Agir soi-même
sur ce que les autres disent impossible
Les grands sujets qui préoccupent tout le monde mais que l’on croit inaccessible.
ESSAI
© Patrick Lener 01-10-2008
TABLE DES MATIERES
Introduction…………………………………………..……. 3
La mondialisation…………………………………..…… 5
L’éducation………………………………………………... 14
La technologie……………………………………….…… 19
L’économie…………………………………………….….. 28
Les loisirs……………………………………………..……. 36
La santé………………………………………………..……. 42
La vieillesse…………………………………………….…. 49
La retraite…………………………………………….…..… 55
La politique………………………………………….……. 63
Le besoin de Croire………………………………..…… 72
S’en sortir Matériellement……………………..…… 79
Etre Fier de Soi……………………………………..…… 85
Ne rien attendre des autres…………………………. 90
Introduction
T
rop souvent – et, disons-le, tout le temps –, nous ne croyons pas pouvoir agir sur ce qui nous entoure. Il est vrai que le rapport physique entre une donnée, un événement, un groupe, une masse… et notre humble personne, semble si disproportionnée que nous n’envisageons même pas un quelconque apprentissage, une quelconque réaction à une causalité. Le sentiment d’être un spectateur du monde, pire : un subissant du monde, est transformé en un comportement collectif léthargique, un coma forcé par le pouvoir carnassier de notre civilisation « consommérienne ».
Oser le début d’une explication vous flanque immédiatement une réputation d’utopiste aveugle, de sociologue angélique. Non, nous ne pouvons rien sur les choses qui nous entourent ; elles sont créées par un instrument invisible, inaccessible, incontrôlable en tous cas.
Or, sans aller bien loin dans la recherche des causes et des conséquences, il est possible de déplier, comme on déroule un plan de construction, les mécanismes qui forment ce que nous appelons communément : les phénomènes qui nous entourent. Je ne parle pas de météo, ni de Dieu, ni du hasard, mais très simplement des faits résultants de nos actions. Il est aisé de montrer par étapes successives que la plupart des phénomènes qui nous entourent sont le résultat de nos actes. Le problème n’est pas de les juger bons ou mauvais mais d’en reconnaître l’existence et la réalité pour pouvoir agir.
La principale difficulté est d’abattre le rapport frontal entre nous-mêmes, ce qui nous définit, notre bonne conscience, et l’Autre dont nous suspectons, sinon sa bonne conscience, sa capacité à s’intégrer au groupe, et surtout à nous-mêmes. « L’enfer, c’est les autres », quoique l’anathème ne soit pas forcément jeté sur les autres pris individuellement. Généralement, notre voisin, celui que nous nous approprions, est plutôt sympa.
Au naturel amour de soi, s’est ajouté, via la démocratie, le droit pour soi, le respect de l’Autre pour soi, et notamment du groupe, et donc ce que j’appelle ici : « les phénomènes qui nous entourent ».
Le respect démocratique de l’entité de son « soi » est inhérent à une obligation toute aussi démocratique de donner de son « soi » à la communauté. Le groupe garantit la liberté individuelle pour autant qu’il puisse exister par un effort collectif de chaque individu qui la compose. La boucle a besoin d’être bouclée dans les deux sens. On ne peut pas prendre sans donner, on ne peut pas demander sans participer. Or la crise de l’Homme est bien dans le refus de cette bicéphalie : il prend d’un côté et ne veut pas donner de l’autre. Sans cet équilibre des échanges, rien ne peut durer bien longtemps. Depuis la rupture de cet équilibre, l’enfer des hommes est apparu sur Terre.
Aujourd’hui, il ne s’agit pas de faire culpabiliser ceux qui profitent sciemment ou non d’une situation qu’ils ne supporteraient pas eux-mêmes, il s’agit d’éveiller la conscience, et laisser à chacun la responsabilité d’agir.
Les règles démocratiques, l’instantanéité de la parole et la vitesse des mouvements informent aujourd’hui chacun de nous de toutes les idées. La conscience aux Droits humains, si elle n’est pas encore appliquée uniformément, est désormais à la portée de tous les citoyens du monde.
Relever ce qui se passe autour de soi, identifier les sources, démonter les mécanismes d’emprise sur soi, s’arrêter là où l’on ne comprend pas, se demander pourquoi ce qui est humain devient incompréhensible à l’humain, est un travail de géomètre qui requiert honnêteté pour ne reconnaître que ce qui existe. Telle est ma démarche. Sans autre prétention que de tenter de savoir « comment ça marche », de me prendre pour sujet d’une découverte introspective qui ne vaudrait que pour moi-même, mais dont les analyses et les résultats serviraient au plus grand nombre d’entre nous.
Nous ne sommes au début d’un tunnel qui est à creuser avec quelques outils honnêtes et efficaces pour attaquer l’opacité des phénomènes autour de nous que nous croyons invincibles.
1. La mondialisation
M
ondialisation : œuvre théâtrale de mise en relation en un même temps – aujourd’hui –, en un même lieu – notre terre aux distances de liaison raccourcies –, en une même action de production de biens communs, perturbée par des acteurs aux règles du jeu opposées qui, pour les uns, font valoir leur droit à continuer de jouer la pièce selon leurs propres règles, et pour les autres leur droit à s’immiscer à jouer la pièce selon leurs propres règles.
Ce n’est qu’une question de préséance, finalement, car le contenu de la pièce reste toujours la production de biens de consommation avec ses artifices de création de la demande, de gestion des flux amont et aval.
Un phénomène global lorsqu’on regarde l’ensemble de la pièce, un phénomène individuel également si on considère le rôle personnel joué par chacun d’entre nous : rôle de producteur de biens à un coût ne permettant pas à tout le monde d’y accéder, destinés à la partie riche de notre planète, rôle de consommateurs de biens qui exige un prix avec lequel on n’aimerait pas être payé.
Etre cohérent et responsable dans ce circuit, c’est connaître précisément notre comportement de producteur, notre comportement de consommateur, et dresser un bilan intime de notre conduite, pour décider de notre conduite à venir.
Le descriptif de ce qui passait avant dans le monde est connu. Historiquement, les empires d’occident étendant leurs colonies. Economiquement, le droit que s’arrogeait l’occident pour prendre toutes les richesses là où elles se trouvaient. Humainement, une supériorité occidentale de fait appuyée sur les constats d’infériorités économiques et historiques. Religieusement, la présomption de détenir la Révélation qui n’aurait pas été faite au reste du monde.
Et, à vrai dire, n’importe quel aspect de civilisation peut être ainsi décliné. En somme, non seulement l’Occident dominait les terres les océans et les peuplades mais déniait aussi la qualité humaine à quiconque n’était pas un Occidental. L’ignorance disculpe-t-elle des erreurs que l’on commet en son nom ? En conscience peut-être. En traumatisme des mémoires que l’on a blessées certainement pas. Mais surtout pas en somme de conséquences que l’on a engendrées, quelle que soit la bonne ou la mauvaise foi, quelle que soit la repentance sincère ou feinte. Le mal est fait. Historiquement, puisque chaque peuple se détermine en Etat indépendant et donc écarte son état de colonie. Economiquement, puisque prendre les richesses d’autrui est d’un vol punissable. Humainement, puisque la supériorité ou l’infériorité ne sont que des décalages chronologiques, non des faits irréversibles. Religieusement, puisque la Révélation confiée au seul occident n’a même pas pu résoudre et empêcher les millions d’affrontements fratricides entre Occidentaux.
A bas donc les critères de la supériorité d’une minorité occidentale. Place à l’expression pour tous et dans tous les domaines : historique, en se réappropriant son territoire, économique, en mettant le verrou sur ses propres richesses y compris la force du travail de l’homme, en voulant être les maîtres chez soi, religieux, en remontant chacun aux sources de ses fantasmes.
Voilà comment, en à peine en quatre décennies, nous sommes passés d’un monde séculairement confortable pour les riches à un monde haché par ses propres règles économiques, par l’essorage de son mode de vie, de ses pensées, de ses croyances, de sa raison d’être. C’était prévisible. Quel être humain prenant conscience de ses droits ne finit-il pas par les réclamer et les obtenir ? Quel être humain se voyant dans une situation de privilège et de supériorité ne finit-il pas par se demander combien de temps cela peut-il encore durer ? La mondialisation, c’est le réveil brutal de cette prise de conscience obtenue par les uns et contournée par les autres.
L’occident ne subit pas exactement la mondialisation mais il l’utilise dans une vision court-terme pour différer sa véritable prise de conscience. Comme si, courroucé de ne plus profiter des mêmes avantages d’antan, il cherchait à continuer à gagner sur la marge ce qu’il ne gagne plus sur le fond rencontrant au même moment les fournisseurs de ce travail bon marché, trop heureux de trouver le débouché occidental alors que leur propres marchés ne sont pas encore assez développés. L’occident ne veut plus acheter ses produits à leur coût réel, à un coût qui respecte la valeur réelle du travail, il veut maintenir son train de vie et ses prérogatives, retardant les échéances historiques, économiques, civilisationnelles et religieuses.
Le descriptif est grandiose au sens d’immense parce qu’il prend à la louche nos grandes tendances récentes, comme si les dents furieuses d’une grande pelleteuse s’étaient attaqué toutes seules aux pans de notre travail occidental.
Rien n’est venu tout seul, comme cela, par hasard ! Au départ nous avons décrété le droit des peuples, les Droits de l’homme pour nous-mêmes mais très rapidement ensuite pour les autres aussi. Sur le terrain, rien ne nous a empêchés de continuer à les ignorer. Or tous les liens antécédents et les nouveaux artifices de souveraineté bananière ont été exploités afin que perdure le plus longtemps possible l’ancien régime colonial.
La forfaiture de cette volonté a retardé cruellement la prise de conscience de la nécessité de nous rebâtir d’autres forces, la lucidité de dire adieu au monde ancien. Et la continuation langoureuse des approvisionnements pas chers a retardé la construction d’une productivité propre performante. Que sommes-nous individuellement dans cette grande fresque ? Pas grand-chose, et même spectateur, dit le commun des mortels. Pourtant, à chacune des phases, nous avons été informés, sollicités, interpellés.
En saisissant notre responsabilité par le plus petit bout nous pouvons immédiatement voir notre réalité. Cela parait trop simple à dire : nous achetons des produits que nous ne produisons plus. Un cas isolé ne serait que l’exception mais ce sont maintenant des industries entières que nous importons en bloc, tout en ayant oublié les procédés de fabrication. La seule chose qui nous importe, c’est le plaisir que nous procure leur consommation et la préservation de notre pouvoir d’achat. Lorsqu’un marchand a une emprise aussi absolue sur notre plaisir et sur notre budget – puisque nous existons par ce que nous consommons –, c’est une importante part de nous-mêmes qu’il tient sous sa loi.
La veulerie de la mondialisation, c’est d’abord de nous caresser individuellement, afin de nous faire miroiter un prix que nous n’avons plus par nous-mêmes. Ce ne serait pas la même chose si c’était nous qui décidions par préférence de style, d’affinité humaine, d’acheter librement où l’on veut. Ce qui nous est proposé n’est qu’une logique de prix le plus bas pour que nous puissions acheter plus et plus souvent.
Imaginons une attitude consistant à payer les produits au coût auquel nous les produirions personnellement. Fixons notre rémunération actuelle, et envisageons que les producteurs de biens, que nous allons acheter, aient une idée de la valeur de leur travail, proportionnelle à la nôtre. Si ma chemise coûte ainsi dix fois plus chère, il est clair que je dois diminuer par dix ma consommation de chemise ; ce n’est pas impossible car de toutes façons je n’en mets qu’une à la fois. Cela peut être mon choix et je voudrais l’avoir. Pour autant, je ne prétends absolument pas imposer ce choix à quiconque. Mais j’aimerais que chacun soit informé de ce qu’il fait.
Imaginons qu’une information soit mise en place pour éclairer la fabrication d’un produit et sa valeur ajoutée. Ce devrait être l’origine et le coût des composants. Ce devrait être l’origine et le coût du travail manufacturier. Ce devrait être l’origine et le coût des transports pour amener le produit jusqu’à moi. Ce devrait être le coût de la distribution.
Le résultat serait une connaissance à peu près exacte des endroits où j’accepte de donner mon argent, et donc la possibilité d’arbitrer librement de l’endroit où je décide d’acheter non seulement le produit final mais tous les composants de la chaîne. Ma conscience interpellée, non seulement moralement mais économiquement, se demanderait si l’on peut faire une chemise pour quatre-vingt cents d’euro, se demanderait quel autre produit qu’une chemise ici dans mon pays je peux encore produire pour espérer avoir un peu plus de quatre-vingt cents d’euro.
Ces phénomènes simples de vases communicants sont volontairement occultés par tous ceux qui s’en sortent toujours pour trouver des métiers de substitutions valorisants. Mais celle ou celui, qui pour le moment ne sait faire que des chemises, doit savoir.
La mise à plat de toutes les forces vives du monde est le résultat mécanique du déblocage de toutes les anciennes barrières historiques, économiques, religieuses, civilisationnelles ; déblocage au même moment fluidifié par la mise en place de moyens d’échange et de transport. C’est nous tous individuellement qui avons souhaité les déblocages, c’est nous tous qui avons souscrit à tous les moyens de fluidification. La mise à terre des anciennes barrières est la résultante d’un projet humaniste datant de la révolution de 1789. Nous ne pouvions en ignorer l’inéluctable application ; nous en chantions haut et fort les louanges. Quant aux moyens de rendre le monde plus court et plus proche, ce sont bien les technologies occidentales qui les ont inventés. Nous avons conçu et construit le réseau qui amène des pays lointains et décalés à venir nous vendre bien moins cher des produits que nous fabriquions avant chez nous. Savoir tout cela nous permet peut-être d’être moins idiots ou ignorants mais ne résout pas pour autant notre problématique d’échange entre l’argent que nous devons tirer d’un travail et de ce travail qui ne veut plus être payé au même prix.
Le pouvoir politico-économique a inventé pour nous disculper globalement de notre responsabilité individuelle l’excuse de la balance des paiements. La valeur du travail qu’on ne veut plus payer son prix disparaît au profit d’une valeur de travail inférieure. Le bénéfice ne se réalise plus sur la vente du produit mais sur l’achat de la valeur du travail. Soit. Sauf que la fameuse balance des paiements est en déficit, ce qui veut poliment dire que l’on achète beaucoup plus que l’on ne produit, et ce n’est pas quatre frégates vendues à Taiwan, ou dix Airbus aux USA, qui cacheront la forêt du déficit et celle de la sous-valorisation du travail.
Nous devons savoir cela lorsque nous achetons. Nous devons savoir que derrière chaque produit il y a un acte humain payé oui ou non a une juste valeur de référence pour le pays où il travaille ; nous devons savoir qu’il y a un être humain travailleur qui ne sait présentement faire que cela et à qui nous enlevons le travail lorsque nous ne lui achetons pas.
On se sent presque gêné d’écrire ses évidences tant on a l’impression d’être dans un discours missionnaire ou alarmiste misérabiliste. Pourtant, il faut reprendre la démarche car il s’agit de gestes simples. Acheter pas cher ce que l’on ne voudrait pas faire pour ce prix-là. Vendre très cher ce que l’on ne voudrait pas acheter pour ce prix-là.
Et croire que ce jeu peut continuer longtemps parce que nous disposons d’une traînée historique de supériorité nous permettant par inertie d’atteindre au moins la fin de notre génération, comme un paquebot mourant doucement pendant quatorze kilomètres après que ses moteurs soient stoppés. Et admettre que la génération suivante devra trouver ses propres solutions. En maugréant dans une bonne conscience lapidaire que tout cela n’est pas de notre faute.
Mais qui se précipite pour acheter au prix le plus bas en fermant les yeux à la fois sur des conditions de travail que nous n’accepterions pas, et sur les destructions d’emplois que nous acceptons volontiers pour ce travail délocalisé ?
La description du processus a quelque chose d’asphyxiant. Le seul soupir qui s’en échappe est souvent un « mais que faire ? » souffreteux comme si dans cette description, on oubliait notre rôle de victime, imaginaire, mais bien commode pour ne pas y réagir.
Est-ce bénéfique de poser un problème sans savoir comment le résoudre ? Non car l’ignorer n’empêche pas son existence et sa prolifération. La mondialisation des biens produits pose le problème de l’expansion des inégalités des ressources ; si les uns gagnent c’est parce que d’autres perdent. Or toute vie est en commun avec une autre. Pour perdurer, cette mutualisation, cette mondialisation, exige que chacun s’y retrouve. L’effort intellectuel est grand, il exige avant tout un inventaire de ce que nous sommes, de ce que nous valons, de ce que nous voulons pour l’humanité. Entreprise essentiellement éducatrice et moralement nécessaire, il s’agit de protéger l’intérêt réel et sincère de tous afin de pouvoir vivre en paix.
Commençons l’inventaire par l’essentiel : l’homme, tous les hommes ; nous qui achetons pas chers et produisons cher, eux qui produisent pas chers. Pourquoi partir de l’homme ? Parce qu’aujourd’hui il est officiellement admis et pudiquement compris que tout homme a droit à sa dignité : droit de l’homme, liberté de penser, d’entreprendre, de se déplacer… Arrêtons-nous même si le vœu est pieu car là est justement le piège que de tout laisser entrevoir de possible ; que dis-je, d’accessible, d’exigible tout de suite dans un discours droit-de-l’hommisme sans nuance.
Dignité de l’homme, c’est une base sur laquelle on peut s’entendre en précisant ce que peut être cette dignité dans chacun des sous-groupes que constituent les pays, les ethnies, les confessions, les tribus. Car nous ne pouvons pas prendre à rebrousse poils ce qui constitue les fondements de chacun de ces groupes pour venir leur dire qu’à partir d’aujourd’hui, la dignité de l’homme c’est cela et pas autre chose ; dans un monde seul et entier qui adopterait un code commun. Mondialisation d’une idée inacceptable et inopérante puisque venue au départ d’un seul sous-groupe aussi avancé se prétend-t-il, et se plaquant en force sur des niveaux de décalage très important dans cette fameuse considération de la dignité de l’homme.
Revenant au problème des échanges marchands de la mondialisation qui doit s’intéresser aux conditions de travail et au niveau de rémunération.
Nous devrions acheter des produits en connaissant leurs conditions de fabrication, en contrôlant qu’ils ne sont pas issus d’un travail forcé d’enfants, d’esclaves, de prisonniers, et qu’ils ont été payés au travailleur à un prix digne d’une vie décente. Nos outils économiques et nos moyens statistiques nous permettent de contrôler aisément tout cela. Nous aurions déjà franchi un grand pas en sachant que nous achetons un produit issu d’un échange respectueux de la valeur de ce travail, fut-il lointain, et de notre besoin (et nos moyens pour l’acheter).
Muni de cette connaissance, nous pouvons nous pencher sur notre propre cas, notre propre camp, et nous demander comment allons-nous gagner et produire notre vie, ici, du côté acheteur, alors que nous ne voulons plus acheter ce que nous avions l’habitude de produire.
La fermeture de nos frontières – qui d’ailleurs n’existent plus ni concrètement ni réellement avec les moyens interactifs d’échanges –, est indigne des Droits de l’homme. Des pistes artificielles consistent à créer des barrières morales : à susciter des réactions chauvinistes protectives, à diaboliser ce qui vient de l’extérieur. Elles butent sur le réflexe d’intérêt personnel qui pousse chacun à se précipiter malgré tout vers le moins cher.
Reste sans que ce soit un palliatif désespéré, l’analyse de tous les intérêts, l’explication patiente de tout ce qui concourt et est nécessaire pour qu’une économie marche pour tous. Qu’y faut-il ? Que tout un chacun ait une possibilité par le travail, un droit par son travail de manger-boire-se loger-se chauffer-se vêtir-s’éduquer. Par le travail, pas par l’assistance, sauf s’il s’agit d’une passerelle intérimaire, d’une situation de travail à une autre situation de travail. Mais par quel travail ? N’y aurait-il plus rien à faire ici si systématiquement tout est moins cher ailleurs ?
Même si tout est foutu, il nous faut envisager de laisser travailler, fut-ce à perte, des métiers qui n’ont pas encore trouvé leur créneau de nouvelles valeurs. Tout d’abord, la notion de perte n’est pas exacte puisqu’elle compare deux modes de production qui finance deux systèmes sociaux inégaux. Ensuite, la même notion de perte n’est pas plus exacte en regard du coût du dégât social de l’emploi dont la suppression est envisagée.
En plaçant le vrai coût d’une production par rapport à sa délocalisation et/ou sa suppression, on voit qu’il n’y a pas de gains nets d’un côté et de pertes sèches de l’autre. Il pourrait être proposé et admis que les conséquences d’une production déplacée soient amorties dans le nouveau coût. Les conséquences seraient ainsi financées et entreraient loyalement dans les comparaisons que l’on fait d’un lieu de production par rapport à un autre.
En remontant ainsi et en touchant le porte-monnaie des intervenants de la chaîne, on introduit une réflexion pédagogique sur la nature de nos actes et sur leurs bienfondés.
Pour autant, les différences de coûts dans un marché mondialiste n’ont pas fondu dans l’explication ; on pourra toujours faire fabriquer moins cher ailleurs. Il faut donc retourner aux sources du malaise manufacturier dans nos sociétés occidentales pour comprendre pourquoi nous avons perdu nos savoir-faire.
Il faut donc remonter plus haut dans l’autopsie du malaise manufacturier de nos sociétés occidentales. Et se poser par exemple la question de nos pertes de compétence à force de ne plus faire. Au-delà de nos économies du moins cher, qui ne vaut que pour nos dépenses d’aujourd’hui, est-il compatible avec notre dignité et notre indépendance d’être humain libre que nous ne sachions absolument plus faire ou concevoir ce que nous consommons goulûment ? Il est un moment où il devient dangereux de ne pas savoir ce que l’on ingurgite !
Nous devrions d’une manière générale garder des savoir-faire de base pour manger-boire-se loger-se chauffer-se vêtir-s’éduquer tout seul. Non point pour se replier dans une attitude autarcique de survie, mais pour garder une conscience des choses, pour en garder un libre arbitre et un regard qui ne soit pas seulement celui de celui qui subit. Ce genre de « conservatoire » de nos fonctions de base doit se constituer à notre portée et donc dans un champ d’employabilité proche pour nos contemporains. Il sera cher, à la mesure du coût de l’emploi ici, mais il remplit une nécessité comme une assurance dont on ne voit la dépense…qu’avant l’accident.
Remontons toujours les causes objectives dans le strict éclairage répété de la dignité de l’homme de pouvoir avoir un travail et osons, in fine mais en dernier seulement, poser le principe d’une charité bien ordonnée qui commence par soi-même.
En tant qu’équilibre des comptes – macroéconomiques –, il ne sert à rien de faire des économies sur nos achats pas chers à l’autre bout du monde, s’il nous faut dépenser ici, à notre porte, tout ce que nous avons gagné pour financer le dégât des emplois détruits, sans évoquer la destruction sociale qui pèse sur nos consciences.
Si nous ne vivions pas dans une société à l’organisation trop planifiée mais plutôt comme en famille, que voudrions-nous acquérir plus cher, avec davantage de valeur ajoutée, à notre enfant ou à notre parent afin de lui permettre de vivre mieux ? L’expérience n’est nullement anecdotique mais réaliste et peut être reproduite des milliers de fois, même si elle n’entre pas dans une démarche économiquement rationnelle et qu’elle introduit une forme de subventionisme propre à contrarier le principe de compétitivité. C’est ce qu’avance la Commission de Bruxelles lorsqu’un secteur industriel d’un pays reçoit des attributions substantielles.
Ce n’est pas le cas. Si un inventaire honnête a décliné que l’ensemble des mesures pour une industrie, dont ces nouvelles propositions, montre un déficit d’emploi, il faut oser demander et financer la sauvegarde provisoire en même temps que l’accélération de la reconversion vers un métier dont les produits peuvent être achetés ici. La sauvegarde a un coût qui doit être financé par une participation proportionnelle affectée sur le coût de l’importation du produit, qui se substitue au produit local disparu. Pris au cas par cas, et dans une transparence explicative pas trop compliquée, le processus serait compris, apprécié, et ferait réfléchir ceux qui n’ont aujourd’hui aucune entrave à se précipiter sur le pas cher.
Tous ces progrès, ces avancées pour sortir du réflexe facile de l’achat pas cher, peuvent être consignées et faire partie d’un nouveau programme de communication public qui restituera authenticité à notre comportement de consommateur, et fierté de s’attaquer au problème du travail, de notre travail, de votre travail, qui nous concerne tous.
Le concret du discours ne fait que caricaturer la mondialisation, avec une chemise à moins d’un euro, moins qu’un « bol de riz ». Mais ce sont tous nos modes de vie et tous nos emplois qui sont concernés tant que ne seront pas véritablement égaux tous les salaires et tous les coûts à travers le monde. Ceci ne risque pas d’arriver, tant sont disparates les modes de vie, la richesse des pays, les approches culturelles, les conditions géologiques et climatiques ; sans parler de ce qui constitue les réserves de main-d’œuvre, se comptant par milliards là-bas et par millions seulement ici. Dans notre malheur, nous avons la chance de n’être que millions car que ferions-nous si nous devions fournir le travail qui s’en va ailleurs à un milliard de nos contemporains ? Par ce raccourci en forme de boucle qui se referme, nous voyons que c’est pour fournir du travail à leur milliard d’hommes que les productions moins chères que les nôtres existent. Et ce n’est pas notre seule chance car dans les avantages nous avons celui de l’avance culturelle et technologique nous permettant de nous créer les nouveaux besoins qui susciteront les nouveaux emplois. A condition que notre veulerie ne nous précipite pas tout de suite chez les milliards qui ne produisent pas chers pour gagner plus d’argent tout de suite.
Une hypothèse pourrait prescrire qu’une innovation doit avoir un premier temps d’incubation productive dans son le périmètre où est destinée sa consommation. Au même titre que la proposition précédente de garder dans toutes les filières un savoir faire qui s’exercerait localement, il pourrait être admis qu’une nouveauté destinée à une culture soit partagée en tant qu’apport productif par ceux qui vont la consommer. Bien sûr, cela renchérit le coût d’un produit qui ne peut plus être fondé sur son plus petit prix de production ; mais l’ajout des quantités globalement produites et multipliées par le coût distinctif de deux ou plusieurs lieux de production, ne surenchérirait pas énormément le prix final. Lequel payé par le consommateur final aurait le mérite de contenir l’hémorragie de l’emploi et la perte de dignité de nos contemporains sans travail.
La liste des inventions pour trouver de l’emploi n’est pas exhaustive si l’on veut bien avoir la bonne volonté de la commencer et de ne pas en fustiger l’utilité dès le départ. Bien sûr, on peut en dire que ce ne sont que des mesurettes, des palliatifs, des pansements sur une jambe de bois. Mais une à une, ces réflexions deviennent un constat et un moyen qui, en s’additionnant, constitue une dynamique dans la droite ligne de la dignité de l’homme que nous défendons depuis le départ.
La dignité de l’homme doit savoir épouser son époque et les nouvelles donnes qu’il a lui-même créées. Parmi celles-ci, les nouvelles conditions de la consommation qui est elle-même un mot nouveau auquel nous devons non seulement nous habituer mais que nous devons conjuguer personnellement : je consomme, tu consommes, il consomme etc. Pourquoi ce gavage ? Pourquoi cette marche forcée ? Parce que nous nous sommes décrétés un droit à avoir un travail, homme, mais aussi femme, enfant, retraité, malade, oisif… oui, dans la mesure où toutes les situations de la vie où nous ne travaillons pas (quand nous sommes éduqués, soignés, retraités, indemnisés) sont financées par le travail. Il faut donc du travail. Il faut créer du travail avec des nouveaux produits qui créeront nos envies. « Produit » n’est pas un vil mot car cela peut être aussi un service, un soin, une éducation, un loisir, une vacance ; tout ce qui peut employer l’un de nos contemporains en pensant d’abord à quelqu’un proche de nous.
