachute (prime de départ
négociée à l’embauche quelle que soit la mauvaise gestion précipitant sa
sortie). Les puissants imposent leur institutionnelle mainmise sur des sujets
ou des activités que nous pourrions essayer de résoudre par nous-mêmes, gens
concernés. Non pas par abus de langage révolutionnaire rendre le pouvoir au
peuple. Mais laisser la plupart des problèmes, sauf ceux relevant de l’ordre
public, au bon sens des premiers concernés à trouver ensemble une bonne, rapide
et peu couteuse solution. Ce qui fait ce sens, bon et même mauvais, ne serait
plus l’apanage seulement de cette élite réfléchissante. Les solutions de bon
sens sont ringardisées simplistes parce que justement les gens simples ne
mettent sur la table de négociation que des éléments simples au sens de dégagés
de toutes contingences hors sujet. Autour de nous de multiples faits sociaux,
moraux, économiques sont immédiatement qualifiés d’extrême dés lors que leur
présentation est réduite à des circonstances de vie de tous les jours, par des
gens ordinaires animés d’une demande bien aller sans faux semblants. Essayer
d’exposer un vrai problème, tel qu’il se pose pour le commun des mortels mais
sans le circonstancier de considérations psychologiques politiques ou
historiques, vous expose à être qualifié de réductionniste. Il faut être
compliqué pour être entendu au minimum ; quand être compris se révélera de
l’ordre de l’impossible. Il est des instances, notamment la justice pour
considérer les tenants et les aboutissants d’un acte. Son extradition et son
immunité donne garantie au prévenu qu’il est jugé comme une personne humaine
dans sa globalité. La parenthèse du temps judiciaire ne peut régir le
fonctionnement ouvert et courant de notre vie quotidienne. Nous devons pouvoir
agir par nos vraies intentions et exécutions, et non sur un supposé de nos dispositions psychologiques
ou morales. En exemple de cette pression ressentie à ne parler que concrètement
des choses j’éprouve angoisse de parler d’immigration pour ce qu’elle est dans
les faits de sa cohabitation avec les autochtones. Alors que je suis seul avec
mes lignes une inhibition me cloue et m’arrête de franchir la ligne éditoriale
de la bien pensance du temps. J’ai l’expérience personnelle d’avoir appartenu à
un cercle de réflexion politique se voulant démocrate et dialoguant avec des
personnages de tout bord bienvenus…sauf s’ils étaient extrêmes alors que je
subodorai qu’ils deviendraient majoritaires et donc intéressants à écouter sur
le pourquoi des arguments qui les faisaient monter. J’avais raison mais je ne m’en
réjouis pas, si ce n’est que de la bonne prémonition que j’en fis ; et raison
de l’envie aujourd’hui d’écrire ce que l’on voit, qui est plus important pour
les autres puisque c’est partageable que de dire ce que l’on pense. De part et
d’autre, et sans qu’il soit question de quantités majoritaires ou minoritaires,
les extrêmes révèlent de vrais vécus qu’il faut écouter et vérifier. Si ce qui
est avancé est vrai c’est malhonnêteté intellectuelle, et erreur de gestion,
que ne de pas en tenir compte. Ce qui existe ne disparait pas parce que l’on
décide de ne pas le voir. L’immigration, dont j’avais mis le bout du doigt dans
le sujet, est de ces tabous indécrottables dans la patrie des Droits de l’Homme
où le principe de tolérance prévaut et parle de la réalité des différences
obligées d’être acceptées au quotidien. Peut-on oser la question de qui est
chez qui du visiteur ou du visité ? Le baume de moralité qu’il y a à
devoir tolérer le visiteur est artifice de convenance pour une courte durée, pour
une circonstance particulière. La vraie moralité est d’examiner les règles d’un
possible vivre ensemble dans des situations d’assimilation, de partage des
droits et des devoirs, de perspective de don total dans la nouvelle
citoyenneté. Au contraire d’une immigration accueil de la misère du monde à
laquelle assistance nous serait obligée, sans décision et réflexion
individuelle de mon rapport à ce qui est étranger. On ne peut forcer au
partage. Chaque ouverture vers l’autre doit être un acte décidé et consentant.
La loi qui impose d’aimer l’autre ne peut fonctionner. Les dispositions de
comportement qui amènent l’autre à se rendre sympathique peut fonctionner et
inciter à l’accueil. Serait-il possible d’être entendu non aux extrêmes mais au
bon centre du sens sur des sujets qui touchent la vie quotidienne et donc le
genre de vie de chacun d’entre nous. Chaque sujet, et ils le sont tous, où la
vie des gens est concernée devrait être portée de manière intelligente au
niveau de chacun, et si possible avant qu’il ne provoque des conséquences
entachant son image initiale. Ce n’est pas aux lois de nous imposer des
évolutions de société. C’est une vie ensemble observée en juste à temps, juste
avant les problèmes, qui peut faire émerger une situation. Tous les jours des
nouveautés de vie apparaissent dont nous devons dire immédiatement : qu’en
faisons-nous, quelles conséquences, quelle importance cela peut-il
prendre ? Est-ce utile, est-ce gadget ? Est-ce humain ? Est-ce
abject ? Cela m’abaisse-t-il, m’élève-t-il ? A un stade primaire ou
précoce de leur advertance les phénomènes peuvent-ils être circonscrits, admis
pour ce qu’ils sont de petites choses, avant qu’ils ne deviennent envahisseurs
contre notre gré. Cette vigilance est à portée de l’homme lorsque celui-ci
reprend son individuelle conscience à se demander ce qui est bon ou ne l’est
pas pour lui. L’émergence de ces idées et le filtre individuel qu’il faut en
faire deviennent paradoxalement possible par les fenêtres individuelles que
nous pouvons, presque tous, avoir sur le monde. En matière de communication
ouverte, pas chère et logistiquement facile d’accès, même l’Afrique se met au diapason
du reste de l’Humanité sans qu’il soit besoin de rattraper son retard. Le monde
portable désormais à 15 €uros vous donne par dix chiffres composés accès au
grand réseau des échanges permettant d’écouter et de donner son avis, sur tout,
sur rien, sur l’état du monde, sur ce que nous voulons, ne voulons pas,
souhaiterions. Faisant fi des diagnostics qui jusqu’ici les pensaient à notre
place. L’individu est à la fois la solution et le problème de notre vie en
société. L’individualisme comme tout mot en « isme » porte une
mauvaise conscience de ne penser qu’à soi, de se mettre seul en avant, de
profiter des autres sans leur accorder de retour. Pire qu’une lutte pour la vie,
qui avait la clarté de l’attaque et de la défense, la bataille de soi et pour
soi confine et recroqueville l’être dans une carcasse d’asociabilité puisque
justement la fenêtre vers l’autre est fermée. Même la velléité de combattre
l’autre, de prendre sa place ou sa proie, a disparue au profit d’un intérêt
replié sur le seul moi unique et profond. C’est la fonction qui crée l’organe.
C’est la sécurité et l’assistanat, retournés en son contraire, qui permet de pouvoir
se dispenser de l’assistance envers les autres. Indépendance physique et
morale, voire spirituelle. La liberté portée en étendard de toutes les luttes
en masse, en lutte de classe contre classe, aboutit à un état unitaire de
l’Etre, l’Individu ! L’éducation, les connaissances, le dotent d’outils de
perception, de réflexion et de réaction extrêmement précis pour se mouvoir dans
les faits incessants de la société. Parmi ces outils ceux de l’autonomie, du
raisonnement, de l’observation, du refus d’idéologies salvatrices font monter
une sursatisfaction de l’Etre qui se croit dès lors en indépendance de tout. Y
est ignoré la caractéristique de tout être, fut-il unitaire, de venir d’un
tout, de participer à un tout, de retourner un jour à un tout. L’être unitaire
fait partie d’un univers social vis-à-vis duquel sa participation est
biologiquement, avant de parler de morale, obligatoire. Pourtant personne d’institutionnellement
responsable n’ose rappeler cette
évidence d’interdépendance des membres du genre humain en particulier, et de
toutes les autres poussières d’étoiles dont nous venons tous en général.
L’institutionnel fonctionne en promettant des droits mais ne veut jamais en
souligner les devoirs. La promesse de droits toujours plus à obtenir permet à l’institution
de tenir, de se faire réélire. Les devoirs ne viendront qu’en cours de route ou
de mandats, comme des troubles fêtes dont on fera lois ou décrets emplâtre sur
une jambe de bois puisque le corps principal du malade ne veut pas entendre de
devoir changer, être soigné. Des livres et des idées stigmatisent mais en vain
cette inclinaison vers le TOUJOURS PLUS, toujours plus d’avantages acquis sur
déjà énormément d’acquis. TOUJOURS PLUS de moi d’abord, d’individu pour lui
seul, d’individualisme, voire ce qui s’appelle en moral égoïsme, égotisme
dit-on maintenant. La poussée continue, par la pression des politiques,
gouvernants, médiums communicateurs, idéistes, gourous de la communication,
distributeur de la consommation pour la raison arithmétique bien simple que
l’individu en son état unitaire autonome consomme plus de produits, d’idées, de
concepts de toutes sortes que le membre de la tribu ou communauté. Deux
individus séparés ont besoin de deux appartements, voitures, téléphones, bulletins
de vote ; alors qu’autrefois, et à tort, la femme votait comme son mari.
Le chemin de la liberté vers l’Individu est pavé de diverses intentions. Que
cette description soit une réalité ne doit pas effrayer. Nous n’avons prise que
sur la réalité mais celle-ci peut rester, et doit rester, au stade du constat.
C’est à nous, individuellement, de vivre ce nouveau saucissonnage de nos vies
en tranches individuelles pour qu’à notre façon unique nous les rassemblions
dans un univers social de partage avec l’autre. La nouvelle réalité sociale
c’est, par exemple, les réseaux sociaux meilleurs et pires des choses comme la
langue d’Esope, langue de partage généreuse ou langue de vipère destructrice.
Le monde évolue sans que le fondamental de l’autre, de l’homme, ne change d’un
iota. La vitesse des transmissions n’est que le médium, le véhicule qui n’est
pas responsable de ce qu’il transporte, pas responsable du sens des marchandises
physiques ou intellectuelles qui lui sont confiées par cet homme éternel qui
n’a pas changé. L’attribution à chacune, chacun des sept milliards d’humains
d’un terminal émetteur-récepteur d’informations est une remise à plat
révolutionnaire du paradigme de l’Individu. Chacun a son œil et son oreille en
même temps que sa bouche et son doigt pour recevoir et exprimer ce que lui seul
désire. Cette extension est presque une prothèse définitive satellisant notre
moi, jusqu’ici isolé ou perdu dans une marre, vers un univers du possible
d’expression et de réception sur tout. L’usage abusif, comme celui de la langue
d’Esope, est du parcours possible de l’homme qui a contourné bien d’autres
aléas néfastes de son évolution depuis des millénaires. L’autre dérive, de
pouvoir tout dire et sur tout, trouve sa limite
dans l’accueil sage que pour finir survient à toute nouvelle. N’est
abusé que celui qui recherche l’abus, alors que justement l’individualisation
de la méthode de dialogue fait disparaitre toute manipulation de masse. Ainsi
devient-il possible de rendre, à l’homme être humain qu’est chacun de nous, le pouvoir
de se dire oui ou non à ce qu’il veut ou ce qu’il ne veut pas. Le pouvoir rendu
à l’individu est, je dois dire peut-être
alors que j’en suis sur, une évolution majeure de notre humanité. La réalité
technologique qui nous y met face à face, et l’impasse de l’individualisme qui
ne nous renvoie plus que notre égoïsme, sont autant de raison de saisir la
balle au bond. Avec cette balle nous pouvons rejouer ensemble, échanger une
balle que nous contrôlons, partager nos aspirations, redéfinir un périmètre de
jeu social et de règles minimales afférents au respect des joueurs.
L’individualisme forcené de ce culte du moi d’abord est en bout de course, en
explosion sociale d’un impossible vivre ensemble. L’individualiste épanoui ne
peut plus exister ; son opulence lui colle à la peau, sa démarche
l’enferme dans un ghetto, le courant économique, à trop asphyxier les pauvres,
finit par menacer la pérennité de la mine d’or qui ne sera plus éternelle. Et pire
et plus que tout cela, la question existentielle que l’individualiste le plus
vil, mais quand même être pensant, peut se poser : « et à quoi sert
tout cela ? ». Me semble arrivé, par conjonction de ces phénomènes,
le point de rupture, de bascule vers un autre comportement de l’homme dans sa
base originelle d’individu. Ce que nous raisonnons en notre for intérieur est
quelque chose d’unique et sincère, dont la réalité, en tant que phénomène de
réalité en nous, ne peut être contesté. Ce que nous voyons-ressentons est la
réalité de ce qui forme notre individu. Le projet, qui eut dû toujours présider,
et qui maintenant peut-être se dessine, est de placer l’individu dans un centre
au milieu des milliards d’autres individus tout aussi centraux que lui. Les
images et animations numériques, autre progrès, nous permettent de visualiser
cette galaxie de petits moi(s) évoluant en toutes dimensions et étendant leurs
petits bras, comme une déesse Shiva qu’a fait de moi une amie. Le délire doit
s’arrêter car il n’est pas encore possible de transmettre la plénitude d’une
imagination qui n’est encore qu’en moi. Mais qui sait si des transmetteurs, de neurones
à neurones, ne pourront pas un jour faire partager nos univers fantasques.
Basiquement, en attendant la suite et justement pour donner pistes de sens à
cette suite : l’habilitation de notre moi individu pour défricher de
telles perspectives s’il y a volonté de nos contemporains à créer ce nouveau
territoire de leur moi. Il ne sert à rien de donner des moyens d’autonomie si
l’on n’a pas le désir humaniste, par une vraie prise de conscience, de vouloir
s’en servir. Il ne sert à rien de donner une voiture à quelqu’un qui n’a pas
envie de se déplacer ; et ne sert à rien de faire boire un âne qui n’a pas
soif ; est vain de donner sans fin du poisson à quiconque ne veut pas
apprendre à pêcher. Etc… La liberté de l’homme de faire usage de sa liberté est
un instinct consubstantiel de l’être humain que l’on peut réveiller mais que
l’on ne peut créer puisqu’il existe déjà même s’il est stratifié. Aucune
instance, aucune loi, aucune autorité ne peut dire à l’individu « réveille-toi »
d’autant que les phases de ces profonds sommeils sont circonstanciés à ces
mêmes individus. Il peut être dangereux, même avec la meilleure intention, de
secouer et de rendre conscient de ses réalités le dormeur qui ne le veut pas.
Ne peut être entrepris qu’un climat général de bienveillance et d’encouragement
pour proposer aux individus cette possibilité de leur île, de leur
individualité, de leur démassification, de leur individuréalité exactement
contraire à une téléréalité.. L’insistance sur l’individu n’est pas marotte de
parler de soi même si c’est par l’expérience personnelle que j’y suis si enthousiaste
et affirmatif. Tous mes sauvetages en mers ou situations troublées ont été des
sursauts de moi-même trouvant ma bouée, mes rencontres aujourd’hui, alors que
le pronostic me demandait le ralliement convenable, l’assagissement au nom du
groupe, l’effacement du petit face au grand ou du minoritaire isolé devant les
majoritaires auto-déclarant par le nombre de leur supériorité. Le combat
personnel ne comporte pas d’esthétique ou de morale pour moi. Il n’est qu’une
nécessité de survie lorsque l’on sait ce que l’on est et que l’on n’a pas
d’autres moyens que la réaction à prétendre et à montrer justement ce que l’on
est. Le retour à l’individu, à la revendication de son individu spirituel et
non plus seulement matériel, se heurte à l’obstacle du regard sur soi défendu.
La culture façonnée par les religions nous apprend la méfiance de nous,
l’insolence à se regarder ou à parler de soi, l’imperfection définitive du péché
originel qu’il ne faudrait pas montrer. Le voyeurisme de soi d’aujourd’hui
n’est encore que masque pour s’amuser d’un soi que l’on exhibe encore assez
peu. L’individu n’a pas vocation à se statufier pour se poster à notre
auto-admiration ; mais aucun progrès de notre moi ne peut être accompli si
nous ne nous cherchons pas, si nous ne nous aimons pas, ni si nous
n’entreprenons pas de nous connaitre et de nous construire. Connais-toi
toi-même – construis-toi toi-même – et tu connaitras, construiras, l’univers
dit le fronton du temple de Delphes. Notre individu ne peut passer en nous que
si nous lui en donnons la semence, l’arrosage, l’ensoleillement, le tutorat, la
bonne moisson. Un individu seul livré à sa seule jachère ne sert à rien. Il
n’est pas anodin que rien culturellement et institutionnellement parlant n’a
été fait pour encourager l’individu. Les grandes révolutions qui ont façonné le
monde ont été des rassemblements d’individus, ou plutôt dans un langage missionnaire
de commisération, de pauvres êtres esseulés auxquels un pasteur proposait un
troupeau rassurant. Tous les leaders charismatiques sont cela et je ne les
citerai pas pour que l’attention surprise s’arrête sur leur nom spécifique. Au
contraire aucune révolution n’a proposé ni accompli la libération de son soi.
La solution ne passe toujours que par remède de masse alors que ce n’est que de
notre propre explosion que peut, de notre moteur, jaillir l’étincelle. La
simplicité de la découverte, dans l’énoncé que simple quidam j’en prononce,
déconcerte les blasés de la convenance. Pourquoi s’attarder ou essayer un truc
aussi simple qui aurait déjà sauvé le monde s’il devait marcher ? Sans
doute a-t-on déjà tout essayé au fil des générations survenues. Encore que l’on
puisse douter de l’honnêteté à relater toutes les expériences notamment celles contrevenantes
aux idées et ordres établis, aux intérêts en place, aux puissants en fonction susceptibles
de déstabilisation de leur pouvoir et prébendes. Qu’importe cet aspect
rétrospectif de ce qui aurait du si s’impose à moi l’évidence de la bonne
solution dans l’espace-temps spécifique de l’humanité où je suis. Là justement
où l’individu physique, livré à son seul objectif de lui-même, se retrouve dans
l’instant individuel lui aussi, puisque n’étant plus passé et pas encore futur.
Il y aurait, si l’on imagine une représentation physique du phénomène, la dent
de la roue qui est cet individu de moi-même s’enclenchant exactement dans la
dent instant de la roue du temps. La rencontre est miraculeusement unique, spécifique,
individuelle. Il est dit que nous ne connaissons ni le jour ni l‘heure mais nous
voyons la nacelle de la roue du temps au moment pile où elle passe devant nous.
Jusqu’ici cette roue du temps était une expectative sans autre accès que la foi
qu’elle arriverait bien un jour. La prise de conscience individuelle, et les
outils nous permettant d’aller chercher l’information pour comprendre notre environnement,
changent la donne. Ici commence notre possibilité d’insurrection personnelle et
d’escalade des barricades de l’ignorance. Nous pouvons chercher ce que nous ne
savons pas, vérifier ce qui nous est suspect, faire partager nos recherches et enthousiasmes
de sorte que comme autant d’hameçons, lancés sur la toile du monde connecté,
nous voyons la roue du temps qui s’y arrêterait, des paires d’intérêt se former
avec nous. La rencontre, le meetic pot
d’idées, qu’il n’est pas besoin de faire uniquement sur internet mais à pratiquer
en toutes occasions d’extérioriser l’individu de nous dont nous n’avons plus
peur. La grandeur des éléments naturels qui nous entourent n’est pas là pour
nous agresser mais pour nous épanouir. L’appel de la beauté d’une montagne,
d’un pic enneigé ou du cri d’un oiseau est un encouragement pour que nous
exprimions notre propre cri individuel. Point d’égalité entre éléments naturels
aussi disparates, aussi dysfonctionnels quant à leur usage des uns par rapport
aux autres. Mais une juxtaposition de particules assemblées se regardant en
équilibre l’une de l’autre, sans préséance et sans volonté de nuisance. Toutes
les parties de la nature, autre que l’homme, ont cette caractéristique individualité
qu’aucune conscience ne leur permet de s’en
interroger. La pierre ne pense pas. Elle est. Et elle est individuelle.
Leur ressembler n’est pas le but mais méditer le bien-fondé qu’elles ont de
leur présence est intéressant. L’individu, au bout du compte de l’introspection
humaine que nous en faisons, est cette partie terminale du genre humain que
l’on ne peut remettre en question. C’est le bien individuel de chacun en même
temps que le bien commun, en tant que nécessité sociale de tous. Dieu, que je
n’aime pas citer mais la citation parle de lui en lui faisant dire, « Dieu
a besoin des hommes ». Cela n’a pas de raison d’être faux du moins en tant
que bonne parole fédérative et communautaire autour de Dieu ou de qui l’on
veut. S’il a besoin des hommes ce n’est pas une masse d’hommes agglutinés dans
une matière commune. Le besoin d’hommes est celui d’une quête de qualités
variées et différentes pouvant constituer assemblage intelligent de
connaissances et de matériaux, autour d’un projet d’univers en cours, au fil de
génération d’hommes superposant les susdites différences et individualités.
Pardon d’en venir à cette vision cosmique à partir de ce simple petit individu
qui me préoccupe et passionne. Mais le monde n’a pas de sens et de possibilité
de tourner rond que s’il n’est oublié aucune de ses particules ; le
moindre individu compte, non pas en tant que division d’un tout, mais en tant
que trésor individuel à nul autre pareil dont le grand tout ne peut se priver.
L’individu, centre du monde, n’a pas de sens de même que tel pays, le nôtre qui
semble prôner sur la mappemonde représentée à sa façon, alors que dans
l’hémisphère sud opposé le pays excentré devient nombril et notre territoire un
confetti perdu. Notre meilleure représentation du monde, et maintenant des
individus, permet la présence satellitaire de chacun dans l’espace clair et instantanément
accessible de tout individu. Individu, chaque fois que j’en prononce les quatre
syllabes in-di-vi-du m’évoque immanquablement une notion unitaire réduite au
chiffre 1. Réduite n’est pas le bon mot trop « réducteur » et donc
négatif. Je devrais dire une valeur intrinsèque de 1 qui est à la fois très
grand et très petit. Le 1 témoigne que quelque chose existe par opposition à
son contraire le 0, zéro. 1 c’est l’Etre. Le 0 est le néant. 1, un, in-di-vi-du,
peut donc être cette division, cette poussière d’étoiles minuscule et grandiose
dans ce qu’elle a de fondement incompressible, indestructible, irréductible. Le
chiffre me frappe car notre humanité a déjà vu passer 50 milliards d’êtres
humains donc 50 milliards d’individus. Ce 1/50.000.000.000, un cinquante
milliardième que je suis est ahurissant. Mon infinie particule élémentaire,
puisque unité infinitésimale de ces 50 milliards, me fait sourire rien que d’en
parler. Suis-je là, ou ne serais pas là, qu’est-ce que cela changerait ?
De même qu’en est-il des particules élémentaires manquant à l’appel de la vie,
alors que génétiquement procréés, de par les arrêts en avortement, maladies
précoces. L’assemblée de tous est-elle nécessaire ou quelques uns suffisent-ils ?
Lesquels ? Au nom de quoi sélectionner celui-ci ou garder celui-là.
Questions métaphysiques mais ne me survenant que parce que j’ai quelque part
été sauvé, sélectionné pour rester, pour jouer dans la partie gagnante. Celui
qui peut continuer à participer, et encore plus à réfléchir et penser ce
qu’aurait pu être une autre partie où je n’aurais pas été gardé. La réflexion
est un sport de riches ; et autrement dit ventre affamé n’a pas d’oreilles
selon un proverbe chinois ou populaire. Le résultat en est ma faculté
aujourd’hui, pensée et exprimée ici, que la division, le 1 dividu que je suis,
est partie constitutive de l’ensemble d’aujourd’hui, engendré par hier, et
porteur de demain. Je ne suis pas fondu dans une masse anonyme « cinquantemilliard ».
Je suis une unité de valeur, une valeur ajoutée qui, si elle se retranchait, ne
laisserait pas pareil le « cinquantemilliard ». Cette arithmétique de
nous même est moralement mal vue par une culture qui nous a appris la
soumission aux grands nombres ou aux savants calculs d’architectes gourous
divinités et leurs représentants. Nous ne serions pas faits, dans notre
petitesse et basse condition humaine,
pour compter nous même mais pour être comptés, à l’instar d’un berger qui
vérifie que toutes ses bêtes ont passé le portail du pâturage. On nous met dans
un état de chiffre. Combien de divisions disait Staline en parlant du pape et
de son Vatican qui s’opposait à lui. Combien çà coute ? Combien de médailles
olympiques alors que chacune n’est l’effort que d’un seul. Combien,
combien ? Que de fois sommes-nous ainsi quantifiés comme si seulement
n’étaient intéressants que la pression de nos pneus, les battements de notre
cœur, notre taille et notre poids, la dimension de notre cerveau sitôt qu’on le
pourra, le QI quotient intellectuel. On songe même, dans un but louable, à
remplacer le PIB Produit Intérieur Brut par un PBB Produit de Bonheur Brut sans
doute moyenne d’indices individuels mesurés de notre bien-être dans des
situations matérielles. La révélation statistique par la moyenne ainsi obtenue
sera significative de l’état d’une masse. Mais l’origine de chaque chiffre ne
concerne que l’individu observé. De lui seul il s’agit, dans sa spécificité qui
ne peut être qu’une intériorité climatique d’ensemble dont il est utopique de
distinguer séparément les composants. Le psychosomatique nous montre souvent
comment le trouble de l’esprit devient un mal aller du corps. La bonne médecine
se préoccupe de notre état général supervisé par le médecin généraliste bien
nommé. Aussi la sophistication de nos points de contrôle doit servir d’abord à
un bilan global avant de nous alerter et nous faire réagir en interventions
localisées et pointues. Pourtant il y a demande individuelle et globale de
disposer d’un tableau de bord auto-contrôlant de nous même. Difficile d’en pister
avec exactitude les motivations. La fonction technologique semble créer
l’organe qui ne s’exprimait pas auparavant. Il n’y a rien à en redire lorsque
la fonction répare l’organe ; mais lorsqu’elle se met à le précéder c’est
le genre humain que l’on prétend modifier dans le concret de ses comportements.
Le scanner IRM sur un cerveau d’enfant de trois ans montre maintenant comment
le dit cerveau est fait et fonctionne. Puis par superposition statistique il
prédit les actes de la vie adulte susceptible, selon la probabilité, d’arriver.
Prévention de la société contre les siens débouchant naturellement, quand la
chirurgie le permettra, et on peut lui faire confiance, sur la modification ou
l’éradication de la pièce du moteur cerveau défaillante voire de son
remplacement. Cette réalité est défendue par de justes désirs d’améliorer notre
vivre ensemble global qui nécessite l’optimisation de nos points de friction
potentiels. Prévenir les violences et les accrochages entre nous 7 milliards se
serrant sur le même territoire Terre alors que nous n’étions que 2 milliards il
y a à peine 100 ans. Nous faire vivre ensemble harmonieusement, sans que nous
nous tabassions, ne peut donc être critiqué par seul souci de garder intègre
nos corps et nos facultés néandertaliennes. Heureusement nous évoluons car que
faire pour maitriser la bestialité de ceux qui, pas loin de nous encore
aujourd’hui, se massacrent à la machette. Et si l’IRM de leur cerveau - quel
marché potentiel pour notre industrie technologique -, si l’analyse possible de
leurs instincts sauvages avaient pu prévoir ? N’aurait-ce pas été
humaniste, si l’on veut, d’arrêter le bras meurtrier avant qu’il ne s’exécute.
Et pourquoi pas alors, parce qu’il ne faudrait pas traiter l’Afrique de manière
inégalitaire par rapport à l’Europe ou à l’Amérique, la généralisation d’un
TOTAL RECALL, le film prémonitoire d’une puce dans chacun de nous prévenant un
grand central de contrôle des signes d’intention de meurtre avant que nous les
commettions. Il faut parler de tout cela, avec sérieux et légèreté à la fois,
mais en tout cas sans rejet parce que ce serait de la fiction. Ce qui est
possible à l’Homme lui arrive. Mais, au lieu qu’il ne devienne assommé par un
effet de plus fort que lui qu’il ne peut que subir, rien ne l’empêche de se
renseigner et d’orienter ces possibilités de meilleur être vers un bien-être
bien et rien que pour lui. Toutes les évolutions sont des outils primaires
au moment de leur apparition, à l’instar
des scie, marteau, tenaille, clou de l’ébéniste qui ne construira que son
meuble à lui, répondant à sa seule convenance et utilisable selon son unique
manière de vivre. Et puisque le progrès et ses déclinaisons visent au premier
chef l’individu pour lui vendre quelque chose, il existe toujours, ne
l’oublions jamais, un premier carrefour où l’offre c’est à dire la nouveauté,
rencontre la demande, c'est-à-dire nous. Il n’y a pas de hold-up, de prise
d’otages de notre individu. Nous sommes recherchés comme proie certes mais on
ne nous tire pas dans le dos. Au contraire on nous interpelle dans nos sens, on
nous séduit, on nous convainc, on nous finance à crédit. Et ce n’est que bien après
que l’on crée, ou qu’on laisse se créer en nous car ce n’est pas une drogue,
une addiction et une dépendance amenant à l’acte de répétition ou de
continuité. Le progrès, comme les outils qui en découlent, sont des choix de
société assumés. Au carrefour de l’offreur et du demandeur ce dernier que nous
sommes peut dire oui ou non, ou « non, pas comme cela » de sorte que dans
une totale liberté, parce qu’il faut bien prendre une voix, il existe plusieurs
orientations. A condition qu’à ce moment stratégique du carrefour, où ces deux
se confrontent, le décideur soit doté de connaissances et d’information pour
choisir. Cette éducation préalable de son soi est ce qui constitue la valeur de
l’ 1 dividu, l’individu dont la pensée, sédimentée par ce qu’il est et ce qu’il
veut ou ne veut pas, va prendre laisser ou modifier les propositions du
progrès. La réclamation au choix de vivre SA vie est fondamentale dans la
continuation de l’humanité. L’avenir n’est pas dans une masse compacte d’êtres
humains désindividualisés. Il est dans un assemblage dynamique et
interactivement connecté des mouvances de chacun. La construction, voire la
reconstruction, pour ceux ne prenant conscience que maintenant, n’est pas une
gageure impossible. A tout moment notre métabolisme peut commencer, recommencer
voire oublier l’expérience passée. Se demander ce dont on a envie, en examiner
les moyens présents et à terme disponibles pour le construire, en mesurer la
viabilité à côté de l’envie de ceux que l’on y côtoie. Désir, moyens, avec qui,
résument pour moi les questions en boucle dynamique que l’on doit soumettre à
notre principe d’existence sur Terre. Chaque jour qui se lève est une leçon de
courage n’est pas de la moralité mais de l’indication d’un chemin à remonter
sans relâche, avec ce désir chevillé à l’esprit, seul capable de donner corps à
nos moyens à trouver et notre sociabilité aux autres à établir. Le reste, en ce
qu’il comprend de plaisirs, de joies, de richesse mais aussi d’infortune ou de
souffrances, fait partie du paysage obligatoire à ce parcours de recherche.