Ainsi, parvenu à une vision de vaste échange entre notre nouveau besoin/envie et sa réalisation/satisfaction/mise à notre disposition, il me semble que le problème de notre travail, de notre emploi peut trouver ses solutions.
Postscriptum : c’est bien volontairement que je n’évoque pas « l’exportation » tant elle n’est qu’une supériorité passagère à utiliser sans modération quand nos produits ont le vent en poupe. Elle serait la poursuite d’une attitude fallacieuse de domination si nous en faisions une stratégie et qui, quelles qu’en soient les retombées monétaires, ne peut occuper la totalité des métiers.
2. L’éducation
C
omment répandre le savoir pour qu’il se sédimente sur notre terreau, notre pâte humaine intime et inaliénable ? Comment exiger du savoir antérieur qu’il comble les véritables interstices de notre appétit du moment ? Est-il possible de pister notre appétit d’éducation ? Les moyens modernes de détection – imagerie cérébrale – permettent bien de pister le parcours de nos désirs, de nos réactions, de nos émotions. L’éducation ne pourrait-elle pas être à notre service en écartant le postulat que nous serions paresseux et qu’il faudrait par conséquent nous inculquer… nous inciser le savoir ?
Au commencement, comment sommes-nous ? Nu comme un ver. Mais encore ? Le ventre de la mère est le premier atelier de notre construction. La fécondation semble être un processus chimique et physique échappant à toutes tentatives d’interventions. A priori, et même certainement, nous arriverions nu, vierge de toute valeur éducative, constitué d’attributs physiques et psychologiques qui seraient les premiers outils dont nous aurions besoin.
Nous ne naissons pas « éduqués », nous naissons en devenir de préhension dans un monde qui est déjà complètement le nôtre. Nous y sommes inscrits, nous sommes un être vivant sur lequel personne n’a plus droit de vie ou de mort. Alors que, neuf mois auparavant, il était de la libre décision de nos géniteurs de se retirer ou de venir.
Supposons qu’à notre naissance, nos facultés soient davantage développées, doté déjà de la capacité de libre arbitre, de faire des choix de vie. La révolution, quasi copernicienne qui en découlerait, ferait disparaître l’éducation parentale au profit d’une auto-éducation choisie. Cette hypothèse démontre que nous ne pouvons choisir pour nous-mêmes ce qui nous concerne… jusqu’à notre majorité, un précepte démocratique amusant, décrétant le seuil de la responsabilité à dix-huit ans. En réalité, ce passeport pour la vie adulte est un faux : la matrice de l’individu, soudainement libéré, était déjà formatée dans un monde de convictions et de raisonnements : l’individu arrive à cet état adulte « éduqué pour les autres » et non pas « éduqué pour lui-même ».
Notre recherche de moyens d’agir sur notre destinée est ici confrontée au plus important dilemme, à la plus difficile question car ce qui se joue au cours des premières années constitue la fondation de l’être, le fondement de l’Homme sur lequel sa vie entière va progresser. Tout se joue avant six ans, disent les psychologues de l’enfant ! Alors prudence pour ce que nous allons dire.
Il n’en demeure pas moins que sur le plan expérimental, une méthode d’acquisition de savoir choisie par l’individu serait davantage plus efficace qu’une méthode qui lui serait imposée. Le libre choix de la connaissance crée un phénomène initiatique d’accouchement par soi-même, de découverte de ses propres facultés, de ses désirs et des aboutissements. Toute l’énergie de l’impétrant est vouée à son libre choix auquel il adhère de manière quasi plastique, sans interstice laissé pour le doute, la réaction négative ou le désabusement.
L’expérience réussirait à coup sûr si nous n’étions pas partis d’un conditionnel, de ce « si » préjugeant que le nouveau-né possèderait des dispositions intellectuelles et physiques. Puisqu’à la naissance il ne les possède pas il faut les lui donner ! Trop simple à dire ? Mais possible à faire. Il s’agit de ne pas laisser entreprendre une quelconque éducation avant que l’enfant n’acquiert sa conscience et sa capacité de choix et de décision de ce qu’il veut être.
Or que faire de l’enfant en attendant cette date imprédictible ? Si on envisage de s’occuper chez son enfant que du développement de ses capacités d’éveil (physique pour son autonomie, et intellectuelles pour l’acquisition de connaissances), cet accompagnement de son développement doit prendre un caractère de sacerdoce, de mission laïque, où l’on s’interdit toute référence à une préférence personnelle, à une expérience réussie ou échouée, à un jugement d’autrui, à un diktat de la société.
Non, on est ici dans un travail en univers aseptisé, comme si une bulle nous permettait de tendre à l’enfant les outils dont il a besoin tout en nous interdisant d’y introduire un quelconque parfum qui nous identifierait comme précepteur influent.
Pardon si ces mots heurtent la sensibilité justifiée qui caractérise nos rapports avec nos enfants, mais ce n’est qu’une question de changement de méthode. De la même façon que la personne que nous aimons a besoin que nous la laissions libre, renforçant ainsi l’amour entre nous, notre enfant ne doit pas nous appartenir.
Faire un premier état des lieux.
A quel âge l’enfant atteindrait-il l’étape d’un être « prêt-à-vivre » ? Peu importe en fait, ce n’est pas une course mais un aboutissement naturel, dépendant de son biorythme interne. Au contraire d’un programme venant de l’extérieur il s’agit de laisser venir une floraison intérieure. Entre-temps, nous devenons son accompagnateur sur un chemin de découvertes, et la découverte peut se révéler tout autant passionnante pour l’accompagnateur : il peut redécouvrir des processus d’acquisition de connaissances qui lui ont échappés. Tout comme le libre arbitre qu’on n’a pas établi en notre temps et qu’on sent pousser chez son enfant.
Pour rester strictement dans une attitude de service à l’égard de notre enfant, le travail exige une honnêteté intellectuelle, c'est-à-dire sans concessions ni accommodement. Ce n’est pas de la servilité mais de la neutralité opérationnelle, pour éveiller, tendre les outils, expliquer la mécanique des choses, sans jamais juger, influencer, conseiller, agir à sa place.
Petit à petit, émergent de terre les prémices des fondations, l’orientation, la grandeur et le sens de l’édifice humain. Or, à la différence d’une maison qui ne suivrait pas ses propres plans mais ceux d’un architecte dirigiste, ce sont ici les murets visibles de la personnalité naissante qui projettent les lignes de force, les trajectoires, les choix et les refus, en direction de son environnement.
La fonction de l’accompagnateur est de présenter à l’enfant ce que ce dernier vient de faire apparaître : la construction de son édifice. L’essentiel est d’être parvenu à ce que l’enfant discerne son propre plan, qu’il puisse commencer à le confronter à des éléments extérieurs, qu’il s’interroge, qu’il se réalise enfin dans la société. Là encore, l’honnêteté est de rigueur afin que la société externe apporte des données éclairantes et non influentes.
Le nouvel Être – on peut l’appeler ainsi – prend conscience progressivement de son propre inventaire. Il réalise son premier inventaire toujours avec l’accompagnement de ses parents qui doivent accepter ce que devient leur enfant. Il n’est plus question de l’état d’extase de l’arrivée du nouveau-né. Ce qui nous est révélé désormais, c’est l’Être – encore miniature, certes. Il y a peut-être encore la velléité, la tentation de contrôler l’éducation, de déchirer le plan, de crier à l’erreur. Ce serait dommage en si bon chemin et ce serait surtout néfaste d’étouffer dans l’œuf une personnalité qui ne nous appartient pas, qui ne nous a d’ailleurs jamais appartenu. Car en effet son plan surprend nos plans, il contrarie nos désirs, notre volonté que nous projections dans notre enfant. L’humain que nous avons devant nous doit se préparer à vivre pleinement ses choix, et l’éducation, au sens où nous l’entendons encore aujourd’hui, peut désormais commencer. Comme si, aux Droits de l’Homme à disposer de lui-même, nous instaurons les Droits de l’Enfant à choisir lui-même ses outils éducatifs pour devenir un adulte autonome et épanoui.
Des choix à prendre ou à laisser.
C’est le premier choix, c’est la première décision, c’est l’établissement de la première liste de ses préférences quitte à devoir envisager d’abandonner ce que l’on aime.
La première partie de la vie d’un enfant, cette autodécouverte de soi-même, démontre tous les possibles sans lui cacher non plus les impossibles. Tout reste dans un champ de possibles avec toutefois l’introduction naturelle que l’on ne pourrait faire qu’une seule chose à la fois ; ou que d’autres nous seraient plus faciles à réaliser. Aussi, la continuité de ces lignes de force de la personnalité naissante lui sert également de ligne de bornage pour le champ de ses possibles ; la découverte de ce que j’aime et de mes capacités, au regard de ce que j’abhorre et de ce que je ne sais pas faire, m’indique clairement où je veux aller et où je ne veux pas aller, parmi les opportunités que la société m’offre au moment où je fais mon choix. Il ne s’agit ni plus ni moins, sans fantasme révolutionnaire, que de laisser prendre des choix de vie par celui qui devra les vivre. Pourquoi ne le laisserait-on pas agir ? Par peur sans doute ; mais aussi par égoïsme de voir notre enfant prendre une autres place dans la société que celle que nous aurions voulu pour lui, et flatter ainsi notre orgueil. Nous avons peur également de l’avenir, nous projetons nos peurs sur notre enfant, et nous nous réfugions dans le cadre connu et formaté de l’éducation forcée institutionnelle plutôt que celle inexplorée de l’éveil accompagné.
A ce stade, s’introduit pour l’enfant une règle sinon une obligation d’être cohérent, exigeant, persévérant dans l’éducation qu’il s’est librement et consciemment choisie. C’est un choix d’homme introduisant la véritable condition d’homme. C’est sans doute beaucoup demandé pour les mentalités actuelles mais le temps gagné et la dignité de choix acquise viennent à la rescousse. L’individu acteur de ce choix, de son choix, n’a aucune raison de flancher ou de vouloir revenir en arrière tant les paramètres de son analyse sont justes, tant la maturation de ses préférences est personnelle, libre et sereine. Mais le processus ne peut inclure la versatilité d’une personnalité, le renoncement à un choix. Versatilité à ne pas confondre avec la possibilité d’affiner un choix ou d’en changer du moment qu’il y a toujours un choix réel avec volonté de l’assumer.
La cohérence des décisions même si l’on doit par nécessité les remettre en question, et le respect de soi, sont les maîtres mots à préserver tout au long de ce parcours vers la vie d’adulte, et tout au long de son existence. La société doit nous y aider, elle doit nous former pour nous construire, elle est aussi dans l’exigence de nous demander de tout faire pour atteindre nos buts. Le tutorat de la société fait partie de la palette des choix qui nous est présentée.
Si une aversion à s’éduquer, à ingérer des connaissances apparaissait, cette attitude devrait être prise en compte et être respectée. L’individu ne s’exclut pas pour autant. Cette vacance de participation à la société ne constitue pas un état permanent dont ladite société aurait à s’excuser. Les particularités contradictoires existent et doivent être respectées dans le principe inaltérable de la liberté individuelle, elles deviendraient inacceptables si cette situation de refus portait atteinte au respect de soi-même ou des autres, à l’obligation de devenir autonome et affranchi d’un état permanent d’assistanat.
J’ai conscience de la limite dangereuse qu’introduisent ces exceptions éducatives. La clairvoyance qui prévaut dans le parcours d’éveil à la décision sera la même pour comprendre les déviances délibérées ou épisodiques qui surviennent dans chaque vie. Cette clairvoyance est une sollicitude de la plus belle veine humaniste ; attitude humaniste qui se doit de comprendre que tous les individus ne veulent pas nécessairement participer à l’édification de la cité, il ne faut donc ni les contraindre, ni les conforter.
Sommes-nous pour autant arrivés à faire naître « l’Être adulte » ? Sans doute devrons-nous y parvenir sans destructions des savoirs et des valeurs mais en canalisant leur véritable potentiel vers des appétits réellement manifestés, vers des facultés mentales et physiques réellement existantes.
Entre-temps, tous les propriétaires mandarins du savoir vont certainement troquer leur rôle de prescripteur pour celui de découvreur. Ils y gagnent forcément en voyant de leur vivant le résultat de leur accompagnement, en établissant un lien générationnel d’amour et de partage plus vibrant, honnête et gratifiant que celui du prestige que confère l’autorité et la détention exclusive du savoir.
3. La technologie
C
omme la langue d’Esope : la meilleure ou la pire des choses selon l’usage que l’on en fait. Pourquoi accorder une aussi grande importance, quasi civilisationnelle, à ce qui n’est qu’un aspect du progrès.
Que s’est-il passé pour qu’un phénomène sans précédent, qui ne soit ni une guerre, ni un cataclysme, ni une malédiction divine, s’abatte soudainement sur la Terre, et transforme le genre humain ?
La comparaison avec la langue, et ce que nous en faisons, est tout à fait pertinente. La langue est l’outil premier de communication humaine dont les mots assemblés véhiculent la pensée, la philosophie, la poésie, l’information. La langue a créé les civilisations, les nations, la culture, les mythes et les impasses comme Babel. Ni les guerres, ni les religions, ni la mondialisation n’ont jusqu’ici réussi à créer une seule langue, un langage universel. Au contraire de cet esperanto, les langues structurent notre appartenance, nos différences et nos rapprochements affectifs. Parler, tous, la même langue faciliterait la paix entre les peuples. De même qu’entendre une langue dont on ne saisit aucune signification signifierait la stérilité entre les peuples et deviendrait une forme d’incompréhension agressive.
La toute jeune technologie de l’information est enfin ce véhicule tout terrain grâce auquel l’information circule dans tous les sens, en permanence. Si cela n’est pas une révolution, je me demande ce que les mots vont continuer à pouvoir dire. Que l’on y songe ! Mieux que le rêve d’Icare, savoir tout, au moment exact où nous le désirons, détruit radicalement notre rapport à l’accès des données que je résumerai en disant qu’il n’y a plus de temps pour l’attente : tout est accessible tout de suite. Nous le pouvons ! Le voulons-nous ? Sommes-nous organiquement prêt pour ne plus avoir à désirer puisque c’est le « tout, tout de suite » qui nous interpelle et qui nous fait consommer ? Y sommes-nous prêt ? Pouvons-nous refuser le fruit… qui n’est plus défendu par aucune idéologie car il s’est inséré dans la matrice-même de notre être ?
C’est très grave au sens ontologique de notre manière d’être, de notre acceptation d’être transformé par la machine. Oui, oui, c’est une machine moins bruyante que les monstres que nous voyions bruyamment venir autrefois mais dont les réseaux complexes entremêlent maintenant le physique et le psychique de nos êtres.
Sur la toile, nous sommes tous nichés. Pouvons-nous y trouver un épanouissement ? La réponse est oui parce que l’assemblage, aussi compliqué soit-il, n’a pas d’intelligence pour s’ériger en ennemi. L’hostilité que nous ressentons est une frayeur pour un inconnu qui ne vient pourtant pas d’une force extra-terrestre mais simplement des turpitudes humaines qui ont créé une usine à gaz. Nous devons et pouvons nous la réapproprier pour faire tourner les turbines à notre service.
Rien de neuf sous le soleil de l’évolution, si ce n’est la rapidité.
Le mot technologie, du grec techne (artefact) et logos (discours), ou « traité ou dissertation sur un art », signifie avant tout la science des techniques. Ajoutez-y le goût de notre siècle pour les définitions ronflantes et vous obtenez avec cette notion de « technologie » une locomotive autosuffisante que rien ni personne ne semble pouvoir arrêter. Est-ce une science, une religion ou philosophie, une manière de vivre, un modèle économique ? Personne ne le sait précisément mais tout le monde suit, enivré par l’effluve du progrès, de la nouveauté, dans un monde qui brûle à toute vitesse ce qu’il a pourtant aimé hier.
Cette vitesse trouble nos sens. Avec des évolutions plus ou moins rapides, les époques précédentes nous ont toujours apporté des inventions, des découvertes, des façons nouvelles de voir le monde, de transformer la matière, de se déplacer, d’exprimer nos idées, de considérer les autres hommes de la planète. Ce n’est pas la première fois que nous apparaît une science, une idée, une manière de faire mais c’est la première fois que cet apport métamorphose de façon intrinsèque notre rapport à la société et notre condition de vie. C’est comme si, sans évolution et prévention, on nous amputait des bras, estimant que la préhension des choses serait désormais bien mieux faite grâce à une prothèse… issue des dernières technologies de pointe.
Eh bien la technologie de l’information n’est autre qu’un plaquage en force et soudain de notre façon de communiquer, c'est-à-dire d’exister, puisque notre spécificité essentielle qui nous distingue des autres êtres vivants, est notre faculté à nous exprimer. Non point que la technologie nous cloue le bec, mais elle perturbe profondément l’usage de la parole en lui donnant un caractère définitif d’immédiateté. Le temps de la réflexion n’existe plus, les nuances et les finesses du langage disparaissent. L’un est déjà dans l’autre. L’autre remonte complètement dans l’un. Quelles nuances peuvent-elles rester entre dialoguants lorsque les deux sont dans une instantanéité de communication ?
J’arrête le tableau apocalyptique que de toute façon je caricature à mort et volontairement pour montrer les limites technologiques qu’il ne faut surtout pas atteindre. Et c’est justement parce que nous entreprenons de prendre à bras le corps les grands problèmes du moment que nous ne voulons pas les ignorer mais au contraire les rendre à notre usage domestique.
Il est grand temps de s’en rendre compte et pour plusieurs raisons. L’une que l’on vient d’évoquer en forçant le trait est le risque de monde impossible dans lequel une technologie débridée nous emmène. Une autre est l’opportunité que nous devons saisir de cette mise à disposition planétaire d’outils qui pour rapidement dangereux qu’ils soient ont le don merveilleux de pouvoir nous rapprocher, de casser les frontières, de communiquer nos différences. C’est un programme énorme qui a toujours fait partie des plus audacieuses propositions politiques de tous les temps. Nous y sommes ! Qu’en faisons-nous ? De même que passant du macrocosme au microcosme, cette rapidité transforme totalement notre espace de rapport avec l’Autre.
Pouvons-nous devenir plus rapides ?
La transformation de l’espèce fait partie de notre évolution mais on ne la voit que rétrospectivement, avec un long étalement dans le temps. Jamais l’homme n’a été convoqué sur le chantier de son histoire, au moment, où il la vivait, pour se voir sommer de se tenir debout au lieu de marcher à quatre pattes, de réduire ses canines au lieu de laisser la prééminence de ses crocs envahir son visage.
Par principe, la technologie n’exige de nous aucune évolution. Elle s’inscrit avec une telle domination que nous culpabilisons de ne pouvoir jamais atteindre ses capacités, ou simplement de ne pas savoir l’utiliser. L’emprise de toutes parts est telle que les créateurs de technologie se laissent prendre au jeu de cette domination, nous laissant croire que nous pouvons rivaliser entre nous par l’intermédiaire de la technologie. Il faut tordre le cou à ces leurres sans aucun fondement.
Que la technologie aille vite et loin, c’est son affaire. Elle est née, elle est conçue ainsi, par besoin géo-spatial de prendre le minimum de place dans un minimum de temps, afin de pouvoir, en un même lieu, effectuer toutes les opérations. La réponse de l’Homme est dans une relation contrôlée de l’Homme sur la machine technologique, dans les limites d’exploitation qu’il lui fixe pour sa vie, pouvant à tout moment renoncer à l’utilisation de la technologie. Une fois ce cadre fixé, l’Homme en est le libre prescripteur et l’utilisateur.
Bien entendu, il en est autrement dans la réalité de notre évolution parce que la machine technologique, dans son abstraction, devient subrepticement l’idéologie prescriptrice de nos comportements. Le contrôle du commandement s’inverse. L’émergence de cette idée, devenant corps prenant de la société, n’a été rendue possible que par le vide laissé par les idéologies précédentes, et par l’éternel besoin des hommes de se rattacher à une transcendance, à quelque chose qui les dépasse. Comme notre société rend obsolète les croyances aux religions traditionnelles, on s’entiche désormais des manifestations du génie humain, du progrès sans prendre conscience des conséquences ultérieures pour les générations à venir. Qu’importent la destination, les effets secondaires, les dommages collatéraux, seules l’innovation et l’exploitation comptent. Le désabusement ambiant ne peut s’arrêter et regarder pour réfléchir et apprécier. Etre dans ce mouvement du « je bouge, donc je suis » suffit à auto-justifier la continuation de notre course devenue une fin en soi.
Soit, à moins que je délire, pour cette nouvelle religion de l’instabilité par le mouvement qui empêche de regarder trop longtemps et de trop près ce que l’on fait mal ou l’on ne sait plus faire. Soit pour l’existence par la bougeotte exacerbée. Mais ce n’est de toute façon qu’une idéologie de plus qui suit ses précédentes et précède ses suivantes.
En aucun cas on ne peut affirmer que ce culte de la rapidité est bon pour l’Homme. Même si à force d’en être bassiné, il finira bien par se produire une transformation ontologique de nos nous-mêmes, qu’une évolution lente découvrira avec amusement, dans quelques millénaires.
Mais entretemps, sommes nous obligés de subir.
Non ! Pouvons-nous résister ? Non, c’est triste à dire mais je dis non ! Pouvons-nous proposer une alternative plus séduisante déplaçant le cœur du problème vers une perspective respectant l’homme ? Oui !
La solution consiste à nous réapproprier chacun de nos gestes « mécaniques » afin de redécouvrir leur processus. Il faut nous réinterroger chacun de nos rapports avec la technologie ambiante pour nous demander ce qui est de l’ordre de la nécessité et de l’ordre du superflu, de la supercherie.
Premièrement, dresser l’inventaire de nos besoins, de nos désirs, de nos curiosités à la lumière de tout ce que nous connaissons aujourd’hui, et de ce que nous sentons être à notre portée pour notre avenir.
Deuxièmement, faire l’état de nos capacités, de nos moyens humains et également financiers. Il faut nous demander comment nous fonctionnons, quels sont nos cycles de vie, de travail, d’épanouissement.
Troisièmement, faire l’inventaire et examiner les technologies existantes sur le strict plan de leur compatibilité, exiger qu’elles répondent à nos besoins planétaires, à nos moyens, à nos désirs, ignorer leur emprise économique, les dénuer d’un quelconque pouvoir économique qui ferait de nous des esclaves endormis.
Quatrièmement, faire le tri des trois exigences qui précèdent avec le souci honnête de n’accepter aucune enfreinte à nos principes.
Ainsi, muni d’un plan de route, nous découvrirons des voies respectueuses de l’humanité dont la technologie reste à son service.
Et nous verrons que la rapidité technologique n’est qu’un composant qu’il n’est absolument pas indispensable de partager.
Une science devenue une économie à part entière.
Plus prosaïquement, l’emprise de la technologie dans notre société s’explique par la manne financière intarissable qu’elle rapporte à ses exploitants.
Toutes les époques se cherchent, au delà des productions et des échanges de biens primaires, des desseins porteurs d’espoirs bienfaiteurs, d’autres annonciateurs de richesses économiques. Paradoxalement, la technologie offre une particularité positive dans le mécanisme habituel de la création de valeur ajoutée. Auparavant, les bénéfices résultaient de la vente au client final de la transformation de matières premières au cours d’un cycle long d’investissements et de manipulations. Si les bénéfices résultent d’un processus risqué et progressif de la vente, une fois le seuil de rentabilité dépassé, en revanche, la rentabilité d’une idée exploitée est immédiate et maximale. Aujourd’hui, l’émergence du secteur tertiaire, qu’il s’agit d’une activité de services ou de l’exploitation d’une idée, d’un concept ou d’un brevet, crée un vaste domaine exclusif et fermé, un pré carré dont le gardien se rémunère à chaque exploitation. Ce secteur est le plus rentable de notre économie puisqu’il n’exige pas d’investissement dans l’achat de matière et de parc machines, ni dans sa transformation et son stockage.
A la matière première s’est substituée la matière grise dont il ne faut cependant pas mésestimer le coût. Nous ne sommes plus dans le monde du quantitatif raréfié mais dans un monde du qualitatif conceptuel, en spécifiant et créant un désir réel ou inventé.
De ce point de vue, les « technologiques », valeurs boursières technologiques s’entendent comme ainsi en parle les spéculateurs, déplacent complètement la signification que l’on peut donner à une entreprise actrice dans ce domaine. On est à proprement parler dans une chaîne physiquement virtuelle mais financièrement très intéressante parce que les investissements y sont différents, sans doute moins lourds, et avec des espoirs de marché de consommateurs s’étendant à tout ce qui se compte d’humains. C’est pourquoi les têtes tournent souvent dans ce qui devient justement nommées des bulles, s’auto-établissant leurs propres règles et devant donc décréter leur propres diktats pour imposer leur échelle de valeur. Car en fin de compte c’est bien d’argent qu’il s’agit, d’aller retirer à ses contemporains la rémunération du service que l’on promet.
A la différence des produits issus de la transformation de la matière, les produits virtuels issus de la technologie sont générateurs d’une déclinaison gigantesque de services – parler grâce à téléphone – ou de produits dérivés qui vont justifier leur raison d’être, et la valeur de leurs bénéfices.
L’histoire du téléphone portable, par exemple, est loin d’être une romance, mais une success story quand on considère que près de deux milliards d’hommes dépensent dix dollars par mois. Ça, c’est de l’économie, il faut le savoir, c’est nous que cela concerne. Il est urgent que nous nous interrogions sur nos besoins réels et le coût que nous pouvons leur allouer. Nous ne pouvons accepter plus longtemps que ces besoins secondaires, mais en tous cas qui ne sont pas vitaux, pompent et purgent littéralement notre pouvoir d’achat qui doit arbitrer entre l’essentiel et le superflu.
Nous possédons encore cette faculté de choisir même s’il semble difficile d’écarter ce qui s’est imposé, de récuser le progrès technologique, sous prétexte d’une cherté qui n’est pas justifiée mais organisée sciemment. Il est temps que l’économie devienne raisonnée et respectueuse des Droits de l’Homme. Qu’elle propose à ses acteurs comme à ses consommateurs des valeurs correspondants aux nécessités quotidiennes, au travail et à l’épanouissement personnel.
Il serait souhaitable que cette exigence de prix juste (aucune connotation socialiste mais qui est simplement de bon sens social) vienne d’une base mature que nous avons en nous, remettant à leur place les abuseurs de situation trop longtemps dominante.
Une science devenue un lien ontologique de la planète entière.
Comme une traînée de poudre, et à la différence d’une langue ou d’une religion qui reste enlisée dans son environnement, le progrès technologique se répand sur la planète entière, sans que l’on puisse discerner un lieu significatif de résistance. Il est saisissant de voir qu’il n’existe pas de refuge où nous pourrions organiser une opposition. Comme la roue puis l’électricité hier, la facilité et les bénéfices offerts paraissent tellement réels qu’on en abandonne rapidement tout esprit de résistance et de critique. Les raisons de ce déferlement de louanges ne proviennent pas que du phénomène de manipulation de masse. C’est la mise à la disposition de tous, ou de l’espoir pour tous, de tout ce qui existe de disponible qui rend chacun avide et gourmand d’y accéder.
Ce principe d’accès de tout par chacun est en soi un progrès dans la constitution d’un soi plus riche, plus informé, plus en mesure de faire ses propres choix. Mais parallèlement les pourvoyeurs de ces informations généralisent trop vite cette vague de demande d’accès, au point d’oublier leurs moyens classiques et matériels de communication pour ne plus garder que leurs procédés virtuels.
Il se crée ainsi un fossé croissant entre ceux qui peuvent se connecter à ces nouvelles technologies et ceux qui ne peuvent pas ou qui s’y refusent. D’un côté ceux qui ont accès à l’information et à la consommation, de l’autre ceux qui sont déconnectés de la société des loisirs et qui s’attachent plutôt à survivre ou à se marginaliser. Ils seront dépendants des autres, pour le rester ou le devenir.
Puisque nous avons conscience de cette mutation et de ces inégalités, nous possédons encore le pouvoir de faire respecter une pluralité de moyens.
Nous vivons une occasion unique où il est encore possible d’éviter l’irréversibilité d’une erreur, de nous poser et de réfléchir, de stopper l’onde de la technologie, et de redéfinir nos besoins de consommateurs, mais non en travaux ou en loisirs forcés. Notre manifestation pour préférer les produits qui nous vont bien et nous font du bien, n’arrêtera pas ce progrès mais le mènera au contraire vers une destination de service de l’Homme.
Être technologique ou ne pas être… du tout.
L’opposition systématique de l’Homme à la technologie, à ses manifestations, révèle un paradoxe pathétique en refusant une humanité en marche. Très souvent et parallèlement, l’opprobre n’est pas suivie d’effets dans les actes. Les anti-progrès ne vivent pas dans des cavernes et leur réseau d’information empruntent sans vergogne les moyens d’aujourd’hui.
Le radicalisme des anti-progrès n’est pas intellectuellement honnête sans que pour autant on ait envie de les condamner. D’abord parce que chacun peut s’exprimer, et qu’il est sain qu’un sujet soit diversement apprécié, et qu’apparaissent in fine à notre enthousiasme des antidotes qui ne lui conféreront que plus de maturité.
Au delà des postures d’anti ou de pro, il faudrait que de nouveaux consensus apparaissent pour prendre en main l’avenir du progrès et plus spécialement celui de la technologie.
Entre les pros et les antis, il est inconcevable de laisser le progrès continuer à se propager dans nos esprits dans l’autojustification de sa présence, de son utilité, de sa marche forcée, quelque soient notre position.
Il est de temps de faire un point sur le progrès afin de lui désigner une tâche capitale qui ne le laisse pas libre de courir où bon lui semble, sous nos yeux tantôt ébahis tantôt courroucés.
Que diable ! Nous avons à faire à une création humaine, nourrie de nos recherches et de nos ambitions ; une création qui a si bien réussie qu’elle pourrait se présenter – à tort mais de fait – comme une entité autonome.
Personne, honnêtement, n’a jamais voulu de ce monstre-là qui se serait échappé de notre cirque. C’est notre veulerie à ne pas savoir rattraper nos erreurs qui nous fait croire que le progrès existerait bien pour lui seul, avec son appétit d’ogre. Rien de tout cela n’existe sauf dans notre lâcheté à ne pas vouloir reprendre en mains ce que nous avons laissé nous échapper.
Il n’y a pas de confiance à avoir dans le progrès, comme on l’entend dire ; une phrase effarante. On peut faire confiance à un homme, à un groupe d’hommes qui nous expliquent leurs buts et leurs moyens. Mais ne faisons pas confiance à une abstraction qui ne tire sa seule importance que du fait qu’elle prétend nous avoir échappé !
Pouvions-nous éviter la technologie ?
Tout ce qui existe provient d’un désir, d’une idée. La technologie est un pas de plus vers l’éternel quête humaine de vouloir se décharger des tâches matérielles les plus pénibles. Dans une limite d’ailleurs très intéressante, elle devrait consister à avoir en permanence, et réactualisé, la base intransgressible de ce que nous devrions toujours faire nous-mêmes, sans jamais perdre ni l’usage, ni le savoir-faire, ni la matrice ou la recette originale.
Le progrès nous aide comme autrefois les gens de maison, certes. Mais même si l’image est socialement audacieuse, chacun comprend que la domesticité avait ses limites, des situations de la vie qu’on ne pouvait pas faire réaliser, des comportements qu’on ne pouvait pas demander, fut-ce à un esclave.
La déshumanisation de cette domesticité devenue technologie, robotique, nous libère de tous scrupules. La machine pourrait tout faire ; elle n’a ni d’yeux ni d’oreilles pour nous juger.
Prenons garde à cette technologie qui, par son anonymat, nous livrerait totalement à nous même. Non point que le robot puisse devenir fou à notre encontre, mais parce que le sentiment de pouvoir être constamment servi sans modération, sans que se manifeste un sens contraire, peut nous emmener vers une attitude d’exigence sans limite. D’autant que, par nature, nous ne pouvons compter sur le bon sens de la technologie pour nous recommander de faire une pause. Au contraire, sa manipulation habile, par ceux qui exploitent les exigences de leurs contemporains, lui fera accéder à des degrés de plus en plus hauts dans la création de nouveaux désirs et de nouvelles exigences.
A ce point, survient un cercle vicieux comme une spirale sans fin, toujours attiré par un infini.
Ce jeu avec soi-même peut être interdit par une communauté qui, globalement, peut décider de se servir autrement du progrès et de ses applications technologiques. Nous avons toutes les ressources pour éviter ses dérives indésirables. Personne ne peut nous forcer mais notre démarche, pour être opérationnelle, doit s’inscrire dans une démarche collective où nos contemporains et nous-mêmes choisissent librement un style de vie, dotée du niveau de technologie que nous désirons. Nous vivons au sein d’un groupe, dans une ruche, dont nous déléguons l’organisation non à une reine mais à une démocratie participative et contributive par les actes choisis de chacun.
Vivre avec la technologie : la part de soi, la part des autres, la part de la technologie qui court toute seule.
La réflexion de base ne doit venir que de nous même qui apprécions comme nous l’entendons les technologies qui nous entourent. Dès ce point de départ, il importe d’être très honnête pour ne pas laisser se falsifier la pensée par des idéologies envoûtantes et des besoins artificiels.
La technologie peut nous prendre par le plaisir, à condition que ce soit un plaisir rendu à un désir venant réellement de nous. Dès le départ, nous devons définir nos désirs pour vérifier s’ils viennent de nous ou s’ils ne sont qu’un boomerang après coup, justifiant un plaisir déjà arrivé.
L’heure du choix de soi-même est cruciale pour dégager la route que nous empruntons et les moyens dont nous avons besoin. Car lorsque nous sortons de nous-mêmes, et que nos prenons cette route, nous croisons la société en marche et nous nous y associons. Nos désirs et leurs satisfactions deviennent un marché qui s’organise, qui se conforte, qui devient une économie avec énormément d’intérêts, tout ne n’oubliant pas, qu’au départ et en théorie, c’est nous-mêmes qui avons le pouvoir de dire oui ou non. Si notre décision est timide, elle se laissera manipulée en chemin, et se fera dépecer par les marchands sans scrupules.
Si, au contraire, nous savons, sinon ce que nous voulons, au moins que c’est nous qui déciderons toujours, alors les marchands tourneront autour de nous avec beaucoup plus de bienséance et de scrupules pour ne pas heurter notre pouvoir décisionnel dont ils ont besoin, ce qui est bien normal et que je ne leur reprocherai pas.
Dans notre intérêt, il ne faut pas laisser s’installer un état de fait où la technologie courrait toute seule en avant, décrétant ses modes, ses styles, ses impératifs économiques. Cette technologie manquerait totalement de consensus humain, lui permettant de répondre à l’attente de ses usagers. Au contraire, pour plaire dans le vase clos de sa superbe solitude, elle serait obliger d’inventer des stratagèmes ou des scénarios coupés de notre réalité ; ou pire, inventant de toutes pièces pour nous une réalité qui lui corresponde d’abord et à laquelle elle nous plierait ensuite.
Ce n’est pas du délire d’évoquer ce sujet ; personne ne peut contester l’existence des phénomènes dont nous parlons. Que les hypothèses soient exagérées procèdent d’une analyse exhaustive des scénarios des possibles. Mais au cœur de tout cela, si nous en sommes d’accord, quelles que soient les menaces ou leurs simples fantasmes, il est utile de nos replacer au centre de cette action. Il n’est pas d’avenir pour l’Homme dans une surhumanité qui prétendrait dorénavant pouvoir se passer de lui.
4. L’économie
A
force d’entendre parler de l’économie, on peut se demander de quelle partie de la création ce phénomène procède. A quelle galaxie proche ou éloignée de nous appartient-elle ? Que fait-elle ? Ou va-t-elle ? Quelle est sa substance physique, psychologique, chimique, ésotérique, religieuse…que sais-je. Bref, c’est qui, c’est quoi l’économie ?
L’économie et nous, quel rapport ?
C’est bien volontiers que je joue à être Candide, je ne veux pas me laisser enfermer dès le départ dans un débat d’école. Après tout, au cours de mon enfance, on m’a conté de belles histoires mais jamais celle d’une économie qui me collerait aux baskets comme elle le fait aujourd’hui. Constat rassurant si ma réaction est partagée car le fait qu’on parle davantage de l’économie que dans le passé ne lui confère aucune supériorité ni pour le présent ni pour l’avenir.
Pour autant, la posture de l’idiot qui fait semblant de ne pas comprendre possède ses limites. A l’instant présent, je vis bien d’une activité : j’écris bien sur un ordinateur VAIO que j’ai payé ; qui lui-même résulte d’une chaîne d’opérations logistiques complexes mais logiques en termes de valeurs ajoutées. Quant à mes écris, peut-être trouveront-ils des lecteurs, des acheteurs de livre qui me rendront, à leur manière, mon investissement !
On ne peut pas aborder l’économie sans faire systématiquement la fine bouche ; même Karl Marx, et sa critique du capital, en comprenait le mécanisme. C’est la moindre des intelligences que de reconnaître l’importance majeure d’un tel phénomène dans notre vie, même si nous ne sommes pas d’accord avec lui.
Nul ne peut réellement se targuer de vivre, ou de pouvoir vivre, en dehors du circuit économique. Même ceux qui vivent reclus ne rejettent pas ce que l’économie globale organise contre leur gré.
Serions-nous tous pris dans une toile indémaillable faite de tenants et d’aboutissants dont nous ne serions que des cellules, même infiniment petites, de pertes ou de profits, selon les aléas de nos parcours ? Je le pense : nous nous inscrivons biologiquement dans un parcours constitué de rencontres sociales, de notre naissance à notre mort, qui modifient chaque fois notre environnement. Et que nous ajoutions ou retirerions des degrés de valeurs à chacune de ces rencontres, il en reste une multitude de mini échanges qui s’additionnent, se soustraient, se divisent, ou se multiplient.
Nous n’échappons jamais à cette activité, quelles que soient nos postures pro ou anti. Il s’agit de notre position dans le réseau infini des échanges humains, et même plus loin encore si on considère nos agissements envers la nature, le règne animal et végétal, la biosphère…
Vous remarquerez que, jusqu’ici, j’ai été capable de vous parler d’échanges, de rencontres, d’échanges de valeurs, sans développer la notion de l’argent. J’en suis content car en effet, cette vaste économie de nos échanges, qui est du domaine de nos instincts et de nos besoins naturels, existe bel et bien avant même que l’on nous parle d’argent.
Une globalité de l’économie différente de l’individualité de mon action.
On pourrait continuer à parler d’économie sans parler d’argent pour expliquer le fait que la grande économie est la somme de nos petits comportements. Mais cela risque de devenir vite lassant, considérant nos actes grands et petits comme des actions/réactions instinctives et angéliques.
Très vite, il nous faut appréhender la réalité des raisons des rapports humains ; toutes des tentatives de convaincre l’Autre, de tirer un bénéfice du service qu’on propose de lui rendre.
Combien vais-je gagner, vais-je y gagner… Ces questions sont souvent la première énergie de notre désir d’entreprendre. Il n’est pas nécessairement déjà question d’argent au sens quantitatif mais de notion de profit en notre faveur ; notre motivation, forcément.
Pourquoi vouloir agir et gagner un profit sinon par obligation d’obtenir des moyens de vivre pour nous et les nôtres, et par goût de se réaliser pour soi et pour les nôtres ? Cette projection de nécessités et de désirs s’inscrit incontestablement dans la recherche de ceux qui vont être intéressés par notre offre. Notre démarche individuelle va à la rencontre d’un marché collectif d’intéressés. Elle s’inscrit simultanément dans la somme des intéressés de ce marché qui, par leurs désirs, peuvent venir à la rencontre de mon offre.
Notre savoir-faire n’a aucun sens si nous ne possédons pas des qualités de savoir vendre et, disons-le, de savoir se vendre.
Encore que, pour être juste dans cette déclaration de principe, il faut mentionner également les attitudes autarciques qui prétendent se sustenter toute seule, qui savent produire tout ce dont elles ont besoin.
Mais pour la majorité d’entre nous, ce que nous savons faire individuellement doit toujours, d’une manière ou d’une autre, trouver sa correspondance dans le besoin de l’Autre, dans un parcours qui ne peut être binaire pour n’échanger que de personne à personne, dans une partie jouée à deux où l’on n’échangerait qu’avec son plus proche voisin en se limitant seulement à son savoir-faire, lui-même devant se contenter du nôtre.
Très vite, et sans qu’il s’agisse d’un choix politique de société ni d’une formulation économique, notre proposition de service doit nécessairement s’adresser au plus grand nombre ; de même, notre recherche de services variés et complémentaires exigent que nous fassions appel à un tout aussi grand nombre d’autres offres de service. Les offres et les demandes se croisent et un forment un marché d’échanges qui résulte bien de la somme de nos individualités s’organisant pour rencontrer équitablement la somme des individualités fournisseurs.
L’économie, dans sa globalité, n’est pas un météorite abstrait mais ce phénomène de vastes rencontres dont nous avons nous-mêmes et au départ construit les fondations.
L’acte qui compromet, l’acte qui résiste, l’acte qui répare.
J’en arrive au fait précis de notre intervention personnelle, dans ce vaste échange que j’appelle maintenant sans fausse pudeur : économie. Pour prendre une image courte, je dirais que la couleur de la mer dépend des couleurs des sources d’où émergent ruisseaux, rivières, affluents, fleuves, etc. Vous m’avez compris : c’est bien nous-mêmes, sources actives et même passives, qui créons la nature de l’économie.
Les détails de l’importance – ou minimaliste – de nos apports n’altèrent pas le raisonnement de notre incontestable responsabilité dans la chaîne de l’économie. Nous ne pouvons pas reprocher à l’économie un grand défaut alors que nous-mêmes pratiquons le même défaut à notre échelle. Un exemple frappant serait délicat à trouver parce que je ne vous connais pas et que je ne peux généraliser ou suspecter votre comportement par supposition. Mais des exemples me viennent à l’esprit, comme les intérêts que nous ponctionnent les banques pour le moindre service – obligé souvent –, alors que nous faisons nous aussi payer le moindre petit service de simple courtoisie que nous rendons.
Plus généralement, j’entends souvent dire qu’il n’y a pas d’amitiés en affaires, ou que les affaires sont les affaires. Ce repli du chacun pour soi est annonciateur d’un effacement de la sociabilité et d’un début d’affrontement, même entre amis. Comment voulez-vous que, si nous avons cette volonté de comportement au simple niveau de notre individu – avant même que le besoin ne se manifeste –, nous puissions attendre une quelconque clémence de l’économie globale ? Celle-ci a toutes raisons d’être vigilante, voire cruelle, puisqu’elle tient compte de ceux qui la constituent et qui se prévalent, dès le départ, d’une attitude agressive alors qu’ils ne sont même pas agressés ! Les états d’esprit du genre « œil pour œil, dent pour dent » sont des protections archaïques dans une économie qui peut vérifier à tout moment les véritables valeurs.
Autre comportement individuel qui compromet le sommet de l’économie est la tricherie quand elle se cache dans un univers institutionnel. Le forban des mers qui attaque un autre forban reste dans le monde clos de lutte pour la vie, entre gens qui se choisissent.
Celui qui triche sur le dos de la collectivité est tout simplement en train d’abuser de son voisin ou son ami. Car la collectivité, dans son ensemble, prend en compte le manque à gagner spolié par les tricheurs, pour le faire payer –à tors –par ceux qui ne trichent pas. Un consensus mou ferme les yeux, y compris sur ce bon ami qui se moque de vous, qui vous vole, et qui se congratule avec vos compliments lorsque vous le félicitez d’être le roi d’un système franchouillard ; celui de débrouillardise et de démerdage ! Je ferme le ban, dégoûté par cette attitude habituelle qui pollue notre vie. Il en est d’une pratique généralisée facile et sympathique puisque que tous les moyens sont bons pour se sortir d’affaire, pour faire une bonne affaire. Comme si, parce qu’il s’agit d’un comportement qui touche à l’argent, ce comportement sans couleur n’a pas besoin d’éthique et mène au blanchiment d’actes fondamentalement délictueux.
Le problème n’est pas celui de la dénonciation au nom d’une moralité mais celui de la somme arithmétique que représente l’économie globale qui a besoin de la participation de chacun sous l’égide de valeurs et de compétences respectées de tous ; et certainement pas avec des procédés d’intimidation ou de prise en otage des valeurs des autres.
La variété de comportements des agents économiques que nous sommes, fournit d’autres illustrations de nos interventions, dans des directions sympathiques et encourageantes : il n’y pas une fatalité économique qui nous commanderait mais au contraire des attitudes comportementales qui modifient des pans entiers de l’économie.
Autre comportement, prospectif cette fois-ci, est celui de déceler des besoins réels pour en faire des gisements d’activités et par conséquent créer des emplois. Il devrait exister une sollicitation vaste de toutes les imaginations pour inventorier ce qui nous sera utile demain. Pas tourné vers le futile mais vers une réelle économie de besoins, pouvant considérablement améliorer notre condition de vie, prévenir nos impasses, ouvrir de nouvelles voies. Le consommateur, souvent sollicité, voire adulé, pour qu’il se prononce en faveur d’un produit, pourrait trouver dans cette consultation un appel démocratique et participatif encourageant, sans risque de démagogie.
Les propositions de notre participation à l’économie passent donc aussi bien par nos agissements qui lui font du mal que par le bien d’activités utiles que nous pouvons tous lui offrir.
Les deux alternatives, et il y en a bien autres intermédiaires, prouvent que nous sommes des agents actifs qui avons prise sur cette économie.
L’économie n’est-elle faite que pour les riches ?
Si nous vivons tous par et pour l’économie, les belles paroles sur les vertus d’une économie participative ne peuvent nous masquer longtemps le fait qu’il se crée, à l’intérieur de celle-ci, des vases communicants unilatéraux, où l’argent va à l’argent, où les riches s’enrichissent davantage, sans qu’il soit obligatoirement obligé de contrebalancer l’argument que « les pauvres s’appauvrissent ».
En économie, on peut dire ce qu’on veut, il est plus facile de commencer avec de l’argent que de commencer sans rien. Qui plus est même, il devient flagrant, et jugé indécent, que c’est la possession en tant que capacité détentrice d’argent qui rapporte beaucoup plus que l’investissement de cet argent dans un acte ou un produit. Cette disproportion du rendement de l’effort et du risque est décourageante dans la stricte analyse des aptitudes de l’Homme ; question de bon sens.
Mais parlons-nous toujours ici de la même économie ? Ce n’est pas parce qu’il est sans cesse question d’argent en tant que fluide qu’il faut mélanger l’économie en tant que somme de nos actes individuels comme par exemple la spéculation.
Un mot donc sur la spéculation, jeu d’argent en effet, qui consiste à acheter un bien ou un service au prix le plus bas, pour le revendre au plus cher ; grâce à des liquidités provenant de cette somme d’argent, on peut déplacer très rapidement d’une proie à une autre, selon un plan de circulation compliquée à plaisir afin que les seuls initiés s’y retrouvent.
On est donc très loin de l’économie de l’échange des valeurs même s’il est vrai que les proies des spéculateurs peuvent être parfois des économies réelles en mutation incertaine.
Le caractère omnipotent et spectaculaire de la spéculation n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain, pour jeter l’économie par-dessus le bord de notre responsabilité individuelle, pour y concourir concrètement et honnêtement.
Les riches sont-ils pour autant nécessaires à la stabilité et au développement de l’économie ? En théorie non car les mouvements de l’offre et de la demande doivent s’équilibrer équitablement. En réalité oui car nous avons besoin d’un phénomène de traction qui précède la production de l’offre et l’organise afin que la demande, au moment de son expression, trouve les produits. Cette préséance de l’offre représente un investissement décalé dans le temps et un risque d’erreur dans le choix de cette offre. Les deux ont besoin de se prémunir et de se rémunérer selon un processus de richesse et d’accumulation de richesse. Il serait intéressant de pouvoir faire autrement mais toutes les tentatives de planification de demandes et d’offres ont été des catastrophes, qui ont coûté si cher – au-delà des richesses que nous contestons – en termes de conséquences sociales, politiques et tout simplement humaines. Cela n’absout pas la richesse mais repose la question de son remplacement, certes en faisant mieux.
La répartition sociale est-elle compatible avec l’individualisme humain ?
L’échec des économies planifiées n’est pas encore complètement et intelligemment compris. L’époque est trop récente. Les douleurs encore trop vives. Les adaptations forcées qui s’en suivirent encore trop balbutiantes. Les acteurs de bonne ou de mauvaise foi encore trop vivants réellement en chair ou en os, ou dans nos mémoires.
L’idée de répartition sociale était-elle une économie ? Ou n’était-ce pas un projet de vie en société qui aurait volontairement zappé, fait abstraction, d’une part de nous-mêmes en tant qu’êtres humains qui ont un besoin d’une reconnaissance de notre effort individuel et de l’assouvissement de nos besoins tout aussi individuels ?
Ici, se porte la nécessité de réflexion lorsque les bilans et les esprits seront apaisés, et de nous demander si l’économie de marché est oui ou non la seule voie naturelle de l’échange.
Il est d’actualité de se poser cette question car depuis la fin du XXième siècle, ce que l’on appelle la chute du Mur et la chute du communisme derrière ledit mur, l’histoire semble avoir des regrets de devoir emprunter les grandes voies de l’économie. Comme si la chronologie unilatérale, de ce choix forcé, donnait de l’urticaire à notre humanité. Et nous voyons, sans besoin de forcer l’angle de vue sur la société, des attitudes hypocrites de pratiquants habiles de cette économie qui se drapent, sitôt argent gagné, dans les voiles vertueux de la parole humaniste, tiersmondiste, altermondiste.
L’argent a une odeur, contrairement à ce qu’en dit l’adage simpliste, dont on ne peut se désodoriser par le geste ostentatoire. L’argent de l’économie possède une origine que l’on ne peut renier après ou pendant en avoir mangée ! Mon propos est de nous encourager à obtenir une attitude cohérente pour se donner des vertus qui tiennent la route. D’autant que nous arrivons à un moment de l’histoire où l’économie va avoir sacrément besoin de nous, individuellement, pour lui manifester nos nécessités réelles, sources de production de nouvelles richesses dans l’exécution desquelles nous sommes évidemment conviés.
Dès lors, en dehors de la déception humaine quant au comportement ambivalent de duplicité, il est d’arrière-garde de parler d’un côté et d’agir différemment de l’autre. Attitude encore plus néfaste lorsque nous occupons des responsabilités de direction d’entreprise entraînant, dans notre sillage, des intérêts et des groupes de femmes et d’hommes qui ne savent plus discerner notre sincérité ou notre traitrise.
Personne ne nous demande de regretter le communisme ou d’aduler le capitalisme. Le travail au quotidien, en termes de qualité et d’efficacité, suffit à justifier les places que nous occupons dans une économie qui ne doit pas rimer avec idéologie, quelle que soit notre nostalgie.
Détruire la notion de course à l’argent pour construire la notion d’émulation de nos talents.
Parmi ce cours des choses en mutation qui modifient les concepts idéologiques, le retour à l’humain, en tant que pierre angulaire de la création du besoin, peut apporter de nouvelles orientations. Il semble en effet qu’aucune idéologie ne pourra durablement se réinstaller pour nous affirmer qu’elle est l’unique solution. La globalisation des besoins ne passera plus par une solution exogène mais proviendra d’une meilleure connaissance de la composante humaine et de ses performances. Le premier aiguillon de la connaissance et des performances est l’éducation. Elle seule peut en effet modifier complètement la donne, en faisant en sorte qu’une population éduquée soit consciente de ses enjeux, qu’elle connaisse ses forces et ses faiblesses comparées à celles de ses contemporains et compétiteurs, qu’elle acquiert une vision globale de son humanité répandue sur la planète où il peut y avoir ni gagnants ni perdants, acceptant le succès ou l’échec au détriment de l’Autre.
Par la connaissance de l’Autre, ce consensus créé un nouveau paradigme qui n’est pas idéologique ni sectaire puisqu’il devient un état de fait, partagé par tous. La reconnaissance à ce que chacun puisse recevoir une éducation, change complètement les conditions de la compétition mondiale car le pays et sa culture s’effacent au profit de l’individu et du développement de ses talents.
Cette sur-individualisation des destins et des récompenses n’est pas sans risque sur notre capacité en vivre en groupe, de lier des intérêts, de fédérer des espoirs, de mutualiser les préventions de coups durs.
L’émulation des talents ne peut que provoquer l’émulation des appétits correspondants, à une échelle individuelle exacerbée.
Pour autant l’éducation ne ferait que la moitié du travail si elle n’inculquait que le savoir et savoir-faire, sans l’adosser à un savoir partager. Sans cette bipolarité, le savoir fonce droit dans le mur des études qui n’auront pas été profitables. Non point par l’obsolescence de leur savoir mais parce que sans notion de partage, et en dehors de toute moralité, il n’y aurait pas de clients pour acheter, pas de demande susceptible de rencontrer une offre.
C’est une grande victoire que d’être arrivé à une humanité partageant les mêmes savoirs et les mêmes attributs de conscience de l’Autre, avec pour chacun les mêmes chances d’expression et de réussite dans l’échange.
Si la sortie en est incertaine, présentement, la satisfaction grandiose est de pouvoir se retourner sur le chemin parcouru et de constater une amélioration globale de la condition de l’homme au travail, dans une économie humaine. Ses conditions laborieuses et son exploitation financière ne sont plus des fatalités acceptées au nom d’une supériorité individuelle ou collective.
L’avenir repose maintenant dans les mains de l’individu auquel l’économie, autrefois globale, remet les clefs de son fonctionnement. Nous dépendrons alors que de nous-mêmes, individuellement, librement.
5. Les loisirs
L
es temps nouveaux nous abreuvent de concepts et de mots en nous les assénant d’une manière péremptoire, sous la contrainte. Nous sommes dans une société de loisir qui a perdu le sens des mots : une civilisation de loisir. Carrément. Et comme une charrette qui serait mise devant les bœufs, il nous faut vénérer le phénomène, le respecter, l’alimenter économiquement par notre mobilisation consommatrice et citoyenne. C’est que de nos jours la citoyenneté n’est plus une foi laïque mais une logique où l’on nous vend un pouvoir… d’achat pour que nous nous en servions. C’est la loi non inscrite mais implicite de notre ticket d’entrée dans la société d’aujourd’hui.
Le tour de passe-passe aboutit à ce qu’une activité économique existe avant son marché. Dès lors, ce décalage procède méthodiquement à une expression de notre besoin vital de loisir.
Heureusement que ce procédé d’outil, qui crée l’organe, concerne un produit bien gentil et somme toute inoffensif qui ne veut apriori que nous distraire et nous reposer. Mais imaginons que les marchands d’armes créent des conflits de toutes pièces pour y vendre ensuite leurs engins meurtriers. Encore que… Mon exemple est peut-être mal choisi. Mais vous comprenez ce que je veux dire par cette inversion d’une offre qui précède la demande.
Travaux forcés.
Le parallèle avec « travaux », pour forcer le trait, paraît facile mais il n’y a pas d’autres termes pour signifier ce que l’on nous oblige à faire.
Les loisirs ne sont pas « forcés » mais une incitation de toutes parts, comme un étau, rend difficile une quelconque échappatoire, ou du moins que nous nous y opposions en idée.
En préalable d’ailleurs, je nuancerai ma critique pour affirmer que le repos, la sortie de l’ordinaire, la découverte hors obligation, sont nécessaires et qu’à titre personnelle, je les pratique souvent. A la différence de l’obligation de les pratiquer, j’attends que ce soit le besoin qui se manifeste pour trouver ensuite le moyen de le satisfaire.
Nous sommes pris en tenaille par une pression sociologique et une pression économique. La pression sociologique remonte à des temps pas si anciens où l’organisation des tâches humaines, le travail, admettaient quasi officiellement qu’il y eut des exploitants et des exploités. En précisant, pour que le courroux moral ne nous monte pas tout de suite à la tête et ne dévie le propos, que l’exploitant était celui qui ne travaillait pas physiquement alors que l’exploité était celui qui mettait ses muscles à disposition, dans des activités essentiellement terriennes ou manufacturières physiquement très épuisantes.