Seuls ceux qui savent définitivement, ce qui est impossible, croient pouvoir
choisir la richesse ou la pauvreté ; la souffrance ou la luxure. Ces
ghettos sont des mirages pour humains ayant renoncé ou ne connaissant pas
encore les attributs de leur pouvoir de dire oui ou non ou autrement ; le
pouvoir d’être des individus. Au ghetto global, l’individu oppose la nacelle
individuelle qui se meut dans tous les recoins, y compris vers les extrêmes
offrant une perspective sur l’ensemble et sur l’au-delà qu’aucune autre place
centrale ne permet. Oser son voyage individuel est une occasion de voir le
monde avec ses propres yeux, ses propres sens, ses propres envies de s’arrêter
ici ou là, de grignoter ceci ou cela, de combler ses appétits physique et
intellectuel dans une auto médication-régime qui ne peut être qu’extraordinairement
adaptée à notre métabolisme. L’analogie au voyage organisé saute aux yeux, par opposition,
sans que ce soit forcément une stratégie ennemie, au développement et à la
découverte personnelle. Des impératifs logistiques de sécurité ou d’économie peuvent
faciliter des processus que nous ne ferions jamais seuls. Mais rien n’empêche
de rester soi, de cultiver son soi, dans une entreprise collective où rien
n’oblige à faire masse pensante. Une démarche de tous peut être l’occasion de
l’émulation respectueuse de chacun, dans ses réactions à un événement ou à un
phénomène vécu visuellement en commun, mais qui sera psychologiquement ressenti
différemment à la façon de chacun. Chacun pourra être son « je suis
Charlie » à sa façon. Dans un autre domaine collectif, l’équipe de onze au
football a bien sur un seul
« but » dans tous les sens du terme ; alors que pour
parvenir à ce but c’est bien les caractéristiques physiques intellectuelles et
tactiles de chacun, de chaque individu, qui composeront et construiront, en
espace-temps unique, le passage d’un simple ballon à travers les
caractéristiques exactement semblables de la partie adverse. Démonstration y
est faite que c’est le particularisme de chacun qui rend le chemin possible. Un
joueur tout seul d’un côté sur ce grand terrain, face à un joueur tout seul de
l’autre côté, n’aurait aucune chance physique de remplir cette mission de passe-passe ;
sans compter la lassitude que seraient ces épuisements solitaires. L’humanité
montre donc de nombreux exemples, spectacles ici comme est aussi la comédie ou
le chant choral, où c’est bien l’addition intelligente des individus, dans
leurs caractéristiques individuelles, qui devient capable de produire une
œuvre. L’orchestre musical est le summum de mise ensemble de ce qui au départ
s’appelle « partition » sur le plan théorique du papier, et qui devient
emmené ensemble par la baguette du maître chef d’orchestre harmonie pour
l’oreille. La valeur individuelle de nos qualités personnelles fait l’objet
d’une attention nouvelle de la société. Qu’elle ne soit pas la même pour chacun
de nous serait juste appréciation de nos différences. Mais la méthode et le but
ont carrément une orientation de valorisation dans sa simplification
budgétaire. Combien valons-nous devient question qu’employeurs, institutions,
groupement osent poser sans vergogne. Le « combien » de ce que nous
serions prévaut à ce que nous sommes. La culture américaine, mais dans un
contexte de conquête de l’Ouest qui le temporise, s’est habitué à libeller les réussites
individuelles par un qualificatif du million de dollars que cette réussite
représente. C’est habituel et accepté dans toutes les couches de la société qui,
de bas en haut, aspirent à la richesse. La fuite de la pauvreté a toujours été
leur motivation de marcher en avant vers son contraire, l’aisance financière
qui n’a donc pas de scrupule à s’afficher en chiffres parlant. L’extension de
nos sociétés de parler de nous en chiffres ne vient pas que de là. Il s’agit
d’un recul presque humilié de la pensée à ne plus savoir voir le qualitatif des
choses ; au profit d’un monde d’appréciation rationnelle et scientifique à
compter le quantitatif. Tout ce dont nous sommes faits et tout ce que nous faisons devient ou doit
être mesurable, quantifiable. Il est en effet plus simple de comparer deux nombres
que deux valeurs morales. Dix ou douze sur vingt parle immédiatement en faveur
du douze alors qu’entre intégrité et honnêteté je ne sais pas aussi
instantanément choisir. La simplification évaluatrice par le nombre est une lame
de fond dont nous n’avons pas encore appréciée toutes les conséquences. Il est
d’ailleurs des sociétés, dont l’Amérique si prompte à l’exhibitionnisme des chiffres,
qui pour l’éducation ont toujours maintenu un jugement sur la valeur globale et
non sur le résultat chiffré. L’élève y est considéré dans son tout humain, dans
la sensibilité de son âge pour que, par exemple, ce soit la bonne matière (géométrie,
poésie) qui soit relevée dans le positif tandis que les faiblesses sont
commentées en vue qu’elles s’améliorent. Evitant ainsi la sanction non explicative du « zéro » dont on ne
peut que se désespérer. Par conséquent tous les secteurs de l’activité humaine
ne peuvent être appréciés avec les mêmes méthodes. Certaines doivent pouvoir échapper
à tous types de contrôle. Il devrait pouvoir être placardé sur mon front
« interdit de me mesurer » : mon corps et mon esprit
m’appartiennent ; et la vie qui
s’exalte de moi doit être socialement et nécessairement appréciée dans ses
effets concrets et ses réalisations. Les outils internes, avec et par lesquels
je prépare ma réception des informations, mes réflexions, mes axes d’action,
sont des secrets professionnels qu’il m’appartient de ne pas dévoiler, que je
n’ai pas à exposer à la comparaison d’autrui. L’intégrité, au sens de
l’exhaustivité et de la totalité de ce que je suis, peut avoir des comptes
extérieurs à rendre mais, n’a pas de justifications intérieures à produire. Ce
n’est pas coquetterie ni culte exacerbé de son moi. C’est une mesure de salubrité
pour ne pas être continuellement écorné, par la comparaison qui n’est pas
raison, par raison comparée avec raison de l’autre. Erreur fondamentale que de
regarder simultanément deux enfants dont les origines, les parcours, et les
buts sont génétiquement différents. Je suis né seul, je mourrai seul, et
entretemps je fais des rencontres. Mais je n’ai pas de parallélisme
permanent à établir avec l’autre, ni
avec la moyenne des autres. Or, c’est ce
que propose maintenant de la naissance à la mort la bienveillante – croit-elle être – société en perpétuelle
évaluation de nos faits, actes, voire pensées ; et même en chiffrage de
nos dispositions structurelles à pouvoir ou ne pas pouvoir naitre, apprendre,
engendrer, travailler, être heureux, mourir à temps prévu par la moyenne. Les
mots employés insistent, si l’on en doutait encore, qu’il s’agit bien d’un
bilan de santé, de compétences, bilan sanguin comme s’il s’agissait de la bottom line, la dernière ligne du bilan
comptable, qui dit si votre société gagne ou perd de l’argent, si « ma
petite entreprise moi & co » peut oui ou non continuer et obtenir oui
ou non un découvert bancaire. Les employeurs, mais il n’y a pas qu’eux, les futurs
conjoints aussi, n’hésitent plus à se procurer des statistiques chiffrés du
comportement de candidats envisagés. Cela ressemble au pesage des jockeys dans
les courses de chevaux. L’être est devenu une quantité. Par bonheur encore les
variations des destinées humaines n’ont pas toutes les mêmes exigences
d’excellence. On peut être bon pour ceci et mauvais pour cela. Mais l’introspection,
le phénomène en tant que possibilité introspective, est identique : on
mesure au sens d’additionner des éléments, au lieu de faire confiance, ne
serait-ce que pour un essai sur le résultat qui devrait être la seule chose
ayant droit d’être compté. L’individu en devient quelque part des colonnes de
chiffres dont on peut presque voir le graphique et qui donne une bonne ou une mauvaise
courbe, que l’on prendra ou que l’on rejettera. La méthodologie ne serait
qu’anecdotique si elle ne concernait que certains secteurs de la société. Les
secteurs marchands par exemple qui ont de toute façon mauvaise presse, et qui
ne se cachent pas que leurs but et moyens sont de compter. Le compte chez eux
doit toujours être bon et primer sans vergogne sur le reste. Difficile de leur
résister quand on a besoin de travailler sauf à traiter, de « con »
ce qu’elle n’aurait pas dû, le chef de service de ma fille caissière d’une
grande parfumerie des Champs Elysées parce qu’elle refusait que ses résultats
soient affichés et comparés avec ceux de
ses collègues. Anecdote d’il y a 20 ans, largement généralisée et plus
seulement dans le commerce. Le temps passé auprès du malade par l’infirmière va
bientôt valoir le temps qu’il faut pour changer un pneu de voiture. Encore
qu’il ne s’agit là que de gestes en aval de l’individu qui en est le
manipulateur. Mais justement, très vite en remontant en amont, le contrôle
détecte d’où vient la différence, qui ne peut forcément venir que de l’opérateur,
de l’acteur. Les dispositions
prédisposent l’accomplissement de l’acte, spécialisent les individus, pour
qu’ils ne soient plus qu’une partie divisée de l’œuvre à accomplir. Le travail
fordiste à la chaîne accapare un seul geste des bras pour que l’habitude et
l’optimisation gestuelle ne rencontre toujours que le même point d’impact. La
sollicitation des seules caractéristiques, arithmétiquement répétitives,
organise notre cerveau en circuit court, sans passage par d’inutiles points de
réflexion ou d’interrogation. La quantification séparative des caractéristiques
de notre individu pratique une discrimination de notre personnalité. La
méthode, et je le dis en choquant, ressemble au comptage des dents des esclaves
attestant qu’ils seraient de long usage. Nous nous y laissons faire parce que à
la sortie il y va, oui ou non, de notre accessibilité au marché du travail,
nous donnant pouvoir d’achat et donc moyen de vivre nous et notre
famille ; il y va de notre éligibilité à la reconnaissance sociale ;
hors de notre famille et amis proches je l’espère. Il y va de notre évaluation
à être considéré comme citoyen non dangereux, il y va de notre santé soigné par
un système comptable qui mesure en permanence état et prescription de ceux
qu’elle assure et assiste. Le raisonnement peut se poursuivre à l’infini et il
continuera, encouragé par la miniaturisation, la numérisation, l’instantanéité
des technologies de savoir tout en temps réel sur nous. La seule réponse incantatoire de la hantise d’un Big Brother
est insuffisante tant la brèche n’est pas que l’œuvre du Mal. Il y a progrès
déterminant à savoir à l’avance afin de prévenir et guérir. Les 5 % d’enfants
morts à la naissance il y a un siècle auraient
préféré être dans le 1 pour mille de risque qui est le cas aujourd’hui ;
dont on peut dire merci à toutes les investigations et connaissances
détectables maintenant alors qu’elles ne l’étaient pas. Les connaissances, pour
quoi en faire, est la question qu’il faut sans cesse se poser ou reposer, au
fur et à mesure que la dite connaissance progresse dans une horreur du vide de
réponse. L’économie a compris le fossé béant du vide que représentait l’absence
du monde humaniste-philosophique, ou sagesse si l’on veut, pour répondre à ce
qu’il faut faire des avancées de la connaissance. Dans tous les domaines
l’économie s’engouffre et propose de nouveaux outils ustensiles de vie dès lors
qu’elle connait les chiffres des futurs usagers : quel âge, combien de
fois par semaine, de quelle couleur, avec quel goût ? Le tout en chiffres
pouvant entrer dans un tableau, avec multiplication par le prix pour savoir
avec sureté ce qu’il y a à gagner. Le circuit de l’information, par cette
création de profit, part dans les moindres interstices de l’individu vous et
moi, qui nous sommes laissés mesurer quantifier et ranger dans ce que l’on
appelle aujourd’hui une banque de données. Des particules informationnelles de
nous-mêmes sont prélevées à notre insu, puis stockées et revendues avant de
nous revenir en objet de désir que notre impulsion ne pourra que saisir puisque
correspondant si bien à notre matrice. Sommes-nous volontaires dans ce tour de
passe-passe ? Il se peut. Etre interviewé, ausculté, jaugé peut flatter
notre moi voire notre respectable individualité. A la question respectablement
posée « votre avis nous intéresse », comme il est courant de l’entendre
ou de le lire, il faut être mauvais coucheur ou associable incurable pour
renvoyer le questionneur. Le jeu sociétal nous invite et nous flatte dans
l’échange si nous restons maitres des intrusions, même de bonne foi, dans notre
individualité. L’autre a le droit de vous demander votre pensée en tant que
sortie de votre réflexion ; mais il – cet autre – est intrusif s’il teste
et mesure votre manière d’arriver à cette conclusion. C’est à nous de dire stop
avant, de ne pas se laisser remonter dans le mécanisme de la formation de nos
actes. L’autre, ce questionneur, vient de tous les horizons de notre société,
ayant pour le moment pris le pli définitif de savoir qui nous sommes, pour pouvoir
nous gérer, nous administrer dans un but au demeurant humain de nous assister,
distribuer, secourir. La somme, ou plutôt le volume des données recueillies,
est gigantesque. Sa fiabilité est globalement indiscutable puisque prélevée à
la source des observés. C’est un paysage de gabegie, de surabondance numéraire,
ne laissant plus un instant ni une place à la fleur libre du commentaire, de la
nuance, du contrechamp. Le monde s’est-il fait jusqu’ici, jusqu’il y a 200 ans
disons, à coup de chiffres ? Les êtres n’étaient pas aussi repérables, les
doigts de la main et les bouliers n’avaient pas la capacité de nos ordis, les
transports insécures ne garantissaient pas l’arrivée à bon port des données. Le
temps était laissé au temps et aux êtres d’apparaitre en chair avant d’arriver
en chiffres. Les personnages qui ont façonné ce temps, oh combien construit,
avant que d’en dire si c’était bien ou mal, parlaient peu de chiffres mais de
projets en grandes envolées lyriques. Lyrisme à raison fustigé aujourd’hui où
les médiums exigent des chiffres, rien que des chiffres, sans s’apercevoir du
ridicule atteint dans ce paroxysme. Sans prêter à sourire ni à s’en sentir
ridicule, un président de la république a répété dix huit mois durant, mais en
vain, baisser les chiffres du chômage ; alors que c’est l’individu, individuellement
concerné, qui souffre dans sa chair et dans sa dignité de son absence de
travail. Il n’a que faire du « chiffre » du chômage ! Le
concerne seulement si lui, et ceux dans sa situation, vont trouver des mesures
politiques et sociales permettant qu’il soit embauché. Le chiffre ici comme
ailleurs n’est que résultat ponctuel, en plus ou en moins, d’une situation
conjoncturelle. A ce niveau de responsabilité l’abus du chiffre montre le dévoiement
de ses buts dans lequel est tombée l’institution de la société du nombre.
Alors que, j’en suis sur le discours, la
parole présidentielle de compréhension aurait eu un impact chaleureux sur le
même individu chômeur. Ce rapport, du un au tout, est une projection difficile
à se mettre dans la tête. Comment comprendre que un tout, n’importe quel tout,
n’est que la somme de « un »(s) individuellement additionnés, 1+1,
comme des cubes qui s’empilent, comme des dominos qui se joignent.
« Toute » somme qui oublie en cours de route l’individualité des
petits un(s) qu’elle représente faillit à sa mission. Elle n’est plus
démocratique pouvoir par le peuple qui n’est que tous + moi additionnés. Si la
somme devient masse d’individus indistincts elle se et nous trompe. Elle est,
même si le mot fera hurler, totalitarisme bien nommé avec donc son prédominant
« total » suivi d’une manière de faire ou d’être en « isme ».
La démocratie n’a pas encore trouvé le bon moyen d’écouter la partition
individuelle de chacun pour en faire un ensemble orchestral harmonieux. Le totalitarisme
capte mieux le ressenti individuel mais l’enrôle et le régimente ensuite dans
des idéologies communautaires stigmatisant l’autre communauté comme l’ennemi à
abattre. La supériorité devient le fer de lance d’une civilisation contre une
autre civilisation, tout aussi dans l’erreur de se croire supérieure elle
aussi. Alors que ramené à l’individu il
est peu probable que deux personnes seule à seule, face à face, aient l’esprit
ou la forme de s’affronter sur le sujet. Les querelles entre individus sont du
registre du caractère, du comportement mais pas de la nature de l’homme. Il y a
entre personnes simples une reconnaissance du droit à vivre de l’autre. Ce
n’est donc que la progressivité des représentations de nos individus qui nous
rend mauvais, idiot, inefficace voire agressif. Comment passer de UN à des
sommes de UN(s) sans qu’ils ne deviennent une bande de UNS, , une bande de cons.
Poussé à son paroxysme de notre communauté terrestre de nos 7 milliards
d’hommes l’universalisme est la question. Comment respecter chacun dans un
tout ? La question est peut-être mal posée si l’on commence, comme je le
fais, par employer des mots déclaratifs comme respect. Le respect se mérite, au
bout d’un processus permettant à chacun d’apprécier l’autre dans ce qu’il est
réellement. Pour ce faire, de bonnes conditions d’observation, de vue sur
l’autre, doivent être organisées. C’est par là qu’il faut commencer plutôt que
d’exiger ( de qui ?) pourquoi le
dit respect ! Commencer donc par le constat du parc humain (zoo ?)
dont nous sommes les animaux évolués, ainsi que l’écrit le philosophe allemand
décrié pour cette audace Peter Sloterdijk. Nous sommes caquetant dans la
basse-cour terrestre, y cherchant par notre propre bec d’abord pitance et
bonheur. L’urgence de l’organisation terrestre, de l’universalisme si l’on veut
prendre quelque hauteur, est de faire en sorte que nourriture et capacité de
désir soient disponibles pour tous, dans une offre d’égalité de chance pour y
accéder ; ce qui est tout à fait différent d’une distribution en quantité
exactement égale pour tous. L’accès aux ressources de manger et d’être heureux,
dans ce que nos savons, et ce n’est pas des mots du bonheur, cet accès est possible.
Nous savons que la terre peut produire assez de nourriture, nous savons que
l’espace physique et le lien social peuvent entretenir le bonheur. C’est déjà
une bonne base de savoir que les ressources ne manquent pas. Notre travail
d’hommes est d’organiser la liaison entre, les besoins et les désirs
individuels de chacun, et, les stocks de denrées physiques et intellectuelles à
se répartir. La division arithmétique simpliste, en partie égale pour chacun,
ne marche pas. Constat très dur à avaler. Vision amère de nos états
différentiels aussi bien à être honnêtes producteurs de ces denrées œuvre de
notre travail car elles ne tombent pas du ciel. Vision amère de nos états différentiels à être aussi d’honnêtes jouisseurs de ces
bénéfiques denrées ? Oui, nous ne jouissons pas tous de la même façon,
nous n’avons pas tous les mêmes besoins, nous ne projetons pas tous la même
vision. Et pourtant ces chacun(s) de nous producteurs et jouisseurs ont le
droit d’être ce qu’ils sont dans le périmètre de leur individualité : ils
ne peuvent demander aux autres de fournir un comportement, de producteur ou de
jouisseur qu’ils ne veulent pas avoir eux-mêmes. Là encore, à un plan
strictement et basiquement individuel, on ne voit jamais deux individus seul à
seul face à face exiger de l’autre ce que lui-même ne donnerait pas à sa place.
Il n’y a pas de progressivité de représentation pour déformer les aspirations
individuelles honnêtes vers des idéologies grossières et globalisantes. La rengaine,
qui sonne bien, que les riches doivent payer, ou que l’ennemi est la finance,
est un attrape mouches ou couillons qui flatte l’oreille mais qui ne peut aller
à l’intelligence. Car en effet on fera payer le riche une seule fois vu
qu’après avoir payé n’étant plus riche il ne pourra plus être ce riche désigné.
De même la finance, qui ne paiera qu’une seule fois, puisque ayant payé elle
disparaitra. Ainsi l’organisation des rapports d’aspiration aux denrées
physiques et intellectuelles est autrement plus compliquée que le jeu de
massacre de l’autre dont nous amusent en écran de fumée nos élites gouvernantes.
Compliqué ne me plait pas parce qu’il justifie le palliatif actuel de ne pas pouvoir
faire autrement. Il ne semble pas avoir de solutions si l’on garde l’idée de
mettre les individus en commun, avec des règles coercitives pour qu’ils soient
égaux et pareils alors que leurs natures individuelles sont inégales et
différentes. Il faut repartir de la spécificité de chacune des pièces du puzzle
pour recomposer le grand paysage, qui à ce moment seulement d’achèvement et de
stabilité – attention le monde bouge et le puzzle peut s’écrouler – méritera le
nom d’universel. L’invention nécessaire est la reconnaissance de chacun de nous
en tant que pièce du puzzle, concret
carton capable de s’enchevêtrer dans les autres pièces, illustration
fractionnée d’un paysage du grand tout universel en formation permanente. Les
mots dans leur envolée feront sourire alors qu’il ne s’agit que d’un processus
simple d’identification de chacun de nous à ce moment « t »
spécifique de notre passage générationnel dans le déroulé en cours de
l’histoire. Prendre au polaroid instantané ce que nous sommes par l’inné
immuable et l’acquis éducationnel en cours…d’acquisition. Nous voici, comme au
temps de l’ancien conseil de révision pour les hommes qui examinait les
caractéristiques de l’individu du début de l’âge adulte, vers 18 ans je crois,
avant le service militaire. Cette photo de vous-même entre dans le fichier de
l’humanité en cours, pour les 60 ou 80 ans que nous avons à y vivre. Qu’y
sommes-nous ? Que pouvons-nous y faire ? Qu’y recherchons-nous ?
Simple constat ; mais quelle mine d’informations sur chaque être, puis
tous les êtres ensembles. Pas d’erreur possible puisque tout vient de relevés
opérés en un espace temps connu, sur une population du même âge donc dans des
évolutions comparables. En retour de cette information nous serait retournée
l’état du monde tel qu’il se trouve, l’état des êtres tel qu’il vient d’être
relevé, et par déduction, entre les deux, la place spécifique que nous pouvons prendre.
Chacun y trouvera sa place et une place qui ne serait pas forcément une exigence.
Elle s’épanouirait seulement dans un « ce que je suis » et un
« ce que je veux être » projeté dans un paysage de puzzle global y
montrant notre îlot où poser, où construire notre pièce du puzzle. La méthode
consiste à faire confiance à une cohérence du tout pour nous contenir sans que
nous ayons à nous pousser du coude, à pratiquer la loi de la jungle pour
prendre une place parce qu’il n’y en aurait pas assez pour tous. Le pari, qui
n’en est pas un mais plutôt une réalité économique, est qu’il y a assez de quoi
sur cette terre pour nourrir et rendre heureux tous les hommes. Le temps d’une
génération du moins, car si l’immortalité n’est pas définitivement à l’ordre scientifique
du jour, des poussées transhumanistes ou autres, étirent de 3 mois de plus
chaque année la durée de vie. Cinq , six
générations cohabitant en même temps demandent des aménagements de l’espace
temporel, spirituel, mental. En attendant l’équation de sept milliards
d’individus face à x milliards de tonnes de denrées et autant de particules
bonheur est une réalité. Notre challenge est de susciter que chacun y trouve sa
place épanouie sans frustration. Le procès d’utopie nous guette sitôt que nous explorons
le non tenté jusqu’ici. Certes mais ce qui a réellement été tenté lui peut se
voir, s’analyser et nous donner envie de s’y réessayer à nouveau. La distribution
égalitaire de tout vers tous, le communisme, s’est heurtée à la demande particulière
de chacun. Le laisser faire, le libéralisme, au gré des humeurs de chacun crée
des effets d’accumulation vers les riches et de rétrécissement vers les
pauvres. Entre ces deux expériences vécues, dont la dernière libérale toujours
en cours faute de mieux, il ne s’agit pas de choisir le juste milieu ou le
compromis. Parce que les deux écoles politico-économiques citées ont ou font
l’une comme l’autre ignorance de l’individu individuellement pris comme but de
satisfaction, en tant que jouisseur et but de production, en tant que
contributeur. L’un et l’autre système se comportent en bras de force sur les
individus qu’ils n’appréhendent que comme du numéraire, de l’unité de
consommation ou de production mise dans une masse. Cette ignorance dédaigneuse
de l’individu de base porte non seulement son immoralité, qui est affaire de
jugement, mais surtout comporte son erreur de marketing humain. Leur étude de
marché ne tient pas compte de cet humain si spécifique, si unique dans son
organisation personnelle impossible à dissoudre dans une organisation globale.
Les deux régimes, par leur passage en force sur cette aspiration propre à
chaque homme, font l’une comme l’autre des mécontents. Oser repartir d’un consentement
de l’homme individuel n’est pas une utopie
qui ne se nourrirait que d’éléments fictionnels. L’aspiration personnelle de
chaque homme est une réalité : ses caractéristiques, ses désirs, ses
capacités sont des données factuelles, constatables. Le propos est de s’en
servir au lieu de considérer qu’il faut les dominer. Par leur comportement les
deux systèmes l’un communiste l’autre capitaliste ne se sont installés que par
mesures de domination, même s’ils s’en défendent. Vouloir le bien des gens contre
leur gré vaut bien la liberté des gens à se débrouiller coûte que coûte. Dans
les ceux cas, une idée est dominante sur l’individu en lui disant comment se
comporter. Au contraire, l’inversion du parcours, partant de l’individu,
implique celui-ci dans une chaîne de responsabilité. Ayant constaté ce qu’il
était, ayant exprimé ce qu’il désirait, ayant été confronté aux champs des
possibles de l’ici et maintenant de sa génération, l’individu non dominé n’a
plus d’autre échappatoire pour courir sur la route que lui ; nul autre que
lui a dessiné sur le paysage global. Il est en quelque sorte en mission de
lui-même, en exécution de sa propre tâche dans un chantier dont il a en mains
les plans honnêtes. L’articulation pratique n’est floue que si on essaie de la
projeter dans nos institutions pyramidales d’organisation actuelle. La base du
bon constat identitaire de chacun est la clarté des informations qu’elle
contient, la transparence de leur transmission à autrui, la lecture dans les seules
significations qu’elle recouvre. L’information doit circuler entre intervenants
en totale intégrité de leur intention originelle. Ne pas faire dire à
l’individu, et à son expression individuelle, ce qu’ils n’ont pas pensé ou dit.
Que puisse, à partir de l’expression, s’enclencher immédiatement le
« moteur » qui clappe au cinéma l’action. Personne pour nous filtrer,
pour nous modérer, pour nous dévier. L’action en confiance. Tout ce que l’on
peut dire de nous, et je parle de nous ou de mon moi intime, s’arrête toujours
à ce que les mots arrivent à porter. En écoutant le flot des sons d’une langue
qui m’est totalement étrangère comme le suisse alémanique, je me demande toujours
comment des sentiments subtils exprimant l’amour par exemple peuvent se
transmettre dans ce véhicule guttural si barbare. Sans aller si loin dans
l’incompréhensible, mes propres mots s’arrêtent là où je n’en trouve plus ou
pas assez pour exprimer le profond de moi. Il nous passe dans le cœur, et dans
les sens, des souffles remontant au cerveau qui ne leur trouve pas de
vocabulaire. Notre ressenti est comme un halo, un nuage de ouate d’une intensité
si éblouissante qu’elle en paralyse les mots devenant rétrécis et donc infirmes
pour décrire. Plutôt que faillir mieux vaut s’abstenir car la transmission
affadie fige définitivement, par l’écrit ou l’oralité vers autrui, une
impression qui valait beaucoup mieux que cela. L’importance de notre parole ou
écrit circulant nous revient aux oreilles et aux yeux. Etre lu, écouté,
ressentir les mots que l’on relit et dès à présent font exister aux yeux de
l’autre. Et plus on réécrit plus on réexiste et devient dépendant comme une
laisse de chien, de la chaîne des mots que l’on juxtapose. Enfantillage que cet
ensorcellement des mots mais réalité de nous manifester. D’autres situations de
la vie sont occasion de ce florilège qu’est toujours, comme dans le cas
amoureux, une démonstration d‘être en cours d’existence. Par la parole dans nos
civilisations, alors que d’autres cultures manifestent par l‘ascèse, le silence,
la gestuelle. Ce sont toujours des manifestations de notre profonde et intime individualité.
Nous essayons de sortir de nous des halos complexes de subjectivité, d’objectivité,
de raisonnement, d’informations. Si l’on pouvait visualiser le phénomène
émanant il ressemblerait pour moi à un coucher de soleil, sur l’horizon dentelé
d’une ligne de montagne. Un univers de couleurs, de contraste, d’embrasement dont
on a l’impression qu’il veut dire quelque chose. Qu’un message personnel nous
est propulsé dans les yeux pour que, par nos sens remontés au cerveau, un spectacle
se forme dans notre tête. Ce qui se met en place est presque obligé d’aller directement
à notre imagination ; car la raison, et encore moins les mots adéquats, ne
sont là pour qualifier ces images qui nous percutent avec une rapidité d’extinction
nous obligeant à regarder seulement, et,
ne pas s’arrêter pour commentaires sur image. Cette instantanéité du beau
ou du laid, car c’est la même chose, est le cadeau à l’individu, dans sa
perception individuelle et très personnelle. Il est des lieux mythiques au
monde, en Grèce, à Grenade sur l’Alhambra, enfin il y en d’autres, où une conjonction terre-mer ou montagne
lieu provoque ce feu qui n’est pas d’artifice mais de réalité. D’un belvédère
les touristes admirent laissant échapper des « oh » ou des
« ah » qui ne sont que bêlement de troupeau car en nos fors intérieurs
nous saisissons des messages de beauté très fort, que nous n’arrivons pas à
raconter ou écrire. Pourtant cette forte impression s’inscrit dans notre mémoire
à jamais. Au point de resurgir très longtemps après, en des circonstances complétement
différentes comme une mémoire olfactive. Dans ce resurgissement de nos fumerolles
internes, telles celles d’un volcan, nous reviennent les pensées du moment
originel, comme si nous y étions. Pourtant il n’y a pas eu besoin ni de de
mots, d’écrits, de bandes magnétique ou de supports numériques. Tout ne s’est
passé que dans le circuit cérébral qui ne nous a même pas demandé la permission
de fonctionner. L’individu fait ainsi recel de labyrinthes dont nous ne
connaissons ni l’entrée ni la sortie ; mais dont on se doit de préserver
l’obscure épaisseur des buissons. L’inconnu, cet inconnu là à l’intérieur de
nous même, n’a pas vocation à être connu. Ce n’est pas un secret d‘alcôve à
préserver au nom de l’intimité ou de la vie sociale personnelle. C’est plus que
cela ! Ce sont les inattendus y compris et surtout pour nous même, un jardin
secret y compris pour que nous n’en cherchions pas le secret. C’est un laisser
faire de nous à laisser hors de notre contrôle. Il nous faut plus que
l’humilité pour accepter cette présence en nous susceptible de nous tenir tête,
de prendre parti, de nous contredire. Beaucoup n’accepte pas cette herbe folle
poussant et virevoltant contre notre gré. Beaucoup la coupe et prétende l‘avoir
éradiquée. Il leur faut avoir énormément d’inhibition pour penser ce
musellement possible. Il est de nous des éléments consubstantiels incontrôlables
que l’on peut seulement mettre en censure d‘expression ; mais pas en décapitation
d’être. Ce qui existe en nous parle, ou ne parle pas, mais existe toujours en
raison d’une fonction essentielle indispensable à notre survie, notre maintien
en vie. L’individu de raison fonctionne en éléments de machines, assemblées de manière
personnelle pour chacun de nous. La diversité de nos assemblages nous rend à
nul autre pareil, mais dans un schéma mécanique global similaire pour tous.
Tous différents, mais ramant dans le même sens de la galère. La subtile division
extraordinaire en tant qu’individu a besoin de cet univers du non exprimable, de
non contrôlable pour être finalement et durablement le seul individu qui compte,
lui, lui seul. A un point si sophistiqué d’individualisation, que même lui, au
premier chef concerné et se croyant acteur plénipotentiaire de lui, ne sait
pas. Notre paquetage individuel ne nous est pas complément dévoilé ; inaccessible
donc inconnu. Nous n’en constatons que les effets. Le plus en dedans du
phénomène ne nous est pas accessible. Non point que ce serait dangereux. Non,
c’est tout simplement un code d’accès qui ne fait pas partie de notre boîte à
outils d’humains, alors que le produit fini est bien le notre fait pour
nous ; mais sans savoir comment. Je n’ai ni explications physiques et
encore moins morales. Seul m’intéresse le confort unique pour nous seulement qui
nous en enveloppe. C’est comme une eau de bain à 37 °, dont on ne sait de
quelles particules elle est composée, et dont on a que faire de le savoir.
L’important est la saveur du ressenti absolument non stockable dans des cases
de la normalité ou de la capacité d’être échangées. C’est notre cave à vins
personnelle dont nous n’avons ni la clé ni le tire-bouchon. L’étrangeté de cet
hermétisme a déjà du susciter la convoitise de ceux, comme moi, qui cherchent
mais n’exigent pas de voir et d’avoir. L’intrigue en vaut en effet la peine,
avec surcroit cette part de découverte
d’idées inconnues au cours de telles explorations. Les œuvres d’art graphiques,
musicales, livresques, sont quelquefois des objets dans des terres inconnues du
rationnel grâce au transport que se donnent d’hallucinogènes voyageurs. La
tentation de comprendre le phénomène et de le reproduire à volonté va augmenter
à la mesure d’avances technologiques en cours et futur pour détecter et pister
tout ce qui se passe en nous. On ira très loin et on s’en approchera jusqu’à un
point d’interrogation qui sera de se dire « mais pourquoi ? » L’individu,
du plus simple au plus intelligent ou sophistiqué, est doté d’un quant à lui, un
quant à soi, qui intrinsèquement revendique une part de non vendable, de non copiable
de lui-même. Le pauvre comme le riche ont cette revendication. Le chinois comme
le finlandais. Le plus grand des sages comme la dernière des putains. Une
forteresse inaccessible à nous-mêmes nous protège au-delà de la raison dans un
basique instinct de survie, de « pas touche » y compris par nous-mêmes.
Ce recoin là est indébusquable, informulable, non volable parce qu’il n’est pas
du périmètre matériel identifiable, avec une entrée et une sortie qu’il suffirait
de repérer pour que nous même ou quiconque intrus y pénétrions. Et c’est là que
se forme ce fameux non-dit, non écrit, dont je suis parti pour essayer de
débusquer cette infinité de mots à exprimer le profond. Je trouve que c’est une
très belle histoire parce qu’elle est celle de chacun d’entre nous. La vision
me vient de ce que pourrait être le spectacle du monde où se dérouleraient en
sons et en images ces impressions inexprimables par les mots ou l’écrit. Ce
serait un festival de nuages, de couchers de soleil, d’aurores boréales, de
chutes du Niagara ou d’Iguaçu, de pics du Machu Pichu formant comédie de toutes
nos intenses révélations. Peut-être, s’il devait exister, ce serait là le
Paradis rencontre de tous les humains, se révélant les uns les autres et
enfin leurs individualités. Entretemps
il nous faut vivre avec ce que nous savons de nous-mêmes, ce que nous acceptons
d’en dire dans le cadre de notre participation obligatoire à une société, et
enfin cette part dont nous ne savons pas comment elle fonctionne mais dont nous
voyons la fonction d’être notre identité imprescriptible. Même si nous n’avons
aucune prise pour modifier ce phénomène nous avons par contre devoir d’hygiène
et de motivation. La fonction n’existe que si l’on s’en sert. Elle ne peut
disparaitre mais nous ne nous la verrions plus si nous ne l’encourageons pas à
nous parler. C’est une poésie en nous qu’il faut aimer et écouter avec
sensibilité puisque ce n’est pas par les mots qu’elle nous parvient, mais par
les sens. On pourrait dire aussi de laisser se jouer en nous cette subtile
musique, sans essayer d’en décoder le rythme ni les instruments. Simplement en
laissant se déposer en nous sa saveur puisque telle n’est pas notre intention
d’en connaitre la recette que nous ne cherchons pas à reproduire. A ce point de
dernière poussière de nous-mêmes il ne sera jamais éthiquement convenable de
parvenir. Toucher à ce point ressemblerait à appuyer sur notre bouton
d’autodestruction. Mieux vaut ne pas exister s’il ne nous est plus possible de
receler cette semence indescriptible, porteuse, au-delà de notre conscient, de
notre ultime nous-mêmes. Individu final là tu es ! Il n’est pas en ton
pouvoir de t’en dire que tu veux le vendre ou le garder. C’est un toi contre
toi. Tu n’y peux rien. C’est lui qui peut pour toi et qui vient de te laisser
l’outrecuidance liberté de gausser à son sujet, comme s’il était ta chose,
comme s’il était un membre de ton corps commandé par les nerfs et les muscles,
coordonnés par ton cerveau. Ce n’est pas pour autant un fantôme visiteur de tes
antres sans crier gare. Parfaitement connu et partie prenante, il est de toi
l’acteur de l’inexprimable, que tu ne peux pour autant montrer ni aux uns ni
aux autres, surtout pas aux autres, ni à toi non plus. Fascinante destinée que
celle de cet ami de l’ombre, omni puissant, quasi absent, indestructible,
irrévérencieux, anachronique : rien que des qualités de surprise pour nous
dire que nous existons, avant et après le rationnel, dans un paradis bien
terrestre à entretenir de notre foi
d’individu en nous. Ma vie est un serpentin coloré, apparu à une porte du
labyrinthe ressemblant au ventre de ma mère, et courant vers une sortie planche
du haut d’un cercueil. Ces détails matériels illustrent, dans leur basique
trivialité, le parcours inéluctable. Aucun artifice de l’esprit ne peut nous
éviter ce passage par ces deux points extrêmes. Et pourtant entre temps que de
circonvolutions va pouvoir et devoir se permettre ce serpentin au papier
fragile mais néanmoins solide pour nous emmener du début à la fin.
L’inextricabilité de ce ruban de papier
est bonne métaphore de ce qu’est notre parcours qui s’en va, qui s’emmêle,
se démêle, et que nous seuls pouvons tirer au clair. Imaginons qu’il ne fut pas
souple mais rigide ! Il casserait très vite ! Supposons que son
parcours soit inscrit dans une visibilité par tous ! Il ne serait plus le
nôtre mais une espèce de véhicule de location qui nous serait provisoirement
prêté ! Cette ondulation de tous
nos segments de vie par ce ruban réunis représente 1440 instants (minutes) par
jour, 524.600 par an, 42.048.000 pour notre vie. La figuration de ces 42
millions de tranches de vie d’une minute est hallucinante pour se figurer
autant combien de fois le serpentin de notre parcours a tournicoté autour de
nous, autour des autres, autour de tous les éléments du monde. Comme une pelote
de laine dont le fil s’est recroquevillé, entouré en boule de neige ouateuse
sur lui-même jusqu’à en former un doux habitacle permanent et unique :
notre nid individuel. La complexité du phénomène, y compris dans ma difficulté
à en faire description, est porteuse de multiples messages significatifs. Tout
d’abord un effet subjugué devant la sophistication du processus. On n’arrive
pas à imaginer l’explication de toutes ces étapes de la vie, à la fois
conflictuelles et concomitantes, puisque à la fin elles sont toujours dans la
continuité de ce même serpentin. Ensuite un sentiment d’humilité de ne pas se
sentir capable de copie, d’imiter et de reconstruire le labyrinthe. Quoique,
pour anecdote purement contradictoire, le stockage de nos mouvements de relation
sur les réseaux sociaux et sur le net va permettre d’étonnantes reconstitutions
de nos segments de vie. Tout ce que nous laissons en trace sur les réseaux peut
reconstruire de nous un « avatar », bien imparfait mais assez
conforme, pour la partie que nous avons laissé s’archiver. Mais de là à revoir
le film entier de notre vie il y a loin, et même il y a vide, puisque notre
serpentin est geste mais aussi idée et sentiments quant à eux impossible à
retrouver. Autre signification, de loin la plus forte pour moi, est l’imprévisibilité du déroulement de ce
serpent animé alors que nous sommes toujours
dedans, dessus ; sans que nous puissions dire que nous en sommes
aux commandes. Comme dans ces grands manèges, où d’ailleurs c’est un serpent ou
dragon sur lequel on s’agrippe et qui vous emmène dans son tunnel de frayeur et
d’éblouissement. Nous nous confions, en confiance et sans autre alternative, à
cette force de vie qui va nous emmener dans tous les horizons de la rencontre,
nous montrant et quelquefois nous y proposant halte, montagne, mer plage
paradisiaque, ténèbres catastrophiques, gens merveilleux, gens odieux, amour à
nouveau, enthousiasme, déception. Le paysage ne cesse de défiler, de changer.