L’apparition tardive des notions de Droits de l’Homme a permis de s’interroger sur les mauvais traitements aux uns, sans qu’ils le soient aux autres et dont de surcroît ils profitaient.
Sont arrivées les lois sur l’interdiction du travail des enfants, sur les conditions physiques et sanitaires de travail, sur les heures et des jours passés au travail. Ces mesures sont arrivées très vite, en un siècle à peine, ce qui est court dans l’histoire de l’évolution humaine puisque c’est bien de cela qu’il s’agit quand au bout de ce siècle, on parle de « civilisation des loisirs ». Leur précipitation – terme qui n’est de ma part qu’un constat de vitesse et non une critique – semble avoir pris de court la progression normale de tout organisme vis-à-vis d’un phénomène auquel il n’était pas habitué. Car très rapidement, du repos compensateur de la fatigue, on est arrivé à une masse quantitative d’heures et de jours disponibles, cherchant une occupation qui ne soit pas un travail, pour ne pas être en opposition à l’esprit et même à la loi.
La perversité provient de la loi qui, au lieu de se consacrer au repos, surenchérit en interdisant le travail. A vrai dire, ce n’est pas la loi elle-même mais de l’esprit de la loi qu’il faut contester : de ces lois sur les congés, elles ont toujours été des combats nécessaires puis devenues idéologiques et partisanes pour reconquérir par l’avantage ce qui ne l’était pas par les bénéfices du capital. L’évolution des masses laborieuses, passant du travail aux champs au travail à l’usine, a été l’occasion, pour les idéologies de lutte des classes, d’obtenir un maximum d’avantages et de les accumuler. Nous sommes aujourd’hui rendus à une somme légale de semaines de congés qui avoisine la dizaine.
Mon propos n’est pas de ridiculiser cette avancée devenue un état de fait, mais de chercher les possibilités de mettre à profit son temps libre lorsqu’on dispose désormais d’un cinquième de son temps destiné à des activités non professionnelles, alors que morphologiquement, l’organisme humain n’a pas fondamentalement changé.
Une mise à disposition de soi-même.
En partant du constat avec plus de modération et sans critiques personnelles envers les acteurs et les bénéficiaires de cette évolution, se posent les questions de la gestion individuelle et de l’avenir de ce temps libre. C’est en chemin, quand on passait d’une à deux semaines, puis maintenant à cinq, que nous aurions dû prévoir utilement l’usage de ce que nous obtenions. La victoire en chantant sur l’air de la revanche et de la lutte des classes ne dure qu’un temps. La loi sur le temps libéré aurait dû être accompagnée d’une loi, ou de l’esprit d’une loi, orientant les bénéficiaires vers des possibilités d’épanouissement prolongeant le repos.
Les avancées sociales dans ce domaine ont été timides et ont surtout manquées d’orientations et de moyens clairs. Comme si, s’agissant de temps libre l’adjectif « libre » interdisait à quiconque d’intervenir, autre que l’intéressé lui-même.
Faudrait-il que nous soyons formés à réfléchir sur nous-mêmes, sur ce compartiment de notre cerveau, pour le creuser et l’habituer à penser à lui-même ? Devenir altruiste avec soi-même ? Or, rien dans notre évolution récente ne nous prédisposait à pouvoir réfléchir sur soi. Ni les religions, ni les systèmes politiques monarchiques, ni les idéologies, ni d’une manière générale le respect des autorités existantes. Rien de tout cela ne nous prédisposait à commencer à penser par nous-mêmes de l’arbitrage libre de que nous pourrions faire hors de nos obligations vitales.
Nous avons été précipités dans ce bouillonnement idéologique de loisirs sans que nous en soit donné un honnête mode d’emploi. Ce n’était pas compliqué… il n’est pas trop tard pour entreprendre.
On en revient toujours à la nécessité d’une compétence, à la nécessité d’une honnête connaissance de soi ; assortie d’un inventaire clairvoyant des moyens intellectuels et matériels dont nous disposons.
Que savons-nous ? Que pouvons-nous ? Que voulons-nous ? Survient un champ de possibles que nous pouvons entreprendre seul ou avec le concours de la société qui a tout intérêt à ne pas nous laisser seul dans notre démarche. En effet, l’absence de buts est source de malaise social, de coût de réparations sociales, alors que l’accompagnement est source d’activités, de créations, d’emplois, de débouchés.
Le « débrouille-toi toi-même » n’est pas de mise dans un univers qui a pris un cinquième de notre temps sans que nous y soyons préparés.
Se connaître pour pouvoir se distraire.
Pour que la détente soit efficace, il faut qu’elle s’exerce, qu’elle ait prise sur des parties précises de nous-mêmes qui seraient tendues. Dé-tendre !
Cela suppose que nous connaissions notre corps mais aussi notre esprit. Que nous sachions localiser les endroits en surcharge d’activité, les emplacements libres, les circuits courts ou longs de nos réflexes les plus basiques, comme ceux de nos raisonnements les plus alambiqués. Il ne s’agit pas d’une connaissance médicale mais d’une écoute douce de ce qui se passe en nous. Puisqu’il s’agit de nos loisirs, sachons répondre à cette question : qu’est-ce qui nous ferait plaisir ?
On est d’ailleurs surpris par des attentes ultra simples alors qu’on s’imaginait au contraire réaliser de rêves ambitieux, coûteux et compliqués, comme partir revivre la vie de paysan avec moissons et traites des vaches alors qu’on rêvait toujours d’un tour du monde en croisière de luxe !
La question de ce qui nous ferait plaisir ne doit pas être rationnelle ou dépendante d’un contexte de moyens ou de contraintes préexistantes. Le plaisir est ce qui s’engouffre tête baissée pour aller caresser et satisfaire notre désir. Toutefois, la question s’avère difficile à poser lorsque l’on n’est pas habitué.
Se poser la question du plaisir simple nous semble tabou. Comme s’il nous est déjà interdit, adulte consommateur civilisé, de nous poser des questions de rêves d’enfant. Manque d’habitude aussi pour oser répondre avec des propositions personnelles, originales, ne se référant même à aucune pratique sociale ou mode directive comme notre temps aime nous en abreuver.
Le « connais-toi toi-même » pour occuper son temps libre demande un apprentissage décontracté pour libérer nos inhibitions, pour oser tracer des pistes vers des avenirs inconnus, pour transcender la culpabilité de ne rien faire de connu dans un monde qui aime vous demander des comptes.
Cette libération d’une part de soi, empli d’un temps qui sera alors vraiment libre, n’est qu’une question de volonté : se décontracter et laisser entrer en soi le désir de la découverte.
Loisirs et activités : y a-t-il forcément séparation ?
Notre introspection peut ainsi nous amener à des constats hors normes et tabous au regard de la société. Il se peut que nous soyons tellement à l’aise dans nos activités régulières, dites de travail, que nous ayons pris plaisir le désir profond de ne jamais manquer de ces activités. De ne pas désirer s’en détacher ne serait-ce qu’un instant, a fortiori des semaines entières, ou bien aimer avoir toujours, en toile de fond de sa vie, des activités qui correspondent à la preuve de notre existence insérée dans le jeu de l’activité collective. Ou bien encore de tirer de ces activités des fils conducteurs qui nous relient à une réalité dont nous pensons avoir vitalement besoin. Ou bien toujours, voir dans les activités la seule manière de nous tenir socialement debout au point qu’il serait assassin de nous en priver.
Avant d’être acculé au devoir de loisir, retenons que nous évoluons dans une liberté totale d’occupation de notre temps. La société peut se préoccuper de prévenir notre santé physique et mentale en nous recommandant le repos, elle ne peut cependant nous prescrire autoritairement sa thérapie de loisir.
Notre temps nous appartient. Et d’autant qu’une bonne connaissance de soi peut répartir les diverses parties de notre temps pour que nous en retirions l’impression d’une globalité harmonieuse. Les exemples de périodes passés exclusivement à l’activité professionnelle ne démontrent nullement un bien-être général. Cette suractivité unilatérale est d’ailleurs l’expression d’une passion qu’on peut exercer quand on est son propre patron. Parce qu’au-delà de la pratique, s’ajoute tout un environnement de motivation financière, de conduite d’un groupe, de capacité d’initiative.
L’énumération de tous les cas d’espèce, où nous nous concentrons sur notre activité principale et l’englobons dans une notion de loisirs, démontre la variété des comportements humains et par conséquence l’inadéquation à le forcer de consommer ce qu’il ne veut pas.
L’expression « si vous en avez le loisir », confirme bien cette liberté d’agir dès que se manifeste en nous le désir. Le loisir peut revenir dans le champ de notre libre arbitre.
La civilisation des loisirs est un abus de langage qui n’est tolérable que pour indiquer la tendance d’un moment, tout à fait réversible dans la forme qu’on lui connaît, si chacun se réattribue ouvertement et sans préjugés l’occupation comme il le désire de son temps libre.
Se distraire n’importe où.
De même que le loisir n’est pas obligé d’être cloisonné dans le temps, il n’est contraint à aucun espace pré-qualifié pour être un lieu de « loisir ».
N’importe quel interstice du temps et de l’espace, entre deux obligations, peut devenir une parenthèse de loisir. Dès lors que nous savons nous soustraire honnêtement à une contrainte, nous pouvons de plain-pied nous inscrire dans un temps de loisir.
Il existe dans l’industrie, et plus spécialement dans la décomposition des temps nécessaires à l’accomplissement d’une tâche, des temps morts entre deux phases ; un temps de séchage par exemple entre deux couches de peinture. Ces temps morts exaspèrent la direction parce que c’est un temps payé non productif, où il ne se passe rien.
Dans notre sphère personnelle nous avons souvent cette perception identique où entre deux activités, nous avons l’impression de ne rien faire. Pire, selon l’expression, de perdre notre temps ! C’est vrai, sauf qu’il ne tient qu’à nous de prendre possession de ce temps passager et d’en faire quelque chose qui nous fasse plaisir. Le moment peut être court, très court. Mais ici réside justement la saveur de la réappropriation même très courte : les retrouvailles avec soi, la reconstruction provisoire d’un jardin secret d’autant plus bienvenu qu’il peut se balader avec nous comme si nous déplions et replions, comme un fauteuil de relaxation portatif et léger que nous placerions dans des endroits et à des moments surprenants.
Ce droit là aux loisirs ne s’obtient pas par décret venant d’extérieur mais par impulsions venant d’un bas intérieur profond et réfléchi.
Les occasions de penser à soi sont innombrables. Il faut laisser aller son imagination et ne pas hésiter, en guise d’entraînement, d’essayer tout de suite l’occasion qui nous passe par la tête. Ce sont les occasions réussies ou foireuses qui nous forment à la passion de rechercher en toutes circonstances des manières agréables d’agir et de se distraire.
Les occasions peuvent être mineures comme grandiose, sans coût ou dispendieux. Peu importe, elles tombent à pic, celui de nos désirs et de nos moyens.
Se positionner en situation de loisir.
La vie serait ainsi un long fleuve tranquille similaire à un plaisir permanent. La dureté des temps pour beaucoup d’entre nous ne permet pas de laisser planer qu’il y ait une réalité dans ce tableau idyllique. La situation générale de la plupart de nos contemporains ne ressemble pas à cette représentation. Mais pour autant, la pudibonderie de ne pas vouloir parler de la possibilité du bonheur ne soulage en rien ceux qui sont dans le malheur.
Sans être ostentatoire on peut, et je trouve que l’on doit si on a une expérience réussie, montrer que des positionnements de vie spécifiques attirent plus le soleil que d’autres. Et que dans ce constat il faut oser aller chercher, par les postures où l’on est le plus à l’aise, les occasions qui vont vous donner du bien.
Entre autres occasions, les loisirs occupent une très grande place. C’est par définition un temps de vacance de nos activités professionnelles, de nos préoccupations dont nous devons saisir la signification : ne pas avoir d’obligation, laisser entrer en nous des désirs. Si nous arrivons à cet état de perméabilité pour que s’exprime notre Moi profond, nous serons heureusement surpris par les multiples idées qui envahiront notre espace, au point peut-être de ressentir le besoin de nous organiser pour tout faire, et en nous apercevant que ce n’est pas forcément une question de moyens.
La perception de ce que l’on a envie de faire précède les moyens qu’il nous faudra pour le réaliser. L’abondance des envies de faire nous offre un large spectre dans lequel on peut faire ensuite ses choix selon ses compétences et ses moyens. En replaçant les moyens (financiers par exemple) comme un critère venant à la suite de nos désirs et non devant, nous prenons notre vraie place de décideur de nous-mêmes : les loisirs ne sont plus forcés mais vraiment choisis et aimés.
6. La santé
C
’est le genre de sujet dont on se demande s’il n’est pas superflu d’en parler. Parce qu’après tout, la santé, on l’a…ou ne l’a pas. Mais comme la météo, on pense ne pas pouvoir faire grand-chose pour en changer. On se souhaite bien une bonne année « et surtout une bonne santé », dans un sursaut annuel de prise de conscience que c’est par-dessus tout ce qui nous tient en vie !
On peut aligner des tas de considérations, des plus scientifiques au plus triviales et primaires, à propos de la santé, prouvant ainsi que le sujet est inépuisable. Toutefois, le plus souvent, nous parlons de la santé comme d’un personnage ou d’un événement mystérieux qui plane de au-dessus de nos têtes. Parfois ange gardien, Parfois démon menaçant, nous n’osons pas trop la provoquer. La santé rode, bonne ou malfaisante, dans un halo qui nous semble plus fort que nous. Peut-être. Alors en effet, la posture la plus sage serait de se tenir coi, sans broncher, sans poser de questions, usant de nos abus avec elle, avec autant de modération qu’une belle duplicité, hypocrite, pour accomplir avec elle tout et son contraire. Nous le pouvons. La société a arrangé pour nous des rapports très ambigus avec notre santé.
La société s’est emparée du concept de santé pour en faire un doux édredon, obligatoire pour tous, que nous n’avons qu’à tirer par devant nous, dès que nous nous sentons mal. L’extension du domaine strict de la santé vers un bien-être social prend un certain pari, celui de nous rendre tous égaux, avec nos Droits de l’Homme en référence, dans un terrain organique qui en réalité nous restera et restera toujours biologiquement intime. Concrètement, nous ne pourrons jamais être les passagers obligés d’une santé décrétée : la santé doit passer par nous !
La santé, c’est notre outil de vie.
Ce principe de réalité, qui nous est si cher, fait en permanence l’inventaire de ce que nous avons besoin pour vivre. De tous les ingrédients de la vie, de base ou essentiels ou complémentaires, la santé, avant qu’elle ne soit bonne ou mauvaise, est le fil conducteur de toute notre vie. L’enfant naît « en bonne santé » de même qu’à l’autre bout du fil, le dernier souffle signifie l’extinction définitive de notre « machine de santé » : elle ne fonctionne plus, elle ne fonctionnera plus, donnant des signes visuels incontestables qu’elle est anéantie.
Autrefois la santé et la vie de l’Homme, qui, de la naissance, se rejoignent à la mort, étaient me semble-il plus distinctes qu’aujourd’hui où l’Homme dans son génie scientifique intervient davantage sur la santé. La santé de l’Homme peut commencer désormais avant sa naissance et continuer par soins palliatifs ou acharnement au-delà de l’arrêt apparent de la vie, suspendue aux artifices de la médecine.
La santé n’est donc pas un outil statique à nos côtés mais la toile de fond de notre vitalité que tout activisme humain – le nôtre surtout mais aussi celui du génie scientifique et d’une société bienveillante – fait constamment évoluer.
Cette omniprésence de la santé dans nos préoccupations et dans nos espoirs est la juste place que l’on doit donner à ce qui est le plus important pour notre corps et notre esprit. Nous passons souvent trop vite sur le rôle de la santé, sur le bon fonctionnement de notre esprit, alors que les connections esprit-santé sont tout aussi importantes que les liens physiques certes plus visibles.
Point besoin d’être médecin pour se sentir très concerné par ces problèmes. Et au contraire, il nous semble urgent et prioritaire que ces problèmes reviennent en amont dans les consciences individuelles, au plus haut degré de notre pensée. Que la vie soit un acte de santé où nous pourrions dans une certaine mesure décider ou influer ses améliorations.
Grâce à la mise à disposition de l’outil de base par excellence, la santé dépasse complètement les hypothèses particulières de la médecine et les politiques si coûteuses de l’industrie pharmaceutique et du système public de santé. Provocation sans doute mais la santé est trop importante pour n’être sous-traitée exclusivement que par des agents extérieurs ; médecins, pharmacologie, médicalimentation, fonctions publiques, alors que son besoin vital est de recevoir un ingrédient unique et individuel : notre volonté de vivre en prenant soin de nous !
Acceptation de nos états de santé différents et variés.
Le « vouloir » en matière de santé doit rester notre ligne de force mais cette volonté évolue dans un univers que nous ne maîtrisons pas. Cela n’enlève rien à la nécessité de se donner une volonté, laquelle est l’éclairage avec lequel nous verrons toujours mieux.
Nous ne sommes pas maîtres de l’ajustement unique de nos organes, du rythme de leur fonctionnement ; de leurs fragilités ou de leurs forces. Nous naissons ainsi, nous vivons avec ; en tenant compte de quelques corrections en cours de route mais qui restent du domaine de la réparation spécifique et non de la transformation majeure. Heureusement. Malheureusement ? Débat éthique, autre sujet, quoique si dans l’acceptation de nos états de santé différents et variés s’introduisent de vraies possibilités de modification, nous serons confrontés, techniquement et avant que l’éthique dise son mot, à nos désirs de survie ou de meilleure vie.
Mais dans l’état actuel de la médecine et de son évolution à court terme, dans l’état actuel de notre organisme, nous sommes bien obligés de composer avec les moyens du bord. Ce n’est pas pour moi une fatalité négative ou neutre mais un constat suffisamment positif pour y adosser mon désir de vie.
Faire avec ce que l’on est, représente déjà une grande chance. Avec ses variations, notre santé est un bien inaliénable, imprenable ; un acquis définitif que personne ne peut nous enlever. Des régimes politiques qui ont voulu l’éliminer, ou d’autres qui pratiquent la peine de mort, s’attachent à la disparition totale mais pas à la soustraction partielle en enlevant par exemple la santé publique. Le sujet est délicat à manier avec des mots mais l’on comprend que le concept de santé est une valeur inaliénable, incompressible qui nous est acquis. Au point d’ailleurs d’en faire ce que nous en voulons comme l’illustre les sujets d’anorexie ou d’overdose ; flagrantes aliénations de soi-même.
La prise à bras le corps de notre santé doit ressembler à une parure dont on se drape pour affronter la vie. Il faut y placer des notions esthétiques et de fierté. Il faut entretenir avec cette toison un rapport affectueux et précautionneux. Il faut ressentir l’esprit de partenaires qui ensemble vont au combat pour la vie, sachant que l’un peut compter sur les forces de l’Autre, que l’un peut palier psychiquement l’anéantissement physique de l’Autre.
L’alternance des tâches dans notre métabolisme amène des situations curieuses où l’on se retrouve seul avec soi-même, en présence néanmoins de deux forces en nous qui travaillent souvent en contretemps productif. L’une va mal ? L’Autre prend le relai, et vice versa. Pour constater cette répartition, il est nécessaire de savoir se regarder avec un esprit positiviste qui va hiérarchiser naturellement cette répartition du plus mal au moins mal ; positivisme qui va encourager le moins mal à relativiser le plus mal.
Pour y arriver, il nous suffit d’opérer un relâchement de ses contraintes et se dire, avec humour, qu’il ne peut rien nous arriver de pire. Et de fait, nous saute alors aux yeux ce qui n’est pas encore catastrophique, le petit dernier rempart sur lequel nous pouvons encore nous raccrocher et recommencer.
En exemple, je veux citer les souffrances que nous traversons. Reconnaissons avec humilité que nous avons besoin de ralentir le cours de la vie autour de nous pour nous concentrer uniquement sur le mal qui nous assaille. Je m’épanchai le cœur un jour auprès d’une amie à laquelle je confiais que tout allait mal pour moi. Deux mois auparavant, j’avais subi le choc d’un accident grave où, atteint physiquement et psychologiquement, je me sentais totalement victime d’une agression impunie. L’amie me reprit pour me demander de me concentrer sur mes dommages physiques ; sur le repos, les soins, les traitements, l’intendance infirmière et hospitalière à laquelle, comme un enfant, je devais me livrer sans réserve, et chasser sans attendre de moi les torpeurs, les regrets, les problèmes psychologiques. Car, me dit-elle, il fallait que toute mon énergie se consacrât en la priorité à mon corps pour l’aider à se remettre en place.
Pour mon amie, ce qui se passait dans ma tête n’était pas la priorité et que de toute façon, un corps meurtri aujourd’hui ne pouvait plus irriguer correctement les bons canaux cérébraux d’analyse et de réflexion.
Je fis avec un acharnement enfantin les bons gestes pour mon corps. Plus tard, un contrôle médical m’indiqua que, eu égard à l’importance de mes blessures, je disposais d’un indice de capacité de récupération exceptionnelle. Le physique se remit et l’esprit comme le moral revinrent frais et guilleret.
A chacun son histoire dans la vie, surtout anecdotique comme la mienne. Mais le fait que ça ait marché, grâce à cette hiérarchisation des priorités, que ça ait fonctionné, me donne aujourd’hui une petite clé pour ouvrir certaines portes quand apriori je ne comprends pas mon état de santé.
L’humilité est requise pour savoir se regarder comme une simple machine qui fonctionne avec des ingrédients qu’il ne faut pas contrarier. Du style sortir dehors quand il fait froid sans être couvert qui nous met pour huit jours dans un état pas possible. C’est connu, on le sait. Et pourtant avec désinvolture on oublie.
Aimer sa santé en lui faisant le plaisir n’est pas du dorlotage. De même, mettre volontairement en péril sa santé avec des expériences à risques est loin d’être de la bravoure. Autant on peut tirer sur des tas d’élastiques dans la vie parce que les points d’accroche dépendent de notre volonté, autant il est suicidaire de vouloir faire plier à contre sens les mécanismes de notre corps.
Notre expression globale n’est pas un éther dans un nuage mais une voix forte dans un sourire avec une pensée limpide. Seule la nourriture de nos chairs en bonne santé peut constituer le décor de nos expressions et de nos vies.
La santé démagogique.
Cette santé épanouie par soi-même, d’abord pour soi-même mais aussi dans un altruisme bien vécu, est aux antipodes de l’esprit d’une santé étatique dirigeante. Les systèmes de santé, comme ils l’autoproclament eux-mêmes sans craindre le ridicule sur ce qui est systémique ou systématique, semblent considérer les citoyens comme une masse qu’il s’agit de maintenir en vie. C’est de prime abord un sentiment excellent et estimable, celui de considérer que pour soigner chaque citoyen il faut mettre en place des moyens collectifs, des stratégies et des systèmes de pensée tout aussi collectiviste. Or ma critique cible davantage les revendications au droit à la santé qui en font une cause plus importante que la réflexion sur les problèmes spécifiques d’un mauvais état de santé. Dans la pratique, chacun y va de sa réclamation : obtenir un hôpital dans sa commune alors que c’est la nature du soin, élément objectif du diagnostic, qui doit prévaloir sur la nature des moyens ; ou bien se faire prescrire un arrêt maladie préventif comme un droit acquis alors que le diagnostic à ce stade incertain ne le justifie pas.
Le catalogue des mesquineries appliquées au droit de la santé arrive à inverser le sens de la marche. On se demande s’il ne vaudrait pas mieux donner à chacun un package de « droits à la santé », en une seule fois chaque début d’année, qu’il soit malade ou pas. De la sorte, personne ne se sentirait lésé de n’avoir pas reçu le maximum des avantages sociaux auxquels il a droit.
Mais quid dans ce cas des vraies maladies qui demandent beaucoup plus qu’un package de base et gratuit ? De l’humour noir, certes mais ça ressemble à ce que peuvent prévoir des gestionnaires désabusés de voir leur système continuellement détourné de ses buts.
Face à ces comportements ultra-individualistes, le système collectiviste est en effet désarmé car s’ajoute de surcroît une politique clientéliste illégale au regard de notre Constitution. Pour garder les voix ou en gagner, la logique démagogique consiste à fermer les yeux, à laisser faire. Le sacro saint « on ne touche pas à la santé » est le joker qui permet de s’échapper de toutes les urgences, de tous les abîmes financiers. Dans cette invocation à l’intouchable, il y a comme un appel aux dieux pour qu’ils remplissent en permanence les caisses qui se vident… en permanence, comme des vieilles litanies de prières qui détonnent singulièrement au milieu d’une république laïque.
Dans cette histoire, le haut de la pyramide, le pouvoir, n’est pas plus à blâmer que le bas, les assurés sociaux. Curieux mot, entre parenthèse, que cet « assuré » qui veut bien dire que chacun est « sûr » d’être soigné, pris en charge, alors qu’il ne fait même pas acte de prendre une assurance. La perversion du sens de ce mot est révélatrice de notre glissement (pas seulement sémantique) vers le statut de continuel assuré-assisté.
Tant mieux diront certains si nous en bénéficions. Mais le payeur n’est pas anonyme puisque les déficits d’aujourd’hui sont empruntés sur la dette de demain payables par nos enfants.
Sans attendre que nous affirmions lâchement que nous ne serons plus là, notre comportement d’aujourd’hui ressort du plus pur égoïsme, de l’irresponsabilité et de l’irrespect d’autrui qui n’est pas encore là pour se plaindre. Ce sont ces choix, cet état d’esprit qu’il faut inverser : rétablir notre totale responsabilité vis-à-vis de notre comportement santé. En premier lieu, veiller sur notre santé par tous les moyens, simples et naturels. Nous placer ensuite dans une attitude de gestionnaire, à notre échelle, d’investir des moyens de santé qu’en fonction de nos possibilités maximales mais réalistes, refusant le caprice, le rêve, l’exploitation à des fins industrielles et financières.
La démagogie personnelle et collective n’a rien à faire dans un sujet naturel comme la santé. Elle exige au contraire une connivence pure entre nous et notre corps, pour ce qui est du rapport individuel, et une connivence mutualiste pour le respect de l’Autre et de l’ensemble des projets qui fédèrent nos moyens, pour ce qui est du rapport avec la collectivité.
Le rôle de l’Autre dans notre santé, le rôle de la collectivité-Etat.
En commençant par avoir nous-mêmes une posture préventive avec notre santé, nous entrons dans un cercle vertueux où nous ne devons pas craindre d’être seul.
L’attitude de l’Autre n’a rien à faire avec notre volonté de bien nous comporter, parce qu’agir pour soi engendre déjà un premier bénéfice personnel sur l’amélioration de sa santé mais également sur la diminution des dépenses globales de la collectivité – dépenses qui sont aussi les nôtres –, et ouvre enfin la perspective de créer des émules.
Attendre que l’attitude de l’Autre change pour que nous commencions nous aussi à changer ne présente aucun avantage concret. Ce retard collectif nous pèse, sur nous comme sur les autres. Alors que la mise en marche d’une attitude de réforme nous déleste tout de suite d’une dette personnelle et tout aussi collective.
Seul le sentiment de faire seul un sacrifice peut justifier d’attendre l’Autre. Mais sans aucun esprit missionnaire, on peut aisément voir que la résolution de ses propres problèmes, au contraire d’un sacrifice, est le début d’une rémission salutaire. Celui qui prend les devants n’est pas un sacrifié mais un bon opportunisme qui saisit le bon vent dont il profitera plus longtemps.
Quant à la collectivité-état, elle ne comprendra rien, ni ne résoudra quoique ce soit, si elle ne fait pas rentrer dans la stratégie politique – que je ne dénigre pas – une analyse appropriée, à un moyen terme, du bien-être de ses administrés, envers lesquels il faut faire admettre la nécessité de reconstruire les fondations pour que les étages de notre protection sociale puissent être enfin pérennes. Sinon, les surcharges du haut feront s’écrouler le bas : nous commençons déjà à patauger dans des gravats.
La conscience individuelle comprend bien cela. Seul manque un signal de départ fédérateur et fort qui signifierait à chacun la fin de partie du « touche pas à la santé » en tant que système de pensée monolithique. Elle signifiera alors le début d’une nouvelle partie où nous pourrons « soigner la santé »
Le devoir de conservation de notre santé
Le bilan de santé s’achève sur un bulletin clair : le malade doit d’abord prendre soin de lui, la plupart des remèdes sont en lui, parfois pas loin de lui.
Sa santé n’est pas une île refuge pour soigner d’autres bobos que ceux du corps. Elle ne peut être un pis-aller pour améliorer son besoin au repos, sa mauvaise hygiène de vie, ses excès, ses caprices. Les métiers de la santé sont des activités de service dirigées vers l’Autre et non des produits de consommation, autant de la part des praticiens, des industriels, voire des patients.
La santé est un bien trop précieux pour que nous la laissions écartelé par les intérêts partisans. La santé appartient au seul corps, qui nous est accordé le temps d’une vie, avec obligation de l’entretenir entre-temps.
Vaste chantier, situé bien au-dessus des mesquineries que certains se renvoient allègrement sans avoir l’intelligence de comprendre qu’ils faussent le jeu de toute la collectivité et qu’ils n’en tirent par conséquent qu’un petit avantage, aussi éphémère qu’étréci avec lequel ils se ridiculisent en même temps qu’ils brisent l’épanouissement collectif et individuel.
7. La vieillesse
A
l’échelle de l’Histoire, ces dernières décennies ont assisté à un recul accéléré de l’âge moyen de la mort : un an d’espérance de vie de plus tous les cinq ans, vingt ans de plus en cent ans. Cet événement pris à chaud, sans que nous n’y puissions rien, ce coup d’assommoir sur ces perspectives de rester plus longtemps sur cette terre, nous met k.o. debout !
A la question toute bête : « que faire de quinze ans de plus dans une vie ?», peu de gens répondent sereinement. En profiter, bien sur, mais pour faire quoi et comment ? Une question naturellement fermée puisqu’il n’y a pas de vraies alternatives à ces quinze de plus que nous ne pouvons pas refuser.
Est-on obligé de vieillir ?
Techniquement, les jours qui nous prolongent poussent tout seul notre pion sur le damier. Ils nous lèvent le matin sans nous proposer pour autant une manière d’occuper l’espace.
L’histoire n’a jamais eu ce genre de problème. Jusqu’ici, les vies corporelles terrestres étaient les résultantes de contraintes naturelles dans un espace temps stable. Aujourd’hui, la médecine supplante l’évolution lente de la contrainte pour imposer un statut de corps résistant et bien fait, tout terrain, pour un certain temps, et prenant son indépendance par rapport à l’expérience du vécu. Nous sommes loin de bien comprendre le choc ontologique que ceux qui deviennent « officiellement » vieux sont obligés de vivre. Quel est le but de la vie maintenant pour celui que l’on oblige à vivre ? Alors que le corps s’était toujours mis dans une position plastique par rapport aux contraintes de la vie, climat, travail, vie en famille, le voici maintenant, au début de la vieillesse, satellisé, propulsé, dans un éther nouveau dont il faut identifier et qualifier les constituants, leur trouver le sens, leur indiquer une marche à suivre car nos constituants ne peuvent passer de la vie active à la vie passive sous prétexte que la société en décide l’assistance totale.
Le vieux découvre tout cela, tout d’un coup ou progressivement, selon ses circonstances spécifiques. Mais le mouvement, telle la marée, est irréversible. Il ne peut arrêter la continuation de sa vie. Il ne peut en fixer la limite, la durée. Contrairement à autrefois où il subissait des échéances douloureuses mais claires, comme la guerre, l’épuisement au travail, la destruction par la maladie, il doit faire face aujourd’hui à un horizon plat, sans obstacle majeur à priori insurmontable, avec, au contraire, un samu sanitaire et social en garde vingt quatre heures sur vingt quatre.
La vieillesse est une prison dont on ne s’échappe pas physiquement. Si la prolongation de la vie devait en rester là, sur le plan de la qualité de vie, nous n’aurions fait qu’un progrès physique dans l’histoire de l’humanité. En chemin de cette révolution qui extérieurement nous maintient confortablement en vie, nous devons trouver les ressorts intérieurs pour que notre vie prolongée ait un sens.
Y a-t-il une posture de vieux et une posture de jeune ?
De la naissance à la mort, notre existence se déroule dans une stabilité fonctionnelle caractérisée par le fait « d’être en vie ». Ce n’est pas rien même si cela semble une banalité de le constater. Mais pour justement le contredire, songez avec quelle rapidité l’accident a vite fait d’arrêter la vie, comme on déconnecterait le branchement électrique de notre corps.
Sans parler d’un miracle – mot difficile – le fait d’être en vie tient d’un équilibre précaire. En permanence, les éléments physiques sont sollicités pour refaire ensemble leurs ajustements. Officiellement, nous passons par diverses étapes, de l’enfance à la mort, mais avec une constante de taille.
Il n’y a pas un « nous » jeune, un « nous » mature ou encore un « nous » retraité ou vieux. C’est toujours nous, le même, ressemblant tantôt au bourgeonnement du printemps, tantôt aux crissements des feuilles qui tombent de l’arbre à l’automne, en effectuant une seule fois le parcours à la différence des saisons qui elles reviennent toujours. Nos images de la vie sont autant de scènes ou de tableaux vivants, différents, bien qu’appartenant à une même pièce : la nôtre.
Serions-nous différents vieux ou jeunes, si nous subissions une réduction de l’espace-temps, afin de nous comparer dans un environnement extérieur identique ? L’expérience n’a jamais pu être tentée, et les attitudes de « retombées en enfance » ne sont que des petits moments spécifiques qui ne renversent pas l’intégralité du comportement du vieux. Aussi, être vieux ou être jeune sont deux postures très différentes qui ne facilitent guère la vie d’une communauté !
La continuité générationnelle était plus facile quand le temps de vie, de la jeunesse à la vieillesse, était plus court, quand la mort apparaissait plus tôt. Face à la dureté de la vie, il existait aussi une solidarité entre tous, et surtout une modération de notre individualisme, aujourd’hui exacerbé au moment où les temps se creusent entre le jeune et le vieux. Il y va de notre imagination pour trouver des solutions ; il y en a. Nous nous voilons la face parce que l’individualisme omniprésent est d’une force éthique, démocratique, revendicatrice, et économique que personne n’ose arrêter. Pourtant, le problème des vieux, ou plutôt de la vieillesse, est bien de ne pas se laisser enfermer dans un cadre critique.
Tout groupe social que nous mettons à part d’un point de vu affectif, ressent naturellement le besoin de revendiquer, de réclamer son droit.
Que le vieux ne travaille plus est à la fois bien normal au niveau physiologique et sociétale les postes de la société doivent aller prioritairement aux forces vives, en cours d’accomplissement. L’inactif doit garder sa place parmi nous et notamment une place physique lui garantissant la proximité de notre affection. La mise à l’écart sociale, par un déracinement physique comparable à celui d’un arbre en pleine maturité, n’est pas bien comprise, me semble-t-il, par ceux qui s’en font les complices.
Ce que nous faisons là n’est ni plus ni moins qu’un aménagement de notre confort. Pour préserver notre individualisme, nous achetons ni plus ni moins une sécurité physique à un coût fixe ; en prenant le parti délibéré que la partie psychique n’en vaut plus la peine pour nous, et par voie de conséquence pour lui le vieux, lui aussi. Exprimé ainsi, c’est assez brutal et culpabilisant, mais à y regarder de près il n’y a pas d’exagération ; même si des tas de circonstances peuvent argumenter, elles ne peuvent pas justifier l’acte.
D’autant que notre victime n’a aucune faculté pour se défendre sauf si son état physique lui permet de faire valoir son indépendance. Mais autrement il n’a pas le choix. Le vieux déraciné vit en suspension de notre présence affective que nous lui octroyons parcimonieusement. Réfléchir sur ces faits a pour but de provoquer un sursaut pour qu’il n’en soit pas ainsi. Il s’agit somme toute que d’un acte simple : rester solidaire, être ensemble, garder près de nous ce qui fait partie de notre vie. Cela semble aller de soi.
Le conformisme de notre époque et les meilleures intentions de notre vie sociale ne peuvent ici remplacer la création de sentiments chaleureux et intimes destinés à ceux qui nous sont chers.
Les vieux ont-ils des droits ?
La véhémence des revendications des vieux donne envie parfois de répondre qu’ils n’ont pas plus de droits que l’ensemble des êtres humains. A aucun moment, la vie ne s’arrête pour vous donner l’occasion de dire : « pouce, je ne joue plus, respectez-moi et entretenez ma statue ! » La sérénité de l’âge a des manifestations suffisamment visibles sans qu’il ne soit nécessaire de pousser l’avantage vers une place privilégiée.
Bien sûr, il est nécessaire d’accommoder la vie sociale aux particularités de la vieillesse (la place assise réservée, un moindre coût d’accès à des services si les revenus sont en effet moindre) ; de petits gestes civiques qui manifestent le souci de l’Autre, qu’il soit vieillard, enfant ou aveugle.
Mais l’état de vieillesse n’est pas une franchise pour se désengager de ses devoirs courants du commun des mortels. Le vieux qui réclame ne se rend pas compte sans doute des conséquences négatives qu’engendrent ses revendications. En effet, ses revendications, si elles n’ont pas un caractère d’urgence parmi la société, ne seront satisfaites que s’il y existe une possibilité d’un marché lucratif.
On introduirait un dysfonctionnement, une confusion dans nos sentiments, en nous faisant croire que l’assistance matérielle peut remplacer l’assistance affective. Parce que généralement, les assistances matérielles sont réclamées à la société, alors que l’assistance affective ne peut venir que de l’entretien de nos sentiments.
La personne âgée devrait comprendre, à mon avis, que sa vie est en sursis grâce aux artifices de la médecine. Il lui faut, dans cette prolongation, se reconstituer une envie de l’aimer, de le garder près de soi ; attitude qui est tout le contraire d’une expression autoritaire qui, ici comme ailleurs, dans une société de droits démocratiques égalitaires, n’est plus réellement acceptable.
Dans un intérêt affectif bien compris, le vieux a le droit de se faire aimer. Il en a les moyens…et désormais le temps.
Les vieux ont-ils des devoirs ?
L’optimisation de leur temps de vie donne aux vieux l’occasion, voir le devoir, d’organiser une nouvelle vie faite de rapports utiles avec leur entourage.
Le vieux ne peut pas se contenter de ronronner son droit à se reposer, sans tenir compte de la conjoncture autour de lui. Le signal fort de s’estimer des droits envers et contre tous, quelle que soit l’évolution du temps, est mal ressenti par l’ensemble d’une communauté.
Comme n’importe quel autre groupe de l’humanité, les vieux vivent à partir d’une projection politique datant d’une cinquantaine d’années qui, pour se remettre de ses convulsions historiques honteuses, avait tendance à tout promettre ; résultante logique de libération des mœurs et de l’économie pour nous propulser vers un eldorado.
Nous y sommes, mais nous manquons de recettes pour nous y maintenir. Tout le monde le comprend, enfin presque ; mais les derniers réfractaires sont souvent les vieux qui ne veulent rien lâcher de ce qui leur a été acquis, ils n’ont plus d’autres moyens que d’exprimer leur revendications – puisque ce n’est plus par le travail qu’ils peuvent financer leur confort – en lançant à la cantonade : « j’ai cotisé, j’y ai droit !». Or souvent, l’allongement de leur durée de vie leur fera toucher un pécule global de pension bien supérieure au montant apporté par leurs propres cotisations d’anciens actifs.
A cette évidence arithmétique, ils opposent des comparaisons de comportements, de style de vie qui n’ont pas lieu d’être puisque leurs recettes n’ont de valeur que par rapport aux événements qu’ils ont vécus. Aujourd’hui, les jeunes ont leurs propres paramètres composés de considérations éthiques, économiques, existentiels qui n’existaient même pas dans les valeurs de la société d’autrefois.
Le vieux n’a pas à se cacher mais au contraire à participer et à corriger ce qu’il peut des chaos de son époque. Il ne lui est pas demandé de réparer les pots cassés, mais d’être solidaire des affres de la conjoncture et de ce qui se passe dans notre société, sans utiliser sa vieillesse comme un spectacle de la vraie vie.
La vieillesse a-t-elle ses limites ?
Les informations sur l’allongement de la durée de vie donnent le frisson. Quel sens donner a une vie qui semble s’étirer sans fin ?
Les doutes pieusement émis sont des échappatoires pour ne pas se poser la vraie question : pourquoi vivre si longtemps ?
Aucune réponse valable ne nous semble donnée, nous semblons patauger historiquement au milieu du gué. Il y a à peine cinquante ans, ce problème se posait déjà, ajouté à des circonstances concomitantes d’apaisement général sans guerre meurtrière, augmenté par l’arrivée massive de six milliards d’hommes reconnus soudainement dans leurs droits, amplifié enfin par un phénomène révolutionnaire de rapprochement des compétences, des connaissances, des produits que l’on peut résumer par le terme générique d’emprise économique globalisée.
Tous ces phénomènes arrivent et se télescopent au moment même où le phénomène « vieux » surgit.
Comprendre, ne rien brusquer, ne pas augmenter les chocs existants est déjà une œuvre importante. Puis il faut laisser s’exprimer les phénomènes entre eux plutôt que d’esquisser tout de suite des pistes pour tenter de vivre ensemble.
Mais les solutions les meilleures – et nous n’avons besoin que de celles-là – ne viendront pas d’une nouvelle organisation de nos rapports sociaux par le haut. C’est à notre niveau individuel et citoyen, dans notre quotidien que nos pouvons stabiliser les rapports, aussi puis comprendre, dégager des pistes et agir enfin sereinement.
De même, en tant que groupe humain, il ne nous appartient pas de tirer des plans sur la longévité maximale de la vie que nous pourrions autoriser à nos vieux. Mais nous pouvons d’ores et déjà fixer un cadre de refus d’une démagogie de privilèges obligatoires destinés aux personnes âgés qui vivent au frais des forces vives. Nous pouvons établir une conjonction de buts et de moyens à partager entre vieux et forces vives pour un meilleur « vivre ensemble » parce qu’il nous est impossible de jouer perso tout en se réclamant d’une société de moyens.
La limite de la vieillesse n’est pas de l’ordre de l’âge mais de celui de sa faculté intellectuelle ou psychologique à rester, pour chaque vieux, partie prenante de notre société en pleine activité, en pleine vitalité, en plein combat.
La marginalisation réclamée, ou démagogiquement promise, reste un leurre que la société a offert aux vieux sans qu’ils prennent conscience que ce cadeau était empoisonné. Mais puisque tout change, voici venu le temps de remettre réellement et organiquement les vieux dans la société.
8. La retraite
L
a société nous a créés de toutes pièces un état de la vie dont nous n’avions pas l’usage auparavant. Nous n’avions pas besoin de concepts pour le qualifier. Autrefois, le mot retraite évoquait le féminin de « retrait », il provient de « retraite » : s’éloigner, se retirer en arrière. L’une des plus célèbre retraite fut celle de Russie par Napoléon. Plus proche de nous, une retraite philosophique, une retraite spirituelle, le retraitement de nos pensées dans un lieu et un temps propice à la sérénité, mais rien à voir avec le retraitement de quelconques déchets toxiques...
Il doit exister une filiation exacte ou coutumière pour montrer l’aboutissement actuel de la retraite qui arrive juste après l’étape de notre vie active au travail, en passant d’ailleurs maintenant par une pré-étape purgatoire que l’on appelle pré-retraite. C’est une autre caractéristique de notre époque que sa propension sans limite à résoudre ses problèmes avec des mots tiroirs auxquels on rajoute un préfixe ou un suffixe.
Présentement, c’est de la retraite après travail dont il s’agit d’évaluer la place dans notre vie. Sommes-nous vraiment serein avec ce concept ? Ne nous plaque-t-on pas rapidement l’auréole d’une « retraite bien méritée » pour nous précipiter plus tôt vers la sortie ? Notre attente exprimée d’un « vivement la retraite » est-elle un réel désir ou une échappatoire forcée d’un monde où nous nous sentons de plus en plus mal ?
Le concept de la retraite n’a pas assez d’expérience historique pour que nous puissions faire des comparatifs à travers les siècles. Autant nous pouvons comparer la naissance, l’accouplement, la mort, qui ont toujours existé, autant la retraite d’aujourd’hui est unique, inédite. Raison de plus pour ne pas y voir une fatalité parce qu’aujourd’hui nous la vivrions mal ou convenablement. Raison de plus pour y voir un champ libre à notre imagination, à nos besoins, à nos moyens, afin d’en faire un temps utile et agréable pour nous-mêmes et pour la collectivité dont le retraité est devenu plus que jamais partie intégrante. Jamais dans sa vie il ne va dépendre autant de la communauté. Pour le coup, sa retraite n’est pas un retirement du tissu social mais au contraire une véritable réinsertion.
Acte I : accepter le fait d’être retiré, ou bien se retirer.
Retourner le problème de la retraite dans tous les sens ne peut évacuer sa signification la plus simple qui se résume par nous retirer de quelque chose. Ce n’est jamais agréable. Nous sommes ainsi faits : notre consistance a globalement besoin d’actions. Nous retirer une de nos possibilités d’action revient à nous sevrer, à nous amputer.
Quel que soit ce qu’on nous retire, c’est presque la moitié de notre vie si on considère notre période de travail et le temps que ce travail occupe dans nos pensées, d’une manière ou d’une autre. Au temps occupé par le travail, et ses dérivés, il faut ajouter l’environnement social, la bulle de rapports humains qu’il nous a procurée ; bulle dans laquelle nous avons trouvé frustration mais aussi souvent considération, honneurs et avantages. Et tout d’un coup, rideau. Le beau théâtre éteint ses lumières : on devient un ancien acteur, à jamais.
Nous ne pouvons qu’accepter. Mais comment ? Le problème réside dans la solitude de cette extinction des feux. Il est rare de partir tous ensemble en retraite et de former ensemble un nouveau corps qui resterait soudé. Il est difficile de former ensuite un « syndicat » de retraités.
La retraite a cette connotation théâtrale de fuite solitaire derrière la coulisse dans laquelle on est terriblement seul. Pourtant, à ce moment-là, on ne se sent pas véritablement poussé vers la sortie car une habile contrepartie nous motive : fin des contraintes, des horaires, de la fatigue et de la hiérarchie ; fin du donnant-donnant travail-salaire, le dernier paramètre ne s’appelle plus salaire mais pension, comme si nous rentrions dans le pensionnat d’une société qui va nous prendre en charge.
On ne pense peut-être pas forcément à tout cela d’une manière aussi détaillée ou psychanalytique mais il y bien un processus qui se passe en nous et nous retire quelque chose.
A ce premier stade, accepter cette situation ou se rebiffer ne change rien à l’affaire. La cassure psychologique de la mise à la retraite est trop nette pour que puissent exister des situations intermédiaires. C’est d’ailleurs peut-être dommage, tant pour les retraités de force que pour les emplois qu’ils occupaient encore avec une certaine utilité économique pour la collectivité. A cet égard, et anecdotique que soit l’information, le retour au travail de retraités, au Canada, pour des tâches simples n’ayant par de rapport avec une spécialité mais déployant une simple relation de maturité prestataires-consommateurs, est un signe à suivre de notre histoire qui n’a certainement pas dit son dernier mot en matière de recyclage des activités et des expériences humaines.
Pour le coup, la retraite devient un véritable « retraitement » de l’expérience humaine puisque l’on demande à ces vieux retraités de venir patiner par leur comportement le monde trop froid et rationnel que nous laisserions prospérer.
L’attitude constructive, lorsque l’on est prié de partir en retraite, c’est d’en accepter le principe mécanique du passage de relai nécessaire entre générations. Quel que soit le brio de notre carrière professionnelle, nous devons nous savoir remplaçable, et loin d’être indispensable !
Une fois que l’on est acquis à cette idée, commence alors un véritable travail psychologique pour nous mettre en retrait de ce devant de la scène sociale. L’acte est plus facile à faire quand nous l’entreprenons plutôt que lorsqu’on y est contraint.
Le remplissage de notre temps par le travail peut apparaître comme une correspondance à une époque de notre vie active, à un besoin de gagner notre vie, à un exercice pour faire exceller nos talents et nos ambitions. Tout cela s’est réalisé, bien, mal ou moyennement mais avec une irréversibilité. Nous sommes au point T du déroulement avec une impossibilité physique de remonter le temps. Il faut, à mon avis, de la concentration et de l’exigence pour examiner à fond cette phase cruciale qui demande attention puis évacuation finale, vers une nouvelle phase de vie. Mais il serait trop tôt, à ce moment-là, pour choisir exactement ce que l’on va faire parce que quarante ans d’occupation n’ont pas forcément préparé le terrain. L’important est la détermination à concentrer ses forces sur de nouvelles expériences qui ne nous sont jamais arrivés, où l’expérience des autres n’est pas significative. Car à la différence de la période travail, souvent avec des collègues, la retraite va se passer seul, avec un étalonnement de ses joies et de ses peines que nous seuls pouvons établir et contrôler.
Le regard droit devant et l’objectif bien à soi garantissent que l’on va aller dans une voie sinon bonne mais pour autant certain qu’elle soit la nôtre.
Acte II : trouver une consistance.
Vivre ! Mais pourquoi ? Le travail, les enfants, voire les difficultés étaient de bonnes et simples raisons de travailler sans se poser de question. La machine à espoirs et à satisfactions fonctionnait sans grippage, avec notre bête humaine qui savait y remettre du charbon sans broncher. Ce n’était même pas une question de courage ou de bravoure. Nous étions le rouage humain d’une machine brutale mais bien huilée.
Nous voici au bas de la machine dont la pression-vapeur, en ce qui nous concerne, n’est plus. Quelle autre locomotive peut avoir besoin de nos bras ? Les métiers manuels ont plus d’opportunité d’être continués à titre personnel. De même, les métiers intellectuels permettent aussi de se prolonger en solo. Pourtant, le contexte de la retraite rompt le flux de la nécessité qui nous obligeait.
Nous voici devant une page blanche dont nous devons nous même inscrire les projets. A mon avis, il faut se considérer avec beaucoup de compassion, de pragmatisme, voire de petitesse, surtout dans la première phase de la rupture du rythme travail. Je veux dire qu’il faut savoir se prendre en douceur pour se donner quelques objectifs simples et faciles à réaliser. Il est important de se redonner un tissu de satisfaction par des autosatisfecits que personne d’autre que nous ne nous donnera plus. Si de la sorte, à la fin d’une semaine, nous pouvons toucher du doigt des réalisations claires que nous nous étions fixés, alors se crée en nous une conscience d’avoir fait.
Lorsque le pli d’être content de soi est pris, à cet égard, il y a un effet naturel à prolonger sans excès, avec une joie d’être utile même si l’on ne sait pas encore à qui. Entretemps, notre regard et le regard d’autrui apprécient notre activisme au point que nous devenons communicatifs et contagieux d’une vie devenue partage. Le reste est question de circonstance, d’opportunités, de rencontres vers lesquelles notre disponibilité initiale bien construite nous aimante naturellement. Nous devenons un retraité très occupé.
Les engagements prématurés sont le piège de l’occupation quantitative à tout prix de la vie du retraité. On ne passe pas innocemment de mécanismes professionnels très typés à un autre fonctionnement tout aussi prenant sous prétexte qu’il serait bénévole. Tout acte requiert un professionnalisme que l’on est en droit de choisir surtout lorsque l’on est en retraite.
Par ailleurs, les tâches du bénévolat s’inscrivent dans un but précis où la cause de l’action ne peut pas être d’utiliser la bonne volonté des bénévoles. En d’autres mots, le bénévole, sans parler de sa compétence, doit venir avec une flexibilité totale et une consistance de lui-même bien définie de façon à ne pas venir chercher à l’extérieur la résolution de ses problèmes intérieurs.
L’acquisition de cette nouvelle consistance de soi, qui n’est plus validée par la reconnaissance et par le salaire, me semble être la pierre angulaire sur laquelle peut ensuite, et seulement à ce moment, se construire un projet et une réalisation de vie. Ce n’est plus à proprement parler une « retraite » mais un véritable « retraitement » de ses buts de vie, de ses ambitions, de ses moyens de les réaliser tant sur le plan matériel que sue le plan affectif.
Acte III : trouver une suffisance.
La retraite ne peut pas être, à proprement parler, un éclatement comparable à ceux que nous avons peut-être eu dans notre vie de travail. La retraite nous conditionne dans un côté par définition un peu retiré, quelque peu sobre et manquant de brio.
Ne serait-ce que la forme physique qui décline forcément, s’y rajoute un côté déjà vu dans le succès qui fait que nous préférons aller chercher d’autres joies.
Il n’y a pas de règle ou de mauvais goût à jouer les prolongations de son aura passée mais le problème se situe dans le changement d’environnement où nous ne sommes plus considérés de la même façon.
Avec sa famille, en premier, la présence du retraité devient comme un patriarcat de droit qui s’installe, imposant respect envers nous, mais nous réclamant une sereine sagesse pour être présent sans activisme, sans jugement.
Avec l’environnement proche, le retraité a plus de mal à faire valoir sa nouvelle consistance car c’est son étiquette d’inactif qui est la plus visible et qui lui colle à la peau. Il faut savoir faire le gros dos pour que les sarcasmes pas bien méchants mais inutilement blessants y tombent dans notre indifférence.
Avec la société plus globale, et sur laquelle nous n’avons aucune prise, la classification « retraité » tombe comme un couperet : nous sommes tolérés physiquement, comme on ne pouvait pas faire autrement, en effet ! Mais le démarquage est net pour signifier que nous sommes entretenus sans souhait, que nous participions à quoi que ce soit.
On le voit, dans tous les scénarios : le retraité est là dans une posture acquise incontestable mais sans attente réelle de sa participation utile et contributive dans la société.
Cette mise au rencart se justifiait lorsque la vieillesse était si courte, lorsque la mort était si proche, qu’il ne valait pas la peine de commencer quoi que ce soit, d’avoir des projets parce que nous n’aurions jamais eu le temps de les achever.
Maintenant, nous avons un tout autre enjeu en perspective. Et un enjeu nouveau qui n’est jamais arrivé dans l’histoire de l’humanité. C’est celui de savoir quoi faire d’un temps soudain disponible, d’un temps imprévu. Toutes les autres phases de la vie ont des correspondances claires et nettes : l’enfance pour découvrir, l’adolescence pour s’éduquer, la maturité pour construire… Et la retraite ? C’est, à mon avis, la découverte ontologique d’une nouvelle vie que nous devons explorer. Et la société qui sait organiser tant bien que mal l’enfance, l’adolescence, la maturité, n’a en revanche aucune idée pour donner de l’occupation active à ses retraités. Elle en assume l’entretien financier, c’est tout.
En résumé de cette analyse des forces et des intérêts en présence, il résulte que c’est le retraité qui doit s’occuper de lui s’il ne veut pas tomber dans la vacuité et le désespoir ; avec pour première résolution forte de ne compter que sur lui-même, le plus longtemps possible physiquement, et jusqu’à sa mort moralement, intellectuellement.
Le retraité doit trouver en lui une forme d’abnégation pour accepter sa situation de retiré des affaires courantes, de déplacé dans la hiérarchie sociale, de dépendant financièrement, tout en gardant la tête haute pour envisager une vie riche d’autres critères que ceux qui l’ont cajolé jusqu’à présent. Etre soi avec d’autres moyens et d’autres buts, en quelque sorte.
Ce changement de profil de vie me semble à moyen terme indispensable même si le propos semble avant-gardiste. En effet, on peut croire que les dispositions actuelles permettant aux retraités un bien vivre équivalent – sinon plus – à leur vie active, seront éternelles. On peut le croire, mais les projections des courbes de vie, des temps de cotisations de retraites et du déclin économique occidental est loin d’augurer que le système perdure sans subir de chocs violents. Ce n’est qu’une question d’argent, ou de capacité d’emprunter ledit argent, pour honorer les sommes.