Nous croyons pouvoir nous y arrêter en spectateur ou en acteur. L’envie souvent
nous prend d’y porter plus que le regard mais déjà le jugement. Bientôt le
désir de le changer. De se l‘approprier. Le temps de notre réflexion et ce temps
court est déjà passé, nous laissant ici désynchronisé par rapport au seul temps
qui passe, avec le serpentin souple mais fragile de notre destin très limité.
Nos entreprises n’ont de toute façon, dans la jouissance que nous pouvons en
faire, que le temps de nos 80 ans de vie. Ce qui est très court et donc très
peu englobant du grand tout des choses qui constituent la vie. Plus circonscrit
aux segments constatables de nos vies, ce que nous pouvons réellement nous
approprier est réellement fugace. Les propriétés que l’on croit posséder ne
sont que de concessions de lois locales artificielles. Les unions y compris le
mariage sont des accords de société ne garantissant pas que notre conjoint
légal nous appartienne. Quitte à en avoir le vertige, si l’on y songe sans les
artifices des us, coutumes et effets éducationnels, nous n’avons rien d’autre que
cette vitalité, capacité d’être en vie, nous permettant de rester en selle sur le serpent
ondulant et rapide. Nous n’avons rien sur lequel étendre la main de manière
possessive ; mais nous avons le regard et tous les sens pour jouir de ce
qui passe à toute vitesse devant nous. Ce spectacle est une alchimie
d’ingrédients communs à tous les individus mais qui nous est présenté en VO,
Version Originale, rien que pour nous, pour notre individualité. Chaque
originalité que nous y voyons, chaque rencontre dont nous jouissons, est d’une
pureté originelle. C’est une conjonction unique, une rencontre individuelle de ce
qui existe autour de nous et de ce qui existe en nous. Nous pouvons nous en
fermer les yeux et nous en boucher les sens mais cela n’empêchera pas le face à
face, le choc de la rencontre d’avoir lieu. De près, si nous y participons, de
loin si nous nous y refusons, la fusion a lieu et modifie notre état d’être et
des choses. L’instant de notre serpentin de vie est aussi fondé, constitué à
jamais dans le tréfonds de notre patrimoine d’acquis sur terre. Fort
heureusement nous ne sommes pas toujours aussi activement sollicités par
l’événement. Les événements se suivent sans que notre matière grise consciente
en soit interpellée. Le circuit court de nos instincts travaille en continu,
alors que nous pouvons nous reposer sur ses bonnes dispositions. A condition
que les temps éveillés soient vigilants et motivants, pour nous alimenter en
saine attitude de savoir vivre penser, agir. Il y a bonne nature de nous que si
nous en organisons l’entretien. Garder l’œil ouvert n’est rien d’autre que de
rester en disponibilité à ce spectacle du monde en show permanent devant nous.
Les anglo-saxons disent après un événement douloureux et avec un contraste
triste opposé à joie déconcertante the
show must go on , le spectacle doit continuer. C’est une invitation
d’une extraordinaire évidence à remonter tout le temps dans le train de la vie,
sur le serpent-dragon du manège. Ou bien encore une incitation à re-prendre la
place toujours et encore dans la nacelle du téléski qui passe et repasse
inlassablement, avec l’insouciance d’être vide ou pleine de passagers. Ou bien,
la grande roue imperturbable, tournant dans le froid de la place, mais capable
de montrer l’envolée de son possible à l’audacieuse qui montera et bravera ses
craintes. Autant d’images exemples ou métaphores pour souligner, et presque
crier, qu’il y a toujours et tout le temps la possibilité de monter à bord de
la spirale serpentine de la vie Nous y
sommes de toute façon toujours pris ; même, si nous n’y ouvrons pas les
yeux et les sens en cabine volets fermés avec en plus le désagréable du
mouvement dont nous ne voyons pas quel est le sens de la démarche c'est-à-dire
vers quoi il nous emmène. Que de significations donc que ce serpentin dont
j’essaie de saisir le rôle acteur et spectateur qu’il fait de moi, dans un spectacle
unique. Ce qui est sûr, et qui fait l’objet de l’insistance de ma description elliptique,
c’est que le spectacle n’est que pour moi, n’est que avec moi. Sans aucune
perspective craintive qu’il puisse m’en être dépossédé, ou plutôt le terme
serait moins possessif, sans menace que j’en sois hors jeu. Car l’originalité
du spectacle est qu’il a besoin de moi et de nous tous pour continuer. A l’instar
de certains nouveaux jeux vidéo composés de milliers de possibilités d’actions
ou de combinaisons d’actions, qui attendent nos instructions. Le jeu a besoin
de nous pour continuer, voire qu’il a besoin de nous pour exister. Cette
convocation de notre individu à ce grand jeu du monde ne veut aller trop loin
dans des racines et des ailes spirituelles. Non point qu’elles existent ou
qu’elles n’existent pas. Mais justement il est du ressort de la partition,
qu’il lit à sa façon, de chacun de nous d’interpréter sa musique vers le très
haut ou le très bas du néant. Haut ou Bas sont des buts que personne n’a jamais
vus et ne peut par conséquent pas parler. Alors que le voyage, que l’on peut
appeler initiatique, dans le chemin du monde vers ce que l’on veut de Haut de
Bas, ou de Nulle Part, est un Désir personnel. La modulation de ce Désir est un
confort au sens de manière de conduire son véhicule dans le serpentin de la
vie. On peut y vouloir des sensations fortes, des relations douces, des continuations,
des ruptures. Ce ne seront que des emménagements circonstanciés à notre
ergonomie comme si nous ajustions la hauteur du volant et l’inclinaison du
siège de notre véhicule. Cela ne change fondamentalement pas les paysages de la
route, la puissance du moteur. Il nous est toujours demandé d’être homme ;
tantôt au volant d’un camion bourré de nitroglycérine sur une roue tortueuse du
« salaire de la peur » (très beau film) ; tantôt au volant de la
voiture des vacances sur la route Nationale 7 (Charles Trenet, très belle chanson)
du bonheur. Toujours nous devons être nous, dans une confrontation de l’instantané :
spectacle unique de l’instant pour homme unique du même instant
« t ». Personnellement je me pince pour ne pas être naïvement dupe de
ce miracle de l’instant. L’entourage social me ridiculise gentiment de mes
extases, de mes confidences subjuguées. Sans doute je ne les raconte pas assez
bien sinon ils devraient en être enrôlés. Je ne les crois pas moins doués de
perceptions. Peut-être sont-ils plus socialement conventionnés pour ne pas dire
blasés. Et pourtant ils peuvent voir comme moi les phénomènes existant, puisque
le monde, avec ou sans leur acquiescement blasé ou enthousiaste, tourne ;
et cela est un fait. La conscience de plus de monde à la réalité de ces chances à saisir n’est pas une affaire
missionnaire dont il faut convaincre ses contemporains. Il y va beaucoup plus
d’une sollicitation à ce que plus de nous aient une emprise positive et active
sur le monde. La somme des serpentins du monde a besoin vital que le maximum y participe
de manière proactive et non passive et attentiste. Le spectacle a besoin
qu’acteurs et spectateurs se congratulent, s’applaudissent. Notre enthousiasme
est auto constructif de notre bien être. Ainsi se crée la valeur ajoutée
produits matériels et bonheur. La description mécanique de ce serpentin, en
évitant quelque détour spirituel ou ésotérique, montre qu’il s’agit d’une
chaîne non coercitive de liaison de cause à effet. Nous produisons ce que nous
donnons dans un chantier, dont il ne nous appartient pas de sélectionner ni les
matériaux, ni l’architecture, ni la signification de la construction, ni les
ouvriers. Nous sommes outils bienveillants, c'est-à-dire prêt à tout, et outils
bien faisant, c'est-à-dire appliqués et compétents. C’est le sens et le poids
de nos pas, sur le chemin, qui nous fait joie des nouvelles découvertes et
perspectives du paysage. Nous croyons parfois, et un instant, être arrivé à un
moment de réussite que nous aimerions et laisserions tenté à appeler
« nôtre ». Il n’en est rien. Nous n’avons fait que suivre notre
serpentin en confiance qu’il connait parce qu’il est, dans sa continuité, la
seule piste que nous pouvons emprunter, sur laquelle nous ne pouvons qu’être.
Le dévouement de notre serpentin de vie n’est pas qu’une servitude active,
puisque nous sommes ici bien d’accord pour qu’elle ne soit pas passive. Le
caractère inéluctable de notre parcours serpenté n’en empêche pas la fantaisie.
D’abord par un laisser-aller de nous même qui ouvre la voie à l’irruption de
choses spontanés et inattendues, que l’on accueille en bonne foi qu’elles
seront bonnes pour nous. Puis ensuite par une mobilisation de l’énergie vers
des objets de désir. Par des « envies de », quel que soit le bien fondé.
Il faut s’y attarder un peu, et partager le constat primaire, que sans désir la
vie n’existe pas. Quiconque se lève avec une petite envie, au-delà du besoin,
de ce qu’il voudrait qu’il arrive dans sa journée. Petite réalisation matérielle,
minime satisfaction morale, grandiose épopée, gain au loto ? Qu’importe
les exemples, qui ne sont là que pour montrer tout ce qui nous passe par la
tête et que, ayant la noblesse de passer par notre tête, la nôtre et non celle
d’un autre, ils sont honorables. Y compris les inclinaisons de nos sentiments
qui ont le droit, et ils ne nous le demandent justement pas, de nous
interpeller et de nous dire « je voudrais ceci » ou « si je le pouvais
je ferais cela ». Toutes ces questions, dans le parcours cérébral, ont liberté
de venir à notre questionnement. C’est en cela que nous sommes des êtres
humains ; parce que nous laissons le champ interrogatif venir à nous et
parce que nous l’accueillons ensuite et dirigeons dans notre champ de la raison.
Il est essentiel de ne rien filtrer au niveau de la perception, parce que ce
qui demande à entrer frappera et refrappera encore et encore tant que nous ne
lui répondrons pas ce que nous en faisons. Je ne sais la signification du titre
de film « Un Tramway nommé Désir » mais le moyen de transport m’indique que le
Désir revient toujours. Il revient pour la raison qu’il est juste et pur. Il
est la graine semence naturelle qui émerge de notre terrain de la vie. Nos
actes, nos expériences, nos résultats succès ou échecs, notre inné aussi, sont
un permanent bassin de décantation, ou plus sulfureux, un volcan en ébullition,
qui dégage des fumerolles et des larves nommées elles aussi « désir(s) ».
Bouillonnantes, brûlantes, intouchables tout de suite si nous voulons les
saisir au bond. Mais de même que insaisissables elles sont aussi
indébarrassables. Elles sont bien là le fruit de notre évolution, à la
recherche que nous leur donnions satisfaction. Souvent les questions qu’elles
nous posent sont abruptes, radicales, sans circonstances de notre civilité du
moment. Sommes-nous heureux ? Voulons-nous une nuit d’amour avec la plus
belle fille, ou le plus beau garçon, du monde ? Voulons-nous être
riches ? Par ces exagérations il faut comprendre que tout peut nous
arriver. Cà arrive bien aux autres simples quidams comme nous au moment de leur
vie où ces questions leur sont tombées dessus. Et ils ont d’une manière ou
d’une autre, parce que nous n’étions pas dans leur tête, répondu OUI. Oui ; dès lors le Désir n’est pas une
supercherie réservée aux gens riches ou aux surhommes. Le Désir fait partie de
toutes les vies. Aucune de nos vies, même prise au niveau le plus infiniment
petit, n’est exclue par ce traçage nommé Désir. Sur le serpentin de nos vies le
désir est peut-être ce qu’est la ligne jaune, ou blanche maintenant, tracée en
pointillés, segment discontinu, indiquant que l’on peut dépasser ou ne pas
dépasser ici ou là. Selon le contour de la route, l’étroitesse, la visibilité,
la rudesse de la pente ou de la montée. C’est un appel à l’élan moteur d’autant
plus significatif qu’il indique en quelque sorte que la voie est libre si nous
mettons les gaz, si nous appuyons fermement sur l’accélérateur. Le désir est un
bien qui se présente à nous, forcément, pour que nous songions à le réaliser.
Notre appréciation de faire ou de ne pas faire est de notre totale liberté, et
sans qu’il y ait jugement de valeur de notre paresse si nous ne le réalisons pas ou si nous ne
l’envisageons pas. Le désir est un programme, actif et même distinctif qui nous
est proposé sans obligation d’achat. C’est un teasing subtil qui, sachant tout
de ce qu’est notre vie individuelle et de ce qu’est l’univers total autour de
nous, se permet de nous inciter à prendre le billet gagnant premier pas de
réalisation de ce désir proposé. L’adéquation à notre cas y est mathématique
dans sa présentation théorique. Théoriquement, nous dit le désir « tu peux
envisager ceci ou cela » ; mais pratiquement il ne nous dit pas
« tu dois faire ceci ou cela ». Le pas que le Désir ne franchit
jamais c’est d’anticiper notre choix en tuant notre liberté de lui dire oui ou non.
Extraordinaire entremise ; apanage je crois que du seul genre humain.
Pouvoir mais ne pas être obligé de vouloir. Sans qu’il ne nous soit tenu
rigueur de ne pas saisir l’opportunité de ce que l’on n’appelle pas chance, opposable
en jugement de valeur à malchance. C’est à croire que, dans la grande
coordination à supposer qu’elle soit nécessaire de tous les désirs de chacun de
nous dans le monde, il y ait une sélection naturelle de désireux et de non
désireux, de sorte que trop de désirs ne deviennent mondial embouteillage. Pur
problème logistique qui aurait sa solution et n’est pas un problème de
comportement individuel au cœur de mon propos. En résumé il nous est offert régulièrement,
sur un plateau, à accueillir ou à refuser, le cadeau du désir. Ayant, je
l’espère, appris à comprendre qu’il s’agissait de toute façon d’un bon
désir nous devons pour le moins le tenir en courtoise considération ;
ainsi qu’il s’agirait d’un bon ami, même si un peu intrusif, envahissant, qui
viendrait nous proposer gentiment un service, un bon tuyau. Il faut l’écouter
sans appréhension qu’un mal sournois y serait anguillé sous roche. Pourtant
l’irrationnel de ce désir nous fait douter de son bien fondé, tant en tant que nécessité que par qualité de
notre personne pour en être gratifié. Désir n’est absolument besoin primaire ou
secondaire s’imposant sans besoins de raison à nos instincts. Désir est un
nuage matériellement insaisissable de séduction de ce dont nous n’avons pas
encore besoin en tant que nécessité vitale. Le désir vient flatter, caresser,
une potentialité que nous avons en nous. Impossible d’en éviter le caractère
séducteur, évoquant un dépassement de nos sentiments normaux en particulier et
de notre normalité comportementale en
général. Très rapidement, il évoque en nous un appel au changement de vie, de
pensée, d’action, minime moyen ou total. Le message du désir invective notre
moi profond en lui disant « tu es capable de cela si tu le veux » et
provoque une montée de bonheur dans notre égo ainsi appelé à se dépasser. Nous
n’y avions pas songé avant, non pas par manque d’imagination naturelle dont
notre parcours serpent de vie est doté. Nous avions simplement accepté
jusqu’ici des règles sociales morales ou éthiques comprises dans un état
statistique et non susceptible de révision par la réflexion. Règles de vie en
société souvent, comme la fidélité, mais surtout habitudes personnelles par paresse
ou train-train de réemprunter toujours le même parcours réflexif, de toujours
faire comme ci quand çà arrive comme çà.
Rien de méchant ni de répréhensible dans notre animalité pavlovienne, trouvant
plus simple de toujours faire pareil. Le Désir vient simplement comme le chien
dans le jeu de quilles nous donner l’envie de jouer autrement : plus habilement,
plus à notre façon. Pas du tout par plaisir de changer, mais par constat que les caractéristiques de notre
personnalité peuvent faire plus, et en tout cas mieux, pour nous avec les mêmes
outils de vie. Que faut-il faire de si aimable approche d’empathie à notre
égard ? En tout cas il faut considérer la sollicitation pour ce qu’elle
est : existante, sincère, à notre portée. Ensuite apprécier l’état des lieux
de ce que nous sommes et l’état du projet proposé. L’évolution progressive est
moins risqué que la révolution instantanée. Changer de boulot dans sa région
évite le changement du mode de vie pour soi et les siens à l’autre bout du
monde. Dans une situation sentimentale, au contraire, la progressivité n’est
pas compatible avec l’exclusivité que signifie la vie en couple. Il importe de
bien identifier la nature et les conséquences de ce désir sans s’en raconter
des accommodements par des mots mais s’avérant impossible dans la réalité. Dans
le désir aussi ; et surtout il ne faut pas faire aux autres ce que l’on ne
voudrait pas que l’on vous fasse. C’est un préalable incontournable que de se
poser la question de la faisabilité. Ensuite, rien n’empêche de transgresser,
de prendre carrément les bifurcations de vie, les décisions de rupture, dans un
esprit de totale responsabilité des tenants et des aboutissants de nos actes.
La grille d’analyse en est terriblement complexe à cause d’une, au moins,
double influence. L’une, non des moindres, est la force volcanique du désir,
capable de vous donner une énergie surhumaine de la réaliser. L’Amour, l’appât
de l’argent, l’addiction, l’appel du très haut pour certains, sont des
tracteurs de destin qu’aucun frein n’arrive à arrêter ou détourner de leur
course. L’autre influence est de l’ordre déjà évoqué du carcan de nos habitudes,
mais celles-ci à la puissance surmultipliée, qui s’appelle la convention
sociale. Avant la loi du permis ou du défendu il y a le regard des autres et le
regard de nous-mêmes tressant sur nos vies une toile serrée d’interdits. A la
différence de la loi infranchissable le « qu’en dira-t-on » de
nous-mêmes et des autres est une toile de voile ondulante. On peut s’en draper,
s’en aveugler, s’en faire ceinture de chasteté ou ruban d’étranglement. Nous
sommes notre propre manipulateur de nos interdits. Ce sont nos petits
arrangements que personne ne peut nous forcer à tenir mais que nous laissons
rôder en fantôme pervers dans nos têtes. Fantômes sympathiques au demeurant qui
nous rassurent dans nos doutes d’être ceci ou cela mais en tout cas ni écervelés
ni sans moralité. Nos interdits font partie de nos meubles pour nous faire
décor de vie. Le boulot insatisfaisant mais pépère. Le mari ronchon mais
régulier en revenu et fidélité apparente. Les vacances au club pour être sur de
ne pas avoir à se chercher des amis. Ce ne sont que des meubles que l’on peut
bouger. Certes. Mais renverser l’un c’est dégager une place pour l’autre. Tout
envisager et remettre en question est trop dans un train-train qui, même lent,
ne s’arrête pas. Il faut plus fort que soi pour crier STOP, pour secouer,
chambouler, proposer une autre disposition de vie. Un déménageur nommé
« Désir ». Je le vois comme un souffle, une tornade blanche du
sympathique costaud d’une vielle publicité d’ aspirateurs Tornado. Bonne image d’ailleurs
puisqu’il s’agit de faire place nette en nettoyant les habitudes. Il ne s’agit
pas de tout mettre à la casse. Au contraire c’est un éclairage de dépoussiérage
de nos méthodes pour que d’abord nous les voyions sous un nouveau jour. Comme
un tableau que l’on déplace et que l’on verra sous une meilleure lumière ou
dans une fréquence de passage différente. Le désir vient nous dire de voir ce
que nous sommes, mais autrement. Qu’il n’est point besoin de tout casser, de
tout mettre à la déchetterie. Au contraire le désir c’est d’abord de se re-regarder,
avec ce souffle de la nouveauté venu de nos propres poumons et allant en notre
propre cœur. C’est un circuit interne auto généré ayant pour fonction d’être un
autonettoyant. Ce très respectable outil de nous ne peut pas commettre
d’erreurs en nous. Il est le garant de notre continuation comme nous en
prévient Jean Jacques Rousseau qui disait
« Malheur à celui qui n’a plus rien à désirer ». Les sociétés
constituées veulent être notre bonheur en ce qu’il est le contraire du malheur
lorsque nous ne désirons plus rien. Les gouvernants de tous ordres, politiques,
économiques, sociaux, éthiques, communautaires, famille ou du moins
« cercle de famille », souhaitent-ils que nous ayons des
désirs ? Globalement oui, je crois. Aucune de ces autorités en charge de
notre représentation ne pense à nous priver de cette faculté de désirer, même
si des conditions communes de bonheur imposées à tous sont plus faciles à
gérer. Entre le mécontentement individuel et le contentement collectif, les
manières de gouverner les âmes spirituelles et le comportement des citoyens ont
varié depuis toujours. Avec pourtant, semble-t-il, un arrêt, une fin provisoire de l’histoire
qui nous arrive juste en ce moment charnière XXème XXIème siècle. Le graal, le
fruit défendu peut-être, qui semble mettre toute l’humanité d’accord est la
consommation. L’accès de presque tous, et en tous cas de plus en plus de nos
contemporains, à des objets de confort et de plaisir met tout le monde d’accord,
fait taire les velléités, et indique une voie à une libération collective puis
individuelle de consommateurs, devenant un peu « acteurs » de leur
vie croyant pouvoir choisir ce qu’ils achètent, croyant pouvoir être libres
puisqu’ils ont pouvoir d’achat. Car il est de constat géopolitique que la
circulation des objets de consommation, tant au moment de leur production qu’à
celui de leur consommation, crée un marché, un lieu d’échange, un tout petit
début de démocratie. La morale se retrouve peu dans ce constat que ventre moins
affamé a plus d’écoute pour les choses de l’esprit. Mais c’est un fait
mesurable, en chiffres comparatifs de PIB des citoyens de pays en voie de
développement. Est-ce un effet du désir que de consommer dans un postulat
généraliste d’un « je consomme donc je suis », heureux ; ou
« je ne consomme pas donc je suis malheureux » ? Rousseau ne
voulait certainement pas dire cela. Et ce qu’en a dit Rousseau ou ce que nous
en disons en sagesse aujourd’hui ne cantonne pas le désir à sa niche de
comportement consommateur. Le Désir de Rousseau comme le nôtre est un grand
embrasement de nos êtres âme et corps pour exalter notre joie de participer à
l’animation de la vie, du temps personnel dont il est souligné qu’il est fini
lorsque nous n’avons plus rien à désirer. Les circonvolutions désir et
consommation étaient importantes à situer ; car opposer ce qui serait bon désir d’une part
et mauvaise consommation d’autre part est une méconnaissance du fonctionnement
humain. Il n’y a pas de spirituel au-dessus de tout et de matérialisme
en-dessous de tout. L’être qui ne consomme pas est un triste luron : non
contributeur au marché de l’échange offre-demande dont il fait qu’il le veuille
ou non partie. Consommer c’est participer à la vie collective dans le sens
humaniste participatif du besoin mutuel que nous avons des uns des autres. Les
américains pratiquent un patriotisme de l’acte d’achat pour témoigner une foi
dans leur société conquête de l’Ouest libératrice. Notre histoire plus
terrienne sédentarise les acquis et suspecte la fuite en avant consommatrice.
Le Désir y est plus « rousseauiste » en une notion de l’esprit dès
lors moins accessible à la masse, aux manants si je grossissais le trait, par
lequel l’élite continue à voir le peuple. D’où la question de départ sur la
sincérité des gouvernants à laisser le peuple avoir des désirs ? Dans un
pays des Droits de l’Homme, homme au singulier signifiant les droits de chaque
homme que nous sommes, le droit semble donné par l’élite à l’individu pour
qu’il en fasse l’usage obligé et du moins fortement suggéré. En d’autres
termes, la noble déclaration dit au citoyen « je te donne ce droit pour
que tu en fasses cet usage ». La liste de ces droits est limitée à
certaines situations de la vie, avec en début ou fin quelques droits généralistes
de liberté, égalité ou fraternité ; et en voiture balai de ce que l’on n’a
pas dit, dans un vocabulaire de saveur pour celui qui écoute et de non
engagement pour celui qui les a écrits. Le Désir ainsi empaqueté devient un
fourre-tout de promesse n’engageant que ceux qui les croient. Ce n’est pas avec
cela qu’on rend les gens heureux. C’est avec cela qu’on rend les gens aigris de
promesses non tenues et de désirs qu’ils trouvent vain désormais d’avoir.
L’individu citoyen n’a la pas récompense bonheur de son désir républicain.
L’individu consommateur n’a pas la satisfaction de son désir économique. L’individu
communautaire n’a pas le retour coopérant de son désir d’échange avec les
siens. Reconstruire le désir est le challenge d’une société ayant donné
autonomie à sept milliards d’hommes susceptibles de dire oui, non, ou stop à
l’évolution de leur cadre de vie politique, économique ou social. L’Ukraine, la
Thaïlande, la Chine, le Brésil sursautent chaque jour de ces spasmes
vibratoires. Curieux d’ailleurs qu’en évoquant ces éruptions du monde on
ressente peu de cas « européens ». « Indignez-vous »
entend-t-on un peu comme un chant du cygne à tonalité résignée. La difficulté
sociologique, et encore plus la complexité politique, de décoder ces montées
sporadiques, calmes révolutions, montre que l’on ne sait pas bien de quoi il
s’agit sinon que c’est insatisfaction, mécontentement, manque de quelque chose
alors que dans la plupart des cas le minimum vital est assuré. Le peuple ne
réclame plus de pain aux grilles du château de Versailles mais des
jeux au sens de divertissement et de signification à donner à sa vie.
N’ayant plus église ou maître à penser ou leaders maximos, les individus crient
devant n’importe quelle forme d’autorité dont la première devanture, en bas de
leur barre d’immeuble, fait l’affaire. L’autorité du moment en place est le
bouc-émissaire de désirs
psychologiquement frustrés, alors que, dans les faits légaux, on ne peut pas
dire qu’il y ait censure des désirs. Des deux côtés la situation est
insatisfaisante et porteuse de risque de dégénérescence et pourrissement. Le
citoyen individu a l’impression de ne plus être écouté. L’autorité
gouvernementale a l’impression de ne plus être entendue. Dialogue de sourds
dans une partie faussée au départ : par le rôle que s’attribue l’autorité
de savoir, en préconcept qu’elle a de son immuable raison de représenter le
peuple, et d’incarner, pour lui une avance de ce qui est bon et de ce qui
serait par conséquent mauvais. Il y a une espèce de préalable de l’institution,
corps définitivement établi, se résumant à un « je pense bien puisque je
suis ». Indéboulonnable statue, et statut, faisant dire à un Président de
la République, à moitié de mandat mais à totalité d’incompétence et
d’impopularité, qu’il n’avait cure de ses résultats puisque cinq ans le
protégeaient avant qu’on ne le limoge. Cas extrême mais cas courant de l’oligarchie protégée, représentant dans
ses extensions une part importante de la population. En d’autres termes,
beaucoup, et donc qu’en faire si on les supprime, vivent dans des situations de
domination de leurs pouvoirs, conférés-protégés sur le reste d’une assemblée
dite de citoyens ou de consommateurs, criant face à un mur phonétiquement isolé
par statut. Les pouvoirs se sont donné l’immunité de ne pas avoir à ressentir, de
ne pas laisser remonter pour qu’ils n’en soient pas incommodés, les désirs des
individus. Ce musellement est de l’ordre moral car le cadre légal recèle une
batterie démonstrative qu’il y aurait
dialogue, va-et-vient gouvernés-gouvernants. Les apparences sont sauves sur le
papier mais non dans les mentalités et dans la manière d’efficacement
fonctionner. Le problème de l’individu n’est pas de prendre le pouvoir, ou de
jalouser ceux qui s’y prétendent. Le désir de l’individu est de considérer,
honnêtement, ce qu’il peut faire de bien à partir de sa place actuelle dans la
société. De ce que je suis, que puis-je faire de mieux ? Réparer ma
situation actuelle, la maintenir, l’améliorer ? Telle est une synthèse de
ce qui nous anime tous. Là commence le challenge surmontable de faire de cette
synthèse généraliste une déclaration à déchiffrer et à remplacer par des faits
précis de nos individuelles vies. Qu’il soit possible pour chacun de nous de se
livrer à une analyse personnelle de notre situation acquise et du désir que
nous avons de la réparer, la maintenir ou l’améliorer. Les sciences cognitives
et les méthodes de collecte des données permettent un travail de recueil
d’informations précises pouvant être individuellement protégées pendant tout le
parcours de leur exploitation. Tout ce que nous disions, individuellement, peut
devenir immense mais consultable banque ou dictionnaire de désirs d’une
famille, commune, région, pays, humanité ; d’une entité économique ;
d’un groupe éthique, moral, religieux. Il en ressortirait une analyse à lecture
simplifiée et auto-génératrice de ses propres solutions. En effet certains
désirs apparaitraient, émergeraient, en tant qu’aspirations ne pouvant être
assumées que par l’individu de base s’exprimant. Exemple, le désir d’être aimé
par une femme déjà épouse nécessite un comportement de fidélité sociale à cette
épouse ; il n’est point nécessaire de convoquer la justice, la sécurité
sociale, les lois, les religions pour venir encadrer de manière coercitive ce
qui est du strict domaine du comportement individuel de tout un chacun. Alors
que d’autres désirs feraient appel à des moyens dépassant l’individu qui les
aurait exprimés. Exemple le désir de maintenir sa résidence dans sa région bien
aimée alors que l’industrie qui nous y emploie disparait par changement de comportement
de la consommation. Situation complexe où l’individu, avant son attachement
régional, doit placer la source de ses revenus en seule priorité. Une
éventuelle exigence, que son industrie soit à contre économie maintenue ou
qu’une fausse économie lui fasse subvention, n’est pas honnête. Ces pis allers
solutions précaires sont des vols à la collectivité des autres individus. Le
désir de l’Homme concerné par le dilemme doit se formuler en tant que
construction d’un possible, qui peut être de se reconvertir dans un métier
maintenable dans la région aimée, qui peut être de déménager dans une région du
pays ou du monde de continuation de son métier ; qui peut être en
changement de style de vie avec moins de dépenses. Reconversion, déménagement,
mode de vie peuvent ne pas être vécus en contraintes meurtrissantes mais en
désirs assumés et partageable avec les étages au-dessus de l’individu que sont
la compagne, la famille, la communauté, la commune, la région, etc… pour que
ces strates épaulent et motivent ces mutations. Ainsi les désirs peuvent
devenir un check-up tableau de bord de nous-mêmes, parce que nous en sommes les
releveurs personnels de données nous concernant, que nous pouvons étalonner et
comparer aux données à exactitude implacable de l’état de tout ce qui est
autour de nous. Je n’ai jamais vu un individu se comportant isolément contre
l’évidence de sa situation. Lorsque l’on sort de chez le médecin, les radios ou
le bilan sanguin sous le bras, on ne demande pas au bon dieu ou à sa mère
qu’elle nous refasse. On fait avec. On se prend en charge. On se soigne. ON
s’améliore. Rarement on se laisse dépérir. L’individu dans ce développement
psychique au-delà de sa santé de chair est d’un comportement identique. Ou
plutôt il serait d’un comportement identique si ne se précipitaient pas vers lui
les bras commisérants de l’assistanat. A
se demander si cette assistance n’est pas une manière des gouvernants de
justifier leur raison d’être de dominants ? « J’assiste donc je
suis » ou encore « voyez comme je vous suis utile », sous
entendu votez pour moi, « vu que je suis là pour prévenir et guérir tous
vos petits bobos ». Comment rejeter tant de bonnes intentions de nous cajoler ? Comment oser réclamer que ces
promesses-bonnes intentions ne soient pas toutes, et de loin, tenues ?
Pour la classe dominante la partie est bouclée et elle peut recommencer son jeu
dont elle fait règle et début-fin. Tout ceci n’est que continuation d’une
duperie où le désir de l’individu a été détourné. D’une aspiration-désir l’institution
en a déduit et légifère un besoin.
Qu’elle n’assume pas. Dont l’individu désirant est frustré, parce que ce n’est plus
ni son exact désir ni sa capacité personnelle à le réaliser. Sans retomber dans une assignation à mériter son salaire à
la sueur de son front, il nous est nécessaire de parcourir nous-mêmes les
allées vers le désir. C’est une construction personnelle de notre esprit
d’abord ; se donnant ensuite des
moyens du corps et du matériel pour y accéder. Seul l’individu seul peut ériger
son désir. Le désir ne peut faire l’objet d’un pré formatage consistant à
motiver les citoyens dans un sens particulier de désirer. La caverne
personnelle de notre individu recèle nos inviolables trésors de percevoir et
émettre nos sentiments. Le désir fait partie de ces secrets bien gardés, dans lesquels
les institutions ne peuvent venir y exercer séduction et flagorneuse incitation
à voter pour elles ou à suivre leurs commandements à vivre selon leurs désirs,
désirs à eux cette fois. Ce grand luxe de posséder en nous caverne ou clairière
d’absolu liberté de désir nous flatte et nous contraint à la fois. Flatterie
d’être le maître de notre univers, d’être le constructeur de notre « construis-toi
toi-même », le connaisseur de notre « connais-toi toi-même ».
Contrainte de savoir ne pouvoir compter que sur nos seuls moyens pour avancer
dans la réalisation de notre désir. Mais l’assurance que la société n’y fera
pas obstacle est déjà une garantie extraordinaire que notre champ et latitude
d’action vont être libres. Dans l’éducation dont je me souviens, ma reconnaissance
viscérale va à mes parents de ne jamais m’avoir empêché en rien, et de surplus de
m’avoir encouragé en tout. Non pas qu’ils avaient décelé en moi des points
particuliers de potentialité à réussir que je n’ai d’ailleurs jamais eus et que
je n’ai toujours pas. L’encouragement et l’éducation, qui veut dire accompagner,
mener vers, puis l’important du moment d’être lâché dans la vie, sont les tremplins d’un homme.
Ce rebond le poursuit toute son existence comme s’il se demandait constamment
« ai-je sauté assez haut » ? « Suis-je à la hauteur de la
confiance que l’on a mis en moi » ? Les institutions devraient ne pas
faire autre chose que de donner confiance à ses enfants, à ses citoyens, ses
entreprises, ses groupes constitués pour qu’ils aient chacun cette envie d’entreprendre
plutôt que de ressentir une protection, voire une castration de leurs élans.