Ce n’est donc pas du catastrophisme que d’envisager d’autres voies pour un épanouissement avec des revenus financiers différents. Ce n’est pas forcément souhaitable pour le bien-être général de nos sociétés dont trente pour cent des individus seront en retraite de travail mais dont on attendra une contribution active en tant que consommateurs, pour donner du travail aux actifs, que diable !
La solution paradisiaque d’un nouveau paradigme pour retraité n’est donc par forcément une bonne solution économique. Mais le problème de départ n’est pas de rendre les gens consommateurs à tout prix, surtout s’ils sont intellectuellement « retraités ». La préoccupation est bien de créer un genre de vie de retraité qui soit une contribution sérieuse dans le nouveau découpage « enfance, adolescence, maturité, retraité » de notre nouvelle vie, puisqu’il en est ainsi d’un allongement de la durée de notre vie et que nous ne pouvons refuser.
C’est à notre niveau individuel que peut se créer ce nouvel environnement que j’appellerai « bonne suffisance de soi », sans que cela ait un sens infatué de contentement.
La suffisance est de pouvoir constater avec sagesse ce qui nous suffit pour vivre avec bonheur, jugement dans un environnement social altruiste. La suffisance indique surtout que le temps du combat est révolu, comme celui de la conquête des places, des avantages et des honneurs. Que nous avons une conscience aiguë du temps qui passe et qui ne repassera plus.
Le temps de l’action visible n’est plus là, au profit du temps de la présence affective, vigilante et efficace selon nos moyens et nos propensions. Comme c’est une invention en cours, il n’est pas possible de préjuger du « bien aller » de ces intentions. Mais celles-ci contiennent assez de fondement je crois pour être explorées, exploitées, travaillées, vérifiées et mises ensuite dans une perspective du temps de la retraite.
Acte IV : trouver une sérénité… vers l’inconnu !
En tous cas, la retraite ne doit pas être un sujet de dispute pour soi-même. Le temps y est long, les visites y sont rares, les sujets peu variés : il faut, à mon avis, s’y construire une beauté de regard si l’on veut y survivre. Survivre est d’ailleurs un mauvais mot car on verra par la force des choses de plus en plus de gens hostiles à leur maintien en vie. Les douleurs physiques ou psychologiques qu’ils endurent, et l’incapacité à trouver dans leur inactivité un point de suffisance d’eux-mêmes, poussent et pousseront de plus en plus d’entre nous à vouloir se donner la mort.
La solution pour l’Autre est impossible à donner. Je me réserve ma solution, dans l’intimité de ce que l’on ne peut pas expliquer et justifier à l’avance.
De loin, on n’y est pas encore, la sénilité du vieil âge me semble une situation impossible à vivre. Plutôt mourir avant que de me voir courbé, tremblant et zozotant. Mais il est impossible d’en fixer le premier signe qui déclencherait mon « sauve qui peut ».
Qui plus est, le regard catastrophique que je porte sur mon futur n’a pas de valeur sur ce que je vivrai moi-même lorsque courbé, tremblant et zozotant j’aurais une éventuelle envie d’examiner ma condition.
En d’autres termes, les vieux pensent-ils quelque chose d’eux-mêmes ? Ont-ils honte de leur condition ? La seule véritable question est celle de notre contentement. Sommes-nous heureux de ce chaque nouveau jour qui nous prolonge, ou bien sommes-nous malheureux de devoir le subir, l’endurer, comme une souffrance qu’on nous inflige ?
Je souhaite que sur ce sujet, s’installe une étude sérieuse que permettrait certainement la science médicale moderne. On devrait être tout à fait capable de déceler chez les personnes âgées leur degré d’acceptation de leur situation. Une conception nouvelle de la fin de vie pourrait s’instaurer pour que puissent se détacher, avec tact et sans démagogie, une éthique d’acceptation du degré de sa condition de vieux en fin de vie.
Il n’appartiendrait à personne de mettre fin à la vie de quelqu’un. Mais il n’appartiendrait non plus à personne de s’acharner à maintenir en vie végétative quelqu’un dont on aurait décelé le souhait de partir.
Avant d’en arriver là, et puisque nous en étions à la sérénité souhaité au retraité, le moment peut être venu pour le retiré de la vie active de dérouler son existence en guise de chemin parcouru. Souvent, ce retour en arrière est occulté comme un regret dont on ne doit pas parler. Ou bien il est ridiculisé comme un bon ou mauvais temps, des histoires de vies désormais dérisoires. Le retraité a un droit fondamental et incompressible de souvenirs et de respect de ses souvenirs ; pour lui et lui seul bien sûr car il ne s’agit pas que ses souvenirs envahissent le présent. Mais ce droit à disposer autour de soi les étapes de sa vie révèle une beauté esthétique que l’on doit laisser s’inscrire au patrimoine de l’humanité.
Le vieux, le retraité, ne doit pas se laisser départir de cette joie de réminiscence. Et il est même de l’ordre du bon comportement affectif de l’entourage de l’aider matériellement à reconstituer ses étapes. Il est important que les derniers moments de l’esprit éveillé soient remplis d’une vision du voyage accompli, de façon à ce que la mort physique ne surprenne pas un moribond mais un homme debout, rempli de sa vie.
9. La politique
L
e premier constat, comme une odeur que l’on détecte avec inquiétude, c’est que la politique émet une espèce de gaz sulfureux, étrange, formant un halo devant une activité qui doit bien avoir une utilité et ses honneurs.
La politique n’a-t-elle pas réussie à ce que son beau nom – ce qui est relatif à la cité et à l’Etat – devienne un qualificatif signifiant « tactique » et « basses manœuvres » ?
Quelles sont donc ces structures fantômes qui hantent les cieux politiques surplombant l’organisation sociale de notre vie ?
Dans l’usage courant de notre vocabulaire, où nous venons d’épingler le qualificatif « politique » comme une habile manipulation, on relève juste à côté le terme non plus glorieux « faire de la politique ».
A l’inverse, pour tenter l’équilibre dans cette appréciation du politique, on peine à trouver, dans notre compréhension des années 2008, une manière agréable ou élogieuse pour qualifier la politique. En vain. Pour un temps, rien n’est jamais fermé, il nous faut vivre avec cette politique arriviste.
Mais alors pourquoi avoir à se préoccuper de cette chose si vilaine ? Ne pourrait-on pas la laisser de côté, pour ceux que ça intéresse ? Horrible que soient par exemple, la guerre, la prostitution, la religion, la chasse à courre, les matches de boxe, que sais-je, nous pouvons vivre en ignorant complètement ces phénomènes qui n’intéressent et ne concernent que ceux qui y participent.
La politique c’est autre chose. Pire que le baptême, elle vous prend au saut du lit de la pour vous dire somme toute qu’elle se propose d’organiser votre vie à votre place, étant donné que nous, le plus grand nombre, sommes obligés de lui déléguer notre pouvoir d’agir.
L’intention est louable. Et il existe d’ailleurs très souvent des cas véritables où nous pouvons remercier sincèrement celui qui s’occupe de tous ces détails matériels à notre place : dégagement des routes enneigées à cinq heures du matin lorsque nous dormons, nettoyage du jardin public, animation des maisons de retraite. Quelqu’un, des organisations compétentes et dévouées ont le devoir de répondre présent. A un niveau beaucoup plus élevé, la structure qui nous permet de nous mouvoir dans un réseau social est également très estimable.
Ce n’est pas ce que fait la politique qui nous est désagréable, mais essentiellement comment c’est fait ; et, par voie de conséquence, qui le fait. De même que l’Etat c’est nous, la politique, c’est nous.
D’une part la politique est nécessaire non comme un pis-aller mais comme le seul système actuellement connu pour s’occuper démocratiquement, au nom du peuple, de « ce qui relatif à la cité, à l’Etat ». D’autre part, cette politique n’est pas une caste, une classe sociale, une rente ou que sais-je encore un statut inaccessible. L’accès est au tout venant. Pourquoi donc faut-il être politique et faire de la politique, pour se consacrer à la seule politique ?
La politique, c’est chacun de nous.
Il n’y a besoin d’une représentation politique que lorsqu’on identifie une population suffisamment nombreuse pour qu’elles ne puissent s’exprimer à tout moment sur les décisions à prendre, au niveau de la collectivité comme pour l’individu.
Les décisions ne sont pas des questions passe-temps qui pourraient être éludées, mais des questions dont nous avons le devoir d’étudier, d’hiérarchiser de la moins importante à la plus vitale, de financer, de mettre en œuvre. A aucun moment nous ne pouvons dire que cela ne nous intéresse pas que cela ira bien sans nous. La continuité de notre condition d’être vivant sociabilisé nous rend mécaniquement solidaire de toute la chaîne des décisions qui se prennent dans la cité, dans la région, dans le pays, dans l’Europe, dans le monde.
Qu’en cours de route nous soyons lassés par les manœuvres des politiciens, ou plus simplement par les difficultés des dossiers à traiter, rien ne doit changer notre degré de responsabilités individuelles. Tout ce qui est politique reste toujours de notre fait. D’ailleurs, les lois et leurs applications concernent tous les citoyens, y compris ceux qui ne votent pas, qui n’approuvent la mesure dont on leur inflige aujourd’hui l’obligation.
La différence de sens entre le vote qui est facultatif et la citoyenneté qui est obligatoire est à cet égard intéressante à analyser. Et il faudrait rapprocher, si l’on voulait assainir le fait politique, les deux termes pour que le votant soit un citoyen consentant et le citoyen un votant sans réserve. Fausse niche de liberté que de laisser l’opportunité de ne pas s’exprimer, ou plus communément de ne pas respecter l’esprit d’une décision parce qu’elle émane de quelqu’un pour qui on n’a pas voté.
Comment se fait-il, dès lors, que nous ruminions nos contradictions, votant ou pas, de citoyen se sentant obligé de nous en occuper nous-mêmes ?
A notre niveau individuel, il n’y a le plus souvent que sincérités, bonnes idées et envies de bien faire. Pourquoi cet élan se brise t-il sur les murs de la difficulté ? Difficultés à s’engager, à représenter ceux qui pensent ou penseraient comme nous, difficultés à parler et à agir en leur nom.
Il existe donc des obstacles bien réels qui relèvent de la crainte que la représentation politique nous change, nous transforme, nous adoube à ses codes, et qui ferait de nous un politique, un manipulateur.
Le piège de la représentation qui se referme.
Au commencement, se lancer en politique relève de la meilleure des intentions : des idées, des envies que cela change, des amis qui croient en vous, la conviction que l’on peut effectivement faire bouger les choses !
Sur ces bases, se construit un programme d’autant plus alléchant qu’il respire la fraîcheur d’une force, la tonicité d’un nouveau combattant, l’absence de passé dérangeant. Bref, tout est propre et net pour réunir sous sa bannière, cinquante-et-un pourcent des votants. Parfait semble-t-il, mais les « cinquante-et-un pourcent » ne forment pas un bloc homogène de partisans. Peut être que seulement vingt pourcent sont des moutons qui suivent le bel enthousiasme (malheureusement pas les idées) déployé par l’heureux candidat désormais élu.
Faites le compte : sur cent citoyens, soixante (moyenne de participation électorale) ont voté ; desquels cinquante et un pour cent ont préféré notre candidat, soit trente et un ; desquels il faut enlever vingt pour cent de séduits de la dernière heure, soit un solde de vingt-cinq citoyens. Vingt-cinq seulement ; un quart seulement mais qualifié de majorité en votes exprimés ; c’est ainsi. Un quart sur lesquels vous pourrez compter pour faire passer dans l’opinion le sens des mesures que vous allez mettre en œuvre pour tous, pour les cent citoyens qui maintenant doivent obéir à vos lois. Le feront-ils ? Oui, sans doute. Car la loi n’est pas un respect à un homme politique en particulier mais une conformité que l’on est obligé d’accepter par rapport à un Etat de droits qui, en cas de non respect de la loi, vous enlève vos prérogatives de citoyen, et avant même qu’il ne soit question de vos préférences politiques.
Le politicien désormais élu doit théoriquement appliquer le programme de ses idées même si seulement un quart de la population les partage. Mais en même temps, il n’est plus un candidat en campagne mais un élu en charge de sa communauté. Peut-il, en son âme et conscience, considérer que ses idées, qui ne recueillent qu’une minorité d’adhérents, puissent être mise en œuvre sur une majorité qui pour le moins ne s’est pas exprimée ?
La confrontation devient objectivement très difficile. Et avant qu’il ne devienne ce politique manœuvrier, l’élu s’enlise dans un véritable débat interne. Bien sûr, peut-il se le rappeler : la démocratie ne peut concerner que ceux qui s’expriment, d’une manière ou d’une autre à son sujet. Et à cet égard, ses cinquante-et-un pourcent lui donnent une légitimité incontestable et un mandat clair pour mettre en œuvre ses mesures. Mais l’important n’est pas d’être théoriquement légitime mais c’est d’être concrètement juste pour la majorité de ces concitoyens.
Par ce récit, j’aimerais souligner que le cheminement de ce que l’on représente et la continuité de ce que l’on doit poursuivre ne sont pas simples, même pour l’élu le plus intelligent dans ses analyses, le plus détaché de son sort personnel.
La réalité du noyau dur des vingt-cinq pourcent est toujours présente pour lui rappeler le programme, nonobstant toutes les considérations citoyennes voire humanistes sus-citées.
Pris dans un étau, l’élu doit se trouver des portes de sortie pour apaiser les uns et les autres. Les compromis qu’il doit faire ne sont pas en soi parjures ni enfreintes, car enfin, étant l’élu de tous, il doit théoriquement prendre de ses opposants leurs idées en proportion de leurs résultats. Mais à condition que les idées des uns et des autres soient compatibles et surtout complémentaires pour résoudre les problèmes.
On comprend que, dans ces conditions éprouvantes comme une solitaire course de fond – je ne grossis nullement le trait car c’est la démocratie dans ce cas qui serait ridicule –, les plus belles âmes s’épuisent. Et d’aucuns, sinon beaucoup, se consacrent à l’avance dans l’art du compromis avant l’affrontement des véritables idées. Ils y prennent goût et certains y excellent avec un talent qui ne se cache plus, qui est honoré, voire recherché comme un art : savoir maintenir le couvercle sur trop de bouillonnements.
La représentation devient alors un métier d’habileté où l’on peut manier n’importe quelles idées du moment que l’on arrive à s’asseoir dessus pour qu’elles ne débordent pas et que le calme du bon peuple soit contenu.
Bien sûr, nous exécrons ce type de représentation. Si, pour arriver à cette situation de paroxysme, le déroulement n’a été que normal, c’est qu’au départ les conditions de cette représentation nous ont été mal posées. Il eut fallu que la distance entre les citoyens et l’élu ait été terriblement raccourcie, d’une manière ou d’une autre, pour que cet élu soit un chef aux coudées franches. Il eut fallu que son programme ne fût pas un carcan mais plutôt une prestance, une attitude à laquelle nous ferions globalement confiance pour traiter au mieux le programme, au fur et à mesure de la conjoncture. Car un mandat dure cinq ans en moyenne, au cours desquelles nombre d’imprévus modifient le meilleur des programmes !
Donnons l’occasion à ce chef la possibilité de revenir vers nous de manière régulière pour rendre compte, et être contrôlé sur des points précis, sans remettre en cause son mandat global. Cela requerrait une véritable participation de notre part pour accompagner les affaires, les dossiers, pour nous informer des évolutions de notre société, et peut-être pour susciter en nous une réelle envie de politique, de vraies compétences pour donner notre avis et, peut-être un jour, de faire de nous des candidats à la représentation publique.
La découverte des réalités qui ne font pas plaisir.
Le réflexe du citoyen lambda (ou du néophyte en politique) est souvent de croire que les problèmes sont faciles à résoudre. Le « y a qu’à » est commode ; et il est surtout dangereux si l’action volontariste qui s’en suit débouche sur une situation mal appréciée.
Avant d’être aux affaires politiques, le candidat n’a pas un accès direct aux problèmes qu’il prétend pourtant pouvoir résoudre. C’est une situation dommageable car elle correspond, toutes proportions gardées, à la gestion dans un couple légalement solidaire où les deux conjoints se cachent des choses alors qu’en fin de compte le banquier les convoque ensemble pour leur demander leur solution…conjointe.
L’Etat n’est pas un couple, mais l’expression selon laquelle l’Etat c’est nous reste juste. Les dettes abyssales que nous laisserons à force de vivre au-dessus de nos moyens et en empruntant seront effectivement payés par nos enfants, qui sont déjà eux aussi l’Etat.
Dans notre rapport avec l’Etat, nous sommes effectivement un couple même si du côté de l’Etat, la propension au langage autoritaire n’est pas propice à bonne entente. Du côté citoyen d’ailleurs aussi, la propension à rouler l’Etat n’est pas de meilleur augure pour cette entente !
La métaphore du couple doit souligner que les affaires de l’Etat sont les nôtres ; que celui qui se prépare aux charges de l’Etat devrait pouvoir être informé comme un partenaire, voire un remplaçant en puissance. La marche de l’Etat serait débarrassée des postures d’opposition pour la forme et, du même coup, serait enrichie des opinions différentes.
Lorsqu’il arrive en charge de gérer les affaires de l’Etat, l’élu devient un gestionnaire du réel. Il n’a plus le pouvoir magique des mots qui font croire qu’un problème n’existe plus parce qu’on le désigne bravement comme un ennemi. Au pouvoir, l’ennemi est devant soi, et l’élu y est aussi, mains nues, pour l’affronter, dans un combat singulier où la démocratie veut que toutes les parties soient respectées, y compris l’ennemi. Il y a du panache dans ce respect de tous mais cela ne facilite pas la tâche.
L’ennemi, forme de langage, se révèle être une réalité complexe incrustée dans le tissu social, avec des tenants et des aboutissants, des raisons d’être qu’il faut extirper par la racine, avant de le faire tout simplement disparaître. La réalité ennemie n’a pas, si j’ose dire, que des ennemis. Sans avoir des amis déclarés, elle a souvent forgé des habitudes, des styles de vie, des intérêts forts, des subtiles connexions avec des valeurs indéboulonnables telles que le respect de l’emploi, de l’accès à la santé, du droit à la liberté d’expression.
Je suis personnellement sidéré par la montée de boucliers que suscitent certains projets simples, dont une solution est unanimement désirée. Montée de boucliers parce qu’il démange certains, comme une allergie qui se déclenche à l’avance, d’être systématiquement en désaccord avec leur ennemi, par le plus petit vice de procédure, permettra de mettre bas à l’infamie. Mon étonnement est d’autant plus fort que les manœuvriers de cette paralysie sont des mécanismes intellectuels pointus, conscients ; certainement de la malignité, voire de la malhonnêteté intellectuelle. Il n’empêche. Pour eux, la forme peut l’emporter sur le fond et tant pis si les problèmes persistent et restent bloqués ; charge à l’élu-chef-en-poste de trouver d’autres subtilités pour faire passer son action.
Comme si le pouvoir était forcément un jeu d’arcanes consistant à se faufiler entre les croche-pieds de ses adversaires, pour arriver quand même in fine à affronter les vraies réalités.
Les responsables politiques au pouvoir pourraient trouver des moyens pédagogiques, sautant l’obstacle des embûches de leurs adversaires, pour venir nous parler franchement des difficultés qu’ils rencontrent ; simplement, sans effet de manche pour se donner à l’avance bonne conscience. Un exposé des faits, de leur importance, de leur conséquence, de ce que l’on va faire pour les aborder, du rendez-vous que l’on donne pour rendre compte, des alternatives que l’on ne choisit pas et pour quelles raisons. L’écoute attentive leur est, j’en suis sûr, acquise.
Ce que découvre le politique lorsqu’il arrive au pouvoir n’est pas de sa responsabilité. Et même si cela devait être sa faute, dès lors qu’il est réélu, il a de nouveau notre confiance pour essayer à nouveau d’une autre façon.
Le problème exposé et partagé ne se résout pas par un délestage sur tous mais il devient une cause commune désarmant les impatiences partisanes, et construisant naturellement un consensus vers le bon sens.
Nous pouvons trouver des formes participatives pour montrer à nos dirigeants, y compris ceux pour lesquels nous n’avons pas voté, que nous nous intéressons à tous les problèmes dont nous les chargeons. Il est important que l’élu se sente toujours dans une attitude de délégation de notre pouvoir et non dans une vision prométhéenne de ce qui serait le bien et le mal. Il doit s’adresser à nous avec franchise et sincérité pour que nous nous sentions l’obligation d’engager une relation avec lui.
La nécessité de donner des bonnes nouvelles.
Au lieu de nous exposer les problèmes et leurs solutions, pour occuper l’espace public, et nous informer de leurs travaux, les politiques aiment nous réconforter avec des bonnes nouvelles. Quitte souvent à les dire plusieurs fois comme les vendeurs qui rabâchent leurs exploits.
Quitte aussi à déplacer leur champ de compétence pour nous réconforter, (des promesses de commandes d’avions comme si nous les élisions pour être des commis voyageurs !) Quitte encore à théâtraliser leur démarche quotidienne afin que leurs faits et gestes constituent une animation distractive, preuve de leur activisme.
Tous les cas sont possibles mais ils ne remplacent pas le strict de bon sens de donner des nouvelles de leurs activités qui soient porteuses de résultats, d’état d’avancement des processus.
A la décharge du politique très communiquant de bonnes nouvelles, nous pouvons nous poser des questions sur notre propre appétit d’informations agréables. En effet la presse, qui nous reflète, s’organise en conséquence de nos besoins. Elle nous sert en pâture ce que nous aimons.
Notre désaffection pour une presse qui flagorne trop le pouvoir aurait, soyez en sûr, un correctif immédiat du média dont la raison d’être est de nous avoir comme lecteur, auditeur ou téléspectateur. Le média fait davantage attention à nous qu’au pouvoir qu’il encense. Mais sans réaction de notre part pour le stopper, il continue par les voies les plus faciles.
C’est à nous seuls de marquer notre opposition, quitte à le dire à travers les sondages qui nous sollicitent habituellement pour bien moins que cela. Les médias, comme tout fournisseur de biens de consommation, se trouvent actuellement dans une très grande fébrilité face à notre opinion, craignant de perdre notre confiance.
Maintenant, et à la charge du politique vantant ses succès, nous pouvons manifester plus sérieusement nos attentes. Que les résultats se vérifient par leur réalité et non par leurs effets d’annonce. Que le bilan soit une suite de résultats qui se complètent et se bonifient par effets de grappe ; il ne sert donc à rien d’égrener par le menu des faits épars sous le seul prétexte qu’ils présentent un signe positif. Les mandants d’élus –nous le sommes tous – veulent rester dans un rôle de délégué justement pour ne pas être pris à partie par un fait isolé de son contexte.
Les Etats respectueux des citoyens-électeurs et des élus-mandataires, ont besoin de se remettre dans une orientation politique de donnant-donnant tout en sachant que chacun n’a pas forcément un rôle facile par rapport à l’Autre.
Il faut reconnaître à l’élu cette part d’ego presque indispensable qui le motive dans sa volonté de devenir le chef des autres. Mais cette personnalisation exacerbée ne doit le servir exclusivement que pour nous entraîner dans des combats justes pour résoudre les problèmes.
Durer
On voit bien que les contraintes de l’homme politique sont nombreuses, paradoxales, contradictoires. Ce n’est pas une somme de contraintes que l’on pourrait ranger et ressortir une à une, au fur et à mesure de notre courage et de notre humeur. C’est plutôt tous les matins, voire à toutes heures, qu’un déluge de feux s’allume et viennent à eux de toutes parts. Ils doivent y faire face sans broncher ; ils l’ont voulu. Qu’ils soient bénévoles ou payés, change rien à la performance qu’ils doivent avoir pour endurer ces contraintes, et au devoir de résultat.
Sans pitié ni commisération, j’aime observer l’homme politique lorsqu’il est ainsi, sinon agressé du moins très sollicité. Lorsque, sans langue de bois, l’homme politique arrive à rester vrai et volontariste pour poursuivre sa tâche, je dis chapeau ! D’autant plus lorsqu’il s’agit d’un homme dont je ne partage pas les idées. On dit trop vite de lui ensuite que c’est un extraordinaire « animal politique », comme s’il en abandonnait son humanité pour devenir un loup fait de réflexes pour bondir seulement.
Il faut de la conviction, du courage, de la suite dans les idées, de la résistance à la première critique. La délégation que nous donnons à l’homme politique – homme comme titre générique du genre humain qui englobe la femme et l’homme – comprend ce bagage, cette franchise de comportement courageux qui lui est indispensable. Sa tempérance est le gage de sa capacité de travail, de sa résistance à encaisser les bonnes et les mauvaises nouvelles, de son opiniâtreté pour engager son action sans soutien apparent.
Cette consistance, cette cuirasse, est faite pour aller au combat mais non point pour se réfugier de l’adversité.
Il devrait être trouvé un moyen pour détecter – sans aller jusqu’au détecteur de mensonges – à quel moment l’homme politique décroche de sa véritable mission, et au contraire, et sans jeu de mots, quand il commence à s’accrocher aux privilèges de sa fonction. Pas si utopique ni impossible que cela.
Le pays idéologiquement le plus décrié par les défenseurs absolus de tous droits est les Etats-Unis où justement le mandat présidentiel est limité à deux phases de quatre ans, lesquelles sont en plus coupées par des élections de représentants. Soit une remise en cause tous les deux ans avec un maximum de huit ans. C’est un bel contre exemple ! Comment détecter celui qui s’accroche – nous ne sommes pas aux USA ? Eh bien en innovant par des examens intermédiaires, avant les élections qui gardent toujours un caractère de promesses à tout va. Au cours de son mandat donc, que l’élu soit tenu à un exposé dont la trame serait préétablie an regard de sa fonction, pour faire la liste, objet par objet, de ses engagements, de ses réalisations, de ses écarts. Exactement comme une check-list qui inventorie tout ce dont le pilote a besoin pour décoller. Nous devrions pouvoir entendre, en cours de mandat, la liste formelle de nos affaires en cours, énumérées sans esquives ni effets de propagande.
Les faux et mauvais bilans signeraient l’arrêt de carrière des politiques qui les auraient menés. Il n’en est pas autrement ailleurs dans nos vies particulières. Essayons dans le domaine public.
10. Le besoin de croire
A
h ! Ce besoin de croire ! Comment vais-je arriver à rester objectif devant ce problème qui a le don de m’énerver épidermiquement ! Il est peut-être dommage de se livrer ainsi, de jeter le masque pour ne pas voiler ses aprioris contre les croyances. Mais tant pis. Mieux vaut rappeler d’emblée que l’on est humain, avec des opinions que l’on veut d’ailleurs domestiquer, dans une approche analytique pour que ma passion serve la raison.
Croire est un fait de tous les temps, sous toutes les latitudes et quels que soient les régimes de gouvernance des clans, tribus, Etats, fédérations, mondes.
L’histoire des croyances se confond tant avec l’Histoire que l’on peut se demander si la croyance n’a provoqué pas l’histoire. L’histoire se serait-elle faite quand même, sans la croyance ? Non seulement l’art et la culture, ce sont toutes les fondations de notre mode de vie, creusées dans le terreau des cultes et des dépendances voués à des forces spirituelles ou surnaturelles.
Notre grande révélation, aujourd’hui, c’est plutôt de savoir que, désormais, les croyances nous ont toujours raconté des balivernes. Même les croyants le savent au point que leur foi est rattachée à des groupes ; mais cette grande protection que l’on implorerait auprès d’un dieu lointain, que l’on pensait régisseur du monde, n’existe plus. La croyance a changé de modèle. Elle n’est plus l’âme du monde. Elle en est la roue de secours.
Loin de moi la volonté de blesser par des mots caricaturaux mais il faut bien s’exprimer. La science, depuis le XIXième, éclairée par une première volonté humaniste des siècles des Lumières, a dépecé tous les mystères, ou presque, pour en expliquer le fonctionnement quasi mécanique. Exit donc la fonction mystérieuse de quelqu’un de grand et bon – enfin, pas toujours – au-dessus de nous. Reste à percer le secret de la véritable origine des phénomènes de la naissance de la vie, un big-bang impossible à dater précisément. Or les croyances pensent pouvoir, encore quelque temps, s’accaparer, profitant des doutes des scientifiques, pour nous prouver qu’il y a quand même bien, à l’origine de la vie, un mystère dont elles détiendraient la dernière clé.
Chacun s’accroche à ce qui lui reste d’illusions et on ne peut empêcher les religions de cultiver ce qui reste après l’ouragan des révélations rationalistes. Combat d’arrière-garde et fantasque, poussant pour se faire voir à des contestations risibles des théories darwiniennes de l’évolution par les créationnistes qui nous ressortent Adam, Eve, la pomme, le péché.
Croire vaut mieux que tout cela, même si l’on ne croit pas. On ne peut jouer avec les mythes et les personnages de nos imaginaires qui ont forgé toute notre culture, et leur redistribuer aujourd’hui des rôles ridicules pour expliquer nos origines. Le cheminement, à travers les facettes des croyances, est semé d’embûches, constitué d’autant de crimes de lèse-majesté, d’offenses, d’outrages, envers ceux qui prendraient au pied de la lettre nos pas hasardeux pour comprendre.
Il y a un vrai besoin de croire.
Croyant, non-croyant, athée, déiste… que de termes autour du verbe croire. Beaucoup de gens comme moi ressentent la nécessité de devoir affirmer, comme une revendication, que l’on ne croit pas. Cela m’ennuie car je n’aime jamais prononcer un « non » - politesse japonaise ! - qui a en effet le don de mettre fin à tout rapport avec l’Autre. Pourtant, si je pense que je ne crois pas, je dois le dire, et il n’y a pas trente six solutions.
Mais au fait, je ne crois pas, quoi ? Plus compliqué à répondre ! Je ne crois pas à… ; à quelque chose…. Parce que ce « à…quelque chose » signifie un déplacement de ma croyance vers un extérieur, vers un inconnu. Alors que je me sens parfaitement à l’aise pour dire « je crois ». N’allez pas plus loin : je crois.
Croire – avant de croire à, ou croire que, ou croire pour – est donc cette première découverte prouvant qu’il y a en nous quelque chose ou quelqu’un, quelle que soit son identité ou son hermaphrodisme, qui dit qu’il veut, qu’il en veut, qu’il est prêt à se battre, qu’il veut exister, se défendre, combattre et convaincre. Ce « je crois », c’est le souffle fort de l’esprit qui, en dehors de toute mécanique respiratoire, cherche autour de lui, a envie de faire ses propres expériences, souhaite partager son effervescence à son entourage ! Ainsi se définit pour moi ce besoin de croire.
Difficile de penser pour les autres, bien que le processus que je viens de démonter soit purement biologique, sans affect personnel. Nous ne pouvons donc supposer que chacun ait un besoin de se sentir exister, de se croire.
Si j’ai pu réussir à mettre à jour cette croyance initiale, avant que ce ne soit en croire à… etc., il faut vite franchir les étapes pour savoir comment ce besoin de croire va être satisfait.
C’est ici que tous les chemins sont possibles et qu’ils divergent pour ne pas aller tous « jusqu’à Rome ». Beaucoup s’en faut pour que les diverses croyances soient œcuméniques vers une Rome ou vers La Mecque.
Ce sont les hommes individuellement qui se sont mis en quête de moyens pour croire. L’explication et la protection contre les phénomènes adverses, contre lesquels on ne savait que faire, ont dû être la première motivation. A chaque phénomène majeur, s’invitait une divinité. Les civilisations polythéistes avaient cet avantage de choix et de concurrence entre des divinités, pour s’attirer les bonnes grâces, tout en ayant un devoir de tolérance puisque leur champ d’intervention miraculeux était limité au domaine de leur compétence, à l’investiture de croyance dont ils avaient été adoubés !
Ce système multi-dieux, panthéiste, ne devait pas posséder que ces avantages mais des défauts majeurs pour que le monothéisme ait pu s’engouffrer rapidement dans ses brèches.
Il est vrai, qu’à y regarder de près, pour le candidat qui veut croire, il est plus simple de souscrire une seule assurance sachant que de toutes façons, il n’y a qu’un seul grand risque : plutôt que de s’en remettre à un dieu pour la guerre, à un autre pour les moissons – sans compter les interférences inévitables de la guerre sur la moisson donnant la possibilité aux dieux de botter en touche à la moindre occasion – laissant ainsi le pauvre croyant à… ses angoisses et ses peurs.
L’unique assureur multirisque était la solution. Pour les Chrétien, Jésus disait qu’il fallait s’aimer les uns les autres parce que lui, il se débrouillerait après avec son Père, avec son Esprit (Saint) quitte à se sacrifier sur une croix. Rien que ça. Avec un vrai respect pour cette grande manœuvre d’enrôlement des foules, je dis chapeau ! Je comprends pourquoi avec cette histoire, bien des gens en rajoutent et y croient à… ; à cette histoire qui leur promet le salut éternel.
La grande erreur : nous persuader qu’il y a un plan.
La dimension « amour » des religions me plait beaucoup car c’est tout de même extraordinaire de dire aux foules « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé » ! La seconde partie est plus discutable lorsqu’on, sait ce qu’on a fait à son auteur : Jésus. Il avait peut-être de bonnes raisons mais le moment était mal choisi. Et d’ailleurs, pour l’histoire, si toutes les religions ou presque professent ce principe d’amour en interne, elles éprouvent immédiatement le besoin de faire le contraire à l’extérieur. Toutes les religions, ou presque, se détestent entre elles jusqu’à de faire la guerre, selon les civilisations. Ne rions pas : les machettes ressemblent souvent à des goupillons brutalement lancés contre ceux qui croient différemment ; enfin pas comme nous.
Exit donc le plan « aimez-vous » pour faire place à un catéchisme plus concret, véritable vadémécum pour nous faire traverser la vie.
Il faut arrêter d’employer des mots imagés faisant croire à un manque de sérieux, alors que nous nous interrogeons le plus sereinement possible sur la véritable nature du plan des religions. Au départ, « aimez-vous », c’était vraiment chouette, consensuel, capable de déplacer des montagnes et, par conséquent, de refaire le monde. Mais après cet aphorisme est devenu : « aimez ceux qui pensent comme vous » sans parler de moins aimer, voire de n’aimer pas du tout ceux qui ne pensent pas comme nous. Apôtres, prophètes, saints autoproclamés, conclaves, fils et beau-frères de prophètes, papauté, tous s’escriment depuis dans de savantes exégèses qui ne sont que des cartes variées d’un château sans consistance. Rien de vrai. Il ne peut y avoir, au commencement, que des brouhahas critiques dont l’objectif consiste à se jeter des anathèmes, d’une croyance à une autre, et même à l’intérieur d’une même croyance – d’un esprit de chapelle – à l’Autre.
Entretemps, les générations se suivent, avec ce même mimétisme dans ce besoin ontologique et pratique de croire. Et malheureusement de croire, croire à… toutes ces contradictions, ces théories qui s’opposent, ces rejets des uns des autres. A croire que pour croire, il faut se battre d’abord auprès des siens, auprès de son propre parti, pour défendre ses arguties devenues des dogmes, des tables de la loi. A croire que pour croire, il faut mourir et faire mourir ; être martyr, se tuer, tuer l’Autre.
Voici le programme. Il n’a pas changé. Les temps ont adouci la forme et les mœurs. Mais le fond, reste un rejet, et ce n’est pas « aimer » !
Ce qu’amènent les croyances.
Un tel engouement à croire, une telle continuité dans le temps, une si forte imbrication de l’homme et de ses croyances, un adossement culturel incontestable aux cultures et aux institutions : c’est le bilan plutôt élogieux des phénomènes de croyances.
Il doit y avoir une raison au-dessus de la raison, puisque ce bilan est un constat de vitalité. Cependant, il n’est pas un état de résultats tangibles, quantitativement et même qualitativement, sur le plan des problèmes résolus, des vies sauvées, des catastrophes évitées.
Ce n’est pas sans doute le but, qui d’ailleurs prévient que « son royaume n’est pas de ce monde mais dans le domaine des cieux » (Le royaume de Dieu). La promesse d’un salut ne concerne pas la vie quotidienne matérielle que nous vivons, mais une autre vie. Donc le but n’est pas la résolution de problèmes terrestres.
Pour autant, c’est sur Terre que les gens ressentent le besoin de croire à cette promesse de salut, parce que l’incertitude de l’existence terrestre casse notre élan et nous donne envie de lâcher prise. Et c’est là que justement la promesse dit : ne lâchez pas prise, j’arrive, demain, ce sera votre tour d’être soulagé de turpitudes.
A partir de ce message global, somme toute crédible, des programmes se déclinent avec une autorité croissante, des sous-programmes et modes d’emploi détaillés de ce que peuvent être nos actes au quotidien.
La promesse d’en haut reste toujours à peu près la même malgré l’évolution des dieux et de leur parole qui doivent sans cesse convaincre.
La cohérence de l’ensemble paraît assez sympathique, elle procure un effet de détente totale, de prise en charge globale, de discours linéaire, du début jusqu’à la fin…sans qu’il soit jamais besoin de passer par une phase de vérification ou de mise en question. Même aujourd’hui où les dogmes et les mystères ont perdu leur pouvoir incisif, il demeure un respect pour la religion, considérée comme une entité absolue, indivisible et incontestable dans son intégrité intérieure.
Une religion se croit, elle ne se vérifie pas. Non pas seulement parce qu’elle n’a pas de preuves, mais surtout parce que si les preuves existaient, les gens n’auraient plus besoin de croire, d’avoir la foi.
Ce n’est pas là une malignité des religions. C’est leur consistance même. Promettre, protéger des peurs, réconforter par la chaleur de la réunion de ceux que l’on rassemble dans ce but. C’est une dynamique de groupe très bien construite, régénérant, comme une dynamo, ses forces à partir d’elle-même puisque elle sait ne rien attendre de ses résultats.
Ce que masquent les croyances.
Le discours bienfaisant des religions a du mal à passer pour quiconque en attend des résultats concrets, des solutions à ses problèmes.
Toutes les tentatives de théâtralisation ne sont que des parades enchanteresses passagères. Grands pèlerinages, endroits miraculeux, lieux saints, grands hommes ou femmes que l’on canonise, ces agissements ne représentent qu’une imagerie collective, des repères illusoires dont chaque croyant se débrouille selon l’importance de sa part de rationnel, d’irrationnel et de foi. Mais l’ensemble n’est pas d’une cohérence indissociable. Il est fourni, à tout un chacun, un arsenal de bondieuseries où il retrouve sa sensibilité et son bien-être dévotionnel. L’essentiel étant que, pour le coup, tous ces chemins divers le ramènent à Rome ou à La Mecque, avec d’autres imageries.
Au-delà, les religions n’arrivent pas à donner une place claire au croyant. Elles semblent toujours le maintenir dans une situation d’attente, de promesse en cours d’exécution. Et cette situation d’instabilité semble encore plus explicite, de nos jours où la religion n’est plus maîtresse absolue de la conduite des affaires terrestres. Les éventuels visionnaires des églises ne peuvent plus être ceux de la société. Sauf lorsque, fendant l’armure, un personnage tel Jean-Paul II, le polonais libérateur du communisme, a pu faire profiter l’Eglise de son aura, de même qu’en sens inverse, la libération sociale et ses conséquences s’en trouvaient bénies.
Ces carrefours-là de l’histoire sont rares, nous n’assistons pas à une revitalisation des sociétés par les religions, quelles que soient les prédictions d’un XXIème siècle qui serait spirituel ou ne serait pas.
Les religions continuent de proférer leur promesse de protection, avec toutefois moins de conviction et par conséquent de moins de résultats. Mais elles restent influentes, « au cas où », et les gens continuent à baptiser, se marier et mourir sous ses lustres.
Cette continuité languissante, pourtant dans une droite ligne d’une laïcité qui n’a su inventé aucun rite de remplacement, permet aux religions de se prévaloir encore d’un rôle à jouer auprès de la société. Elles ne sont pas dupes des réalités mais se contentent d’une vision simpliste et orientée, escomptant toujours le retour de l’histoire, voire de la grande peur, qui ramènerait au bercail le troupeau disséminé. Alors qu’en reprenant sérieusement le message originel « aimez-vous les uns les autres », se présente à elles une nouvelle tâche planétaire exaltante pour rapprocher des milliards d’hommes, s’entendre, se comprendre et échanger, eux qui échangent déjà pour des raisons économiques. Les religions ont les structures et les intelligences pour jouer ce rôle de pasteur qu’ils prétendent d’ailleurs si souvent d’être.
Croire en soi, c’est constater et s’améliorer.
C’est un peu par gentillesse, par sens du consensus et pour recycler les forces vives que je m’acharne à trouver des solutions pour l’avenir des religions. Devrait-on être plus drastique et désormais, matérialisme et rationalisme, et jeter sans regret le bébé avec l’eau du bain ? Adieu les croyances, adieu les religions jetées toutes à mettre dans la corbeille de l’histoire des promesses non tenues !
Cela créerait un vide, incontestablement. Les concitoyens certes grands consommateurs se contenteraient-ils uniquement de remplir leur caddie pour se faire la vie belle ? Ce n’est pas de la peur mais c’est le sens du risque qui pousse à réfléchir avant de décider.
Il faut cependant distinguer la pratique de croire matérialisée dans les rites des religions, représentant un éternel désir d’être soutenu dans sa vie terrestre.
Le passage du « croire à… » – grâce à une religion – au « croire en rien » ne peut tout d’abord être forcé à personne. Et quand bien même les religions seraient défaites, il resterait encore un besoin de croire. L’évolution est en cours, sans même que nous puissions en souhaiter la tendance, parce que c’est ce bâton de croyance sur lequel chacun s’appuie dont il est question. Nous ne pouvons pas concourir à enlever les béquilles qui soutiennent des gens. Nous pouvons leur montrer d’autres soutiens, moins contraignants, leur permettant d’envisager de marcher davantage comme ils le veulent. Nous pouvons les initier à une démarche plus altière et souple dans laquelle le poids de leur misère s’allègera.
Dans un évangile, Jésus dit à Lazare qui est mort : « lève-toi et marche ! » Formidable ! J’aimerais pouvoir intimer cet ordre miraculeux à tous les gens qui souffrent afin que leurs malheurs se décollent à jamais de leur destinée. C’est avec beaucoup de respect que je me remémore ce fait glorieux car dans cette imagerie fantasque, il y a comme un refus de la fatalité, une lutte de la volonté contre l’inertie. Le rationalisme ne nous raconte pas de belles histoires comme cela ! Maintenant, quand le courant est coupé, la lumière n’est plus. Point barre, comme on dit pour mettre fin à toute tentative romantique. Il faudrait inventer beaucoup de miracles (si tant est qu’ils aient marché un jour) pour ressusciter toutes nos espérances agonies ou amorphes. Aucun de nous n’aime intrinsèquement cette situation, ni ne se complait réellement dans sa situation.
Le ressort est en chacun de nous pour son besoin de croire mais pas forcément croire à... De croire qu’il peut s’en sortir. De croire pour lui. De croire en lui pour que surgisse sa foi en lui, qu’il a les meilleures chances de trouver…en Lui. Le miracle – au sens d’inattendu – est en nous, parce que quel que soit le pire de notre état, nous posséderons toujours une réserve de colère, d’insatisfaction, de rêve non assouvi, qui pourra ouvrir une nouvelle voie pour nous.
Nous seuls pouvons parler de cette intime quête. Et je ne dis pas cela pour chasser de nos cœurs les religions-béquilles qui nous encombrent. Mais parce que nous seuls connaissons les arcanes de nos fonctionnements et de nos sensibilités.
Ce « haut les cœurs » de nous-mêmes concerne tous les esprits qui réfléchissent. Envisager de voir en soi est un acte humain tout simple. L’esprit n’a pas de classe sociale ni intellectuelle, or nous avons tous un esprit dont nous pouvons nous préoccuper nous-mêmes.
11. S’en sortir matériellement
N
ous sommes faits d’esprit et de chair qui ne peuvent pas raisonner tant qu’ils ne sont pas sustentés dans leurs besoins élémentaires. Ventre affamé n’a pas d’oreilles, ni aucun appendice pour percevoir la vie.
Le côté trivial, voire bestial, de ce constat, n’est pas du goût des intellectuels qui aiment ressasser les seuls charmes de l’esprit, comme si le matérialisme et le corporel étaient de vils accompagnants sur lesquels nous ne pourrions que baisser les yeux, par pudeur ou par hypocrisie.
L’origine de cette séparation du corps et de l’esprit est malheureusement à rechercher du côté des idéologies, une nouvelle fois, bien que ce ne soit pas une obsession de ma part. Pour la raison bien simples que, n’ayant aucune solution concrète pour le corps, les idéologies se sont octroyé le domaine de l’esprit, territoire empirique de la seule parole aux résultats invérifiables.
L’esprit ne serait pas responsable du corps. Or c’est avec le corps que nous vivons au quotidien, renvoyant quand même à l’esprit ses joies et ses peines. Le corps ne peut donc pas attendre et doit trouver, ici et maintenant, les formes matérielles de son entretien et de son évolution !
Sans respirations matérielles, la survie et même la vie sont difficiles.
Notre vie est une question physique, si on veut bien englober dans cette notion qu’il y a en nous du structurel en même temps que du logiciel et de l’intelligence. Et ceci avant même que nous n’abordions les espaces de l’esprit et de la spiritualité.
Notre tuyauterie n’est pas une somme de tubulures qui seraient parfaitement calibrées et agencées pour s’emboîter dans une superbe synchronisation, avec un sens extraordinaire de la mesure. Tout notre corps fonctionne avec « esprit » : aucun organe n’est un robot autonome par rapport à l’Autre : il est ouvrier d’un chantier qui effectue sa tâche d’une manière experte et ingénieuse. Ce n’est pas un travail à la chaîne, même si les tâches se suivent. On ne voit jamais de bouchon ou d’étranglement parce que l’un ferait trop vite par rapport à un autre qui n’arriverait pas à suivre.
Cette intelligence mécanique interne a de quoi surprendre les analyses qui déduisent qu’il suffit de nourrir un organisme pour le maintenir en vie. Ce ne peut être qu’un gavage purement quantitatif ! Il faut de la quantité et de la qualité d’application.
La différence que nous pouvons faire entre ces machines, qu’il suffit d’huiler et d’alimenter en énergie, et notre organisme, qu’il faut nourrir et fluidifier, est essentielle pour comprendre l’homme. Cette différence est tout aussi essentielle pour se comprendre et comprendre ce qui nous fait tenir debout.
Nous faisons une erreur de croire que nous serions sauvés parce que le matériel est là. Nous sommes nourris mais le noyau digestif ne saurait pas où se diriger si nous ne lui donnions pas ne serait-ce que le début d’un désir !
Il n’en reste pas moins vrai que le premier acte minimal d’une vie matérielle est de boire, manger, dormir.
Il est théoriquement dans les obligations de nos sociétés de pourvoir à ce que ce minimum soit à la disposition de tous. Je me réjouis de pouvoir croiser quiconque dans la rue en me disant que, quelle que soit son état, notre société subvient à son besoin de boire-manger-dormir !
Insuffisant, on l’a vu, pour insuffler l’envie de vivre autrement. Mais il est du domaine de chacun, y compris de ceux qui reçoivent temporairement de l’aide, de déterminer la vie qu’ils veulent avoir, à partir de l’entretien corporel qu’ils effectuent pour eux-mêmes.
Se fixer un niveau matériel minimum.
La vie sociale, matérialiste et économique à souhait, ne cesse de dresser artificiellement des piédestaux, des standards de vie, des critères de bien-être qui se veulent être des plateformes à partir desquels nous évoluerions forcément. Il doit y avoir du vrai pour que nous nous reconnaissions parfois dans un stéréotype qui nous fait plaisir parce qu’il est flatteur.
A côté de ces plateformes sociétales, nous avons la nécessité primordiale de savoir ce que nous voulons être, de ce que nous pouvons devenir dans la vie. Il nous faut être un chercheur au-delà de l’actualité, même si c’est la nôtre, et nous demander sereinement : avec ce qui me définit, avec mes moyens et mes aspirations, comment puis-je réellement vivre sur ce plan matériel qui conditionne le reste de mon épanouissement ? Vivre avec ses moyens, si vous voulez : à condition de donner au mot « moyens » une connotation un peu plus large que celle de l’argent qui n’est lui-même que la résultante d’une démarche volontariste ou subie.
Le niveau matériel minimum auquel nous réfléchissons doit être ce minimum qui ne doit pas nous surprendre s’il se réduit au risque de casser nos projets. Fort de ce niveau, nous pouvons voir notre vie à court et à moyen terme, considérant que nos devoirs sont assumés pour nous-mêmes et pour les nôtres. Il ne pourra pas nous être reproché de lâcher la proie pour l’ombre ou que je ne sais quelle autre inversion de priorité.
A partir de ce contrat de base, même s’il peut manquer de panache, de brio, ou de belles surprises, on peut considérer que notre respiration est assurée, que nos fenêtres sont ouvertes, que le présent peut circuler et que l’avenir peut nous laisser entrevoir des possibilités.
Cependant, il peut être reproché cette approche « minimaliste ». Ce minimalisme ne peut être une fin en soi puisque il n’y a pas d’espace de vie supplémentaire. Mais nous sommes dans une appréciation corporelle et matérielle de la survie ou du maintien en vie. Il ne s’agit pas ici d’imposer cette ascèse à l’esprit, à l’ambition, au dynamisme. Nous sommes au niveau de ce dont le corps a besoin au minimum pour fonctionner, afin que l’esprit nourri par le corps soit dans cet état d’éveil et puisse décider de lui-même, sans aucune restriction d’un organisme qui en diminuerait les capacités d’intelligence.
Ce matériel minimum est principalement de l’ordre de l’alimentaire physique. Mais notre réflexion inclut aussi tout le matériel courant, dans une société donnée c'est-à-dire celle qu’à l’instant nous vivons, dont nous-mêmes et les nôtres avons besoin pour vivre et évoluer, sans qu’il soit question d’addictions sociales.
Dans la vie matérielle, le réalisme commande. Il n’y a pas de miracles mais il n’y a pas plus de fatalités car nous avons toujours la possibilité de fixer nos critères de nécessité qui doivent se confondre avec nos critères de dignité.
Fierté de soi quel que soit le niveau de vie.
Nous ne pouvons pas nous détacher complètement de la vie sociale. Mission impossible tant ses mécanismes, quelles que soient leur vanité, nous séduisent ou du moins nous caressent et nous sécurisent parfois. Nous avons un terrible besoin de sentir un rattachement à un groupe, à un comportement, à un métier, à une croyance, à un niveau de vie. L’accession à un standing de vie est un combat avec la société et surtout avec soi-même. Dans des compétences nécessaires, il y a en effet du courage à gravir des marches, quelle que soit l’illusion de ce que pour finir on y découvre. Le travail est en soi l’expérience et la récompense que l’on garde toujours. Aussi, gloire au travail !
Ce que l’on découvre au sommet de sa pyramide n’est pas pour autant à la hauteur de ce que l’on en imaginait vu d’en bas, à la hauteur de l’effort incommensurable que l’on a mis pour y accéder mais qui se révèle être une désillusion.
La méfiance, ou plutôt la prudence, est donc de mise pour que les étiquettes sociales ne nous abusent pas. Pour que l’effort accompli et réussi, dans ces échelons sociaux qui nous ont servi d’auto-référencement, consolide réellement nos fondations et notre construction en cours de nous-mêmes !
J’insiste expressément sur ce référencement social dont je sais la fragilité et la virtualité, mais je trouve que, dans cette matérialité, dont on ne doit en attendre rien d’autre que des moyens d’être, il y une échelle à notre disposition susceptible de nous faire accomplir des efforts, et de nous récompenser. Car je crains en revanche l’effort sur soi-même évidé de buts visibles, qui se lance sans balise de référence, sans halte de gratification, sans point de comparaison ; avec le but grandiose mais abstrait d’arriver à une plénitude de soi sans être un égoïsme puisque nous vivons en société avec les joies et les contraintes de faire vivre les nôtres !
Ce n’est pas un manque d’ambition que d’exposer notre fierté de nous-mêmes dans un champ qui n’ignore pas le matériel. D’abord parce qu’en tant qu’animal social, nous avons des comptes à rendre à la société, et ensuite parce qu’en tant qu’être humain pragmatique, nous avons besoin de nous appuyer sur des rebords matériels pour nous situer et nous reposer en parcours sur ce chemin.
Il n’est point besoin de se fixer un niveau de vie matérielle important qui nous déséquilibrerait trop à l’avance. Il nous faut envisager notre ambition humaine sur une base souple mais suffisamment confortable et large, permettant de ne pas manquer ni de faire manquer du minimum, en même temps qu’elle permet la marche du travail, l’ouverture d’esprit, la saisie des opportunités, le tout dans un équilibre que nous gérons, nous transmettant ainsi la fierté de tenir les manettes de notre vie, quelle que soit la taille de nos entreprises.
Prêt pour les jours meilleurs.
L’important est d’être, de se maintenir, de ne pas chuter. Les phénomènes de durée intriguent car il est réellement prouvé que donner du temps au temps arrange le temps que nous traversons.
C’est un peu mélancolique, voire déculpabilisant, de donner de l’importance au temps comme s’il avait le pouvoir et le devoir d’agir à notre place, pour palier notre couardise ou notre incompétence.
Travailler et marcher droit devant nous installe dans une situation verticale où les risques de chute sont moindres. L’adversité devrait venir nous provoquer ici, dans nos efforts, de manière particulièrement maligne et sournoise.
Les jours meilleurs ne dépendent pas de nous mais de leur soudaineté dans notre horizon, nous obligeant à être toujours prêts car après, nous n’aurons plus de prise, tout comme trop tôt, où notre emprise serait inutile puisque l’opportunité ne se serait pas encore présentée.
La préparation aux jours meilleurs est similaire à une logistique militaire qui prépare ses armes de manière aussi bien défensive qu’agressive ou passive.
Les moyens matériels, bien sûr, pour que le corps ne crie pas famine en pleine bataille, que notre santé soit bonne, que notre habitat en même temps que notre mobilité soient prêts, que nos moyens financiers ne soient pas exsangues, etc. Enfin, tous les petits éléments de notre vie dont on peut affirmer qu’ils sont enfin résolus et qui nous libèrent de nos premiers soucis matériels.
Fin prêts, matériellement, il nous faut aiguiser alors notre appétence psychologique pour laisser monter en nous la sève de l’envie. C’est tout un ensemble de processus auquel il faut se préparer, et véritablement se mettre en appétit. S’ouvrir vers l’extérieur n’est pas une évidence si l’on ne pratique pas l’exercice couramment. Certains ne voient rien autour d’eux. Ce n’est pas un crime, sauf s’ils convoitent de gravir des échelons communs à d’autres.
S’habituer à l’exercice, en le pratiquant dans des évolutions fussent-elles modestes, procure le réconfort de la réussite, de voir que l’on y arrive ; même si les buts sont modestes, l’exercice de les atteindre est en soi notre plus belle victoire du jour. Nous avons un besoin vital de nous faire plaisir avec des résultats. Nous ne pouvons pas rester dans l’abstraction du très beau que nous n’entreprendrions jamais d’atteindre.
Petit à petit, notre gymnastique physique et intellectuelle prend du corps pour affronter l’éventuel grand jour…celui du jour meilleur.
Gestion de l’instant.
Toutes les phases de notre vie pourraient se résumer à une nécessité absolue d’être bien dans notre peau, à chaque instant.