Les institutions seraient autrement plus dynamiques si elles savaient susciter
ces élans rebondissant. Elles seraient trampolines plateformes générale
d’exaltation des sursauts de chacun. Le tout et ses chacun y trouveraient
largement leur compte. Pour ce faire il ne manque présentement rien en termes
de moyens déjà mis en œuvre. Ne fait défaut que l’audace de croire en soi, en
son individu pour être la source de son énergie. Oser dire à l’Etat, à
l’Economie, que l’on sait se débrouiller et qu’on les supplie de ne pas nous y
entraver, qu’on lui suggère de nous en fournir, en les redistribuant, les moyens
de la solidarité sociale, de l’éducation, des lois régissant individus et
entreprises. La réorientation des moyens est une remise à plat du système qui partirait désormais de
l’horizontalité, là où se trouvent chacun de nos désirs ; au lieu de la
verticalité actuelle qui arrose de moyens des désirs mal ciblés. Retrouver le
sens végétal par lequel les désirs comme les plantes peuvent monter s’épanouir
et fleurir. Les grosses pluies venant de trop haut ne discernent pas les désirs
d’irrigation différents à chacun de nous. A certains elles donnent trop voire inondent,
à d’autres elles assèchent et désespèrent la pousse. Revoir un réseau
d’irrigation de manière horizontale requiert que les chacun assoiffés
manifestent clairement leurs aspirations : ce que je suis, ce que je veux
améliorer. La réalité du challenge est entre les mains des concernés ; et
non pas dans celles qui pourront motiver. Un énorme travail d’information et de
suggestion du possible de chacun peut commencer par d’honnêtes incantations, à
la manière anglo-saxonne des « YES I CAN », dont la rhétorique
fonctionne, à la manière également américaine de repérer ce que l’on peut faire
pour son pays , sa communauté, d’abord, avant d’exiger ce que son pays, sa
communauté, doit faire pour vous. Si les sceptiques pronostiquaient d’avance
que c’est là mission impossible il n’y a plus en effet rien à attendre ni de la société, ni des
individus. L’humanité n’est plus alors qu’en liquidation totale de biens dont
les plus habiles se servent les premiers. Mais les sceptiques ne représentent
qu’eux-mêmes et de toute façon pas moi qui, devrais-je être seul, relistera
toujours ses désirs, du plus grand au plus petit, pour commencer justement par
le plus simple et en faire ma tâche à réaliser aujourd’hui. Les sceptiques, et
même les réalistes, ne comprennent rien à l’instinct, qui n’est pas réaliste,
de survie, poussant chacun à se demander pourquoi il vit, et, ayant trouvé une
minime réponse, décide d’y mettre un sourire personnel pour que ce pourquoi identifié
se produise. Le réveil, ou l’éveil du désir en chacun de nous, est la capacité
de milliard d’étincelles seules capable de démarrer le moteur d’une humanité
calaminée par trop de réglages et d’automatismes. Cette dissociation n’est pas
anachronique, alors que les entités au contraire se mutualisent, se fédèrent,
s’agglomèrent. Le rapprochement des individus est le prolongement logique des
guerres séparatrices dont il ne veut plus, de l’éducation qui nous met en
connaissance des comportements et désirs de chacun, des distances de transport des personnes et de l’information qui se raccourcissent
faisant de notre société un grand village. Chacun se rapproche mais ne se
dissout pas dans l’autre. Chacun reste lui-même dans sa substantifique moelle vivrière-bouillon
de culture d’idées pensées originales capables de devenir désirs à réaliser ;
tant d’abord pour nous-mêmes que pour leur mise en contribution dans de plus
larges creusets de nos communautés, région, pays, humanité. Ces contributions
émanantes de chacun sont la seule fertilité véridique de l’humanité. Le progrès
en tant qu’espèce vivante n’existe pas. Pas plus que la politique ou l’économie
ou quelque institution. La seule chose qui existe c’est nous desquels tout
démarre et vers lesquels tout revient. Omni présence de cet alpha et oméga que
nous sommes n’est pas égocentrisme mais plutôt ethnocentrisme : l’individu
au centre du fonctionnement d’un monde dont il est le déclencheur d’aspirations
et le destinataire de réalisations. A s’étendre sur ce sujet d’homme central on
se demande quels ont été les obstacles ayant retardé la réflexion. Pourquoi en
d’autres mots ne pas y avoir pensé avant. Comment les brillantes pensées,
réfléchissant le passé le présent et l’avenir de l’être humain, n’ont-elles pas
détecté cette mine d’or que constitue la richesse individuelle de chacun. Il y
a chape de pudeur au-dessus de l’individu. Comme si parler de l’homme obligeait
par décence primale à ne le voir que petit, diminué, non fini, imparfait.
L’humanité est grande mais ses composants humains en seraient petits. Comme si
la masse formée impliquait des divisions infinitésimales. Il serait intéressant
de chercher l’origine de ce rapport de force si défavorable à l’individu dans
sa notion de plus petite unité du genre humain. L’histoire, la culture et
maintes autres connaissances me manquent pour y contrecarrer mon point de vue
opposé. Là est d’ailleurs le début de la clé pour comprendre le rapport
d’infériorité devenu définitif complexe d’infériorisation de notre rôle face à
la complexité du monde. Le sujet en est tabou une fois pour toutes : par
le fossé de connaissances intelligentes dont nous manquerions, par la
minimalité de notre arithmétique situation de seulement 1 par rapport à 7
…milliards d’autres ; de quel droit aurions-nous la parole et pour quoi
dire. Le débat s’en clôt immédiatement laissant place aux institutions en place
trop contente de combler immédiatement le vide de notre couardise. Personne
n’ose demander. Personne n’ose proposer. La plainte même personnelle devient
fatalité voire punition divine ou en tous cas impossibilité de l’éviter. Le
resserrement du débat sur la petitesse congénitale de l’homme satisfait les
petits et les grands. Petits hommes pour accepter leur sort, grands instituants
pour pérenniser leurs dominations.
L’objet n’est pas de pousser le petit à la rébellion en semant un vent
immaîtrisé devenant tempête. Le but est que chaque parti, petits et grands,
prennent conscience de leurs rôles et présences avant qu’ils ne se qualifient
petits et mortifiés de l’être, ou grands et justifiés, auto-justifiés, de
l’être. Reprendre chacun dans son unité arithmétique du grand tout afin que
s’ouvre à lui ce qu’il peut et veut faire de sa vie, personnellement dans son
comportement individuel, collectivement dans son comportement social. Le grand
bouleversement des consciences c’est de nous secouer pour nous faire penser et
dire que je peux penser ma vie. Que cette introspection, au contraire d’un nombrilisme
ou d’un narcissisme, est une construction d’un moi qui ira très bien et fera
mieux aller tout ce qu’il côtoiera. Tout le contraire que se sentir coupable
d’une désolidarité. A l’inverse d’une demande de repli et de retraite de la vie,
entraimant à ce que la société soit obligée de vous assister. Le regard
constructif de soi est un acte de simplicité au sens d’accepter une
purification de tous les carcans empêchant de se voir. Accepter de se constater
dans ses forces et ses faiblesses au lieu de se lamenter sur ce qui en effet
nous empêche d’avancer. Il y a presque humilité de soi à accepter de s’évaluer en véracité
plutôt que de se réfugier en fatalité. Oser se voir dans le miroir c’est
accepter le clin d’œil implacable que nous nous jetons, sans pouvoir le capter,
et qui nous dit de nous réveiller, de ne plus nous lamenter, de nous donner des
bonnes raisons d’attendre alors que notre leçon de courage commence comme
chaque jour aujourd’hui, ici et maintenant. Le surinvestissement de notre
individu, par cette ardente volonté de notre moi, effraye nos habitudes à
courber l’échine, à ne pas nous croire capable de, à penser que la montagne est
trop grosse à déplacer. L’érosion des blocs faisant adversité commence devant
nous. Il n’y a pas dans les nuages ou au fond des océans de grands bulldozers
ayant tâche régulière de faire table rase ou reconstruction globale. Les
grandes mutations géologiques, comme la tectonique des plaques, font ce
qu’elles peuvent pour nous reprendre et nous ramener, disent les moralistes, à
notre petitesse. Même si nous n’y sommes, elles physiques et nous humains, que
des entités désynchronisées. Partageant et nourrissant vaille que vaille le
même monde. Ici comme ailleurs, l’homme ne peut compter que sur lui pour faire
évoluer sa condition. Même Dieu ou ses pareils sont parties de notre décor si
ainsi nous aimons le théâtre de l’existence ; mais l’on voit bien, et ce
n’est pas leur faire injure, que nos vies humaines et personnelles vivent en
juxtaposition sans coordination avec ces forces occultes. Il n’en est pour preuve
démonstratrice, si un doute subsistait quant à l’impérieuse nécessité de chaque
être humain de se reprendre en main, qu’est la liberté qui nous est donnée, et
qui est bien notre réalité, quand nous disons oui ou non, quand nous faisons
bien ou moins bien. Que l’individu se positionne en acteur décideur, ou plutôt
l’inverse, décideur-acteur de son destin en y exprimant des désirs, n’est donc
pas un crime de lèse majesté par rapport au reste infiniment responsable de la
création. L’individu ne peut y être décrété supérieur, tant que nous ne savons
pas tout des qualités intrinsèques de chacun des autres éléments de l’univers.
Mais force est de constater la potentialité de l’homme à dépasser son constat
de la naissance par l’expression de ses désirs et l’acquisition de moyens pour
les réaliser. Là est une caractéristique spécifique au genre humain nous
donnant obligation d’en faire usage en tant que moyen de notre survie.
L’ambition de soi n’est donc plus une option mais une obligation de notre espèce
humaine. Quiconque ne participe pas en ne voulant pas exhiber son envie de
vivre retarde le projet global. Fort heureusement la participation ne relève
pas seulement de la manifestation d’un désir formel. Il est aussi des instincts
de survie ou plus prosaïquement des expressions de désirs naturels qui
surviennent sans crier gare et font avancer le train sans que les passagers ne
s’en aperçoivent. Ainsi se forment les wagons en voies du monde, dans une
continuation d’exploration de paysages qui se renouvellent tant en physique
terrienne qu’en expériences humaines. Chaque instantané de combinaison espace
et humanité oblige à un renouveau du regard, de l’enrichissement, de la place
et du rôle que l’on peut y jouer par désir personnel et aussi par travail dans
l’intérêt général. C’est une double attache que nous avons ainsi à la marche du
temps : personnelle pour y trouver notre envie, collective pour y apporter
notre contribution, dans une égalité de droit à l’envie contre devoir au
travail que la société n’aime plus ou ne sait plus apprécier. Mon désir
personnel s’exprime ici dans cet écrit
pour qu’il puisse être lu et susciter le lecteur lui aussi d’exprimer
ses désirs. Surtout ne pas en avoir peur. Ne pas croire qu’il franchirait une
limite entre son inhibition et une exhibition ; qu’il deviendrait extraverti alors qu’il se
croit ou qu’on le dit introverti. Le « genre » psychologique n’est
que mots que la société nous attribue et répète au point de nous y sentir
enfermé, nous rendant gardien consentant de notre propre état de prisonnier. Il
faut en faire cure de désintoxication. Pouvoir se réveiller demain, en se
sentant plus que nous-mêmes dans notre peau physique et psychique qui ce jour
là n’aurait aucun compte à rendre à quiconque, qui pourrait dire à toutes les
inévitables rencontres puisque la sociabilité est notre état, que nous sommes
un homme neuf, sans savoir passé sur ce que les gens pensent de nous, sans prospective
de ce qu’ils penseront de nous. Que de fois nous croisons des situations
sociales, au travers des hommes des femmes et des événements, où tout semble
figé. Les visages sont burinés, les paysages sont modelés de sorte qu’il n’y a
plus qu’une espèce d’attente de la fin des temps ou du moins une espèce de
passivité à laisser le temps passer malgré eux. S’il est vrai que le temps
arrange bien des situations et réinsuffle souffle à la désespérance humaine,
l’espace temps spécifique d’attente ou de passivité est un tunnel pour ceux que
la conjonction met à cet endroit. Ils n’y auront peut-être pas tout perdu mais
en tout cas ils n’y auront pas vécu. Or, en cette période de tunnel pour eux,
il s’est passé des tas de choses dont ils auront loupé l’opportunité d’y participer.
Le temps qui passe est un grand show permanent où les scènes se renouvellent
sans cesse. Nous n’avons pas le don de l’ubiquité pour tout y voir et à tout y
participer. Mais nous y avons un pass à durée illimitée ou limitée à ce que
nous en savons le temps de notre vie terrestre. Ce pass n’est pas une option
mais un marquage indélébile, comme d’ailleurs dans certains parcs où l’on vous
marque le poignet pour que vous puissiez jouir de tous les agrès y compris en
entrant et sortant à votre convenance. Vous êtes bienvenu et reconnu en continuité
pour la vie. Plus encore, ce show de la vie souhaite votre présence, votre
animation, votre sens du spectacle pour rendre plus efficace ses attractions et
montrer aux alentours que cette vie est bien vivante pleine de gens comme vous.
L’appel n’y est pas obligatoire. Il est émulatoire. Sans vous, sans moi il n’y
a pas de show, pas de partage, pas de redistribution : rien que des
individus repliés et en quête impossible d’une jouissance personnelle, alors
que nous avons biologiquement besoin de société, dans le grand zoo humain.
Comme le dit Peter Sloterdijk, dont nous sommes les pensionnaires. Caste zoo
aménagée par la nature et par nous nous offrant de multiples combinaisons
d’envisager notre animalité évoluée. Nous pouvons happer la bouillie commune
dans la mangeoire centrale, ou nous pouvons grimper tout seul dénicher la
subtile noisette. Nous pouvons varier nos comportements, rencontrer d’autres
profils, essayer des nouveautés. Nous y sommes seuls à décider quelle sera
notre orientation du jour, sur la base inchangeable de ce que nous sommes déjà,
ce que nous savons, ce que nous voulons. La base sécuritaire du parc humain est
assurée, ne nous laissant pas grand risque de nous y égarer. L’équilibre
instable, mais en tout cas toujours en construction, est assuré par l’ensemble
des indigènes modulant leurs velléités de façon qu’harmonie minimale règne.
Sauf en des moments de l’histoire, passée, présente, au demeurant plutôt calme,
future dont on ne sait, où une alchimie sociale a formée des bulles de haine de
l’autre, d’agressivité et de volonté d’anéantir l’ennemi et de s’accaparer ses
richesses et son territoire. Ce sont des paroxysmes que le bon sens commun regrette
et rejette dans une formulation audacieuse de « plus jamais çà » car
elle n’est prononcé que dans un moment apaisé. Les vents peuvent tourner et
justifier le genre humain de prendre ce qu’il croit être les bonnes mesures de
survie, voire simplement de bien-être du moment. Notre époque excelle dans
cette prise en main rétrospective de tout ce qu’elle considère comme les
erreurs du passé. La collecte des archives de l’histoire, de la géographie, de
l’ethnologie, de la sociologie permet de tout savoir sur tout et de le
comparer. L’exercice en serait formidable si nous avions capacité d’en être
extra…terrestre c'est-à-dire n’ayant aucun trait commun avec les personnages
dont nous visitons à rebours les comportements. Il n’est pas compliqué à
comprendre, aujourd’hui, que la terre tourne autour du soleil, que le QI d’un
homme noir dans le même parc humain est égal au QI d’un homme blanc. Facile
aujourd’hui parce que des faits observables et répétitifs, ainsi que s’appelle
la science, nous permettent d’être sûrs. Mais la même science ne nous donne
aucun instrument d’introspection du cerveau de celui qui il y a 400 ans voyait
la terre au centre de l’univers, et de l’homme blanc supérieur à l’homme noir.
Que savons-nous même aujourd’hui de celui d’hier que nous jugeons avec une
conscience de l’universel dont nous serions enfin dotés ? Quels actes en
cours, en notre début de XXIème siècle seront ces œuvres à jamais universelles,
dont nous prétendons être les grands prêtres devenus infaillibles. Notre
idéologie du bien fondé de notre universalisme n’est pas aussi inquisitoire
dans les méthodes barbares pour faire renier les fois infidèles ; mais elle utilise le réseau mondial de la
bien pensance de manière totalitaire, c'est-à-dire sans alternative à toute
autre possibilité de vérité. A y bien regarder cette omnibulation, d’être enfin
arrivé au moment vérité de son histoire, pousse l’homme à une fatuité et une
démesure. Jamais, aux pires moments de leurs affrontements, les hommes n’ont eu
un tel pouvoir de coercition du genre humain, de leurs contemporains. A travers
deux faits n’étant jamais encore arrivés : l’instantanéité de l’information,
l’automatisation des tâches. Ce sont là deux paradigmes auxquels l’homme rêvait
depuis peut-être le jardin d’Eden et qui ne lui sont désormais plus défendus. Car
cela se concrétise en vie concrète de tous les jours : la possibilité de
tout savoir et de ne plus avoir à faire quoi que ce soit, pénible ou loisir,
car l’automatisation peut coordonner toute seule notre circuit désireux de
plaisir. Que la description ne donne pas le vertige apocalyptique ; car ne
tombe dedans que celui ou celle qui abandonne son moi. Ce n’est pas une question
de croquer ou non le fruit soi-disant défendu mais question de savoir ce que
l’on veut soi-même manger. Que le progrès et ses exponentielles possibilités courent
côte à côte de nous ne nous donnent aucune obligation de tout y prendre, de
tout y donner, d’y signer un blanc-seing. L’instantanéité et l’automatisation
sont des disponibilités, des opportunités, se présentant à nous comme des
champs d’agriculture du possible que nous ensemençons, travaillons, récoltons
selon notre méthode personnelle de nous « cultiver ». Certes des
parties communes de la vie sociétale nous contraignent, mais après nous avoir
convaincu, qu’une carte de santé Vitale, instantanée de lecture et automatique
de mémoire de notre état, est le moyen le plus performant pour confier notre,
ce qui en reste, notre moi individuel à la médecine. A l’opposé l’insertion
sous cutanée d’une puce électronique, qui signalerait partout instantanément et
automatiquement notre présence, est un moyen déclinant précipitant la réduction
de notre périmètre individuel. La question qui nous titille chaque jour est
celle que nous propose le progrès. Des masses de données s’échangent, venues de
toutes les parties du monde, augmentées de toutes les intelligences de la
terre, boostées par l’appétit entrepreneurial et financier de start-up
mobilisées en quart de tour pour être revendues encore dix fois plus vite et
cent fois plus chères. Le mouvement perpétuel nous titille sollicite comme l’aiguille
des secondes d’une montre qui nous demanderait « veux-tu monter avec moi
car tu seras un segment de minute plus loin soixante secondes après ». Que
sommes-nous pour nous sentir obligés de monter à bord de cette aiguille, de ce
train dont nous ne savons jamais à priori que il est d’abord en mouvement ?
La question du progrès doit d’abord venir se poser calmement à la conscience
éveillée de chacun de nous, dans une interrogation personnelle ne craignant pas
d’y répondre à contre courant des autres répondants. Le progrès doit savoir
nous séduire avec des propositions appropriées à ce que nous sommes, et à ce
que nous aspirons d’être ou de faire. On
ne donne pas à manger de la même façon à deux corpulences différentes. Notre
appétit ou notre retenue n’a pas à être ignorés par la grosse machine. La
question simple et de réponse rapide est donc celle d’avoir envie, le désir, puis
éventuellement d’avoir besoin, la nécessité, de cette avancée du progrès qui
vient me solliciter. On peut donc faire confiance à notre filtre du désir pour
mettre en avant, de manière subjective et objective, ce que nous voulons et ce
que nous pouvons. Si nous désirons quelque chose, cela ne peut être à long
terme mauvais pour nous. Si le progrès nous permet la satisfaction ou la voie
vers cette satisfaction, il faut lui répondre de bon cœur « banco ».
Si nous ne désirons pas quelque chose cela est forcément un élément exogène,
c'est-à-dire étranger à nous, qui sera toujours en parallèle, voire plus, en
opposition à nous. Notre corps et notre esprit vivront en territoire corps
physique ennemi, source de confrontation,
de clash, de défaite, d’anéantissement définitif de notre individualité,
définitivement asservie à ce progrès auquel nous n’aurons pas su dire non dès
le départ. Le progrès n’y est pour rien et n’a même pas l’esprit de gagner ou
en compter ses points de victoire ou de défaite. Il n’aura fait que remplir
notre vide, qui ne voulait plus réfléchir et faire ses choix de vie, et qui
s’est laissé persuader que ce qui était instantané et automatique lui enlèverait
le risque de ne pas savoir lui-même et de se tromper tout seul. Le progrès aura
réussi à déshumaniser l’homme, être pensant et décideur. Il n’y aurait plus
alors d’individus mais seulement une masse purée écrasée de tous les individus,
ensaucés par la suavité d’un progrès que les individus, amputés du don de
saveur, ne pourront même plus apprécier. Avant cela les antidotes et contrefeux
de nos intelligences individuelles, et aussi de nos autodéfenses instinctives,
ne vont pas se laisser faire. L’anti-progrès se manifeste épars et désordonné
en mouvement de décroissance, de new âge, de créationnisme, de manif pour tous,
de tout enfin de ce qui fait obstacle à la démesure de la grosse machine sur
l’autoroute matérialiste que nous lui laissons. Ce sont autant de petits grains
de sable, bien contestables sur le fond de leurs convictions, mais bien utiles
sur la forme de leurs résistances. Ils sont numériquement peu nombreux mais
leur cri fait attraction dans un monde se cherchant de toute façon distraction.
C’est là un point sensible de vulnérabilité de nos sociétés de l’instantané et
de l’automatisme – ici le grégarisme ou mouvement moutonnier – où tout ce qui
bouge devient attractivité pour ceux qui n’osent pas bouger. Il y a là comme un
fascisme du scoop, une prise en otage des opinions, qui se laissent faire par
celui qui veut faire parler de lui. Rien n’aura jamais été plus facile. La
démocratie d’opinion encourage ces émergences de points de vue parmi lesquels
se solidifient, par de vrais arguments, des détails de vraies causes. Personnellement
j’apprécie ceux qui s’expriment : leurs sensibilités et leurs
expressions tissent un bout de notre
étoffe commune. A moi, comme pour le progrès, de savoir ce qui m’en fait, ce
que j’en fais, quelles sont mes convergences, mes divergences. Avec quand même une distance pour respecter
l’activisme que je n’ai souvent pas. « Je ne suis pas d’accord avec vos
idées » disait Voltaire « mais je me battrai pour que toujours vous
puissiez les exprimer ». Ma condition d’écoute de ceux qui s’expriment est
la sincérité de leur expression. Je crois que l’on peut dire ce que l’on veut
si on le pense. Du moins au moment où l’on le pense et le dit. Un monde de
menteurs n’est jouable que si tout le monde ment ; sinon il y a rapidement
des vainqueurs et des vaincus menant fin à la partie. L’expression sincère
n’est rien d’autre que le souffle intime venant du profond de l’individu. Cette
part de l’humanité, puisque chaque individu la compose, est forcément quelque
chose de juste pour celui qui l’exprime, et quelque chose de sincère pour celui
qui l’entend. On ne se trompe jamais lorsque l’on se met dans le réseau des
sincérités exprimées du monde. Les lieux communs, d’adage populaire, selon
lesquels « tout vérité n’est pas bonne à dire ou à entendre » ou que
« il ne faut pas tout dire » ne sont que des conventions de société
respectables dans l’échange courtois, pour ne pas choquer ou tuer la
vulnérabilité de l’autre. Mais leur absolu n’est pas vrai : il faut
organiser le circuit de l’émergence de la vérité des faits, du pourquoi des
idées et des comportements. Les retarder est faire acte élitiste de savants sur-ignorants
destinés à le rester. La diffusion a pour but de mettre de mettre en
connaissance l’humanité pour que des informations existent sur son sort et sur
son devenir, que ce soit dans le domaine collectif ou individuel, et qu’il est
loisible à chacun de chercher ce qui lui est sensible, de compulser les moyens
dont il pourrait avoir besoin, de proposer ses propres idées à la manière des
groupes activistes ou interventionnistes, mais cette fois de manière
individuelle. Le Progrès, que je choisis quant à moi et entre autres, c’est de
participer au melting pot de la connaissance. De la parole qui circule, avec
une volonté contributive de construction d’un meilleur soi et d’un meilleur
grand tous les autres, ne peut sortir que la bonne idée. Car chacun, ayant
écouté puis donné la sienne, ressent le double savoir d’avoir été, premièrement
individuellement respecté, et, deuxièmement, collectivement utilisé.
L’apparition de nos différents nous-mêmes, dans cette démocratie participative,
soulève le sarcasme de ceux qui n’y croient pas et qui y voient le danger de
trop en dire sur une existence qui ne serait que fatalisme. Leur méfiance est
le contraire de la connaissance dont ils ont fait l’étude et dont ils se
prévalent pour maintenir leur contrôle sur la société. Il est paradoxal qu’il
faille entendre des voix fluettes de gens simples, disant que plus ils savent
plus ils voient qu’ils ne savent rien, ou de gens génies comme Albert Einstein
prouvant scientifiquement la relativité de toutes les connaissances. La
connaissance n’est qu’un chemin pour aller vers d’autres connaissances qui ne
sont pas dans une pyramide ascensionnelle, du moins au plus intelligent. La
connaissance se sème et s’essaime au vent pour être recueillie par n’importe
quel manant ayant la simple curiosité, le simple désir, d’y tendre sa main. La
connaissance se retisse et se distend à tous les instants et par tous les participants
de la vie. Personne ne vous accusera, ou même ne vous jugera, d’être curieux,
d’avoir le désir à vif. Et ceci est bien un remarquable progrès de l’ordre du
spirituel, mais aussi maintenant de la communication instantanée, que de rendre
l’homme libre de savoir et de pouvoir entreprendre sur le champ bien nommé, son
entreprise de culture et de moisson. L’incitation ne peut en être
institutionnelle. Un gouvernement ne sachant plus quoi dire d’autres, que de
rejeter aux gens d’avoir des idées, est un pouvoir qui aurait lui-même boucher
les routes du désir auparavant et qui demanderait ensuite aux emmurés de creuser leur propre
escapade ; sans plus d’outils que leur bonne foi car il n’y a plus
d’argent pour se donner des moyens.
L’aveu d’impuissance ou de désastre n’est final que pour ce roi devenu nu. Ceux
à qui l’on dit, pour finir, ne croyez qu’en vous, ont au moins l’avantage d’un
discours clair : ils ne s’en sortiront que par eux-mêmes ! Bien sur
on aurait pu nous le dire plus tôt, verre à moitié plein, mais aussi aurait-ce
pu être plus tard, verre à moitié vide. La lucidité n’attend pas son
heure ! La lamentation n’étant plus de mise, puisque nous voila prévenu
qu’il n’y aura plus personne pour éponger nos larmes, il ne reste qu’à
retrousser ses manches. Que de moments de vie à jamais promis à damnation se
sont relevés par le courage des hommes. Et que de ces moments d’effort
deviennent souvenirs futurs de bons moments individuellement vécus. Parce qu’il
a été fait appel à la lucidité, au courage, à l’effort, à la solidarité, à la
satisfaction du résultat. L’expérience ne peut être reprogrammée pour que se
renouvelle ce cycle de bonheur individuellement vécu par chacun. « Une
bonne guerre », disait-on autrefois, pour remettre tout à plat dans le
sens de l’effort, ne nous reconstruirait pas du tout. Nous avons introduit dans
notre schéma des connaissances humaines et géopolitiques nous faisant haïr au
fond de nous même l’élimination de l’autre. La suppression de la peine de mort
est une composante de notre mentalité. Nous avançons comme une marée qui se
retire de certains oripeaux mais nous ramène d’autres composantes. Nous en
ignorons le bienfait ou la nuisance. La tentation nous les fait saliver. Nous
goûterions d’aucun et en rejetterions d’autres. Et nous en serons jugés assassins
ou bienfaiteurs par nos descendances, à la lumière de tout ce qu’ils sauront
exhaustivement de nous, alors que sur le tarmac de notre vie nous ne voyons que
nos décollages et atterrissages sans bien comprendre le plan de vol. Tout n’est
pas maîtrisable ; notamment ces tendances systèmes d’instantanéité et
d’automatisme qui surpassent en vitesse et en mémoire toutes nos capacités.
Pour autant cette supériorité de vélocité ne donne au progrès aucun droit
hiérarchique sur nos vies et en tout cas sur la mienne. Je n’ai même pas le
besoin de me retrancher dans une conception créationniste d’être homme ou femme
conceptuellement à jamais supérieur. Qu’en sais-je ? Ce que je sais des
univers, puisque l’on sait qu’il y en
aurait jusqu’à sept dont le nôtre, laisse penser que tout ceci n’existe pas pour
rien. L’exploration actuelle, si j’ai bien compris, teste l’existence d’air et
d’eau pour déduire ensuite qu’il y ait trace ou possibilités de vie. Rien n’est
à être comparé ou projeté. Ce qui existe a sa raison d’exister, et, je m’en
tiens là, prêt à accueillir les formes de comportement de ces existences.
Supérieur ou inférieur être humain là dedans n’est pas mon problème. Mon seul
réflexe est de me préparer à une cohabitation quelque soit l’état dans lequel
je serai transporté par ces mutations. Entretemps l’ici et maintenant n’en est
que plus urgent à être saisi lorsqu’on sent monter en soi l’appel du désir.
Songeons au ridicule que sera notre réticence lorsque les grands chamboulements
arriveront. Et ce n’est pas catastrophisme de l’envisager car des évolutions
ont déjà bien eu lieu en permettant à l’homme de s’y adapter ; avec en
plus aujourd’hui la surmultiplication de la révolution industrielle déjà passée
et de l’explosion numérique encore en plein boom. Le ridicule est bien de se
cramponner à une peur de soi quand on se refuse à toutes les opportunités de la
vie autour de nous. Pourquoi ne pas saisir l’opportunité d’un bout de voyage
terrestre et connu bien ensemble alors que demain peut arriver les plus
étranges phénomènes imprévisibles, indescriptibles mais dans lesquels on sera
obligés de vivre. En ce sens
l’obligation de bon sens de vivre son présent est acte d’humilité ;
acte d’acceptation de sa condition dans sa composante rayonnante malgré vous.
J’en veux aux gens qui ne savent pas se laisser vivre, ou plutôt, ne pas
laisser vivre leur rayonnement potentiel. Ils sont nombre, lestant le navire de
l’humanité, l’empêchant d’y être en plein vent. La tolérance m’oblige en tant
que pensée à les y laisser peser de leur poids ; mais la connaissance, de
la mécanique des fluides, me permet de constater leur incapacité d’efficience
dans le grand parc humain. La remarque qu’il faut de tout pour faire un monde est une remarque que
tractent les actifs bien obligés à tolérer les passifs. L’inégalité de rôle ne
me gêne pas dans la mesure où je n’ai
pas choisi moi-même mon profil de casting. Je ne vais que là où mon désir
m’appelle, que vers là où je sens que la pièce de théâtre va être bonne et que
je peux m’y éclater et rayonner sur les spectateurs, fussent-ils tant pis de la
remorque à la traine. Fort heureusement on a encore le droit d’être ce que l’on
est ou envie d’être. A se demander d’ailleurs si l’équilibre du monde, en constant
ajustement, ne compte pas implicitement sur la complémentarité des rôles
distribués même s’ils s’avèrent contraires. Rendant plus juste qu’il faille de
tout pour faire un monde. Alors serait mal à propos mon incantation à vouloir
faire bouger les choses qui ne veulent pas bouger, à vouloir ouvrir au désir
celui qui ne veut pas désirer, à décoincer le conventionné social qui aime bien
son carcan. Oui, il ne faut pas forcer à boire un âne qui n’a pas soif ;
mais il faut préalablement indiquer où il y a de l’eau. Il est plein de désirs
et de destins inassouvis parce que les prétendants se croient pour toujours
dans des trajectoires sans issue. N’importe quel être humain doit savoir
qu’existe en lui une fenêtre, voire un tout petit hublot ou même un périscope,
lui montrant un monde de possible. Ainsi le cheminement en cours de la pensée
me fait douter d’une assertion que j’aime. J’aime partager ce que je crois de
la disponibilité que nous devons avoir à la vie, telle qu’elle se présente,
dans des circonstances où j’en suis le premier témoin. J’estime ne pas pouvoir
faire autrement, instinctivement et avant le raisonnement, que de me présenter
à elle, la vie, et de lui proposer d’être à sa disposition si elle veut bien de
moi. Prosaïquement, si quelque chose traine sur la table ou dans la cour, je ne
me pose pas la question de qui et à qui en incombe la faute ou responsabilité.
J’y coure, j’y vis. La tâche est faite. On passe à autre chose sans gloriole pour
soi et sans rancune pour ceux qui auraient dû mais n’ont pas fait. Je
m’interroge maintenant sur le bien fondé de proposer à tous ce genre de
réflexe.La désynchronisation de nos tempos nous donne deux optiques différentes
de la même situation. La mienne est-elle mieux que la tienne ? Autrefois
je l’aurais cru. Mais aujourd’hui, je remercie, non de respecter l’autre point
de vue, mais de me le faire apprécier comme si j’avais la possibilité d’être
dans ta tête de l’autre , dans les neurones ou synapses de sa sensibilité. Au
point de pouvoir honnêtement me transporter dans un « si j’étais Elle, si
j’étais Lui » je percevrai ainsi. C’est un long chemin que de rentrer dans
le psychisme de l’autre sans volonté de jugement et encore moins tentative de
le changer. Nous parvenons souvent à des situations fusionnelles avec les
nôtres, avec mon épouse, mes enfants, mes amis, mes relations professionnelles
ou sociales, mon entourage qui nous- en tous cas moi – font croire que nous
sommes arrivés à un point définitif d’assemblage avec l’autre. Que nous sommes
dans l’autre. Que l’autre est en nous. Avec la tentation auto-réalisatrice de
s’en prononcer des promesses de non retour, de fusion totale de nos matières
comme si de deux ou plusieurs entités nous n’en soyons plus qu’une. Tout naturellement,
et sans aucune attitude dominatrice de l’un vers l’autre. Jusqu’à ce que tout à
coup, patatras, la construction solide et unique que nous étions s’étiole et
s’écroule devenant château de cartes à terre dont nous nous empressons en
réflexe pavlovien de reprendre vite fait les nôtres. Écœurante situation mais
réaliste en ce qui me concerne. Constat d’une espèce d’élastique qui me fait
revenir à moi ce qui est mien. Impossible d’éradiquer ce sentiment de quant à
soi ! C’est un besoin d’autodéfense sur ce qui nous reste pour vivre avant
un désir de vision sereine de l’avenir. Je laisse les cartes à terre. Je ne les
reprends pas. Je redistribue les rôles et les jeux de chacun, dans une nuance
que la construction ne s’est pas écroulée par les secousses conjuguées et en
bataille de toutes les parties en présence. Toutes les parties y ont leur
responsabilité, leur constat, leur désir sans doute de ne pas en rester là, de
repartir sur la route, d’espérer le nouvel appel que, par nature de répondre
toujours à l’appel de l’événement, je saisirai le premier. La faculté de
l’homme de reprendre ses cartes à terre, de les redistribuer et de se recentrer
dans la partie est étonnante. Il me vient toujours la comparaison avec une
machine, une photocopieuse par exemple, qui lorsqu’elle se coince est
définitivement bloquée et dont on vous dit même qu’il vaut mieux la changer. On
ne change pas l’homme. Encore que la culture de cellules souches ou l’insertion
d’implants revient à des minis clonages d’une partie de notre matériel humain.
Mais dans ce qui est l’Homme global nous ne changeons pas. Nous trouvons en
nous-mêmes notre nouveau départ. Une injonction instinctive nous commande de ne
pas nous laisser abattre. Etrange phénomène d’un point de vue mécanique car il
va à contre sens de la logique, de la prévisibilité, et même parfois de l’esprit
y compris le nôtre. Notre désespérance se heurte souvent à notre résistance malgré
nous à devoir et vouloir vivre. Ce ressort est compliqué à comprendre dans le fonctionnement
de notre individualité que nous croyons plénipotentiaire pour gérer les entrées
et les sorties, librement, de nos affects. Ici intervient une grande ramasseuse
de nos sentiments pour les diriger vers une non moins grande trieuse. Que fait-on
de nous lorsque nous ne voulons plus nous occuper de nous ? Comment
temporiser le négatif et survaloriser le positif ? Ainsi se passe notre
cycle de redémarrage qui n’a besoin de notre part que d’une seule chose :
que nous ne nous opposions pas en lui. En ce sens le mot volonté d’en finir est
réellement un volontarisme de notre part alors que se laisser mourir n’a que
très peu de chances de nous survenir. Les périmètres de notre individu sont à
la fois une conduite manuelle dans laquelle nous intervenons en accélération et
freinage, selon nos paysages rencontrés et notre tempérament d’en profiter ;
et une conduite en boîte automatique, dans laquelle l’instinct prend soin de
nous ; soit parce que la situation n’a pas un spécifique besoin de notre
doigté, soit parce que notre fatigue nous met en absence de la réalité. Point
besoin de se sentir coupable, parce que passif, en laissant sa conduite de vie
en automatique. Cela est moins passionnant et moins donnant de retour sur un investissement
personnel que nous ne fournissons pas. Mais les variations de nos cycles nous
font passer de situations passives à situations actives. Il n’y faut que le
respect de notre individu, que la considération de notre droit à n’être pas
machine, à performance linéaire, mais être humain à variation progressive ou
dégressive. Nous sommes en position d’individu alternatif subissant les
modulations de notre environnement interne et externe. Position qui n’est pas bien
comprise par un air du temps qui se veut linéaire, à performance non seulement
constante mais toujours en croissance. A l’instar de l’économie des biens que
l’on veut toujours, d’un mois à l’autre ou d’une année à l’autre, plus de
consommateurs engendrant en amont plus de production alimentée elle-même par plus
d’emplois y œuvrant, ou plus de capitaux s’y rémunérant. Cette courbe
ascendante porte déjà en elle-même, géométriquement parlant, son point de
déséquilibre comme un arbre qui monterait jusqu’au ciel avec toujours à sa base
les mêmes racines. L’économie des biens est de toute façon un autre domaine que
l’économie de nos ressorts spirituels. Même s’il est incongru d’employer le mot
monétaire économie, s’agissant presque de l’âme, il faut se rappeler que
économie signifie le cycle, le parcours, le transit qu’effectue une chose ou
une donnée. L’être humain n’échappe pas à ce processus au demeurant fort
respectable, où l’on voit clairement les entrées, les étapes et les sorties de
ce qui nous motivent ; de même que dans l’économie des biens où l’on part
d’une matière première pour aboutir à une valeur ajoutée. La différence, énorme
différence, est que notre économie de l’âme, expression voulument parlante, n’a
de compte à rendre à personne ; elle ne s’apprécie à la hausse ou à la
baisse d’aucune salle de marché boursière du monde. La valeur ajoutée, car il y
en a une très belle, est celle que nos efforts individuels vont mettre dans le
travail sur nous même et avec les autres, pour que notre comportement fluidifie
la marche et l’état du monde. La comparaison de l’économie des biens et
l’économie des individus n’a donc pas les mêmes critères de bien aller. Un état
satisfaisant de notre individu n’est pas le résultat d’une croissance
spécifique d’un état x à un état y. Notre mutation est une globalité, comme celle
d’un gros navire qui s’amarre doucement à son nouveau point d’ancrage. Nous
n’avons pas à y constater de bénéfice segmenté d’un bilan parcellaire. C’est
toute notre vie qui s’inscrit dans la poursuite de notre serpentin, si possible
sans rupture ni à-coup. Se découvrir en fonctionnement machine a ses limites ;
lesquelles sont d’ailleurs nouvelles puisque les civilisations précédentes
n’avaient pas de machines auxquelles se comparer et s’étalonner. Que sera
demain lorsqu’on, pas moi mais d’autres surement, se mesurera aux technologies
numériques et automatiques dont nous sommes à performances identiques déjà
largement dépassés. Signe de plus, s’il en fallait, que notre individu n’a pas
à jouer dans cette catégorie de jeu homme-machine, homme-technologie, homme-surhomme
et pourquoi pas homme-extraterrestre. Nous ne pouvons jouer que notre jeu dont
nous essayons de connaitre cartes et dessous des cartes. Le progrès nous
sollicitera toujours en qualité de consommateur. On a déjà commenté qu’il faut
y répondre par le désir bien pensé et non par le besoin imposé. Avec le progrès,
et non dans le progrès, me parait être la position équilibrée de l’individu :
sur la selle tenant les rênes et non dans le cheval fou dont on devient fou
soi-même. Ce qui ne veut pas dire choisir son progrès, à la carte, dans une
exigence de variétés de possibilités rendant le travail en cuisine impossible
pour satisfaire tout le monde. Mais prendre dans le progrès l’onction personnelle
qui va nous permettre d’éviter telle corvée et au contraire de développer telle
opportunité. Ce picorage, dans le lot
commun de l’économie de biens, maintient de nous un rôle d’arbitre et de
déterminant du progrès lequel s’alimente de nos choix pour orienter son avenir.
Il n’est jamais assez fou pour s’engager seul dans une voix dont il ne
susciterait pas de suiveurs. C’est donc par une participation active,
consciente, clairement décisionnelle de notre individualité, et aussi modeste
voulons nous l’être, que le progrès sera intelligent et utile à nous et aux
autres. L’inexorable propension du progrès, à poursuivre sa course sans notre
consentement, doit être arrêté par le moyen bien simple de ne plus lui donner
le combustible de notre participation passive ou irraisonnée. Même si nous
restons théoriquement libres d’adopter ou de rejeter ce qui nous est bon ou
mauvais, un progrès que nous n’arrêtons pas, alors que l’on dit que l’on
n’arrête pas le progrès, devient une gangrène globale s’insinuant par tous les
pores de notre peau collée au monde. Ne pas dire non c’est accepter d’être
envahi de progrès auxquels nous n’avons pas dit oui. Par effet de masse, et de
majorité active ou passive, des effets matériels deviennent des faits de
société s’imposant comme évidence irréversible dans nos vies. L’air du temps qualifie
de réaction, à moralisme négatif, ce qui s’oppose à ces évolutions. Pourtant il
ne s’agit que de processus de décision dans lesquelles la moralité n’a rien à
voir. Le raisonnement revient chez moi à l’individu. Est-il oui ou non
questionné, concerné, informé sur ce qui se met en place ? Le combat est
épique, entre individu dont on a souligné que sa force est de se revendiquer 1
seul et unique alors que sa faiblesse est de n’être que 1, face à une masse
dont la lecture des désirs individuels, parce que cumulés, est impossible.
Alors, on lit l’état de la masse, par l’idéologie du moment synthèse de lieux, ou de sens supposés communs mais argumentés
subjectivement par des esprits de synthèse se croyant mieux éclairés que
l’individu de l’ombre. De gigantesques
faits de société sont ainsi vus à l’envers ou à l’endroit, côté face ou
pile, sans considération qu’il ne s’agit que d’une seule pièce de monnaie, d’un
même problème qui ne peut avoir deux visages même si on veut y mettre deux
appréciations. Prétendre qu’une vue face serait concrète et l’autre pile serait
abstraite raccourcit trop ; car ce qui nourrit les arguments abstraits ont
leur part d’utilité pour éclairer un concret trop brut, trop ponctuel, pas
assez relativisé par les tenants et les aboutissants. Côté pile et concret
l’écoute quotidienne des suites de la votation suisse rejetant l’immigration
est révélatrice de ce qu’un peuple a réellement choisi à 50,3 %. Les intentions
exprimées sont sans ambages, les conséquences sont immédiates, la révélation de
ce que pensent les peuples ici et ailleurs est criante de vérité…que le côté
face et abstrait ne peut pas ne pas reconnaître. Un déni d’une votation qui
heureusement, dixit ose-t-il dire, n’existe pas ailleurs. A l’interprétation
différente ou au rejet des votants les analyses essaient de sauver leur peau de
classe à penser, idéologie, pour les autres. Pourtant il n’y a point drame à
regarder la vérité physique et visuelle de l’envahissement des espaces par des cultures
exogènes et intrusives. C’est le droit de chacun, en tant qu’individu, de
choisir, sur quel trottoir de la rue il veut se promener et quelles rencontres
il veut y faire ; s’il est à priori chez lui et qu’il y est consulté,
votation, sur le genre de vie qu’il souhaite. Il est sain que soit exprimé par
le vote, dans sa neutralité arithmétique, ce qui est vécu quotidiennement dans
la méfiance, la haine, voire la violence. L’expression du ressenti permet au
contraire de prendre le sentiment, fut-il de xénophobie à sa racine, pour qu’il
n’y pousse pas de branches de rupture et de menace. Le côté face abstrait vit
l’expression populaire comme un affront personnel qui lui serait fait d’une
éducation et d’une moralité, dont elle serait possesseur, et que l’individu du
peuple ne voudrait pas. Il faudrait que l’élite ne se considère comme plus
haute, que pour le temps et les outils dont elle dispose pour analyser en profondeur
et proposer pragmatiquement des solutions. Je demande à l’expert, au savant, au
sociologue, au politique de décortiquer les soubresauts de la société mais non de
la juger et de lui asséner diagnostic et médicament qui ne sont pas fait pour
son cas qu’elle refuse de voir réellement. Le déni des élites est un véritable
problème, voire une grenade qui se dégoupille sous la pression des autres
moyens de savoir qui ne passent plus par cette élite. La diffusion horizontale
déculpabilise de n’être pas de l’élite, de ne pas avoir les buts ascensionnels
habituels qui prévenaient l’élite du parcours de chacun. L’éclatement de
l’univers de l’information pulvérise le jeu de rôles attribués jusqu’ici.
L’élite s’accroche en règle de jeu inégale puisqu’elle a l’immunité de l’institution.
Les individus vitupèrent, s’indigent, se dispersent, se regroupent mais en tout
cas bougent. Signes de vie que pourraient en plus irriguer le rappel à chacun
qu’il peut être lui, qu’il peut désirer
et vouloir, qu’il peut pouvoir, avec la conduite simple de se considérer en
priorité, utile à une collectivité, dont il retire efficacité pour se
reconstruire. Quoi qu’il arrive, et plus spécialement nous arrive, il y a au
bout du problème posé une finalité bien simple : Nous. Notre individu. Le
moi, en bout de course que je suis, est le butoir au-delà duquel la machine
infernale ne peut pas foncer plus loin. A l’image des grandes gares où les quais
perpendiculaires d’arrivée se meurent à
une unique grande plateforme. Chaque rail arrête sa course à un énorme buttoir sur
lequel viendront s’amortir les deux tampons du convoi forcé de finir son voyage.
La comparaison me va bien par rapport à tous les événements de la vie qui ne
peuvent aller plus loin que mon moi à moins que de vouloir me tuer. Au-delà de
moi il n’y a plus de moi. Il n’y a que corps désincarné, esprit décervelé dont
on a vu l’analyse expérimentale dans des régimes totalitaires véritablement
inhumains. Mais dans le cadre habituel du traitement que subit l’individu, il y
a, de reconnaissance mutuelle des éventuels agresseurs et agressé, une ligne
finale étanche que l’on ne peut franchir ou violer : notre intime
individualité. Quoique nous soyons, quoique nous fassions dans le cadre des
règles ou lois acceptées de part et d’autre, nous sommes dans le droit de notre
individu. Ce périmètre ultime de nous est comme un petit lopin de terre
retranché où nous pouvons, comme au jeu de chat perché, dire
« pouce », je suis protégé. La poésie du lieu n’est pas ma source d’inspiration du moment. Ce qui est
intéressant c’est la stratégie de repli ou d’attaque que ce rempart nous permet
d’avoir. Par comparaison, les machines n’ont pas cette sauvegarde. Parfois elles
ont une boîte noire d’enregistrement mais ce n’est qu’un constat tardif. Nous,
nous disposons d’un poste de ressaisie et de combat actif. La seule condition
d’accès est que nous nous conformions à des règles de sincérité pour en ouvrir
la seule et bonne porte ; parce qu’il s’agit de la porte de notre profond
nous-mêmes. Il s’agit presque d’un code de sécurité où notre seul iris de l’œil,
ou notre empreinte digitale, peut nous faire reconnaitre de notre vrai nous. Ce seuil franchi nous ouvre le
cocon de notre espace, de notre bulle, de notre retour, avec bagages, à nos
origines. L’osmose qui s’y crée, entre nos expériences extérieures ramenées et
notre sédimentation intérieure enrichie, provoque protection et chaleur. Nous
sommes à l’abri. Personne ne peut nous y faire de mal. La porte s’est refermée,
car aucun autre que nous ne pourrait y montrer patte blanche pour nous y rejoindre
même avec les meilleures intentions. Mais il ne faudrait pas que trop de mots
abstraits m’écartent du mode d’emploi basique et pratique de cet outil. Savoir,
que nous avons toujours à notre disposition un lieu qui nous fera du bien est
une assurance tous risques propice justement à nous faire prendre tous les
risques. Savoir que la fatalité, la méchanceté ou le mauvais sort ne peuvent
être plus intrusif, que dans notre périmètre social, est une ressource pour ne
pas avoir peur d’autrui. Concrètement, lorsqu’il m’arrive d’être seul contre
tous, ou à contre courant d’un mouvement de foule, ou en idée individuelle
opposée à une idéologie collective, ou à un constat de mon petit David contre
le Goliath de la puissance institutionnelle : à tous ces moments
d’acculement où le doute vous prend d’être ridiculement isolé je pense à cet
abri en moi. Je m’interroge sur la question de la justesse et de la pureté qui
me rend solitaire. Ai-je les bonnes informations ? Me suis-je correctement
baladé dans le raisonnement honnête de causes à effets ? Mon audace ne
flatte-t-elle pas mon outrance, à être preux chevalier se faisant plaisir tant
pour le paraitre chez l’autre que pour son être chez lui ? Si au bout de
ces questions pointues, entre mon moi osant et mon moi vécu, il y a affirmation
sincère de mon engouement il n’y a pas de raison de changer d’avis. L’argument
d’être minoritaire dans une cause n’est
pas pertinent ; et encore plus quand cette cause est personnelle. Nous
seuls aurons à gérer les répercussions de nos orientations seuls contre tous.
Avec effet boomerang bien sur immédiat, qu’il ne faut pas attendre secours des
autres après avoir fait le contraire de ce qu’ils nous préconisaient. Seul
n’est pas forcément une stratégie gagnante dans un champ de victoire ou de
défaite. En matière de combat replié sur son individu il nous faut reparamétrer
ces notions quantitatives gagnant-perdant dans une échelle de valeur où il n’y
a plus de points sur notre permis de vivre. Il n’y a que nous, avec nos bonnes
décisions ; car elles ne peuvent être que bonnes puisque venant et
retournant à nous. Non point que tout ce que nous fassions soit bien ; mais,
dés lors que sorties de chez nous, nos actions deviennent des acquis dont nous ne
pouvons pas nous débarrasser, dont nous devons être solidaires dans une fierté
bien placée qu’elles font désormais partie de nous. La société dira de nous que
nous sommes imbus de nous-mêmes parce que nous incorporons en effet en nous les
traces de nous-mêmes. Etre plein de soi de soi est au contraire acte
responsable de contenance, pour assumer ses actes et ses pensées dans une
sincérité linéaire de vie. Qu’importe la variété des comportements de nos
contemporains si nous sommes assurés qu’ils assument leurs actes. A nous d’en
profiter ou de nous en prévenir. Celui au contraire qui change expressément,
par tactique de l’intrigue, est quelqu’un qui nous trouble et nous ment pour
que ses actes forcent notre consentement surpris. Point de refuge ultime
d’ailleurs pour le tricheur ou le menteur incapable qu’il est de savoir qui et
quand il est vrai ou faux. Sa course devient un perpétuel exercice d’enfumage
de ses interlocuteurs. Sa vie, pour respectable que l’on doive garder distance
et empathie à autrui, n’est pas celle que l’on décrit avec faveur ici. Le moi
intéressant est celui qui ne triche pas. Menteur ou tricheur n’ont aucun autre
besoin de trucs pour améliorer leur vie que de faire dire à chaque instant ce
qui leur est le plus favorable, que ce soit vrai ou faux. Celui qui ne ment ni
ne triche pratique un exercice hautement attractif pour lui-même d’abord. Le
fait qu’il soit toujours vrai et crédible, pour son extérieur environnement,
est secondaire dans le plaisir à se comporter net. Le besoin et la tentation de
tricher-mentir vient à lui comme à tout un chacun. Nous sommes constamment
sollicités à devoir répondre, justifier, prouver, excuser. L’interpellation
constante, à nos devoirs ou à notre gentillesse, peut s’avérer épuisante au
point de trouver normal que nous y trouvions échappatoire. A l’impossible nul
n’est tenu après tout. Ne pas prendre un coup de fil est anodin, si l’on n’y
voit qu’un envahissement à arrêter de notre espace. Mais ne pas imaginer, que le correspondant qui nous appelle avait un besoin de nous parler,
devient un égoïsme, une insociabilité ; d’autant plus si on s’en justifie
de ne pas avoir entendu la sonnerie ce qui devient mensonge. Le virus sournois commence
dans les petits détails. Parler d’un livre ou d’un film que l’on n’a pas lu ou
vu c’est porter un message falsifié à autrui. Nous avons des milliers
d’occasions de nous taire ou d’en parler autrement. Il me semble possible de
parler abondamment de tout et de rien en n’en disant que le strict de ce que
nous en savons qui est souvent déjà énorme. Et l’étonnement est aussi, et parallèlement
souvent, de voir les interlocuteurs apprécier un parler vrai de choses
réellement vécues. Si l’on sait de nous, que nous ne mentons pas, que nous ne
nous arrangeons pas, que nous ne nous cachons pas derrière notre petit doigt,
nos interventions valent de l’or car chaque mot y est une entité sonnante et
trébuchante telle une pièce de monnaie dont le destinataire des propos peut
faire usage parce qu’elle existe dans la vraie vie. La présentation des faits
vaut aussi pour la présentation des impressions, des opinions. Si l’on en
comprend, qu’il s’agit du point de vue, que l’on n’essaye pas de faire passer
pour faits réels, la réflexion peut s’enclencher et libérer un échange avec
l’autre sur le même registre. La qualité de la parole, ou de l’écrit, n’est pas
affaire de beau parleur ou d’écrivain, mais de classification compréhensible
pour l’autre de ce que l’on veut exprimer. Des faits exacts et leurs commentaires
spécifiés comme n’étant que notre pensée. L’exercice d’honnêteté intellectuelle
a ceci de passionnant que l’on en est que le seul témoin et juge. A la limite
des tas de mensonges tiennent la route au point que l’on les estime parfois
nécessaires à l’acceptation des faits trop durs dans leur précision. Pour soi,
se forcer à pouvoir décrire de manière positive sans falsification demande un travail
précis : récolte méticuleuse de l’information, mise en état réflexif de
notre système de pensée pour analyser, mise en appel ou en simulation
d’arguments différents contre par exemple l’énoncé de la vérité, projection de
l’accueil de nos propos ou écrits. Et enfin expression sans hypocrisie ne nous
donnant pas l’impression d’être illusionniste ou prestidigitateur au lieu de
vulgaire menteur. Quand on réussit le parcours, avec le résultat d’avoir dit le
vrai qui a convaincu et rassasié l’auditoire ou les lecteurs, il y a impression
de sans faute, de réussite, d’atteinte des butoirs de nous-mêmes en ce que nous
rentrons à nouveau en nous-mêmes, y ressourçons nos racines, y ramenons
expérience sans que n’ait bougé un iota de notre moi profond. Le circuit
positif peut tout aussi bien être une démonstration de l’absurde ou du négatif.
Nous y aurions été pareils et ce ne sont que les événements qui ne nous
auraient pas été favorables. En une période de changement professionnel forcé
où je réapprenais un métier les résultats concrets tardaient et se dérobaient
avant éclosion favorable. Pourtant la reconversion se dotait des bons outils, apprenait
les vrais gestes et en tout cas faisait de son mieux. Il me fut dit, alors que
je désespérai, que je devais être admiratif de mon travail et ne pas juger la
non visibilité de mon résultat. Que le travail réalisé était un fait, ou plutôt
des faits, s’accumulant comme des matériaux-alluvions d’une île qui
émergeraient un jour ou l’autre de la mer. La qualité de mon travail en construction
ne pouvait inclure le forçage des éléments terre contre mer ni la prévision
sismique de l’éruption. Le travail dont il est question était ce for intérieur
qui n’appartenait qu’à moi, que personne ne voyait, mais dans lequel je devais
croire et surtout voir mon ultime recours, mon chez moi. Chacun a cette part
d’infinie originalité qu’il doit cultiver en terre inviolable et impénétrable
par d’autres. Au bout de soi il y a toujours ce chez soi qui ne dépend même pas
de nos qualités et de nos défauts, ni d’ailleurs de notre volonté ou de notre
indolence. Il est la caverne auto-protectrice de nous-mêmes. Nous nous y
replions tel l’escargot sous la pluie. Nous en repartons appelés par l’éclaircie.
Mais personne ne nous indique l’entrée ou la sortie. Nous savons seulement
qu’en bas de la piscine il y a ce fond où pied touché nous fait immédiatement
remonter. Sans faire exprès, car le phénomène ne fonctionne qu’en automatisme
de nos besoins, de nos chutes ou élans non prémédités. Utiliser cette partie
tabernacle de nous-mêmes, où est allumé tout le temps notre signe de survie, ne
peut se faire dans l’opportunisme de circonstance. Nous n’arrivons à solliciter
nos forces régénératrices que si le bien aller courant de tous les jours et des
grandes performances nous fait défaut. Je ne peux pas planifier ni analyser de manière
voyeuse inconvenante ce canot de sauvetage de nos destinées. Son efficacité est
en relation avec la surprise que je sais en attendre de lui, dans une approche
de foi, de conviction qu’au-delà de mon constatable il y a de toute façon mon
réalisable. Le langage populaire commun abaisse l’individu à une petite unité,
une petite entité, une quantité négligeable. Simple individu, pauvre individu
sont couramment entendu pour qualifier l’isolement de l’être seul tant qu’il ne
s’est pas résolu à adhérer et à se fondre dans la masse. S’attarder sur les
expressions en vaut la peine : quelques individus sont non seulement très
peu mais signifie qu’ils ne représentent qu’eux même ? Que pourraient-ils
faire d’autre ? Cela veut dire, qu’à un moment de fusion avec trop
d’autres, notre représentation individuelle est diluée, malaxée, atrophiée,
anesthésiée et finalement utilisée par ceux qui ne compteront que les têtes et
en gommeront ce qu’elles contiennent. Un groupe d’individus est toujours
suspect ; car le groupement ne peut éviter qu’il ne s’agisse d’individus,
avec cette inconnue que l’on ne sait pas qui ils sont, d’où viennent-ils, ce
qu’ils pensent. La multiplication des exemples d’usage du mot individu renvoie
toujours à de l’étrange, du non identifié, du mystérieux. J’y vois dans tout
cela une grande appréhension pour ce qui ne nous est pas connu : l’autre
en tant que pensée et possibilité de comportement ; mais aussi l’autre en tant
que nous-mêmes nous refusant de nous voir dans notre individualité. Pour les
autres et pour nous-mêmes, notre rattachement à un groupe à motivation
identifiée est plus rassurant qu’un
comportement erratique solitaire ou en groupe restreint d’individus. Nous nous
faisons peur. Nous n’osons pas nous regarder. Or ce ne serait point
fantasme que de vérifier ce qu’il y a
d’immuable en nous-mêmes si nous nous donnons les moyens de vouloir le
changer. Cet inventaire de nous nous est
contournable aussi longtemps que nous le voulons, que nous laissons émerger ou
sonner en nous la petite lumière ou sonnette pas forcément d’alarme qui nous
dit « je suis là , ton heure sera la mienne car de toute façon
je ne peux pas bouger de ma position fondamentale en toi ». « Toi
tu peux trouver tous les décors de la vie, toutes les combinaisons pour te
faufiler dans les circonstances, mais tout ce que tu ne feras pas avec moi, ton
plus sûr ami, tu ne le verras pas bien,
ton vrai chemin ». Un peu biblique tout cela mais même les plus superficiels
de nous ne peuvent être sourds au dialogue qui se passe en nous. Les appels
auxquels nous ne répondons pas sont des occasions loupées de rendez-vous avec
soi-même. Le point crucial est de se persuader que l’on n’est jamais faux
lorsque l’on s’écoute. C’est au contraire du vrai de vrai. Qu’en faire est une
autre question dépendant de la conjonction de circonstances dans lesquelles
nous nous trouvons. Des obligations, des devoirs, des conventions sociales ou ésotérico-religieuses
peuvent modérer nos instants de vérité avec nous-mêmes. Ce sont la des filtres
de société qui nous font voir les choses selon un point de vue commun au
lieu de nous laisser les voir avec nos
propres sens. S’y plier dans la forme n’est pas y adhérer forcément dans le
fond. L’appartenance nécessaire à une communauté, qui commence au couple
jusqu’à la mondialisation, oblige à une discipline et à un partage diminuant
notre moi mais tout aussi capable de l’enrichir. La forme nous invite, sans
grand autre choix, de vivre ensemble. Le fond nous invite et devrait nous
interpeller à y rester et cultiver une personnalité individuelle. Pour chacun
de nous nous devenons champ de recherche, laboratoire d’analyse du cobaye que
nous sommes, ainsi né non fini, que nous avons vocation à compléter de
connaissances de pensées et d’échanges avec l’autre. Continuelle recherche,
dont nous avons fondamentalement les outils et l’établi de travail de base,
mais dont le maniement ne nous est pas inné. Se relier à une méthode de
recherche de savoir est l’apanage de tous les « religare » , toutes
les religions, du monde depuis qu’il fut dit, vrai ou faux, que l’homme était
trop petit, trop dans un péché originel, pour croquer lui-même et tout seul
dans un fruit depuis éternellement défendu. Raccourci simpliste auquel personne
n’échappe. Même d’audacieux fuyards, lorsqu’ils font fi de croyances
précédentes, n’ont de cesse de réinstaller une idéologie fut-elle du néant qui
est un nouvel appel pour que l’on se rallie à eux. Non point que toutes les
religions se valent ou soient condamnables ou exécrables sans nuance. Mais il
s’agit toujours d’enrôler, en pensant à la place de l’individu que l’on ne
croit pas capable de faire sa conscience et son éveil tout seul. Toute religion
est en mission, missionnaire, vers l’autre dans un goût de l’autre prévenant au
lieu de n’être que bienveillant. La pérennité du phénomène, de tous ces autres
que nous sommes d’être reliés-religare par un soutien idéologique révélé, déiste,
ou acquis, laïque, signifie et est besoin quasi biologique de trouver des
nourritures spirituelles compensatoires à notre désir de recherche. Le savant, qui
ne l’est pas encore puisqu’il se recherche, s’épuise lorsqu’il est seul dans sa
bulle de référence. Il a besoin d’environnement de connaissances et d’opinions
qui vont déneutraliser inconsciemment sa pureté originelle. Preuve en est le
profil d’hommes connus pour leur intelligence et courage dont les éloges de vie
ont été carrément différentes parce que les connaissances et les expériences à
leur portée n’avaient rien de comparable. Jules César, Charlemagne, Napoléon,
Karl Marx, De Gaulle, Bill Gates, Richard Branson… même profil de conquérant
mais traces dans l’histoire différentes. L’éclatement et la diffusion de
l’information laissent présager de nouveaux parcours surprenants. Et c’est tant
mieux révélateur de la versatilité de l’homme à générer du nouveau alors que
son lui intime recherche fondamentalement qui il est, en se faisant
éventuellement accompagné. La religion ne serait pas alors une dépendance
forcée par le haut mais une aimantation qui nous pousserait vers l’autre devenu
groupe d’autres reliés, religare, en communautés de pensée au départ libres
l’une de l’autre, puis devenant coercitive au fur et à mesure de leur montée en
puissante terrestre organisation de nos âmes et de nos corps. Ainsi sont nées les
religions, dans un but de garder le peuple qui n’était au départ qu’individus
brebis éparses, dans un enclos protecteur pour eux. Prisonnier est un mot trop
fort pour qualifier ce consentement à se laisser guider. Liberté surveillée ou
plutôt guidée serait le terme juste pour situer ce niveau de recherche de quoi
faire avec notre liberté. Elevé dans le judéo-christianisme catholique de
l’époque de mon enfance j’ai reçu la confiance, vers l’âge de 15 ans, de la
part de mes parents de faire de la base qu’ils m’avaient de bonne foi donnée ce
que bon me semblerait. Je n’ai plus souvenir exact de ce qui fut une
rupture par rapport à mon - leur - milieu mais il n’y eut pas de heurts.
J’en retiens au contraire le souvenir d’une possibilité de mon envol, énergisé
par les ingrédients de civilisation dont catholique en paquetage. Ce langage en
douceur d’une croyance répétitive de
messes, catéchisme etc… vers une pensée libre ne m’a jamais donné envie de bouffer
du curé, de haïr la calotte, ou, d’une manière générale de juger ceux qui
n’étaient pas comme moi. Et plus encore, ne m’a jamais atteint un parcours
intellectuel me faisant croire que j’étais en avance sur un chemin de raison
dont les autres, les malheureux, seraient à la traine. Je ne songe même pas à
interpeller ce qu’ils appellent Dieu pour lui demander de foutre la paix aux
Hommes. Je n’ai pas de respect pour ce que je ne sais pas qui existe. Et le
doute qu’il puisse exister ne me met
dans aucune crainte de recevoir en
contrecoup le courroux de celui que je n’aurai pas respecté. Il serait
hypocrite de se mettre dans la position de croire, au cas où ! Ma
sincérité du moment, et c’est la seule sur laquelle je dois être regardé, me
fait exprimer une reconnaissance d’un besoin de croire ; et d’être aidé
par le commun des mortels, d’un désir personnel de m’assumer en être infime poussière d’étoile autosuffisante pour
se générer et se mouvoir sans besoin pour ma part de croire à extérieur à
moi-même. Puisse cette déclaration envisagée et perçue comme un cri fort de
simplicité de moi-même ; même si la non demande d’assistance à croire
relève dans les mots signifiants une autosuffisance socialement
désagréable. Mes prises de position ne
valent que pour moi, avec d’autant plus d’acuité depuis que toi le croyant ou
la croyante je te sais fondamentalement baptistalement ancré baigné par ta foi
catholique. Ce qui parait étrange, vu de loin en tant que pratique de tous,
devient interrogateur lorsqu’il s’approche de vous incarné pratiqué par la
personne que l’on admire. L’inhibition en général et la réserve pour communiquer,
faire communier, la foi en particulier me rendent malhabile pour soulever ne serait-ce
que le couvercle du sujet. Qu’est pour l’autre sa foi ? Protective elle le
devient par conséquence que tu te ranges aux commandements terrestres. Tu
feras, tu ne feras pas. En dix points l’affaire est réglée pour que tous les
individus du troupeau se tiennent tranquilles et s’en sentent grégairement
protégés par le grand pasteur Dieu régisseur. Mais tu n’es pas pieuse à ce point
que la protection soit ton but. Ta recherche est plus astrale d’un monde de
beauté dont tu es membre ou du moins élue à devenir membre. Le chemin sur Terre
y prend là tout son sens. S’y perfectionner et s’embellir en vue du grand
festin. Je m’arrêterai dans ce visionnaire ou fictionnel destin que je
n’envisage pas pour moi. C’est ici et maintenant que cela se passe pour moi,
avec la contrainte des défauts du présent, avec
l’impossibilité d’idéaliser un monde qui n’existe pas pour moi. Néanmoins
je comprends que le paysage paradisiaque promis, terre promise, soit de l’ordre
à faire patienter dans les tourments terrestres, terre acquise, d’aujourd’hui.
. Par généralisation, ceci me fait craindre que la gangue de la religion,
promettant bien-être demain contre sagesse trop prudente aujourd’hui, fasse
passer, oublier, à tous de même
comportement le spectacle complet de l’ici et maintenant qui est le seul que
l’on est sûr de voir. La vie est un cash and carry, un payer et emporter avec
soi. Pourquoi, même si je suis iconoclaste accepter un payez aujourd’hui et
jouissez demain ? C’est une promesse de quelque chose ou de quelqu’un que
je ne connais pas. Et si cela va à d’autres je m’interroge sur leur envie de
vivre et aujourd’hui dont ils paient le prix sans en avoir immédiatement
pleinement les bénéfices. Je conçois que mon analyse a un côté monétaire de
donnant-donnant qui ne fonctionne pas
forcément dans toutes nos individualités différentes. Je dois apprendre et
comprendre que ce que j’aime dans ma manière de penser ne sera pas aimé dans la
manière de penser de toi et des autres. Difficulté d’accepter une logistique
dont on ne comprend pas la mécanique. L’indifférence à son égard n’est pas la
solution car elle nous amène à des vies différenciées, éternellement parallèles
et sans point de jonction. On ne peut être définitivement indifférents ou
neutre à la différence ou la neutralité de l’homme. Une curiosité naturelle
proche de l’amour de l’autre vous vrille continuellement pour chercher à
comprendre, à prendre avec soi le point de vue de l’autre. Le summum étant
atteint lorsque l’on a compris le mécanisme de l’autre sans envie ni de le
critiquer ni de l’admirer sur le fond de ce qu’il représente, mais de goûter en
partage respectable, comme si nous croquions ensemble une pomme, une denrée de
la connaissance, venant en nous sans aucun esprit de conquête ni de prise de
possession définitive. Les inconnus des religions, en tant que mémoire de
relier les hommes, mais aussi de l’ésotérisme en tant que remontée dans les
inconnus, voire jusqu’au paranormal faisant cohabiter et parler ce qui ne se
voit pas, sont des pistes que je ne m’interdis pas. Les chemins sont toujours
surs ; si j’y mets le pied bien
droit dans la botte de mon individu profond qui est toujours à ma bonne pointure.
La découverte de l’irrationnel ne doit pas faire peur, dès lors que l’on décide
d’en rester l’explorateur conscient. On y parcourt les cartes et les guides en
ce qu’ils sont informatifs et non dogmatiques. La frontière ligne de partage
est ténue, entre ce que l’on peut comprendre et ce que l’on doit croire. Aucun
moment qui ne prévient pas le non visible et non compréhensible se plantant
devant nos sens, avec beaucoup d’empathie, pour nous tancer d’un « et si c’était
vrai » dévastateur de tout rempart raisonnable. C’est une espèce de force
du Beau, voire du Bien, qui nous sollicite pour transcender notre réalisme. Y
résister ou s’y abandonner n’est pas affaire de lâcheté ou de laxisme. Il y a
un réel besoin de placer la réalisation de notre désir de savoir ou d’espérer
dans ce qui apparait comme une doucereuse explication. Le message que tout ira
mieux demain est d’une limpidité dévastatrice par qui, comme nous le sommes
tous, n’est pas au top de son attente aujourd’hui. La proposition d’y croire
est alléchante. Je comprends que nos individus, dans leur moi profond, aient
une écoute accueillante à cette invitation. Je comprends la transformation qui
s’opère pour se dire que dans le doute, et l’absence d’autres alternatives, il
ne coûte rien d’essayer. Je comprends que la plupart des humains ait cette
inclinaison à se croire comme en auto-persuasion croyant de quelque
chose ; parce que ne pas se croire croyant est une invitation, pense-t-il
de leur condition humaine de se rattacher – religare - à quelque chose. Et pour
finir les autosuggestions de croire cumulées des uns au dessus des autres finissent
par constituer une croyance propre à souder ensemble les individus qui la
constitue. Quitte ensuite à s’apercevoir que plusieurs croyances cohabitantes
finissent par se confronter et se quereller laissant les individus d’origine
dans un embrigadement terrestre et guerrier, alors qu’ils venaient
individuellement que chercher leurs voies, éponger leurs doutes. Mais ceci est
la dérive habituelle de tout groupe
lorsqu’il monte en puissance : le spirituel a besoin de se donner des
preuves de conquêtes matérielles.