La peau se charge de son bien-être, de son renouvellement, de ces cicatrisations. Nous pouvons lui faire confiance pour protéger notre bien le plus précieux : notre intérieur. La sérénité n’est pas un voile blanc qui nous enveloppe par magie sans que nous le voulions. Elle s’acquiert par le continuel maintien en forme de moyens, et par l’excitation motivante exercée sur nos désirs. Il faut rompre avec cette légende de sérénité apathique ou d’épicurisme qui n’est qu’attentisme. La paix du corps et de l’esprit est une veille active pour que la circulation des flux ne s’arrête jamais en nous, pour que des signes clairs de notre présence et de notre acquiescement à participer à l’action, si elle se présente, soient envoyés à l’extérieur.
Peut-on parler de sérénité active sans créer un contresens ? En tous cas, une activité sereine signifie bien les mouvements réfléchis et mesurés que nous visons, en les situant dans un espace-temps infini et intemporel.
A la différence des activités en société qui ont un but, un lieu, une mesure, une fin en soi, l’activité humaine me semble devoir être un inépuisable défilé de nos présences bien éveillées au monde extérieur.
Il ne s’agit pas que nous adoptions une présence de veilleur physiquement aux aguets jour et nuit, mais d’une attitude intellectuelle d’ouverture constante qui aime prendre le pouls de son entourage parce qu’il y va de notre propre équilibre et de notre bonne progression.
La systématisation de vivre l’instant est ici volontairement caricaturé pour démontrer l’attitude antagoniste qui consiste à vivre en indifférence avec l’instant ; une distance hautaine augurant que nous puissions faire des événements ce que nous en voulons. Pouvoir des uns, peut-être, mais risque de se rater souvent pour la plupart d’entre nous, certainement. Or la bonne posture avec l’instant demande à ce que nous vivions pleinement nos propres rendez-vous en accord avec notre évolution.
Nous devons prendre de la vie ce qu’elle nous donne, à condition que nous soyons présents toujours au bon moment et au bon endroit, pour cueillir la semence et les fruits que nous ferons pousser en nous.
12. Etre fier de soi
C
omment décrire ce sentiment qui vous fait ressentir la grande joie de ce que vous avez vous-même construit ? C’est être fier de soi, je crois, ou quelque chose comme cela. Car j’éprouve quelque embarras à parler de cette notion de fierté qui se retourne vers soi comme si nous nous tressions une couronne de lauriers.
Fier, un mot qui se retourne trop souvent vers soi.
Etre fier d’un résultat reste acceptable parce que sa limite à un fait précis circonscrit nos sentiments égocentriques. Tandis qu’être fier de soi relève, pour les détracteurs de cette idée de fierté, un accaparement définitif autour de l’ego qui nous placerait dans un état de péché par vanité inacceptable, associable, incompatible avec une vie sociétale prônant l’égalité des comportements.
Nous sommes bien au cœur de ce défaut congénital de la matrice démocratique et égalitaire. A partir des meilleurs idéaux qui veulent que nous naissions égaux en droit, la société organise tout au long de vie des remises à égalité. Il est d’usage que les différents accès à notre vie collective soient ouverts aussi de manière exactement équivalente à tous. Pour autant, les particularités de notre naissance ne peuvent être redressées, rabotées, tutorisées tout au long de notre vie pour que se réalise un modèle égalitaire dans la société alors que la nature ne l’a pas préparé ainsi. D’ailleurs, il faudrait remonter un peu plus haut et dénoncer, à mon avis, ces critères d’égalité qui placent arbitrairement tel trait, tel caractéristique de notre corps et de notre esprit comme étant celui à atteindre.
Le résultat global est que l’on n’arrive pas à une véritable égalité mais que nous laissons se développer des comparaisons de qui est plus ou moins près de ce niveau moyen égalitaire décrété. Je trouve cela inutile parce que cela ne résout rien à la nature profonde des individus, pas plus que cela ne présage rien de leur conduite apporteuse ou destructive de valeurs.
Le fait de nous sentir « plus » différent que l’égal de l’Autre, quelles qu’en soient les raisons, ne devrait pas pour autant nous faire affronter le jugement soupçonneux de nos contemporains. Cette définition de la fierté de soi correspond non pas à une sacralisation esthétique que nous ferions de nous-mêmes, mais à une édification patiente de nos ressources, des moyens que nous donne la société, de la dynamique bonne humeur que nous y insufflons.
Nous devenons l’heureux propriétaire d’un nouveau champ d’action élargi dont nous sommes heureux qu’il soit le nôtre. Fier et heureux de soi, et que cela nous appartienne !
La critique sociale égalitariste ne comprend pas que cette fierté de soi n’est pas un bien tangible, une somme d’argent ou quoique ce soit de matériel dont l’origine de propriété pourrait nous être contestée. La fierté de soi est une médaille de l’ordre des sentiments qui honore celui qui la porte parce qu’elle correspond à un parcours valeureux, au bout duquel le résultat est atteint avec brio. La difficulté du parcours est diversement appréciée par ceux qui dénigrent ou qui encensent l’effort. Mais quand bien même serions-nous seul juge de nos difficultés et de nos défis, il est de notre seule prérogative de nous féliciter ou de dénigrer notre propre résultat. La fierté de soi que nous nous attribuons n’a rien de choquant si elle nous réconforte au terme d’une démarche victorieuse que nous avons effectuée avec honnêteté et sincérité.
Bien qu’il n’existe pas de sens précisément contraire à la notion de fierté de soi, ce que l’on pourrait décrire comme le dénigrement de soi se constate souvent chez nos contemporains. Il ne m’apporte rien dans le regard que j’ai sur eux, et je ne vois pas le bénéfice que cette auto-flagellation peut leur apporter.
Un résultat dont on est heureux.
La joie de soi est une idée qui conviendra sans doute mieux pour ne pas être continuellement exposer au procès d’égocentrisme. Joie de soi à condition de bien cerner la joie comme une exubérance entretenue par le feu d’un véritable travail sur soi, avec soi.
Notre vie est un buisson ardent qui ne peut le rester que si nous en réalimentions toujours le brasier. Les flammes, chez nous, s’appellent joie et fierté de fonctionner, de continuer une combustion dépassant notre humble personne pour embraser une vaste zone d’activités.
Il nous est demandé d’agir dans la société. La destination de nos actes est compliquée à déterminer. Nous sommes responsables de nos actes mais leurs conséquences se perdent dans un dédale incontrôlable !
Par contre, l’acte juste, accompagné jusqu’à ce qu’il nous échappe dans un volontarisme qu’il soit correct au cours de toutes ses étapes et envers tous ceux qu’il rencontrera, cet acte-là, nous pouvons en être fier, en ressentir de la joie, en être heureux.
Il est difficile d’évoquer le fait d’être heureux dans une société qui aime au contraire se protéger de l’exubérance de ses joies de vivre, comme si la neutralité du monotone serait plus consensuelle. L’origine, à mon avis, remonte à une forme de culpabilisation inculquée par l’idéologie judéo-chrétienne depuis la nuit des temps, avec ces décors forcés de vallées de souffrances et de larmes où nous devons travailler à la sueur de notre front. Je n’ignore pas les vallées de difficultés ni la dureté du labeur mais ce sont des conditions de parcours de notre vie qui n’ont pas valeur de prison définitive, exigeant en plus notre soumission !
Le consensus n’est pas prêt de changer, malgré la faillite des idéologies, puisqu’il a induit toute l’organisation sociale de notre vie. N’attendons donc rien du global et du haut, pour voir, au contraire, ce qu’à l’échelon de notre vie personnelle, au quotidien, dans les actes, dans nos démarches les plus simples, les plus immédiatement accessibles, nous pouvons faire pour nous congratuler de nos bons résultats, de la joie et de la fierté de les avoir fait qu’ils nous font ressentir.
Un apport constructif à la société.
Nos actes ont d’abord agi concrètement et positivement dans le tissu vivant de la société qui s’en trouve désormais changé, bonifié. Nous ne devons jamais craindre d’en rajouter. La vie a une capacité d’accueil illimitée pour nos initiatives. Même le début du début d’une simple envie d’agir ne doit pas rester au rayon des rêves chimériques. En y mettant l’analyse et les moyens minimums appropriés pour qu’elle puisse décoller, une envie a de l’avenir ; avec en plus une effervescence agréable propre à tout projet, qui ne peut être encore une joie ou une fierté.
Dans notre esprit de découverte et d’envie d’entreprendre, nous avons une véritable réserve de joies et de fiertés à venir. Cette contribution n’a rien d’utopique que nous ne pourrions vérifier : nous avons une idée, nous la lançons de manière pratique et il se passe obligatoirement quelque chose dans la société qui se modifie en conséquence. Il faut posséder bien sûr, pour suivre ce mécanisme de cause à effet, une infinie acuité des perspectives de développements généraux. Il faut aussi, encore une fois, oser se regarder soi-même puisqu’il s’agit de pister le parcours individuel de nos actes. Mais le jeu en vaut la peine en ce qu’il nous rassure, nous oblige à être concret, à voir où nous nous égarons, à susciter les remises en cause qui s’imposent, fussent-elles déplaisantes.
Alors, au contraire de ce qui est décrit à tort comme une vanité de nos actes, notre suivi attentif, scrupuleux et responsable de nos actes, est une volonté de les voir aboutir favorablement, pour le plus grand bien de la société.
Il faut beaucoup de patience, voire de sagesse, pour élever le constat et le regarder tel que je le décris. C’est vrai : globalement, le monde ressemble plus, quand on le regarde haut, à un bouillonnement d’actes individuels de survie et de conquête.
Mais la vue d’en haut ne peut nous ramener à une réalité individuelle, laquelle est la seule qui nous intéresse, et sur laquelle nous ayons prise.
Le sort global du monde m’est rapporté avec des moyens grossiers et parcellaires qui ne me garantissent absolument pas la vérité des événements et qui, par contre, va me donner individuellement un éclairage en partie faux mais sur lequel je vais pourtant bâtir ma vie. Difficile de faire autrement ; il faut bien s’en remettre à une source même si celle-ci est en partie erronée !
Oui mais en parallèle de la vue globale, on peut se constituer une sphère plus petite, restreinte à notre champ d’activités, où nous agissons dans un contexte simple avec des actes justes dont nous suivons, du désir à la réalisation, les bénéfices de leurs impacts dans la société et les retours gratifiants pour nous-mêmes !
L’histoire se construit de fiertés.
Les hommes bâtissent entre eux des réalisations dont on se demande après coup ce qui les a poussés. Peu importe, mais la variété des attitudes y est belle comme un bouquet où l’ensemble est merveilleux, alors que chaque tige est bien particulière.
L’histoire retient les grands hommes parce qu’il est plus facile de retenir un nom, de tracer une vie, de décrire une psychologie de comportements bien particulière. Avec d’ailleurs un glissement vers la facilité pour mettre en valeur les tempéraments de leaders, de chefs, de grands bâtisseurs, de prophètes : l’Histoire ne nous fait retenir que le Grands.
Qui est grand ? Le grand tout seul, où serait-il dans nos mémoires ? Sans son époque porteuse de ses ambitions, sans son peuple dévoué ; sans même surtout la forme élogieuse de nos regards qui nous fait préférer voir le grand !
C’est certainement banal de relever cette disparité de traitement visuel que fait l’Histoire pour un homme grand en particulier écrasant une multitude d’hommes petits dans la masse. Nous ne pouvons demander à l’histoire de compiler les vies individuelles de chacun. Enfin, de toutes façons, ces temps des grands et de petits hommes sont révolus, sédimentée pour le meilleur dans le sol physique et intellectuel qui nous porte.
Le présent compte seulement en matière d’actes dont nous savons qu’ils s’inscrivent tous, que leurs auteurs deviennent Grand ou Petit au regard de la future histoire.
Dans ce présent – le seul qui nous préoccupe vis-à-vis de nous-mêmes –, nos actes sont les plus grands puisque ce sont les seuls que nous puissions faire. Nous ne pouvons pas oublier notre peau et agir comme si nous étions un Autre. C’est notre acte qui compte et qui dans son contexte, le nôtre, sera le plus grand. Et c’est celui-là même qui creuse son sillon dans le cours de l’histoire.
Si d’une manière imaginaire nous pouvions revoir par strates successives la composition rocheuse au sens des pierres humaines qui s’y sont sédimentées, nous y verrions je crois en coupes très fines une multitude d’actes individuels, prenant une place infiniment plus importante que l’aura maximale du personnage historique.
Nous sommes l’histoire ; histoire en marche pour ce qui nous concerne, avec une ardente fierté de nous-mêmes, qui n’est pas un leadership d’entraînement de ses contemporains ou de domination mais qui est un travail contributif à notre vie, pour le présent c’est sûr, et sans doute pour le futur.
13. Ne rien attendre des autres
D
ans la vie, on naît seul, on meurt seul ; entretemps, on fait des rencontres. Ce commentaire lapidaire (ou cynique) résume pour moi notre parcours terrestre. Le mot « seul », caractérisant la solitude de notre démarche, n’est pas une tristesse mais un constat clairvoyant : la vie ne me doit rien et ne m’apporte rien de purement personnel. Par contre, cette vie ne va cesser de me tendre des paysages, des opportunités, des possibilités de rencontres ; en même temps que des écueils et des risques. C’est un lot commun qui se présente à tout le monde mais que chacun va percevoir selon les caractéristiques de sa personnalité innée, au départ, puis par sa formation acquise au fur et à mesure de son évolution.
Les événements de la vie sont dans ma vision tout ce qui nous arrive de l’extérieur, faits, informations, personnes, attitudes individuelles ou collectives : tout ce que nous sommes capable de ressentir physiquement, psychiquement constitue la vie.
Un effet mécanique nous entraîne automatiquement dans la vie de façon à ce que, quels que soient notre éveil et nos désirs, la vie nous prend obligatoirement en passager d’un parcours biologique qui n’est pas exactement le nôtre, sauf que nous sommes dedans. Nous naissons seul, nous voyageons dans la vie, nous mourrons seul, mais entretemps, nous pouvons faire des rencontres, c'est-à-dire rencontrer l’Autre.
La rencontre est une simultanéité passagère, ou plus longue, de deux faits ou de deux personnes ; ce peut-être un partage, une joie ou une peine vécue ensemble, ou un succès, ou un échec. Ou l’édification d’un foyer, d’un projet ; la création d’un nouvel être ou d’une entreprise.
A l’origine de la rencontre, il y a toujours deux – ou plusieurs – éléments différents qui resteront fondamentalement différents, quelle que soit l’intensité de la fusion de leur rencontre.
L’individu reste Un, indivisible, inamovible, dans une solitude qui n’est pas une pauvreté mais une plénitude !
Le goût des autres.
Le penchant pour les autres est comme une loi de la pesanteur dont nous ne pouvons pas nous affranchir. L’homme est animal social.
Je ne sais s’il existe des études scientifiques concluantes pour expliquer le montage qui est en nous, et qui prouvent que nous possédons ce besoin de l’Autre. En y réfléchissant tout seul, je crois qu’il y a au moins des origines du fait que nous provenions d’une autre : notre mère, dont on sait qu’il lui a fallu la semence d’un autre : notre père. Même si ensuite le cordon est coupé, physiquement puis symboliquement au cours de différentes étapes de notre évolution, il s’y substitue petit à petit des structures sociétales, avec des personnages phares (comme notre première maîtresse d’école), nous mettant en scène dans la société. Dans toute civilisation, quel que soit l’état de richesse ou de pauvreté, de violence ou d’apaisement, un groupe d’hommes et de femmes prend place autour de nous. C’est une forme de continuité « cocounante » de notre état de fœtus à l’intérieur du ventre chaud de notre mère. A décharge de cette chaleur, les coups durs de la vie, lorsque la société nous fera du mal, nous feront ressentir un très grand froid.
Il semble donc impossible d’envisager une existence que l’on couperait à la naissance de ce goût des autres. Cela fait partie des matrices originelles de notre fonctionnement que l’on peut étudier et améliorer mais dont il ne faut pas décider de s’en passer, sous prétexte qu’une évolution des sciences et des moyens pourrait la remplacer. C’est une question d’éthique de soi même que de s’interdire – au risque d’enfreindre notre liberté – des changements substantiels de notre fonctionnement, tant que toutes les conséquences possibles aient prouvé qu’il n’y avait aucun danger, au bout d’une véritable période d’expériences sérieuses. Et quand bien même le changement serait envisageable sans risque, la pertinence de la volonté de changer – pourquoi changer ? – se pose en tant que qualité, et se place dans la chaîne humaine pour en modifier la substance.
D’autant que, en revenant à ce goût des autres, la proximité des autres a ses inconvénients et ses avantages. Notre attitude y est ambiguë parce qu’elle varie selon nos humeurs ou nos intérêts. Les autres peuvent être notre enfer ou notre paradis ; en même temps parfois ; alternativement souvent.
Enfer et paradis sont des vases clos dans lesquels l’individu, là ou ailleurs, ne doit jamais se laisser enfermer. Clairement, l’Autre devient un démon lorsque nous le laissons exercer sur nous une influence qui devient insupportable, de même qu’à l’inverse l’Autre devient un ange lorsque ses doucereuses mélodies nous enchantent au-delà souvent de ce que nous mériterions réellement d’entendre. Dans les deux cas, nous nous sommes laissés enfermer, piéger, par l’environnement des autres qui peut devenir un « dé-goût » de l’Autre.
Dans l’emprise des autres sur nous, il est très difficile de saisir le point de rupture où nous ne sommes plus complètement nous-mêmes mais déjà dans la dépendance de l’Autre. C’est pourtant à ce point précis que s’articulent notre vie et la vie de l’Autre. Cette articulation permet à chacun de marcher ensemble sans qu’aucun des membres respectifs de la rencontre ne s’essouffle et n’ait l’impression de devoir suivre l’Autre à tous prix !
L’Autre qui veut devenir Nous.
L’ami – ou l’Autre – qui vous veut du bien est une expression et des attitudes courantes que l’on ne peut repousser. Pourtant, à mes yeux, le « bien » voulu par l’Autre est suspect. Le bien est déjà un résultat. Qui plus est, un résultat qui ne peut que m’être personnel car ce qui me fait du bien à moi est tout à fait différent de ce qui fait du bien à ma femme, à mes enfants ; pour ne parler que de personnes proches, alors que dire pour une personne éloignée pour qui l’on voudrait son « bien ». Ce n’est pas du décorticage excessif que d’analyser ce qui constitue une grand part de l’activité humaine consistant justement à s’occuper des autres et sans doute de leur vouloir du bien.
Pourtant, je ne veux pas couper l’herbe de la propension des autres de penser à moi. Pourraient-ils, par exemple, m’envisager bien en amont dans une description large de ma vie, de ce que j’aime, de ce que je n’aime pas, de ce dont je suis capable de réaliser, de mes aspirations, de mes craintes mais aussi de mes enthousiasmes. Vu de plus haut, la vision que je leur donne est une atmosphère générale dont la première difficulté, comme un souci à résoudre, ne serait qu’un épisode. L’Autre, pensant à moi de cette façon, peut avoir l’idée de me donner un conseil qui, dans ce cas, devient un éclairage sur mon Moi tout entier, afin de m’aider à y voir clair et à trouver en moi la solution et l’outil le mieux adapté au problème spécifique que je dois résoudre.
Alors que, très souvent, lorsque vous êtes dans le besoin – financier, affectif, santé, etc. - les gens viennent à vous avec la solution, leur solution, qu’ils vous plaquent sans méchanceté mais aussi sans nuancer qui vous êtes.
Leur bonne volonté indiscutable ne nous oblige en rien à ne pas les contredire. Ils sont donneurs ; nous sommes les receveurs. Le donneur, s’il nous aime, a une obligation de moyens pour respecter notre personne. La compétence de ses conseils ne peut nous être injectée de force sous prétexte d’une efficacité accrue.
Il n’y a aucun scrupule à demander de l’aide ou le conseil d’autrui, au sens justement d’une sollicitation concrète, dont son éclairage illuminerait les zones d’ombres de nous-mêmes que nous n’arrivons pas à atteindre, ou mettrait en valeur ce que nous ignorions et délaissions.
Mais l’éclairage n’est pas la main qui agit en nos lieux et place. Quiconque, allant trop loin dans ce qu’il présente, comme sa mansuétude pour faire les choses à notre place, doit immédiatement susciter notre ressaisissement, notre autodéfense pour ne pas nous laisser envahir. Il n’y a pas de demi-mesure en la matière. Si nous nous laissons déborder par l’Autre, nous ne sommes plus nous-mêmes, entraînant de facto l’appropriation du résultat, qui nous était destiné, par l’Autre. Or il se peut que nous nous habituions à cette dépendance. Nous devenons sous perfusion de l’Autre qui peut à tout moment, par humeur ou par nécessité, nous couper son assistance et nous laisser dans un état où nous avons perdu toute volonté personnelle.
La nécessité sociale.
La société est un groupe composé des autres, organisés pour me tenir en laisse dans un environnement qui m’est extérieur. Les formes de cet accompagnement sont étranges : tantôt délicieusement affectives, tantôt furieusement coercitives, voire liberticides. Etrangeté d’autant plus étonnante que la société n’est pas une loi de la nature mais une création humaine… depuis sans doute que l’homme a rencontré sa première compagne, a formé un couple devenant socialement un groupe possédant un comportement commun en certaines occasions, et donc des règles de vie en groupe, en société !
Au contraire des lois de la nature que nous ne pouvons pas transgresser, cet aspect de création humaine est un élément encourageant car il nous rappelle, et nous ordonne même, à remettre en cause le bienfondé et les bonnes applications de toutes nos règles de vie en société. Nous ne pouvons en ignorer la nécessité comme condition originelle pour vivre ensemble, mais ni les règles précédentes ni les règles présentes ne sont un absolu. La règle est le point d’accord, à un moment donné pour un exercice donné, que nous voulons librement pratiquer ensemble. Ce rappel des données, dans leur théorie abstraite je le conçois, doit nous interpeller pour que les règles de vie en société encadrent nos actes mais ne valent pas la philosophie et la réflexion que nous devons en avoir.
A mon avis, des règles de vie qui ne bougent pas sont un signe que la pensée est bloquée. Non pas que le mouvement et le changement seraient en soi une nécessité. Mais les preuves de modifications de notre environnement abondent pour démontrer que les contextes de nos réflexions ne cessent d’évoluer. Et à nouvelles conditions, il doit y avoir nouvelles règles de vie. On voit à ce sujet combien les idéologies qui se fixent sur des détails d’un moment de leur histoire sont mal à l’aise dans le temps qu’ils partagent forcément avec d’autres plus évolutionnistes, créant ainsi des clivages civilisationnels et artificiels mais productifs d’envies d’en découdre les uns contre les autres.
Les règles bougent théoriquement selon la montée des aspirations des individus rassemblés en groupes de pression. La petite velléité individuelle doit pouvoir trouver sa voie dans le grand concert de l’évolution de sa vie en société. Il n’y a pas de fatalité à ce que nous pensions individuellement. Cela demande une vigilance pour nous forcer au départ à bien ressentir ce que nous pouvons raisonnablement désirer, car nous ne sommes pas dans un absolu individuel mais dans un projet de vie réunissant d’autres individus motivés par d’autres désirs. Ensuite, à savoir l’exprimer de manière audible par des autres, par une organisation de vie qui, déjà existante, doit être à l’écoute de la manifestation de ses membres.
La société d’en haut ne va pas souvent bien parce que nous ne l’alimentons pas assez par une pensée honnête provenant d’en bas. Il n’y a pas de sociétés de droits divins d’un côté, et nous, sociétés de gens soumis de l’Autre. L’Etat c’est nous. La société c’est nous.
Apporter sans attendre de retour.
L’état des lieux de la vie en société donne parfois envie de baisser les bras au lieu d’y participer davantage en étant le citoyen ou le consommateur assoupi ou soumis.
Il y a un tel écart entre nos aspirations individuelles et le traitement collectif que nous pouvons croire qu’il y a une déviation naturelle et inévitable par nos soins. Et l’on ne peut y contredire quoi que ce soit car le chemin qui mène de notre sentiment personnel à l’action collective est en effet long, et souvent hors de notre portée.
Pourtant, baisser les bras est contre-productif pour nous, en premier.
Je prône la sollicitation permanente en nous d’envies de faire et d’entreprendre, de rencontrer l’Autre, de croire en la possibilité, fut-ce qu’un îlot, de changement. Je ne dis pas cela par altruisme ou pourvu d’un esprit de missionnaire. Je dis cela en tant que nécessité d’une hygiène de vie dans laquelle le goût de l’Autre est une gymnastique respiratoire, sans obligation mais avec des appels d’air hautement vivifiants.
L’exercice est un entraînement permanent faisant partie d’une espèce d’automatisme de notre corps et de notre esprit qui ont un besoin continuel de mouvement. Plutôt que d’y laisser circuler de la tristesse, ou un contentement excessif de soi, l’Autre devient un dépassement plaisant, éveillant de multiples curiosités, d’envies de suivre ou de mieux connaître, de désirs d’aider parfois si nous pouvons être utiles pour éclairer l’Autre dans ses recherches.
L’Autre ainsi envisagé n’est pas une charge de commisération mais un immense terrain de découvertes dans lequel nous pouvons nous aventurer en totale indépendance de moyens, de buts et d’espérance de résultats.
Il se peut que l’Autre ait une attitude similaire à notre égard sans pour autant que ce retour vienne précisément de celui auquel nous croyons avoir donné. La grande roue du partage et des rencontres distribue et redistribue selon un parcours fait de besoins, sans esprit marchand de devoir rendre obligatoirement. L’expérience prouve que ceux qui donnent sans besoin d’avoir bonne conscience, reçoivent beaucoup des autres.
L’Autre comme un plus, mais pas comme un commencement.
L’Autre vient en relais facultatif d’une vie que nous avons commencée avec nos seuls moyens, l’Autre nous mène à une fin où nous remettrons, dans l’état où ils seront, les mêmes moyens amendés et, ou, bonifiés de tout ce qu’ils auront fait et rencontrés.
N’ayant pas attendu l’Autre pour commencer, tout ce qui vient de l’Autre est un apport et non une nécessité.
Notre parcours n’en est pas pour autant une obstination solitaire à se croire seul capable pour nous-mêmes et pour la société. Au contraire, le chemin commencé tout seul, et que nous poursuivons seul quand il le faut, est la trace que nous existons toujours, quelle que soit la société qui nous accompagne ou qui nous fait défaut. C’est une prévention ce qui arrive continuellement à tous dans la vie. Les passages du désert exigent que nous ayons, comme les chameaux, notre réserve d’eau.
La raillerie des autres nous toise souvent lorsque nous arborons notre voie d’indépendance. Qu’importe, car le jugement n’est pas le fait. Ce que nous sommes n’est pas ce que les autres en font ou en disent, mais ce que nous seuls en faisons.
Pour vivre à côté ou avec ce commentaire de la société à notre égard, ne soyons ni arrogant, ni revanchard, ni présomptueux. Derrière le mot désagréable il y a souvent de la mansuétude ou de la commisération malhabile mais sincère venant de cœurs qui nous veulent du bien, ce fameux bien qu’ils anticipent comme un résultat au lieu de tout simplement nous aider à en trouver les moyens.
Nous sommes obligés d’opter pour un comportement de genre donnant-donnant avec ceux qui nous entourent. Il se peut que notre réflexion nous soit amenée à des solutions pratiques, rendant nos vies plus souples et plus heureuses. La tentation serait grande de croire que nous avons trouvé les solutions de la vie. Or ce que nous avons trouvé, ce sont nos solutions, ces outils bien particuliers se moulant à nos réflexes, à notre corps, à notre esprit. L’Autre et les autres recherchent leurs solutions, leurs outils. Si, en chemin, ils croient utiles de venir nous juger ou nous conseiller avec leurs outils imparfaits, accueillons-les quand même d’un coup de projecteur qui peut, peut-être, nous être utile.
Le dédain de l’Autre, ou le rejet pour la forme de sa volonté de contribution aussi incompétente soit-elle à notre bonheur, est un affront qui casse, qui tue, et qui perdure longtemps.
L’Autre n’est pas l’accessoire de notre vie. Il en est une partie prenante pour les rencontres sincères qu’avec lui nous décidons de nous accorder.
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