L’individu au départ n’en demandait pas tant. Il ne voulait que croire pour
expliquer son temps présent. Les non-croyants se définissent trop vite et de
manière brutale et binaire aux croyants. Puis-je proclamer que je crois en
moi-même sans que vous me preniez pour un égocentriste se « croyant »
justement le centre du monde ? Croire que ce que l’on voit, Saint Thomas,
limite notre potentialité. Mais croire ce que l’on sent de soi est un
dialogue, entre soi et soi, à fois intimiste et réaliste. Qui peut nous voir
mieux que nous-mêmes ? Qui croira en nous si nous ne croyons pas en nous? La démonstration
de la nécessité de s’occuper de nous est d’une évidence mécanique. Une partie
de nous qui ne fonctionne pas empêche notre ensemble de fonctionner. Ne pas
fonctionner pour nous-mêmes immobilise totalement notre possibilité d’agir dans
la société. Le Soi, et avec l’indispensable Foi de Soi, est le rouage de base
de la mécanique humaine. C’est erreur de lui opposer l’effacement ou l’humilité
de tel saint, héros ou prix nobel de la paix. Tout homme est forcement d’action,
nécessitant un carburant pour se vouloir et pouvoir. C’est une foi en soi. La
manière de le dire importe peu ; et le secret de la motivation des cœurs
et des consciences est dans le profond individuel de chacun. Chacun a sa
partition de sensibilité et d’action mais personne n’en est dépourvu. Chacun
arrange son intérieur comme s’il disposait ses meubles en fonction de ses goûts
et de ses gestes. D’aucun ont besoin de symboles et de signes pour les soutenir
dans l’action, d’autres se préfèrent nus dans le seul rationnel ; quand des derniers préfèrent se laisser
porter par l’opportunisme des messages et des événements obligeant au lax
positionnement pour que les choses arrivent et qu’ils y jouissent. Mon
inclinaison va vers ce non savoir trempé de tout vouloir permanent. Ni le jour
ni l’heure ne me sont donnés mais je suis toujours sur le quai, la valise à la
main. Qu’importe le bagage des autres voyageurs pourvu que le poids de leurs
idéologies ne leste pas la vie terrestre que je n’ai pas, en tant qu’idéologie,
à partager avec eux. Et que chacun se sente libre d’établir le pourquoi de ces
croyances dans une approche de partager plutôt que de convaincre. Le questionnement
des croyants m’intéresse toujours, par l’espoir sincère que me soit révélé
quelque chose que je ne sache pas encore. Que me soit désenclavée la caverne
d’obscurité au-delà de laquelle je me refuse personnellement d’aller. Certains
interlocuteurs savent me séduire plus par l’engouement fusionnel qu’ils ont
dans leur foi que par la véracité des étapes ou des événements qu’ils me
racontent. Jusqu’au point d’extase en eux-mêmes où il n’y a pas, où il n’y a
plus, de progression possible dans leur raisonnement. Pour aller plus loin avec
eux il faut arrêter le rationnel et emprunter l’engouement de leur foi. Ils le
disent eux-mêmes : « après tu ne peux plus comprendre », sous
entendu à partir d’ici il ne faut plus que me croire. Ce n’est pas ridicule. C’est une
belle histoire. Elle nourrit et décore des tas de parcours de vie. Elle inspire
l’art en général et la musique, la littérature, la peinture en
particulier ; l’organisation de la société aussi qui sans ce que dit du
bien et du mal la religion serait restée barbare et inégale. L’invention du
message « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé »
est une flèche qui a percé l’humanité jusqu’à moi et ira au-delà. La cible touchée
par cette incantation est exactement cette reconnaissance des uns et des autres
comme individus les uns à côté des autres : indépendants, autonomes,
plénipotentiaires de leurs destinées et en même temps conditionnés
biologiquement à une obligation de vivre ensemble dans un aimez-vous les uns
les autres. Je n’ai rien inventé. L’irrationnel, s’il n’est que partie de notre
vie, ne nous empêche pas de vivre normalement. La religion est un des outils
qui peuvent nous aider à construire notre identité. Ce peut être un moyen pour
se connaître, se développer, s’épanouir, libérer des parties de soi recluses
dans le rationnel excessif. Notre individu n’est pas encore, et à mon avis ne
sera jamais, rassasié par la science et les démonstrations sans bavures. D’une
part notre monde malgré la rapidité du progrès ne s’est pas encore dévoilé complètement.
Qui plus est ce monde n’est pas aussi fini qu’on le pense. Tout continue à y
bouger, et surtout nous les premiers dont chaque venue au monde est un
renouveau de la connaissance. Il n’est pas encore là le processus qui plaquerait
à la naissance une carte mémoire de toutes les connaissances du monde qui nous précède.
Très subtilement notre parcours recommence toujours à une case départ
d’accouchement même s’il ne se fait plus dans la stricte douleur ; encore
que je suis un homme !. Ce n’est pas évident si l’on se compare au dernier
smartphone, qui de version en application nouvelles se surenchérit toujours.
Nous, nous repartons, ou plutôt nous partons en coque vide qui se remplira de
sa base jusqu’à son sommet théoriquement avec ses propres choix. Preuve en est
que des sciences de la vie ne sont pas enseignées avec les mêmes données de
savoir parce que la connaissance globale du sujet s’est affinée. Voire
quelquefois contredites. De quoi garnirons-nous demain nos cerveaux est une
question ouverte. L’apprentissage de la taille des blocs de granit pour y
inscrire des hiéroglyphes est moins utile que le doigté glissant des enfants de
deux ans sur la tablette tactile. L’omniprésence de la science est donc toute relative
aux circonstances dans lesquelles nous l’utilisons. Et nous serons mêmes
peut-être un jour dans l’opportunité de décrocher de cette science.
Sommes-nous, serons-nous toujours, obligés de croire, d’adhérer à la dernière
version ? Pourrions-nous en rester à la précédente ou attendre la
suivante ? Sommes-nous forcés de monter dans tous les trains qui
passent ? L’individu libre, ce qui est un pléonasme, peut faire ce qu’il
veut dès lors que sa vie en société n’en soit ni un handicap pour lui, ni une
charge pour les autres. Le refus n’y est pas une idéologie négationniste du non
à une évolution de la science qu’il ne nous appartient pas ni en compétence ni
en propriété de contester. Refuser une évolution, si l’on veut ou peut s’en
passer, n’est qu’une attitude personnelle de l’ordre du périmètre exact de ce
qu’est un individu. Les cas devant nos yeux vont se présenter voire se
précipiter. La médecine est en plein dans ce dilemme : avortement, fin de
vie, implantations deviennent-ils des obligations dans un système de couverture
sociale mutualisée où c’est l’argent de tous qui peut intimer à chacun comment
il doit se comporter. Sujet technique éthique et moral suscitant déjà trop de
débats pour l’individu confronté entre son moi profond et son moi social.
D’autres domaines, à environnement de découvertes scientifiques, nous
interpellent avec moins d’acuité vitale mais tout autant de choix de société.
Garder sa voiture à cheval, développer ses photos argentiques, chauffer sa cuisinière
au feu de bois, écrire au stylo à encre, lire un livre papier ressemble à
des pistes écologiques de préservation
d’un genre de vie ; alors que ce peut être simplement un choix de ne pas
aimer les gaz d’échappement du pétrole, de préférer le fumet du bois pour
odorer les aliments, de tenir un objet de lecture. En dehors de tout phénomène
de mode peut-on faire une halte individuelle dans le cours des applications de
la science et du progrès ? L’usage des objets est le plus facile des
exemples, alors que l’attitude concerne l’ensemble des changements engendrés
par cette science fuite en avant. Sommes-nous obligés de suivre toutes les
étapes ? Le créationnisme qui recadre l’évolution sans Darwin a une connotation
religieuse lui marquant sa valeur de refus de la science. Mais est-on par
exemple obligé de croire à l’égalité des races ? Ce n’est pas ici ma tendance
que j’exprime ; mais le droit en général à penser autrement que ce que la
science vous enjoint à penser. D’autres exemples sont toujours difficiles tant
ils font appel à considérations humaines d’égalité que la bienpensance
idéologique ne permet pas de remettre en cause et même de parler. Seuls les cas
concrets de notre vie courante peuvent dresser le tableau du dilemme de
respecter ou de ne pas respecter les diktats de la science. Car c’est une chose
établie, que lorsque la science et son cortège d’officiants décrètent, il n’y
est toléré aucune parole contradictoire. L’exemple des dates de péremption sur
les aliments est caractéristique de ces vérités qui s’imposent, dans un champ
de besoin vieux comme le monde qu’est l’alimentation des individus. Les hommes
se sont toujours débrouillés pour manger même si des pénuries ou famines les
ont empêchés quantitativement. La science depuis quelques décennies est venue
préciser les conditions de la conservation des aliments qui n’étaient autrefois
que basique par le froid, le sel, le milieu aseptisé. Elle y a mis des dates
limites au-delà desquelles l’aliment n’est plus consommable, ne serait plus
mangeable, sera dangereux et dès lors interdit. Peut-on, nonobstant ces
avertissements interdisants, continuer à manger quand on veut en prenant le risque
comme toujours d’une absorption propre au métabolisme de chacun ? Peut-on
brûler ses feuilles et ses branches d’arbre avec prudence pour soi et autrui
dans son propre jardin ? Tous ces exemples ridicules, dans leur simplicité
quotidienne, veulent simplement interpeller sur ce qui reste de nous dans une
société si prévenante qu’elle pense à notre place, devance nos intentions, prévient
nos imprudences qu’elle prend pour pronostic certain que nous allons commettre
le mal. Le défi individuel à la science n’est pas mon objectif ; mais je
veux mettre en cause notre allégeance obligatoire à ce que l’on dit vérité. Le
but n’est pas de remettre en cause la dite vérité. Elle est prouvée,
incontestable. Mais suis-je, en tant qu’individu, obligé d’y croire comme
incontournable vérité ? Puis-je me passer d’elle et en revenir à une
vérité plus ancienne. Afin d’étayer ce droit à l’indépendance de notre vision
individuelle du monde pourrais-je – tenez-vous bien – vous prétendre que pour
moi c’est toujours le soleil rougeoyant qui se couche derrière ces
montagnes ? Que d’où je vous écris je ne vois ni ne ressent aucun
mouvement de ma terre entrain de s’incliner par rapport à l’astre soleil ?
Puis-je, sans que vous me preniez pour un fou, vous tenir de bonne foi ce
propos dans la mesure où ma déclaration ne gêne personne et n’arrête pas la
marche du soleil ni l’éventuelle rotation de la Terre ? Je ne réclame
pas le droit à la folie individuelle dans les comportements et dans les propos.
J’interroge seulement le droit fondamental pour chacun de penser ce qu’il veut
de ce qu’il observe du monde, quelles que soient les objections totalement
fondées de la science. L’opportunité de pouvoir continuer à penser ce que l’on
veut est consubstantielle du concept de ce qu’est un individu. Si l’on croit à
ce droit il faut savoir le préserver jusque dans l’absurdité, jusque dans le
seul contre nous ainsi que l’était l’enfant naïf dans le conte d’Andersen osant
dire que le roi était nu. Ce n’est pas une arrogance ou droit de dire n’importe
quoi selon ce qu’en disent ceux qui fustigent les irrationnels. La liberté de
penser de l’individu concerne tous les domaines ; comme une réserve de
détente où l’on a de compte à rendre à personne. On y rejoint un peu le domaine
de l’utopie, qui est ce pays de l’impossible, dans lequel l’utopiste projette
son possible. L’exercice de savoir penser, à ce qui ne sert présentement à rien
de normal, est une forme d’hygiène dont nous aurons besoin pour respirer du
monde aseptisé. Il est urgent de créer des bulles de l’impossible où le sens
commun se dissout en retrouvailles d’individus, livrés à eux-mêmes, sans plus
aucun contrôle. La part de nous-mêmes à l’abri du regard des autres est la
question émergente et urgente. Elle apparait, lentement et soudainement à la
fois, sous l’effet d’une démographie passant de deux à sept milliards d’hommes
en un siècle, ce qui est long ; mais sur la même surface de la terre, ce
qui rend courtes les solutions. Au nombre de personnes dans le même parc humain
de l’enclos terre s’ajoute une ubiquité permettant à tous d’aller partout et
vite, tout y voir et entendre en temps réel instantanée. En résumé, cinq fois
plus de gens cent fois moins isolé, et toujours sur le même espace, rend la
part du gâteau global beaucoup plus petite en terme d’espace temps. Vu de haut
l’Homme d’aujourd’hui doit, c’est mon imagination, ressembler à une feuille
souffletée de toutes parts par des vents énergiques et positifs mais ne lui
laissant pas d’endroits calmes pour se reposer. L’homme d’aujourd’hui sur-sollicité
n’a plus d’espace temps pour lui. Problème physique de trop d’agitations
ambiantes inévitables que sont les nécessités de gagner sa vie, d’organiser sa
vie sociale, de satisfaire ses besoins. Mais aussi air du temps psychologique
qui se veut tuteur du bien aller de tous, de la naissance à la mort.
L’assistanat social épouse une dimension matérielle et psychique. Une idée du
bon être humain s’est installée qui se concrétise par ce que la République peut
manipuler du bon citoyen. L’intention ne part pas d’une malveillance. L’idée
est au départ de donner au citoyen, être humain, tous les instruments de sa
liberté, en considérant une quasi virginité de culture des êtres dont la
République a charge. Intéressante perspective posant la question du champ
d’action des institutions sur les citoyens. Indécrottable idéologie
républicaine ne pouvant éviter de reproduire la coercition du religieux, la
mainmise de l’Eglise qu’elle a tant fustigée. Mais au point maintenant de
pousser la séparation jusqu’au bastion du cercle communautaire ou familial d’où
l’enfant, jusqu’à plus ample informé, ne peut que venir. L’enfant, confié à
l’école par ses parents, est physiologiquement un être en voie de formation de son corps et de son esprit. Qui
donne quoi devient la question, amplifiée de surcroit par le vide réel côté
parents créé par les divorces ou les décalages culturels enfant moderne –
parents anciens. Il n’empêche que l’enfant ne peut être, quelque soit le changement,
que le produit d’un homme et d’une femme qui en gardent devoir d’éducation et
de protection jusqu’à majorité. Une ambiance de mœurs et de condition de vie
secoue cette logique de la filiation. La morale des pour et des contre s’en
mêle avec violence idéologique au-delà des partis politiques, eux-mêmes divisés
en pour et contre en leur sein même. Ce qui est plutôt sain en tant que état de
dialogue possible dans la société. Je n’y ai qu’un avis de tête chercheuse y
testant des pistes de possible avec les nouvelles données certes mais avec en
constance l’immuabilité de la condition de l’homme qui doit être celui qui
décide de lui-même. Ce que chacun de nous, une fois informé, pensons de
possible pour notre vie doit être le désir à prendre en compte dont on fera
synthèse de vie en commun. Si chacun de nous pense que notre individu doit être
garni de connaissances, dont il n’appartiendra qu’à lui ensuite de faire une
pensée, aucune institution ne doit alors s’interposer entre l’enfant et sa
famille pour l’amener à voir le monde d’une manière qu’il n’aurait pas forgé lui-même.
Cas pratique de ce qu’il en est des notions d’égalité plaquées sur un jeune
cerveau à l’école, alors que chez lui dans un bonheur qu’ils se sont choisis,
maman accepte la protection patriarcale de papa ; qu’à son travail papa,
parce qu’il doit gagner sa vie, accepte l’autorité de son patron. L’insinuation
à l’enfant, que ses parents subissent une situation d’exploités, entraine un risque
de désenclavement. La théorie de l’émancipation totale de l’individu par
rapport à son milieu devrait prévaloir de ce que ferait alors la République de
tous ses enfants qu’elle aurait déracinés. Loin de moi l’idée qu’une idéologie
veuille délibérément ce schéma d’une nouvelle humanité apatride de liens, in
vitro de tradition, aseptisé de sentiments, neutralisé de tradition. Mais la tentation
tendue aux enfants d’une société égocentrée sur le seul moi de l’enfant, alors
qu’il est non formé physiquement affectivement et psychologiquement, semble un
contre sens mécanique de fonctionnement de l’individu enfant en puissance.
L’âge dont il est question, au contraire des animaux qui sont très jeunes
finis, exige une continuation synchronisée du milieu ambiant en général et des
parents en particulier. L’observation concrète de mon petit-fils de 8 ans, de
ma petite fille de 3 ans ; mais aussi d’adolescents l’une de 15 ans seule au monde alors que
terriblement douée, les deux autres de 11 et 15 ans chouchoutés en milieu
motivant mais strict, m’amène des va et vient d’informations. Aucune conclusion
ne se dégage. Point de solution que je puisse qualifier de bonne ou mauvaise.
Rien que des expériences en cours, dont quand même un impératif se dégage, qui
est celui que puisse exister pour chacun des enfants ou ados un adulte qui les
écoute. Ecouter c’est ne pas savoir à l’avance, c’est laisser venir en
comparaison constructive les matériaux que vous amène en vrac brouillon
l’enfant-ado. Scolarité, envie d’objets, haine de la copine, brouille avec les potes,
arrogance contre parents ou tuteurs : tout se mêle et explose vers une
oreille qui doit être là comme une brouette qui récupère le surplus-ras le bol
de ces ados. Leur montrer d’abord que l’on accueille tout ce fatras, d’où qu’il
vienne, quelle que soit l’origine, et peu importe les adultes concernés.
Ecouter, trier, ranger, canaliser, motiver pour repartir dans l’ordre existant
des choses. Je connais des CPE, conseil d’orientation scolaire, faisant au sein
de l’école ce travail de décompression. Suggestion me vient d’un élargissement
de ce rôle sociétal, qui personnellement me passionne tant il est d’abord utile
à l’enfant et qu’il est ensuite si épanouissant pour celui comme moi qui le
pratique. Le point d’observation sur la société, à travers le prisme des jeunes
que l’on écoute, vous rend des connaissances privilégiées de l’état du monde en
marche : mœurs, genre de vie, objets à la mode, mentalités, désirs d’une
génération. De quoi orienter ses efforts d’une vie quotidienne qu’il faut de
toute façon bien remplir avec de la jeune énergie plutôt que de la vieille
nostalgie. L’école n’a pas le temps individuel pour chacun dans ce rôle
d’écoute du profond des jeunes êtres. Sa mission première est de dispenser des savoirs
dans des matières exactes, avec, si elle en a le temps, un éclairage
encyclopédique humaniste. Les sciences exactes servent l’entrée dans des
métiers précis, alors que l’entregent social-humaniste enrobe l’être dans une
aisance sociétale dont l’environnement familial est le décor principal. Toute
autre mise en scène pour l’école est une mise en situation de choix, pour ou
contre la république ou pour ou contre ses parents, lesquels parents doivent
tout autant que la république se tenir à distance. L’éducation et ses
officiants les enseignants ne sont pas un produit de consommation.
L’institution qui leur est conférée par statut, garantie d’emploi, est une
volonté que ce temps de l’école soit un espace protégé de toute autre influence
que celle de pouvoir accueillir des connaissances, avec une objectivité ne
visant que l’intelligence ; et sans aucun autre conditionnement. L’enfant,
dans le temps de sa scolarité, est, entre la République et ses parents, dans
les mains des enseignants qui n’ont de compte à rendre ni à l’une ni aux
autres, par le mandat d’indépendance et de compétence indispensable à la fonction
de formation des êtres. Ce n’est donc ni à la République, toujours
politiquement et idéologiquement orientée au moment d’élus en charge de
gouverner où elle parle, ni aux parents imprégnés des problèmes de leurs instants,
de dicter et surtout tutoriser les enseignants et les contenus des savoirs à enseigner.
Et puis, quand on y songe, quelle superbe tranquillité de l’esprit que de
savoir que quel que soit le régime politique, la religion, l’état de
l’économie, l’humeur à la maison, le couple qui s’aime ou se déchire, la
richesse ou la pauvreté, l’état heureux ou désastreux du monde…quelle paix de
l’âme que de savoir qu’en franchissant la grille de l’école, que quand la
cloche sonne, le tohu-bohu du monde s’arrête et que commence l’espace de sérénité
constructive de l’éducation. Intermède de la vie, et construction en cours
d’une nouvelle vie, tels sont ces merveilleux plans pour continuer l‘humanité.
Cela vaut tous les sacrifices et les priorités de budget. L’école est au cœur
de ce culte de l’individu qui m’est si cher. La connaissance dispensée avec
précision et pudeur dans chacun des jeunes individus les enrichit
personnellement. Ce n’est pas un élevage en batterie avec un gavage commun pour
des consciences interchangeables. Chacun peut y exprimer son être et y requérir
son menu en termes de qualité diététique et de quantité nutritionnelle. Laisser
parler les appétits de chacun, au lieu d’imposer un menu fixe tel que le diktat
que 80 % d’élèves doivent avoir le baccalauréat, est une prérogative de
l’école. Personne ne devrait pouvoir parler à sa place et inverser ainsi les
priorités de son travail. Car qui est imposé du quantitatif de 80 % de réussite
sera induit qu’il ne pourra pas faire dans le qualitatif, dans la détection
individuelle des profils et potentialités de chacun. 80 % n’est qu’une anticipation d’il y a 30
ans de l’éternel théorie et idéologie de l’égalité à tout prix. C’est vouloir pour
les autres, alors que l’on ne connait pas l’individualité de chacun de ces
autres. C’est prendre le plus fort et le moins faible, ou le moins fort et le
plus faible expressément dit, pour en montrer le ridicule de toute moyenne.
C’est prendre un tout hétérogène pour en vouloir un résultat homogène. Ne
pouvant s’occuper de chacun individuellement, qu’il soit élève ou citoyen,
l’institution devrait avoir la modestie et la grandeur de sa tâche consistant à
installer un état de droit d’accès égal justement pour chacun. Cela veut dire
qu’il soit clairement disposé, pour chacun les outils du savoir, de la
protection, de la justice, de la solidarité avec un mode d’emploi courant mais
n’allant pas dans le particularisme de chacun. L’institution n’a pas à spécialiser
ses démarches dans un but de satisfaire les sous-groupes et les communautés.
C’est au contraire à chaque groupe, et en son dedans à chaque citoyen, de
trouver son point d’ancrage dans une société pourvoyeuse de moyens, comme les
transports en commun ; avec la compréhension de la part de chacun que la
vie en société est un partage de l’espace ; comme par exemple les routes
où il y faut un permis de conduire, le même pour tous, garantissant l’usage et
le respect des règles de ces mêmes tous. Cela fonctionne puisque l’on y
constate une circulation fluide de millions de personnes sachant s’abstenir de
conduire après avoir bu ou en dépassant les limites de vitesse. Preuve du bon
fonctionnement possible d’un réseau hyper dense lorsque les règles mutuelles et
réciproques sont comprises. Exemple caractéristique, et sans doute parce qu’il
n’est que matériel de pure tôle, sans aucune origine ni finalité idéologique à
part le machisme ou le sexisme de l’homme ou de la femme au volant que l’on a
su ridiculiser et éradiquer. L’inspiration de cette gestion, du parc automobile
dans un espace limité, pourrait-il donner des idées pour décloisonner d’autres
enclos bloqués du parc humain. Utopie ? L’Hôpital en particulier et la
santé en général ne pourraient-ils pas faire appel aux bons réflexes et sens de
l’usager à qui on rappellerait aussi qu’il en est le financier. Casser sa
voiture coûte cher individuellement alors que casser sa pipe, en santé
mutualisée, est financièrement indolore. Simple détail pour mener une réflexion
de responsabilité de chacun, sur des services dits public ; dont on
oublie qu’ils sont dans leur financement et leur finalité l’affaire de chacun.
Autre idée, dans le pêle-mêle des sujets bateau éternels problèmes et déficits
dont on dit à tort que l’on a tout essayé, le chômage. Nous tous, concernés et
plus particulièrement ceux qui sont présentement sans emploi, nous posons nous
une seule fois d’où vient l’absence de travail ? Tout simplement parce que
l’on achète ailleurs ce qui donnerait du travail ici. L’économie et son cycle
est une roue simple à comprendre : c’est un engrenage d’actes qui entrainent
des conséquences de développement ou de régression. Il n’y a pas d’équilibre ou
de croissance si une partie consommatrice n’y met pas son effort productif. Toute
autre solution n’est que discours se souciant peu du réel et n’espérant que refiler
la dette ; car il faut emprunter aux suivants pour payer les chômeurs du
présent. Une remise à plat de ce qu’est un travail, un coût de matière et de
transformation, une distribution pour un prix final abordable éclairerait celle
ou celui qui pense pouvoir exiger. Les systèmes de troc, c'est-à-dire
d’échanges nets valeur contre valeur, sont moquées par ceux qui ne veulent pas
l’envisager dans une prospective et avec des moyens modernes y compris de
l’informatique et de l’automatisation. Mais l’économie n’est qu’une vaste place
de troc ou les biens services et personnes s’échangent leurs prestations ;
que l’on mesure en monnaie laquelle n’est originalement qu’une unité ultime
division d’une valeur. Paradoxalement d’ailleurs, la numérisation des échanges
et leurs transferts virtuels de compte à compte en instantané, n’a plus besoin
de matérialité. Seul un chiffre compte ; peu importe de quoi. Ceci pour
dire que l’on pourrait remettre tout cela en cause pour que cette économie soit
remise en place…en place pour chacun. Que chacun y trouve son compte selon
l’investissement, humain s’entend, qu’il veut y mettre. Non point que chacun se mette sereinement à se décider
d’être riche ou pauvre mais que chacun puisse envisager la place de l’argent
dans sa vie avec la conséquence immédiate pour lui de ce qui lui en coûtera
personnellement et à lui seul pour y parvenir, sans le lot commun à notre
humanité d’y réussir et, ou, d’y échouer. La méthode de prendre l’économie par
la base de l’aspiration individuelle de chacun ne rencontrerait pas l’opposition
que prédisent les sceptiques ou les adversaires ou les non convaincus. Il ne
s’agit que de remettre à leur juste place des partenaires de l’offre et la
demande. Le marché est suffisamment vaste, les besoins et les désirs
suffisamment abondants, pour que de part et d’autres il y ait beaucoup
d’échanges en perspective en même beaucoup plus que dans une société bridée par
des clivages et des fossés. Le développement numéraire en argent de la niche
des riches, et le développement parallèle quantitatif de la masse des pauvres,
obligent de toute façon à reformuler les termes de l’échange. Les produits de
luxe pour peu de riches seront toujours moins intéressants, pour l’économie
globale, que des produits de grande consommation pour beaucoup de pauvres. Le
raisonnement, sans aucune connotation morale, tient la route tant pour le
profit des entrepreneurs que pour les millions-milliards d’emploi pour les
travailleurs. L’économie ne peut plus être une lutte des classes ni une
redistribution pour chacun. Par sens bien compris de la mécanique de l’effort
vers le profit elle peut partir du désir
de chacun, avec finalité de lui revenir sous forme de satisfaction de bien-être
ou pécuniaire. Il semble presque présomptueux de tracer cette nouvelle
géométrie des rapports humains. C’est pourquoi il est aérant d’oser ouvrir
d’autres fenêtres, aussi néophytes soyons-nous. Qu’y risquons-nous sinon d’y trouver
une piste qui ne peut se tromper si elle part bien de nos désirs et qu’elle
veut y revenir. Y penser tout seul peut faire peur à l’image d’un désert que
l’on voudrait traverser en marcheur isolé. Chacun fait comme il le veut et
d’aucun se targue d’ailleurs de s’être fait tout seul alors que, humoristiquement
et avec une certaine vérité, ils auraient mieux fait de se faire aider. Le bon
sens commande à mon avis de ne jamais se fermer d’avance à l’opportunité d’une
rencontre, d’un clin d’œil de l’autre, d’une amitié, d’un soutien, d’une
affection. Si l’homme nait seul et meurt
seul, entretemps il fait des rencontres. La vie en tant que passage d’un état
bébé à un état vieillard, n’aurait pas de sens si l’on y restait seul, comme
dans une ligne de course dont les parois nous seraient cloisonnées. Nous
courons, à côté des autres et même plus, nous gravitons comme un astronaute
dans l’espace dans l’univers des autres. Il n’y a pas de bulles étanches pour
chacun. De la poche du ventre de la mère au linceul du cercueil nous sommes nus,
et à vif, avec les autres, dans un frottement instinctif mais dont il nous
reste la conduite. Se frotter à l’autre est plaisir intellectuel et physique,
autant que risque d’affrontement moral et charnel. Tout peur arriver, selon
l’empathie qui est une forme naturelle de notre gestion du contact de l’autre.
Nous ne sommes pas tous pareillement dotés pour accueillir l’autre, et exprimer
vers l’autre. Question double de comportement par les gestes, qui se voient, et
par les sens qui se sentent, n’empêchent
pas l’existence de notre véritable désir de ce que l’on veut faire de l’autre.
On peut être gauche dans les gestes et à côté de la plaque dans l’expression
des sentiments, tout en étant terriblement épris d’une personne qui va avoir un
mal fou à nous comprendre. Cela prendra simplement plus de temps. La profondeur
compensera la maladresse. Les êtres finiront par se rencontrer, dans une espèce
de devinette de l’autre, où ce sont nos individus profonds qui s’expriment sans
médiation de gestes ou de paroles. Ainsi naissent les meilleures rencontres, en
ce qu’elles sont dégagées de tous artifices. Lorsqu’est ressentie en nous cette
étincelle de l’autre nous n’avons pas à nous demander la vérité de ce
déclic : il est une attirance magnétique de deux matières physiques ou
intellectuelles qui étaient programmées ou faites pour se rencontrer. Ce que
j’en dis s’écarte de l’explication rationaliste par laquelle notre société
formatée ou conventionnée veut aujourd’hui tout vérifier. Il est vrai que les
critères de bien aller entre personnes,
si subitement éprises l’une de l’autre, n’ont pas le temps dans ce cas d’être
listés et comparés. La substitution à ce contrôle est de l’ordre du coup de
foudre, avec toutes ses conséquences légendaires de brutalité et
d’électrocution. Le coup porté transformerait, voire transfigurerait les êtres
touchés. Soit ! Mais après ? Notre vie n’est-elle pas commencée par
un traumatisme de l’air et de la lumière en sortant du liquide utérin ; ne
se termine-t-elle pas, brusquement ou lentement, mais clairement, par une extinction,
un tomber de rideau brutal sur des milliards de moments de mémoire se faisant
pschitt et puis plus rien. La rencontre est une forme plus douce et consentie
de ce genre d’éblouissement. Les communautés privilégient et organisent ces
moments, à l’insu de l’individu concerné, par exemple dans les rites
d’initiation ou de passage de l’enfant ou adolescent à l’état adulte. Le choc
de ce qu’il découvre fait partie de la charnière, d’une étape à une autre,
qu’il doit vivre comme une rupture, un adieu à l’un, un bonjour à l’autre. Vécu
en profondeur, l’individu se trouve et se retrouve ensuite en passant d’abord
par sa solitude lui permettant de se vérifier, puis par sa trouvaille de
l’autre rencontré qui lui permet de se réchauffer. On ne choisit pas sa
rencontre. On ne peut que s’y laisser porter. Dès lors que nous sommes en tant
qu’individu en bonne disponibilité de nous-mêmes il n’y a pas de risque d’égarement.
L’être clair avec lui voit clair devant lui ; et attire à lui celui qui le
verra clair. Peu y importeront les affinités et les contradictions si la
demande est détachée. A l‘inverse, toute démarche entamée, d’un intérêt
particulier ou d’un but autre que l’accueil global de l’autre, est vouée aux déconvenues.
Ce que nous cachons à l’autre dans la phase séductrice se révélera à cru dans
la phase réalisatrice. Ce n’est pas incompatible mais ce ne peut être le calme
plat. La rencontre d’affaires est en cela très éclairante de ce que l’on peut
échanger dans un cadre défini et connu à l’avance par les deux parties. La
finalité financière y permet de mettre une valeur sur chaque concession que
l’on fait à l’autre. C’est un crescendo ou une descente abyssale d’unités
monétaires, mesurables. Donnant-donnant. Gagnant-gagnant. D’autres rencontres
ne se pèsent pas avec autant de poids en argent ; mais ce que peuvent les
protagonistes est quand même toujours de l’ordre de ce que je donne par rapport
à ce que je reçois, que ce soit sécurité, honneur, respect, considération, soumission
consentie, autoritarisme accepté. Au-delà de ce réalisme, ayant le mérite de
l’échange respectable et respecté, existe la rencontre sans règle.
L’indéfinissable accroche que les êtres se font l’un de l’autre, sans savoir
d’où cela vient, ce qu’ils en font, où cela les mènera. On n’y est pas en train
de bâtir, mais on est en pleine action de vivre. Sans pourquoi ni comment.
Passant de l’état d’individu oubliant sa raison, à l’état de deux ou plusieurs
individus toujours mais cette fois en fusion. Pour un temps, pour un but et
comment, que l’on ne se cherche pas à définir. Et sans autre souci de l’autre
que celui de ne faire de mal à personne ; et au contraire, par prévention
dynamique, de commencer à faire du bien à tout ce qui est à notre portée. Le
laisser faire de la rencontre ne comporte aucun laxisme de soi ni envers les
autres. L’individu ne fait que projeter le seul vrai de lui, vers ce qu’il sent
être le seul vrai de l’autre. Sans calcul les deux individus se lancent et se
rejoignent, dans un état d’enclenchement de leurs potentialités individuelles
devenant dans une quasi sortie du temps normal une exponentialité. L’envie de
l’autre est le ferment qui nous pousse à agir. Pour aimer, pour se faire aimer,
pour dominer, pour être dominé. Quitte à être avec l’autre, l’efficacité
m’incline à saisir les opportunités de rencontre que le cours de la vie
procure. Inclinaison est le mot qu’il faut pour définir un choix, que l’on n’a
pas été cherché, mais que l’on accepte par gravité favorable de ce qui penche
positivement vers nous. Ce qui arrive n’a rien de destin auquel nous ne
pourrions échapper, et auquel, au contraire, nous devrions soit obéir soit
fuir. Les choses, au sens d’événements d’êtres humains et de circonstances,
nous arrivent en spectacle que nous croyons neutres voire distants de nous. Ce
n’est pas vrai à mon avis : ce que nous nous mettons à voir, entendre,
ressentir, insensiblement devient « Nous ». Nous ne sommes plus le
même après qu’avant. C’est donc perte d’expérience que de ne rien faire de ce
que nous avons déjà vu ; de ce qui est là dans nos bagages. Avoir vu la
misère de quelqu’un que nous pourrions soulager et n’en rien faire est une
erreur pour nous. Avoir eu envie d’être riche et de se dire que ce n’est pas
notre genre est une erreur pour nous. Sentir le regard affectueux et l’attitude
motivante d’une personne pour la première fois rencontrée, et de s’en écarter
pour ne pas s’en laisser séduire est une erreur pour soi. Le vagabondage de
notre éveil à l’autre n’est pas une errance menant obligatoirement à une perte
oubli de soi, de nos valeurs, de nos devoirs, de nos engagements sociaux. Le
déroulé des phases de la vie devant nous ne nous appartient pas. Nous ne sommes
ni romancier, ni metteur en scène, ni scénariste ; seulement un peu
costumier accessoiriste, dialoguiste, de notre vie. Ce qui arrive a une force paradoxale
d’être à la fois évidence, puisque existante, et choix offert qui ne nous
oblige en rien. Le oui ou le non nous regarde dans un strict champ de notre
envie de faire, oui, ou de ne pas faire, non. Mais le choix ne présuppose aucun
bien ou aucun mal. Ce qui arrive n’est pas une malignité pour nous entrainer
dans le mal, pas plus qu’il n’est garantie de nous élever dans le bien. Ce qui
arrive constitue des matériaux de notre construction que nous seul pouvons
assembler selon notre aspiration. Il se complique lorsque quelque matériau
nouveau apporte un bouleversement des plans en cours. Avant je ne pensais plus
et je n’avais d’ailleurs jamais pensé qu’un être vienne à ma racine bien avant
toutes les branches de la raison dont ma mature personnalité s’était arborée.
Je me croyais définitivement dans le paysage de l’humaine logique avec de bons
outils efficaces et joyeux pour y réussir. Quelqu’un est venu secouer l’arbre
dans un vent joyeux de bonnes intentions : épanouir, partager, ressentir.
Ce fut assez pour que j’aie pareille envie d’épanouissement, de partage, de
sentimentalisme. Très chaude osmose de deux personnes clairement et
définitivement en distance l’une de l’autre mais dont les regards, comme deux
épées, ont toujours envie de se croiser, de faire sonner leur timbre, de
provoquer leurs éclats. Pour que chacun des duettistes, car nous le sommes plus
que duettistes, apprennent crescendo l’un de l’autre la beauté des gestes
d’attaque et de défense, l’arabesque de nos êtres, la chevalerie de nos
comportements. L’évocation
personnelle illustre le bien fondé pour
l’individu d’avoir à s’affronter à l’ami de combat. Nous avons un biologique
besoin d’une contradiction affectueuse. Avocat du diable, dit-on, pour faire
parler un contrepoint injuste dans le fond mais aérant pour l’esprit dans la
forme. J’ai trouvé sans chercher mais je n’ai pas refusé ce qui m’arrivait. Ici
est le message que je veux laisser trainer au cas où vous le verriez. Il existe
des moments, souvent fait de personnes, qui nous font clin d’œil de partager.
Sans façon, sans raison. Uniquement parce qu’elles sont là à cet instant « t »
et que nous y sommes, là en « t’ ». Instant dont la société organisée
et préventive veut apprendre à nous méfier, parce qu’en effet aucune procédure raisonnable
permet de le vérifier. L’instant vient de la profondeur intime des individus
qui se rencontrent. Il n’a pas de critères ni de buts. Il n’est qu’à prendre
par les individus comme une balle faite de leurs sentiments qu’ils pourront
saisir, se renvoyer, faire rebondir de l’un vers l’autre. Le jeu de deux
individus devient un projet commun de bien faire, d’agir, de construire ce qui
était au départ inenvisageable par les seules compétences de l’un et de
l’autre. La synergie de ces 1+1 qui font plus que 2 est une incompréhension
soulevant la méfiance de la part de la société organisée. La sophistication de
l’organisation sociale et étatique s’évertue à prévoir toutes les situations de
la vie, sous forme de lois décrets mesures d’assistance ou de devoir intervenant
dans toutes les situations de la vie. A l’instar de ces FAQ, foire aux
questions, qui remplacent maintenant sur les sites téléphoniques et internet les
résolutions humaines de problèmes. Malheur à vous si votre question n’est pas
dans les cases de la compréhension machinalement prévue car on vous y dit carrément
hors sujet, votre question et même vous. Vous n’êtes pas dans le schéma formaté
de la société. Refaites vous d’urgence !
A quand un relooking psychologique pour que vous soyez sociéto
compatible ? Alors que la rencontre, qui vous reconnait et vers laquelle
votre cœur fait tilt, n’est pas dans cette connectivité branchée ou débranchée
de vous par rapport à la société. La rencontre déclenche un déroulement
réciproque de bonnes intentions. Que ce soit en relation d’intimité ou en
partenariat d’affaires potentielles. La vision de l’autre me semble ne jamais
pouvoir se tromper. Chacun restera ce qu’il est individuellement et profondément
dans cette relation. C’est impératif de rester soi ; car un soi
transformé, même pour faire plaisir, est un changement d’état de ce qui a
provoqué sincèrement la première attirance. Les rencontres qui ne se
concrétisent pas sont dans le cours de l’histoire humaine des balles perdues,
des occasions manquées, des suites de l’évolution qu’on aura laissé s’évaporer.
L’attention n’est pas, et n’est même pas du tout portée, sur notre rôle véhiculaire
dans la suite du temps. Créé pour une mission semble trop pompeux ; car il
ne s’agit que d’un fragment, que nous sommes, dévolu à quelqu’un quelque chose.
Savoir à quoi est trop gigantesque. Savoir comment relève d’accepter les
opportunités rencontres que nous propose la vie. D’y déployer nos désirs, d’y
adapter nos besoins, nos ambitions. Et de remettre le chantier, en cours et par
nous transformé, aux suivants à qui nous laisserons les outils pour se
déterminer en rencontres comme nous l’avons pu nous-mêmes, sereinement en
liberté. Se laisser porter par les événements est, à tort, un jugement de
passivité de ce qui nous arrive. Pourtant notre rapport physique, avec lesdits
événements, montre à l’évidence que nous seul ne pouvons pas les porter. Ni à plusieurs
d’ailleurs. Mais que éclairé en nous-mêmes, ou avec l’aide de bons mentors,
nous pouvons savoir profiter des vents et des courants de cette mer
d’événements pour nous y mouvoir vers des endroits que nous affectionnons
individuellement plus particulièrement . Etre deux ou plusieurs dans
l’embarcation apporte du plus à chacun. L’idée est que si nous sommes
effectivement dans un parcours de vie fondamentalement individuel, la rencontre
est ce croisement de nos individualités, qui porte en lui la véritable
possibilité que nous développions, que nous nous transformions, que nous
devenions plus ; tout en restant fondamentalement 1. Nous devenons des 1+,
pour nous-mêmes, pour les autres, pour l’ensemble des autres de ce qui
s’appelle l’humanité. D’autres ont dû penser à cela à chaque génération. Chacun
a du se poser, et se posera la question, du bon sens de qui
suis-je ? Rien de nouveau à cela ; mais pour la première fois
dans cette suite de siècles l’impression que nous n’avons plus d’obstacles
physiques et psychologiques pour y répondre, ou du moins pour poser très en
amont la question de ce qui suis-je. Jusqu’ici, la non connaissance, que je préfère
à une négation délibérée qu’est le mécanisme, obligeait notre quotidien à
accepter des réponses toutes faites imposées par des croyances ou des règles de
société, maintenues en place pour sécuriser l’espace commun des hommes et de
leur environnement. D’une part on ne savait pas tout, mais en tous cas bien moins
que maintenant, et d’autre part la cohésion protective du groupe verrouillait
les divergences. Autrement dit, il ne suffisait pas autrefois d’avoir une
question existentialiste de bon sens pour qu’il soit bon d’y répondre. Une
certaine forme des priorités obligeait à des essentiels, au-dessus du bon sens
de chacun. D’aucuns décrient l’évolution qui renverse la tendance vers ce
confort de vie global, permettant à nos chacun de crier « et moi et moi et
moi », à l’instar du prémonitoire Jacques Dutronc se comparant à 1
milliard de petits chinois… et moi et moi et moi. Le confort nous remet
les cartes du monde et nous demande ce que nous en faisons ; comment
voulons-nous y jouer et continuer la partie… avec des joueurs qui s’y
connaissent aussi. L’évolution n’est que la fin du privilège que nous avions de
dominer les autres. Ce n’est pas inversion faisant de nous désormais des
dominés, des inférieurs ; même si cela nous fait mal de ne plus pouvoir se
dire supérieur voire égaux, dernier terme qui supposerait que les égaux d’en
face sachent et veulent ce que cela veut dire. Bas les masques occidentaux,
aurait-on envie de dire, et que vive le bon sens avant tout effet d’éducation
et de société nous en donnant une version biaisée. L’Humain parmi les Humains
ne peut y avoir que toute sa place. A condition que le sens, bon et unique, de
ce qu’est un humain nous revienne : un corps et un esprit génétiquement
doté pour apprendre de son monde environnant et y construire un apport
supplémentaire à l’état trouvé. Cette définition du chantier global laisse
libre cours à toutes les formes de contribution. Pour que tour de Babel de confusion
ne s’y installe, les efforts s’organisent par qualification esthétique, les
urgences se traduisent par des manifestations communautaires de région, de
pays, de groupes religieux ou autres de pensées. Qu’importe si la forme du
dialogue à la méthode constructive est entendue par tous, c'est-à-dire en
partant et repartant toujours du bon sens individuel de chacun. Quand il n’est
pas manipulé par raisons au-dessus de son bon sens personnel, l’individu a un
rapport courtois avec son voisin, avec ses contemporains. Aucun de nous ne se
croit sérieusement supérieur, dominateur ou savant. Le bon sens éclaire notre
individu intérieur, dans cette sobriété vis à vis des autres : le laisser
vivre, profiter de sa joie ou de ce qu’il peut concrètement nous apporter, lui apporter
s’il le veut ce que nous pouvons partager avec lui. Les uns à côté des autres
nous sommes cela. Au-dessus, les masses d’uns à côté des autres deviennent
groupes à gérer, à se faire représenter
en élus, gouvernants, maîtres du monde que nous pouvons toujours rappeler à
leur vocation d’origine ; justement grâce à la nouveauté, unique dans
l’histoire, permettant à tous de savoir et de communiquer ces savoirs. La
permissivité d’écrire et de recevoir vers et du monde entier donne à chacun la
possibilité de rappeler aux instituants du pouvoir le contenu de leur mission,
qui n’est autre que la promesse d’actes à réaliser au moment où nous avons
votés pour eux. C’est une évolution extraordinaire que de voir en permanence
l’en cours d’une action. Il se peut que les hommes de pouvoirs actuellement
soient dans une vision de promesse servant à s’être fait élire. Mais les
mandats passent vite pour que les prochains comprennent que les nouvelles règles
de l’instantané s’appliquent, à eux aussi, désormais, quitte à en faire trembler
le bouclier d’immunité de la durée des institutions ou l’idée régalienne d’un
état au-dessus de tout. Le bon sens de base doit servir à susciter chez le gouvernant
un bon sens au niveau de son travail au service de tous. C’est une fonction
technique de répondre à ces critères du bon sens individuel par la mise en
place d’une gestion collective de similaire bon sens. Le filé ou fil de nous
qui coule de nous ne sait pas mentir. Un sens naturel le guide, de l’amont qui
est nous vers un aval qui est toujours nous. Bon sens est le terme exact de
cette trajectoire si nous la laissons y faire de bonnes rencontres avec
nous-mêmes, avec les autres, avec les événements du monde. Ainsi rien n’est réellement
compliqué lorsque nous laissons le courant des êtres, dont nous-mêmes et des
choses, aller dans le sens général des bons sens additionnés de chacun. Tout
n’y est pas toujours parfait. Au point quelquefois de regretter amèrement la
confiance, tolérance, voire laisser faire par positiviste sens de cette action
ensemble. Que sommes-nous venu faire dans cette galère d’incompétents, ou pire,
de mal intentionnés pour ne pas dire plus malhonnêtes ou usurpateurs de valeur
de notre bon sens ? Très bien de se dire tout cela et de jurer que l’on ne
nous y reprendra plus ! La seule solution est alors de ne plus agir, ou
pire de se rétracter en méfiance définitive à l’égard de l’autre et des autres.
On s’y préserve de futures mauvaises rencontres mais avec le préalable de s’interdire
désormais la rencontre puisqu’elle est par sa nature porteuse d’incertitudes.
La rencontre sure de nous être 100 % favorable n’existe que dans l’acquisition
de produits manufacturés, dont la description et la garantie mettent l’acheteur
dans une satisfaction relative mais non totale puisque même si satisfait ou
remboursé le retour d’investissement ne sera jamais jouissance totale de l’objet.
Paroxysme de la société de consommation qui doit parler jusqu’à notre exigence.
Il en est de ce que nous voulons et de ce que pour finir nous avons. Il faut se
donner une marge de non atteinte de nos désirs. Au contraire du qui trop
embrasse mal étreint, il est plus sain d’avoir de multiples projets sereinement
mis en chantier, comme si chacun devait et pouvait réussir ; mais dont on
sait à l’avance que des impondérables viendront contrarier passagèrement ou définitivement
l’accomplissement. Ce peut être une analyse erronée au départ, des partenaires
variant leurs efforts ou leurs intentions en cours de route, une conjonction de
retournements humains et matériels, et même la découverte trop tardive de la
vénalité de nos compagnons d’entreprise. Matériaux de l’humanité ils sont tous,
dont nous sommes aussi. Nous, certes, n’avons pas fauté et jurons que jamais
nous ne fauterions. Soit pour le constat mais quid de ce qu’il faut faire de
ces matériaux qui n’aboutissent pas à l’édification du projet ? Ce qui
n’est pas fini n’est pas pour autant inexistant. Nous y aurons mis passion, effort et expérience. Nous en avons
déjà avancement, leçon de choses apprises. Mais, comme une boule dans la gorge,
nous asphyxie l’image de l’autre qui nous a trompé. Le mal nous vient-il de ce
que nous n’aurons pas réalisé en tant que jouissance et profit, ou en tant que
vexation et affront fait à notre personne ? Le profit, qui n’est qu’argent,
renouvelle ses occasions. Ce qui est matériel s’arrange ou se répare. La
blessure morale touche notre invisible profonde individualité. Touché nous
sommes en ce que nous avions tout aussi profondément décidé de choisir. Là il
n’y a plus de raisonnement. Nous étions sincères pour dire oui et nous voici retourné en boomerang avec un
non nous touchant tout aussi sincèrement. Ce va-et-vient nous est insupportable
et même incommunicable à tiers pour s’en expliquer. Au point qu’il ne faut pas
commencer à s’en expliquer, au risque de s’entendre conseiller qu’il y a de la
raison et du tort des deux côtés. Personnellement j’aime être seul dans
l’adversité de la déception de l’autre. Quitte à être abattu, autant se battre
avec ses propres poings jusqu’à ce qu’ils se délient et se détendent pour se
retendre ensuite vers de nouvelles opportunités. Les couleuvres ne s’avalent
pas avec de la raison. Elles ont un besoin métabolique de faire en nous leur œuvre
d’amertume jusqu’à ce que naturellement nous vienne un goût de pardon. Pardon à
nous-mêmes de nous être envahi d’un projet mal ficelé au final mais que nous ne
pouvions pas prévoir au départ. Pardon à notre suivi manquant de précautions.
Pardon à la confiance mise et renouvelée en partenaires s’avérant délictueux.
Somme de tous ces pardons qu’il nous faut faire dans notre tête d’abord, et
simultanément dans une concrétisation matérielle pour réparer ce qui nous aura
été cassé, pour apprendre ce que nous n’avons pas su, pour comprendre le
processus de la dérive vers l’échec, et surtout pour visualiser sous un angle
rétréci les personnes qui nous ont trahis. Se les remettre dans la situation de
départ qui nous les avait fait choisir. Qu’elles nous aient choisis ou que nous
les ayons choisies. A quel moment le décrochage les uns des autres s’est-il
produit ? La reconstruction du scénario à l’envers permet de voir le point
de ce qui a dévié de l’autre. Cette vision est déjà un grand ouf que l’on se
donne. Un pardon sans esprit de tardive et inutile revanche. Voir clair permet
de se voir et de voir l’autre aussi, adversaire ennemi toujours présumé, mais peut-être
mieux cernable dans son environnement de bassesse personnelle ou d’intérêt
supérieur, par exemple, qui n’était pas le nôtre. La culpabilité reste la même
dans l’échec que nous subissons mais le concours de circonstances en atténue la
haine personnelle. Là est le but de ce voyage introspectif qu’est le pardon.
Remettre en perspective que nous puissions recommencer avec tous les éléments à
nouveau clarifiés de la vie. Repartir avec le partenaire, traitre ou voleur,
n’est pas le point d’humanisme prioritaire. On ne fait rien de bien en
déplaisir de moyens humains et matériels. Le choix des armes nous appartient
pour repartir au combat ; mais parmi les armes les plus utiles se trouve
être la confiance d’un tout possible à nouveau, dans lequel il y a peut-être un
traître en puissance, une erreur imparable, une conjonction imprévisible. Sans
pardon nous ne pouvons repartir que méfiant, c'est-à-dire le contraire de
confiant, c'est-à-dire amputé de la plénitude de vision qu’il faut pour tout
envisager. L’histoire de l’humanité regorge d’histoires de pardons heureusement
intervenus. Les après-guerres, après révolutions, après massacres ou
génocides ; les après divorces,
abandons meurtres sont autant de manifestations de cette nécessité de repartir
de l’avant une fois que l’on a vécu l’horreur. Au point d’ailleurs, de se
demander par quel phénomène les mentalités individuelles arrivent à se
déconnecter de l’horreur pour se reconnecter au bonheur. Usure du temps,
passage d’une nouvelle génération et surtout volonté d’oubli au sens le plus
matériel de l’effacement du visible, de la mémoire, des traces. Jusqu’à ce point
où nous sommes de l’histoire, de notre histoire du monde, il ne nous reste pas
de traçabilité totale de ce que fûmes nos ancêtres depuis la nuit des temps. Ce
que nous savons nous vient de notre culture, de civilisations disparues ou du
moins communément admises, d’histoire réputée incontestable et universellement enseignée.
En un mot il y a consensus sur le passé qui nous a forgés. Sagesse des hommes
qui a pu faire table rase des brouilles d’alors, vues de maintenant s’entend.
Alors que des monceaux de souvenirs épars pourraient avoir ressurgis et animés,
fut-ce artificiellement, des clans. Les matériaux d’alors n’ont pas laissé suffisamment
de preuves pour que l’on s’en entiche. Effectivement, en cette circonstance,
l’effacement a permis l’oubli et cimenté le pardon. La question se pose des
bonnes relations permettant à l’avenir l’accès au pardon parce que nous aurons
pu oublier, parce qu’aura été effacé. La nouvelle donne des instantanéités et
des exponentialités de mémoire de l’informatique apporte un éclairage trouble.
A la fois il n’y a plus de limite à la mémoire ni à son accès ; et son
immatérialité numérique sans support physique la rend volatile. Plus
sophistiquées dans le maniement mais moins pérenne dans la sureté ?
L’ampleur du problème dépasse la
génération qui en fait usage et qui a l’obligation de vivre avec les données
existantes de son temps. Le recours à la notion de pardon transcende en cela
les stricts protocoles de la conservation ou de l’oubli de la mémoire. Le
pardon est une carburation dont l’organisme doit se régénérer pour donner à l’esprit
humain qui l’habite le désir de la ré-entreprise dans le temps de la vie
terrestre qui nous est impartie. La séquence du pardon, breton autrefois
célébré en des jours répétés et précis, est de ces instants de grâce où l’humain
échappe au cycle de la pure rationalité. Ce sont de ces moments rassembleurs où
nous échappons à l’addition des faits, à la soustraction des maux, à la
multiplication des fautes, à la division des responsabilités. A cet arrêt du
temps, l’homme dit à l’homme, tu n’es qu’un homme mais justement tu es surtout
homme. Le reste n’est qu’épisodes qui ne m’intéressent pas. La globalité de
notre corps-esprit individuel et indivisible est la grande surprise des restes
de l’environnement dans lequel nous évoluons. D’autres qualités extraordinaires
font rêver ; depuis le papillon du haut des airs jusqu’au dauphin du fond
des mers chacun dans leur spécialité extraordinaire. Que ne pourrions-nous pas
avoir leurs attributs ; mais en gardant d’abord la plus encore extraordinaire
pluralité globalité de tous les moyens de l’humain. Sidérante panoplie d’outils
pour percevoir, penser, agir jouir dans une suite de séquences logiques y
compris la capacité d’y inclure l’inattendu et le non logique. La surprise de
moi est ce qui me sidère le plus. Cette capacité à voir dans le non visible, à
laisser venir le non souhaitable, à contrarier le bonheur en cours, à être sage
puis chaotique, à aimer et à détester. Sans qu’il n’y ait volonté ou répulsion.
Simplement parce qu’en l’homme il peut tout simplement tout arriver. L’individu
a peur de se parler de ses incohérences. L’homme ne serait bien que dans la
maitrise de ses pensées et de ses comportements. L’harmonie y est plus facile
mais elle y masque des affleurements de faits ou sentiments réels nous survenant.
Ne pas les voir n’empêche pas l’existence des phénomènes ; et c’est
surtout méconnaitre la possibilité de notre être individuel de faire filtre
naturel de tout ce qui lui passe par la tête. Les milliards de nos neurones du
cerveau perçoivent du réel et de l’irréel, de l’utile et du futile, du tout et
du rien, dans une variété et une capacité dont nous ne sommes pas encore prêt
de connaitre l’ampleur du fonctionnement. Je pense, mais la science déjouera ma
prémonition sans doute, qu’il y soit tout prévu y compris tous les neurones du
non sérieux, du loufoque, de l’autodestruction, du sérieux, de l’imprévisible,
pour quiconque, comme je le fais, tente de regarder ce qui devrait toujours
rester de l’ordre du contraire de tout. L’idée est que nous soyons pourvus de
tous les antidotes à ce qu’il nous prendrait de nous croire quelque chose. Une
espèce d’anti sérieux qu’aucun mot ne saurait décrire ; sauf la
possibilité d’être fou avec soi-même sans que cela ne se sache autour de soi.
Pouvoir avoir au-dessus de sa tête, mais
toujours arrimée à notre tête, une
enveloppe montgolfière gonflée d’airs non identifiés par l’humaine raison, et
plus léger que l’atmosphère ambiante ; donc par conséquent capable de nous
faire survoler notre nous-mêmes parmi les autres. Une hauteur qui n’est pas une
supériorité mais une aération des sens. Le grain de folie n’en est que le
mauvais mot dont personnellement je garderai le terme grain masculin de graine
capable de nous ensemencer vers les nouveaux territoires survolés par l’esprit.
L’expérience nous arrive tous mais nous n’acceptons pas tous, ou du moins pas tout
le temps, d’assumer la graine en nous qui nous fait découvrir du nouveau. Il y
a une fonction définie, qui ne dépend pas de notre arbitraire bon vouloir, à
vouloir nous emmener dans l’inconnu de nous sans qu’il soit dangereux de nous
laisser nous y balader. C’est un voyage libre déclencheur de points de
sensibilité que le réel habituel ne permet pas d’approcher. Décrocher du réel
ou le transcender est reconnu utile par de méthodes artificielles y emmenant
ceux de nous en mal de société. Tant mieux si cette assistance leur fait le
bien qu’ils y recherchent, trop tard, alors que la méthode était plus tôt déjà
et gratuitement en eux. La détente de soi est partie intégrante de nos outils
de vie. Un lâcher prise à notre façon,
une évacuation, une évaporation, une prise à l’air, différent de celui que je
ne suis pas mais qui n’est en fait que cet être que je ne crois pas être. Ce
contre feu de nous-mêmes n’a de contre que l’aspect contre effets couramment
attendus. La surprise est effectivement de taille que de voir surgir en nous
des pensées, des désirs, des logiques de réflexion hors schémas connus
jusqu’ici et hors de projections plausibles pour l’avenir, et enfin encore non
destinés à ce qu’il en faille quoique ce soit retenir. Du simple vent apporté
par le vent et périssable par le vent. Pur divertissement dont on ne peut
s’avancer plus à en dire quelque chose sinon qu’il est. Comme la plume au vent,
et ainsi qu’illustrait l’image du dictionnaire Larousse, où une femme soufflait
sur la plume qu’elle tenait à la main, faisant voir les filés s’évaporant :
nous tenons nous aussi, nos capacités caractéristiques entre nos doigts, pour
que s’en envolent nos désirs et nos envies concrètes de faire dans la vraie
vie. Tenir en nous ce qui s’envole de nous est la gageure de notre unique
globalité ! La plupart des autres êtres vivants ou éléments de la nature
sont des fonctions dévolues ou spécialisées à une tâche. Polénisation pour les abeilles,
oxygénation pour les autres. Nous, nous sommes multifonctions et donc
généralistes du goût humain. Tout ce qui se passe semble être fait pour nous.
Tout passe par nous. Tout revient à nous dans une extraordinaire perception
individuelle. Les paysages nous appariassent sublimes dans une combinaison de
couleurs et de contrastes et de sensibilité qui n’est jamais pareille à celle
de notre voisin. La capacité d’embraser tous les touts de la vie, dans une
version totalement individuelle, est source de notre richesse personnelle que,
par définition ainsi décrite, personne ne peut nous enlever. L’homme n’est pas
maitre-propriétaire du monde mais il en est locataire avec vue unique. Et le
nombre même s’il devait doubler après être passé de 2 à 7 milliards ne changera
rien à ce privilège consubstantiel à notre état d’être humain, capable de tout
voir à sa propre façon. Globalité de l’Etre unique faisant sa grandeur comparée
à sa petitesse de sa condition d’ultime dividu,
1 dividu. Dualité programmée pour que
l’envie de puissance dominatrice sur les autres dividus s’arrête sitôt que la sagesse nous fait voir notre richesse
globale déjà à nous tout seul. Les institutions ne sont pas faites pour nous
parler de cela : elles incarnent l’ordre établi des règles de vie en
société. Pourtant le temps vient où les règles ne se font plus respecter par
l’autorité, peur du gendarme, mais par le bien fondé constamment soumis à
expériences concrètes, réactivité de ses usagers, écoute de suggestions. Il n’y
a plus d’experts mais une somme d’expertises de chacun ayant les moyens de
perception et d’expression instantanés et globaux. Les individus que nous
sommes deviennent des 1 …dividuels
qui se feront respecter chacun avant de s’additionner dans des projets communs.
Chacun est une globalité mini-bulle ayant sensibilité et regard sur
l’intégralité de l’environnement. Sa petitesse arithmétique n’est qu’une dimension
de court terme. Sans qu’il soit question de morale, le tout petit fait
ethniquement partie de la somme, et non plus de la masse. Chaque vie est
l’objet d’une surveillance pour que s’y maintienne, en l’état du moins, ce
qu’est une durée normale. Les morts nés sont exception d’un pour mille, les
décès avant 60 ans sont morts subites, et chaque catastrophe enlevant l’un de
nous est considérée comme drame. La mort n’est plus fatalité, au point de
devenir, excessivement, l’ennemi à combattre et à repousser. Ne plus vouloir
laisser la mort faire son œuvre débouche sur des problèmes d’augmentation du
nombre des vivants dans le même espace-temps. Cinq voire six générations côte à
côte suppose volumétriquement moins de place et d’importance pour chacun. Mais
qui doit se serrer ? Tous ou un en particulier ? L’homme reste une
globalité qui n’a pas vocation à se réduire. Vivre plus longtemps n’a
d’ailleurs de sens que si c’est pour jouir plus de la vie. Aménagements structurels
qui doivent impérativement émerger du bon sens global de chacun à qui
l’institution doit savoir proposer des questionnaires checks lists permanents.
Que faire aujourd’hui avec tel nouveau problème qui se pose ? Vous voulez
téléphoner c'est-à-dire parler à tous et écouter qui vous chante alors
qu’admettez-vous de ce que l’on vous a appelé vie privée. En d’autres
termes ne demandez pas à la société de faire ce que vous ne voulez pas faire
vous-même. La globalité des gigantesques nouveaux moyens change la mitoyenneté
de chacune de nos vies que nous croyons encore gentiment les unes à côté des
autres, dans un respectable voisinage. Notre globalité capable d’évoluer
autonome nous rend spatialement voyageur du grand tout, tel le drone capable
d’aller à endroit précis sans chemin cadastré par la société. L’éclatement du
cadre, tous mini bulles dans la maxi bulle. La culture de bulle mini, mais
autonome, s’y avère encore plus indispensable que le bon rangement en case et
en classe sociale. L’autonomie rendue balaie en chacun de nous la solidarité
que nous avions culturellement apprise à pratiquer envers plus faibles. Notre
compassion, ou notre sens de l’autre, n’en est pas changé mais il doit trouver
d’autres effets de levier pour agir après avoir détecté le besoin. C’est une
occasion d’être plus sincère, du fond de notre démarche, pour assumer sans
devoirs, mais avec bon sens et bonne raison venus de notre véritable réflexion.
Concrètement nous n’aidons plus l’homme parce qu’il est pauvre ou mal né dans
une prédestination à jamais figée : nous avons à porter un regard sur
l’autre dans son autonomie, par principe
égale à la nôtre, mais que présentement il n’arrive pas à assumer. Coup de main
ponctuel, leçon pour apprendre à pêcher disent les chinois ; mais
absolument pas devoir moral d’assistance de nos pauvres parce que nous serions
nés riches ou du moins moins pauvres. En un demi-siècle, qui est
anecdotiquement extraordinaire panorama pour qui est né comme moi en 1945, la
globalité du monde s’est globalisée en immense ascension de pays émergents,
alors que nous nous voyons à tort en civilisation descendante. La nouveauté est
qu’il n’y a plus qu’un seul sens à l’histoire, qu’un seul vase communiquant
obligeant les uns à descendre si les autres sont en train de monter. La
révolution est aussi celle de la mécanique des fluides, échappant désormais aux
forces purement physiques et à la gravité. La reconnaissance du droit à la vie
de chacun pour chacun fait plus penser à ces boules de verre où des flocons de
neige bougent dans l‘espace bulle, en harmonie et sans collision, pour se
déposer et repartir à la prochaine secousse. Ce mouvement du plus petit dans
l’espace dans plus grand nous donne une impression d’immense voir, d’infinie
autonomie. Merveilleuse impression de se sentir libre dans un univers quant à
lui fermé, mais que notre petitesse nous empêche de toucher les limites, alors
que notre grandeur nous pousse à nous croire tout permis. Que serions nous, à
l’inverse si nos mêmes capacités avaient la contrainte de ne pas bouger ni en
idées ni en mouvement ? Pourquoi d’ailleurs cette velléité de changement,
d’aller voir juste à côté ou un peu plus loin ce qu’il s’y passe ; et si
l’on n’y serait pas mieux tout en sachant que notre condition présente est la
plus confortable le plus souvent. Aller voir ailleurs si j’y suis reflète ce
désir pour nous transposer en pure versatilité. Ce n’est même pas un besoin de
se rassurer qu’ici serait en définitive meilleur que là-bas. C’est un gratuit
changement d’air, en nécessité viscérale de changer d’atmosphère. L’élan nous
en vient de profondeurs insondables. Qu’intervient-il en nous pour que nous
trouvions cet hiver trop long, avec l’envie soudaine d’en ouvrir n’importe
quelle porte vers quelque chose d’autre ? Même versatilité pour ce
vêtement au confort parfait mais que l’on a trop vu ; pour ce voisin lancinant
de ses pas au même endroit toujours à la même heure ; de ce chien ;
et quelquefois de cette compagne répétitive de gestes et sans nouveau regard
sur vous. Rien ne peut y faire pour raisonner notre lassitude de ces permanents
paysages. De l’air, n’importe lequel, il nous faut du changement. Selon notre
respect des cultures nous nous alertons et nous nous réjouissons de ces appels
d’air à autre chose. Or que vient faire le respect dans une envie pressante qui
est de l’ordre de notre fonctionnement biologique et mécanique. Ce n’est ni plus
ni moins que notre bête humaine, en tant que machine, dont les rouages ont
besoin de fluide entre eux pour ne pas se gripper, ne pas se détester, ne pas
se fracasser l’un contre l’autre. Il n’y a pas à réfléchir quant à l’urgence
sanitaire d’arrêter le mécanisme ; et peu importe la rase campagne dans
laquelle il nous laisse. L’organisme a ses réserves, ses aires de repos, pour pouvoir continuer ou du moins survire au
ralenti sans nous. Nous sommes de vrais individus, c’est à dire éléments seuls
à décider de nous-mêmes, dans ces situations d’appels vertigineux aux
changements. Les autres vous disent, raisonnes-toi, comme si en plus des
habitudes accumulées nous désirions y rapporter des outils de changement et de
redressement que constitue la raison. Tout le contraire est nécessaire pour
s’échapper de tous les carcans. Pour se laisser être pensé par le pilote automatique
que nos avons en nous et qui va prendre le relai le temps que nous ayons envie
de revenir aux commandes. Le cycle de nos atermoiements est dans l’ordre de
notre métabolisme, qui n’est pas linéaire. Nous y laisser aller et venir, en
intensité ou en passivité de commandement, est signe que nous intervenons
toujours à bon escient, au mieux de la
forme de l’instant. Le changement ne se décide pas mais nous sollicite pour que nous ne nous y
opposions pas. La faculté d’exécution de la pensée et des tâches est exactement
le résultat de la disponibilité que nous y mettons : ne pas s’opposer à ce
qui vient vers nous, encourager ce qui nous sollicite du monde avec lui. Le changement,
c’est se déprogrammer du volontarisme abstrait pour se mettre en osmose avec les germes potentiels de l’instant. Nous
peinons et presque culpabilisons à croire que l’instant ou le changement ne
serait autre chose que laxisme nous déviant de vrais buts. Apparemment le but
déterministe fait une pause mais c’est pour se fondre dans une réforme plus
globale de notre part, se refaisant des forces de tous ses pores et non plus
seulement par l’artifice d’une volonté essoufflée. Le changement remet notre
individu comme l’église au centre de notre village. Notre horloge ressourcée y
indiquera la même bonne et exacte heure, pour tous les éléments de notre
organisme. La période de flou du changement vient de la nouveauté d’atmosphère
dans laquelle nous voici soudainement immergé. Nos codes habituels
disparaissent justement pour que nous ne puissions plus rien prendre au pied
des lettres de mots n’ayant plus de sens. Le changement est une sensation sans
jamais être un ordre formel compréhensible par l’entendement rationnel. C’est
en cela un changement, par l’abandon de la formulation précise que nous
employons dans nos vies. Ce qui se passe,
en vie normale dans le déroulé de nos actes et de nos pensées, peut être
fidèlement consigné dans nos perceptions, réflexions, expressions. Individu à
l’intérieur de nous-mêmes nous sommes, mais vecteur communiquant nous avons à
être dans notre vie avec les autres. La rugosité de notre abord et de notre
approche peut servir de décor anecdotique à notre personnalité ; mais elle
n’arrange rien de ce que l’autre peut comprendre de nous. Ce qui sort de nous
doit être précis pour être compris. Le ressenti de l’autre à notre égard est
une essence dont nous ne pouvons éviter que ses effluves nous soient négatives
ou positives. Mais ce que nous exprimons doit être éléments précis de ce que
nous voulons transmettre. Tout d’abord par clarté de nous même, la bonne
joaillerie des mots que nous employons nous les fait entendre et vérifier
qu’ils sont bien notre état. Ensuite le transfert de ces mots, grâce à
l’éducation partagée des langues et leurs possibilités émotions, devient une
véritable livraison vers l’autre qui ne peut nous déballer autrement que tel
que nous nous sommes emballés. Il ne s’agit pas de jouer sur les mots ou de
couvrir par la parole ou l’écrit des actes qui ne leur correspondraient pas. Ce
serait à notre entendeur ou lecteur de ne pas se laisser gargariser. Mais dans
la limite des compréhensions réciproques, ce qui est bien dit ou écrit est une
base de comportement réciproque tout en restant dans la liberté de chacun de ce
qu’il a exprimé d’un côté ou compris de l’autre. Plus qu’un savoir être ou une
politesse révolue, à l’heure du raccourcissement du langage pour cause de culte
du très vite et raccourci tout de suite, l’expression juste est un outil neutre
entre les parties qui se donnent, avant quelque opinion l’un de l’autre, la
promesse qu’entre eux la parole réelle circulera. L’emprise croissante du culte
de soi, dans un moi d’abord et tout de suite, fait craindre à des
cloisonnements des comportements pour cause d’incommunicabilité. La propension
heureuse qui nous est donnée d’être sans scrupule des entités très personnelles
fait de nous des profils hétéroclites. Vu de loin nous sommes patchworks
multimatières multiidées, multisouvenirs, multidestins. Ce que nous croyons
notamment en nous présentant comme une intégrité, est en fait un assemblage de
facettes diverses et variées : en couleurs, en matière, en consistance, en
plasticité, en variation de genre qu’il est même impossible à définir par les
mots tant ils sont magmas évolutifs insaisissables dans notre volcan toujours
en éruption. Des civilisations se nomment melting pot à quoi nous ressemblons,
tant il y a en nous le projet commun de nous qui recueille de toutes parts ses
insatiables curiosités de la vie qui nous environne. L’extraordinaire capacité
de notre naissance nous dote, en mémoire individuelle, d’une capacité de saisir
ce que l’on peut appeler toutes les richesses du monde passé présent et à
venir. Il est d’ailleurs caractéristique que parmi toutes les comparaisons
entre l’homme et la technologie, la capacité de l’homme n’a jamais été problème
alors que la vitesse de calcul est passée en faveur des machines. Notre cerveau
peut donc être le grand bazar caravansérail où s’accumulent le vu, l’entendu,
le ressenti et peut-être le non encore porté à notre sensibilité réactive.
Immense patchwork faisant office de couverture enveloppant l’ensemble de
notre être. Dans cette caverne de nous-mêmes il ne faut pas craindre la
bizarrerie, voire même la loufoquerie, de tous ces matériaux. Ils n’ont pas de
vocation à construction d’un mur lisse et homogène. Ils sont ingrédients sucrés
ou salés, fades ou épicés, jetés dans notre marmite sans souci de bon ou de
mauvais goût, de suavité ou d’indigestion. Prendre tous les interstices de la
vie est la fonction d’accueil de notre individu. Pas de rejet, pas
d’appréciation : simplement le vivant et notre ressenti pour ce qu’ils
sont, en tant que phénomènes existants. L’intérêt premier est notre capacité à
être au balcon de tout ce qui se passe. Si nous laissons tout entrer, sans
préjuger, nous sommes en permanence dans le théâtre du monde et dans la seule
limite de notre dimension unique individuelle qu’il faut savoir s’accepter. Ne
pas être un grand savant n’empêche pas de recueillir les phénomènes survenant
en tant qu’objets sensibles, même si nous ne savons pas les identifier.
Qu’importe l’explication de tout du moment que nous éprouvons la juste présence
de quelque chose. Il est important de se déculpabiliser de ce non accès savant
au bien nommé savoir. Concrètement les nuages n’ont pas attendu que l’on
décompose leur structure moléculaire chimique pour être beaux vers nos yeux
éblouis. Le monde est à tous ceux qui lui ouvrent yeux oreilles et sens. En
vouloir savoir plus n’est qu’un choix parmi d’autres dont celui de ne pas
vouloir savoir. La limite de notre individu réside dans le périmètre
inconscient du champ de savoir que nous voudrions absolument acquérir. Mon
corps, par exemple, m’intéresse au point de vouloir l’ausculter de plus près
comme si j’étais mon médecin. D’autres champs vont requérir une aussi totale
dévotion en temps et en connaissance à acquérir. Nous ne ferions plus que cela ;
au détriment de la polyvalence comme une statue de Shiva disposant quant à elle
de multiples bras vers les champs de ses insatiables possibles. Patchwork nous
sommes destinés à le rester ; joyeux, sans vouloir faire de nos
expériences de multitudes de couches de savoir. Elles nous étoufferaient, nous
culpabiliseraient, nous donneraient l’impression de n’en savoir jamais
assez ; elles nous couperaient de l’individu modeste isolé pour nous faire
croire en une empirique détention de leviers d’action sur le monde et les
autres. Le confus de notre être est une culture personnelle, dont le mélange
macéré fait apparaitre en nous l’individu social varié mais contenant de
manière intégrée sa diversité intérieure. Les remue ménage et ménage que je
mène sont déjà une forme de grattage de mes intimes individuelles parois. Je me
demande si j’en ai le droit décent ? N’y-a-t-il pas une matrice originelle
de nous qu’il ne faudrait pas commencer à toucher. Je m’en explique par la simple
description de l’existence d’un phénomène dont je ne veux au contraire rien
changer de la fonction. Décrire ce que l’on croit voir n’est vraiment pas
l’arrogance de le remettre en cause ; ou de tenter d’en modifier le
comportement. Révéler ce que l’on croit avoir en soi n’est ni présomptueux ni
humble. C’est lucidité au sens de lumière que l’on projette pour se voir et
souvent découvrir des outils et des
fonctions que nous ignorions et que l’éducation ne cherche pas à nous laisser
entrevoir. La libération de l’individu est malheureusement une étape de notre
évolution ; alors que l’état libre du même individu eut du être une
constance. Des écrans protecteurs nous font voir le monde et les hommes en
prismes déformateurs. A se demander si depuis le début de l’histoire humaine
l’instinct de protéger l’autre de ce qu’il ne devrait pas savoir n’a pas été le
ferment déterminant de toute l’action, répétée de génération en génération, et
jusqu’ici aujourd’hui. Au point que ceux qui ne protègent pas plus que ceux
censés être protégés n’ont pas de réelles prises de conscience. Ainsi serait
l’ordre des choses ? Bien au-delà des dominants ou dominés, qui d’ailleurs
peuvent permuter leur rôle, cela arrive, d’individus à autres individus, ou de
civilisation déclinante à continent émergent. Les acteurs sont inconscients de
la pièce qu’ils sont en train de jouer, convaincus seulement qu’il y a un ordre
pour accéder au savoir. Que cet ordre vienne d’en haut, qu’il soit gouvernement
du monde, de l’état, de la région, de la ville, de la communauté, du groupe de
pression ou économique, du clan, de l’ethnie, de la famille ; sans parler
de la subjectivité des religions se proclamant pouvoir spirituel sur des bases
temporelles de légendes inventées mais symboliquement toujours sympathiques et
fédératrices. Tous sont dans une conception de savoir figé dans son accès. La
hiérarchie d’accès au savoir a encore de longs jours devant elle alors qu’aucune
crainte ou danger intérieur ou extérieur ne justifie cette limitation. Chacun
sur terre peut ressentir désir d’accès à la connaissance du monde. Chacun sur
terre peut, à sa mesure, se bricoler des moyens pour y accéder par lui-même. La
première marche est de n’y avoir peur de rien. La prétention à se revendiquer
le droit d’être est la première fenêtre que chacun puisse se dire un grand cri
proclamant, je suis. Facile apparemment à dire ; à condition de ne pas en
dire plus car un, je suis, suivi d’un immédiat, donc j’ai droit, ne marche
pas. Je suis, est une proclamation tonitruante individuelle se déclarant en
entité autosuffisante dans sa volonté de ne compter que sur elle-même. La suite,
quand les individus cumul de « je suis », s’organisant en vie sociale,
n’est qu’une forme de structure choisie pour vivre ensemble. Mais les « je suis » sont dans le fond des
autoporteurs de leur raison de vivre, de leur désir de prospérer, de leur besoin
de s’en cogérer l’espace commun. Ce que je pense de l’individu est voix dans le
désert si l’envie me prend d’écouter concrètement les autres. Je n’entends
aucun cri mais je ressens en intime conviction, sans qu’il soit besoin de se
tweeter ou facebooker, que des milliards se disent aussi, je suis. Certains
parlent ou écrivent plus vite ou plus fort que les autres. Pluralité fonctionnelle
en action de nos tempéraments différents. Mais qu’importe d’ailleurs la forme
ou la synchronisation décalée de ces expressions de ces je suis. Si elles
existent, elles vivent sans besoin de défiler en rassemblement militant tous pour
un derrière un drapeau. Les germes de blé aux semailles ne savent pas qu’ils
seront moisson tous ensemble. Le travail commence avec le ressenti qui monte en
chaque individu prenant conscience de ses potentialités et de ses moyens d’en
faire usage maintenant instantanément et à travers le monde entier. C’est la
grande différence avec l’illuminé d’hier, seul dans sa conviction, avec l‘éclairé
connecté d’aujourd’hui, capable de détecter tous ceux qui s’allument dans leur
coin de la terre et sans qu’il soit besoin de descendre tous ensemble dans la
rue pour crier je suis. Je suis, tu es, nous sommes n’a aucune valeur de
somme à un moment donné de cette transformation en cours. Chaque je suis se
suffit et érode l’édifice de l’ancienne mais toujours en active hiérarchie. S’agrippent
aux parois, pour en enlever pierres constitutives, de plus en plus d’individus
conscient de pouvoir agir c’est autant d’anciennes directives qui s’avéreront
infondées et de moins en moins bienvenues. Mais en ce début d’escalade, il ne suffit
pas de se prétendre il faut vouloir s’assumer. L’individu doit construire son
indépendance, de corps et d’esprit, pour pouvoir proclamer son je suis. Sans que cela soit une gesticulation fanfaronne,
il y a quand même de la bravoure à remettre en question la société d’assistance
dans laquelle jusqu’ici chacun a sa niche. Chambouler tout cela fera reculer,
si l’on s’y prend brutalement. C’est par la mentalité individuelle, en tant
qu’exercice intellectuel d’abord, que notre individu peut commencer à
rassembler les matériaux et tirer les premiers traits de ses plans pour
envisager son autonomie. Ce qui peut arriver à chacun n’a plus rien à voir avec
les évolutions lentes des mentalités. La circulation des idées ne suit plus de
parcours préconçus et connus. Il en est par conséquent ultra difficile et
présomptueux pour se croire investi d’une prémonition. L’audace est permise
d’en lancer des amorces, des pressentiments. Cela commence par un état des
lieux de la terre. L’organisation de l’atlas du monde parle toujours de terre,
de mer, de continents, de sous continents, de pays, de régions comme autant de
boîte à contenu d’habitants qui y seraient homogènes et dont l’accès passerait
par les délégations connues tel que l’état dont ils sont citoyens. Certes nous
habitons tous physiquement quelque part, et même nous y affectionnons des parts
de nous avec des parts des autres qui nous ressemblent plus. Les groupes ne
présentent plus pour autant comme une seule tête. Chaque habitant du monde
relève sa tête. Aucun éloignement, aucun retard politique ou structurel ne peut désormais laisser dans l’ombre une population.
Toutes régions, mêmes les plus reculées, sont accessibles et dès lors visitées
par des voyageurs amenant des nouvelles du monde et en ramenant des nouvelles
de là-bas. Tous les indigènes de quelque contrée savent qu’ils sont hommes
parmi 7 milliards d’autres dont ils imaginent, comparent, envient ou rejettent le
style de vie. Mais en tous cas le lien communicationnel existe, venu presque
ex-nihilo sans être passé par le long phénomène de transit qu’en avait du
expérimenté l’occident, en des dizaines de décennie. Alors qu’il suffit de dix
ans pour organiser la couverture de tout le continent africain avec le
téléphone cellulaire. Idem pour la circulation automobile, le réseau aérien. De
même pour l’organisation décentralisée que permet l’informatique et sa gestion
de l’instant et en tous lieux. Les petits pas de l’homme occidental sont
remplacés par des pas de géants dans des continents, sans préjugés sur le
progrès. Progression erratique, chaotique mais franchissement gigantesque de ce
qui n’est même plus un retard de qui par rapport à quoi. Le constat est que la
marche du monde avance à grande allure ; et d’ailleurs à la grande
surprise des pays en avance se sentant dépossédés de l’écart protecteur dont
ils jouissaient. Les pouvoirs de vivre se rééparpillent entre tous les
individus du globe, dans des critères de redistribution surprenant. La surprise
est que chacun ne manifeste pas le même appétit ni la même façon de vouloir
manger et partager le gâteau. Nous avions été élevés dans un monde hiérarchisé
allant de Développés à Sous Développés. Les uns dominaient tandis que les
autres avaient vocation à suivre la même courbe d’ascenseur. La découverte fait
de chacun des autonomistes de son rythme de développement. Les chemins de
traverse sont permis puisque d’ailleurs rien n’est interdit. L’Organisation des
Nations Unies ne regroupe pas pour rien plus de 200 pays ayant droits
identiques et velléités exprimables, comme ils l’entendent, même si des
rapports bi populaires du monde font croire aux puissants qu’ils ont toujours
la main sur les petits. Les cartes d’influence se redistribuent sans logique ni
préséance. Des bras de fer, de David
contre Golliath, peuvent avoir raison de la puissance convenue. La force n’est
pas qu’une question de nombre, d’armes, de votants, d’idéologie. C’est une fourmilière
où tout peut continuellement arriver. Happening permanent. Des petites idées
émergent. Des grandes idéologies s’effondrent. Tel me semble être le tableau
vivant du monde où grosso modo je vois sept milliards de têtes se dressant en
capacité de dire je suis. La concordance des temps au moment propice est
l’étincelle qui allume le feu de cette nouvelle évolution. D’un côté l’émergence
de véritables consciences de pouvoir être autonomes de la part des sept milliards d’hommes de cette terre. De l’autre
côté la réalité d’un réseau physique permettant à ces hommes d’échanger. Cette
rencontre unique, de la fin et des moyens, trouve son illustration
extraordinaire dans le projet du patron de Facebook de créer internet.org comme un réseau quasiment
gratuit pour tous les habitants de la terre. Au salon des technologies de la
communication se tenant au moment où j’écris (fev 2014) à Barcelone il vient de
mobiliser les dirigeants de toutes les sociétés nationales de téléphonie pour
les enrôler dans ce rêve. Car il ne s’agit ni plus ni moins que de nous doter
tous, sans restriction de moyens, de l’appareil et du réseau pour communiquer
en instantané avec tous nos contemporains. Le fonctionnement, dans une telle
horizontalité, de chacun à chacun dans une totale libre expression bouleverse
toutes les conditions connues jusqu’ici des rapports humains. Ce que l’on peut
dire de personne à personne n’a plus rien à voir avec les messages que l’on
adressait aux autorités, aux élus qui nous représentaient sous une forme
forcément hiérarchique et empreinte d’autorité. L’expression libre n’aura plus
besoin de s’exposer en montant aux barricades, en allant combattre
frontalement. Ce que nous pensons, dirons, écrirons deviendra marée montante et
descendante apportant son lot de véritables sentiments ayant valeur d’expression
populaire. Certes il faudra se méfier de faux courants, de tendances
artificielles telles qu’il en a toujours existé quelles que soient les
technologies du jour. Mais la tromperie de masse a justement aujourd’hui cette
vulnérabilité de pouvoir être débusquée par le premier quidam venu. Le réseau
de 7 milliards d’hommes interconnectés rend enfin la possibilité à chacun de
participer à la gestion de son monde. Comme ce que les Suisses appellent leurs
votations capable de poser une question sur n’importe quel sujet à l’ensemble
des citoyens. En mots et en descriptions avant expérience concrète, le tourbillon
de tous ces appels, se parlant de tout et de rien mais susceptible de forger
nos futures manières de vivre, a de quoi faire peur. Qui maitrisera quoi vient
tout de suite à l’esprit si l’on se place dans la logique comparative de notre
organisation d’aujourd’hui, par rapport à cette ébullition permanente de ce que
serait demain. Plus qu’une peur c’est tout simplement un vide que notre esprit
cartésien n’aime pas voir et dont il est pris de vertige. Par quoi le
combler ? Par l’arrangement consensuel et permanent entre personnes, rendu
possible à ce point de l’histoire, parce que nous avons acquis une maturité de respect
de notre personne et des autres. Il y a un siècle encore cette latitude
n’aurait pas été envisageable. Des emprises nous enfermaient de trop dans des
réflexes d’inhumanité envers autrui. Aujourd’hui semble possible que chacun se
rappelle le chemin de l’évolution jusqu’ici et qu’il considère les acquis
inaliénables. Capacité de nos corps et esprits, droit au désir, cohabitation de
la terre, inutilité de l’affrontement. Quels énormes pas ont été ainsi franchis
et sur lesquels nous pouvons continuer l’histoire. Mais nous ne pouvons plus
emprunter les mêmes chemins ; car la liberté de l’autre et de nous-mêmes,
que nous avons apprises et réussies, devient un outil devenu partie intégrante
de notre pensée et de nos actes. Concrètement, parce que nous savons en
permanence et en instantanéité la réaction possible des affaires du monde, il
nous est désormais inacceptable de laisser faire au dessus ou à côté de nous ce
que nous pouvons réprimer. Les adversaires de la consultation des peuples
dénoncent les risques de cette démocratie d’opinion disent-ils. Erreur, c’est
d’abord une démocratie de circulation de faits réels, se déroulant
effectivement, susceptibles d’être arrêtés ou encouragés. Ce que l’on en pense,
opinion, n’est que la conséquence de ce que l’on sait réellement. L’expression revient,
souvent à propos des génocides du XXème siècle, que l’on ne savait pas,
laissant justement l’opinion s’installer dans la bien pensance de ces moments
d’ignorance. Maintenant il est impossible de ne pas savoir. Et si nous
n’intervenons pas immédiatement et directement, c’est parce que ce savoir ne
nous décerne pas le rôle de chevalier pourfendeur de toutes les causes. Mais
être dans la connaissance d’un événement, quelle qu’en soit la réaction en
action, construit en chacun de nous une maturité de détenteur d’un savoir du
monde. En ce début de XXIème siècle, l’homme intègre un véritable corpus de
lui-même, un corps que la santé lui donne pour un temps biologique qui n’a
jamais été aussi long et qui écume psychologiquement une multitude de
possibilités d’accomplissement de désir ; un esprit structuré aussi bien
pour raisonner que pour rêver. Et devant cet individu de corps et esprit
équilibré s’ouvre pour la première fois une vaste zone de libre échange, qui
n’est plus seulement vaste mais totale
puisqu’elle recouvre toute la terre et tous ses habitants. Cette plénitude de
moyens Etre humain et son environnement
porte dans sa description la peur que nous soyons arrivés à un point trop
satisfait de nous-mêmes et donc de notre histoire globale. Nous sommes comme à
un moment du film, c’est souvent aux trois quart, où nous voyons un trop bel
épilogue et que nous nous en disons que ce serait trop beau ; que non, çà
ne peut pas continuer ou finir comme cela ; que cela va se casser la
gueule. Il n’y a aucune raison à ce que l’entreprise humaine et terrestre ait
toujours cette fatalité à faillir. Je crois au contraire, et ce serait ma seule
Foi, que nous sommes justement là pour réussir la conjonction. Et que c’est
peut-être maintenant l’exact moment. Non que nous serions choisis, élus ou
sauvés. Mais parce que les mouvements tectoniques des plaques, de tous les
éléments de la terre, parviennent à un territoire de rejoignement, de
cicatrisation, de formation d’une nouvelle peau-écorce humanoterrestre.
L’impression que cet avènement serait une utopie irréalisable est une réaction
de frilosité. La réalité des faits devant nous doit nous secouer de cette peur.
D’une part parce que tout cela est techniquement possible, d’autre part parce
qu’il n’y a pas de raison d’en avoir peur. D’un côté notre constitution
individuelle est capable, maintenant, de se ressentir dans son autonomie de
moyens et de désirs tout en sachant les conditions de sa communauté de vie avec
l’ensemble de ses co-habitants du monde. De l’autre côté, c'est-à-dire de
l’autre pôle, le lien organique technologique permet de faire toile avec
l’ensemble de ces habitants du monde. Faisabilité en progression douce sans
qu’il ne soit besoin de faire la révolution par les armes, ou par l’idéologie,
pour l’imposer. La pensée et le comportement individuel se suffisent à
eux-mêmes pour attiser et entretenir cette vision interconnectée du monde.
Chacun entretient ce qu’il veut de cette vision panoramique de l’univers.
Chacun peut y commencer son écheveau, là où il le veut, au rythme qui est le
sien en l’arrêtant ou le recommençant comme il l’entend. Autrefois il fallait
enrôler les foules, fourbir les armes, former les combattants, avancer vers les
champs de bataille pour espérer conquérir l’espace convoité. Entreprises
terrestres ou politiques, croisades religieuses ou spirituelles. Cela demandait
temps et surtout manipulation des intellects de chacun pour qu’ils se rallient
à une cause dont ils devenaient masse, chair à canon, peuplade en adoration.
Ainsi ont avancé, ou reculé, les territoires et les idéologies. Nous n’avons
pas à les renier tant ils sont socles du point dont nous avons la jouissance de
pouvoir en parler. Mais leur aboutissement nous a fait découvrir l’horizon
nouveau de notre individualité dans le grand tout. Une fois que l’on sait ainsi
ce que l’on est, individu capable, on ne peut accepter les méthodes anciennes
avec le respect que l’on garde pour elles, d’enrôlement collectif. Quand on
sait que l’on peut être libre il est inconcevable de préférer de ne pas être
libre. Tel est le moment paroxystique, comme une pointe de l’épée, où nous
sommes. La composante libre fait toute la différence avec les mouvements
précédents qui requéraient une délégation à autrui de cette notion d’être
libre. Au point qu’il fallait souvent mourir pour cette liberté ; ce
qui faisait une belle jambe à celui qui n’avait plus que la jouissance posthume
de son nom gravé sur le monument aux morts de son village. Aujourd’hui, et sans
qu’il soit nécessaire de proclamer le grand jour, le libre de nous peut se
conquérir par petits segments successifs. Le gâteau est à la portée de notre
main, consommable en petites bouchées. Cette indépendance des esprits et des
dieux est la fin d’une soumission imposée par le non avènement en nous des
conditions de notre autonomie. La crainte du manque, et même beaucoup plus en
amont la hantise de déroger aux règles de l’autorité au-dessus de nous, ne
pouvaient pas aboutir à notre émancipation avant ces présents jours. Il fallait à toutes choses, dont surtout à
nous même, le murissement de notre fruit pour que naturellement il s’envisage
de se détacher de l’arbre de l’évolution. Ce n’est pas crime envers l’arbre, ni
envers le pré, dans lequel nous tombons, que de constater l’effet de gravité
naturelle dont nous sommes l’acteur. L’allégorie de l’arbre illustre combien
tous les fruits ne tomberont pas en même temps. Leur exposition précédente à
l’ombre ou à la lumière, leur positionnement dans la branche rendent leur
éclosion finale imprévisible tout en les assurant de leur finalité inéluctable
à devenir autonome. Ce mouvement d’un état à un autre respire de la passion qui
anime toutes les particules du monde. En
être, en tant qu’individu, nous en rend passionné en même temps qu’attentif que
tout s’y passe bien. L’énormité des faits en transformation sous nos yeux pourraient
provoquer une inflation de notre considération envers un nous individuel devenu
si puissant, si centre du monde en tant que pilote personnel de son évolution
dans la toile du monde. La théorie de ce risque d’abus d’ego existe mais sa réalité
d’advenir est nulle. Les ingrédients ayant permis d’arriver à ce point de
décision, d’autodétermination de nous-mêmes, incluent une auto-restriction
automatique de ce que nous penserions de puissant dominateur unilatéral en
nous-mêmes. En d’autres termes la conscience fermement construite, parce que
bien acquise, de notre individu ne nous fait être libre que parce que juste à
côté, et tout aussi importante, est la case de la liberté de l’autre qui nous
est tout aussi chère que la nôtre. La nouveauté de ce point de notre évolution
est cette coexistence quasiment physique, mécanique, rendue réelle à cause de
l’éducation et de la connaissance interpénétrées des faits du monde. Jusqu’ici
les philosophies, les messages bibliques ou révolutionnaires depuis le
aimez-vous les uns les autres jusqu’au liberté, égalité,
fraternité étaient des vindictes ou des harangues lancées en provocation
à des masses incapables de les vivre. Aujourd’hui les mêmes masses, désabusées
au fil des temps par ces interpellations généralistes, se sont mises à se
demander comment vivre individuellement
ces vœux-désirs d’amour, d’être libres. De ce que la masse ne peut donner dans
les idéologies collectivistes, les individus maintenant reprennent. Ils font le
constat de ce qu’ils savent désirent et peuvent, au moment précis où la
technologie vient opportunément structurer leur vie individuelle et aussi pour
la première fois collective. L’avènement technologique n’est pas effet d’un
miracle ou d’une manne céleste arrivant par hasard à l’homme. La quête de
savoir pousse l’homme, par la découverte de ses applications, à une vie plus
agréable. L’histoire des techniques n’est que cette fuite en avant, avec la
particularité de n’être pas seulement devant ou derrière les aspirations de
l’homme mais souvent parallèle à l’homme. Comme si l’homme et le progrès
étaient deux rails n’ayant pas vocation obligatoire à se rencontrer, même si
leur fonction commune de faire passer les wagons de notre meilleur genre de vie
était bien claire. A l’instant de cette écriture une interruption me fait lire
de Peter Sloterdijk concluant Platon : « recommencer penser
suppose l’invitation à lire de nouveau. Toutes les nouvelles lectures fécondes
profitent des changements d’angles et des déplacements de perspectives qui
conditionnent nos regards vers la tradition, dans la mesure où nous sommes les
contemporains conscients des bouleversements actuels dans les rapports de
savoir et de communication de la civilisation mondiale télématique en cours
d’avènement. Beaucoup de signes avant coureurs plaident en faveur de l’idée que les générations actuelles traversent une
rupture du monde au moins aussi
importante, par sa profondeur et la richesse de ses conséquences, que celle qui
a donné le jour, voici deux millénaires et demi, à la philosophie classique.
Une étude de cette rupture ancienne pourrait ainsi inspirer la compréhension de
la rupture actuelle. Nous n’acquerrons pas aujourd’hui de meilleur savoir sans
participer aux aventures qui nous échoient lors de la révision de notre propre
histoire. Un nouvel état d’agrégat de l’intelligence tirera aussi de nouvelles
informations des anciennes écoles du savoir philosophique. Relire Platon :
cela peut signifier s’engager dans un travail avec Platon, et en dépit de
Platon, à l’actualisation de notre intelligence » Cette rencontre de
Platon, ou de tout autre condensé du savoir avec la télécommunication que l’on
peut lui donner maintenant, est hallucinante d’arrivée à un même point de
pensées si éparse dont la mienne. Ce point de murissement arrive à point nommé
au moment où la technologie revient à notre charge pour nous interpeller sur ce
à quoi elle sert. Se déplacer, pour où aller ? Lire, pour quoi
apprendre ? Chercher, pour quoi trouver ? Tous les verbes d’action de
notre comportement doivent trouver leur complément d’objet direct correspondant
à la satisfaction d’un désir ou pour le moins d’un besoin. Présentement le pouvoir
parler ou écouter et le pouvoir écrire ou lire à chacun du monde entier doit se
compléter avec un pourquoi. Les moi je fais ci ou je fais çà s’échangeant
avec des face à face vous répondant je fais ci je fais çà trouvent
rapidement leur saturation dans nos têtes si nous n’en retirons pas une quintessence.
Qu’y a-t-il derrière ces mots auto-descriptifs ? Qui est cet autre. Que
fait-il ? Pourquoi pense-t-il comme cela ? Nous y venons
immanquablement avec maintenant cette force de la véracité du témoignage
direct. Sans qu’il ne soit plus besoin de se référer à un auteur de
synthèse nous racontant le genre humain,
sans qu’un leader politique ou syndical nous émeuve sur la condition exploitée
de nos contemporains, sans qu’un pasteur ou meneur idéologique nous fasse
vibrer de la misère des hommes. Non point que nous ayons été jusqu’ici
manipulés par ces leaders qui sans charisme déplaçant les foules ne seraient
pas leaders. Les meneurs, dans lesquels il ne faut pas oublier les médias,
n’ont fait qu’amener aux masses ce que les individus attendaient c'est-à-dire
des raisons résumant le mal être et les boucs émissaires à combattre. Rapport
de force somme toute permettant de désigner coupables chacun à une place
suffisamment stable pour que l’on en conclut que ne pouvait rien en bouger, que
l’on y avait rien à faire pour changer, que de toute façon l’on avait déjà tout
essayé. La perte d’influence des leaders provient de l’erreur de leurs
pronostics, du message de leur promesse, de l’inefficacité lorsqu’ils sont en
fonction. Peut-être, et même sans doute, n’y peuvent-ils rien, sauf de leurs
mensonges qui est un acte délibéré pour obtenir une confiance. Le reste est
erreur parce qu’ils ne sont pas en condition opérationnelle de saisir le vrai
des situations et des gens. Leur collecte d’informations de la réalité est trop
ponctuelle, parcellaire, filtrée et de toute façon édulcorée par effet de n’en
retenir que ce qui fait arithmétiquement majorité par le nombre. Alors que la
sagesse émane de toutes les expressions. La possibilité désormais que chacun
s’exprime est en déflagration gigantesque dans ce décor des institutions
établies de la représentation. Il n’y a pas d’ailleurs plus que l’esprit des
lois pour maintenir ces élus ou représentants sur leur statue dans justement
leurs statuts constitutionnellement auto-générateur de leur protection, de leur
inamovibilité, de leur immunité. Qui osera réellement déboulonner physiquement
ces dinosaures ? L’esprit n’est
plus au coupage de têtes, fort heureusement. Mieux vaut supporter encore
quelque temps l’inutile plutôt que de semer terreur et action revancharde des
résistants à ce changement. Leurs fonctions s’éteindront d’elles-mêmes
lorsqu’elles verront que l’information et l’action que l’on en fait ne passent
réellement plus par eux. Curieusement ils, encore qu’il est difficile de
dire ils, mais ils quand même, n’ont pas conscience du sol qui se dérobe
sous leurs pieds, des oripeaux de pouvoir dont ils sont progressivement
déshabillés. Les rois sont nus et leurs sceptres sont de pacotille. Mais entre
eux ils se congratulent royalement ; ce qui est bien leur essentiel. Leur
distance par rapport au réel est telle qu’ils ne connaissent plus de l’opinion
que ce que leur en disent les sondages quasi quotidiens et instantanés sur des
échantillons de pas plus de « 697 » personnes, représentatives nous
dit-on, de quoi, interrogées par téléphone. Quelle crédibilité et surtout
quelle fiabilité peut-on avoir en pratiquant une telle pêche si approximative
de ce que désirent les gens qui ont été vaguement choisis ; car les vrais
votants pour une personne élue ne représentent pas plus que 15/20 % après
abstention, blanc, contre. Devant ce néant, ou du presque rien, n’importe quel
rassemblement de témoignage échangés entre personnes a plus de valeur. Le champ
du vaste échange de tous vers tous ouvre ainsi un horizon de félicité. Il ne
peut ressortir rien de mauvais du dialogue de personnes échangeant librement.
On ne prend pas la peine d’appeler son voisin pour l’agresser. La motivation
est toujours l’échange dont on attend quelque chose qui va vous enrichir. Le
réseau de la démocratie devient ainsi auto-constructif d’état d’esprit de ce
que l’on pense, désire, propose, écoute, comprend, synthétise. C’est un
inventaire en temps réel de ce que nous voulons de bonne foi faire. Reste le
travail de faire apparaitre les possibilités de tout ce qui circulera. Le
postulat que tout ne serait pas bon à prendre est déjà un jugement de valeur là
où l’on ne veut que collecte de faits. A l’instar d’expériences de collecte
contributive, comme Wikipédia, je suis sur que des groupes de citoyens se
feront honnêtes ramasseurs trieurs et rangeurs de toutes leurs manifestations
d’expression. Consultable, remaniable, expertisable, citant ses sources le
constat du monde en cours débouche
naturellement sur l’agenda du travail à réaliser : long terme, moyen
terme, court terme, urgence, instantané. Par qui ? Par vases communiquant
plaçant les chantiers à réaliser d’un côté et les appels d’offres, ici les soumissions
à appels d’offres de l’autre côté. Besoin réel contre expertise réelle immédiatement
revérifiable par consultation dans le réseau véritable émetteur-récepteur de
ses besoins et de leurs satisfactions. Cette automaticité des rapports, loin de
les déshumaniser au contraire, leur apportera du concernement de et par chacun.
Il y a, de par notre présence et notre condition sur terre une totalité de
moyens en chacun de nous. Notre individualité est une grande méconnue ;
des autres à coup sur ; mais aussi
de nous. L’expérience personnelle et la vitalité que procure l’autre que l’on
aime amènent à se demander comment l’on fonctionne et vers quels buts de vie
nous allons chaque jour où l’on a la chance d’aimer. Vivre n’est pas un choix
mais une obligation joyeuse de profiter de notre état physique et psychique. Et
ce n’est pas parce que ce qui nous précède aurait déjà tout dit que l’on ne
peut pas essayer de découvrir soi-même. Le seul savoir nous vient de nous. Le
seul ressenti est ce que nous sentons. Le seul amour est celui que nous
recevons et donnons. Le quelqu’un que nous sommes est une unique au monde
personnalité. Nous avons envers elle une obligation d’entretien de ses moyens,
et, de satisfaction de ses désirs. Nous pouvons solliciter les plaisirs du
monde et de tous ceux qui l’habitent pour participer à notre œuvre ; dans
un vaste échange où nous y avons un devoir retour similaire. La découverte de
notre plénitude d’individu intervient à un moment décent de notre histoire.
Nous ne sommes pas égoïstes lorsque la conscience monte en nous de nous occuper
bien de notre personne. La montée des connaissances en même temps que la descente
des conflits a construit en nous un cerveau rafraichi, réorganisé en ce qu’il
faut de rationnel et de fantaisie, embelli de la nouvelle vision d’un monde
fait de sept milliards d’hommes dont nous ignorions le sourire, la culture
voire la qualité d’être humain. Tout cela arrive. Non point que le monde
ou nous-mêmes ayons changé mais parce qu’il nous est donné de le savoir. Les
hommes et le monde arrivent dans le grand final du théâtre et se découvrent
enfin. Tous existants sans du tout d’être pareils. Chacun son individu, son
empreinte, sa perception, son désir d’action, son besoin animal de sociabilité.
La scène n’est finale que dans notre esprit structuré habitué aux début milieu
et fin. Il faut s’habituer à de nouveaux rythmes, calendriers, découpages. Tout
ce que nous vivons de l’organisation terrestre et humaine fut construit, et
bien, dans le temps de l’époque qui les nécessitait. Aujourd’hui les tables
n’ont plus forcément besoin de quatre pieds pour tenir debout. Sans
chambardement vont apparaitre des évidences de changement ou plutôt de
fonctionnement. Elles seront Nous dans leur évidence de bon sens sans qu’il
soit besoin de faire la révolution. Tout
va très bien se passer parce que tout vient de Nous avec le naturel du
véritable besoin, du respect du besoin de l’autre et du désir au-dessus de tout
que l’on a d’exceller pour qui on aime.
Viktorsberg
février 2014, janvier 2015 / Obernai janvier, février, mars 2015/st.off
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